ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LES STATIONS
DE MONTAGNE
FACE AU
CHANGEMENT
CLIMATIQUE
Rapport public thématique
Synthèse
Février 2024
2
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
g
AVERTISSEMENT
Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du
rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations, des organismes et des collectivités
concernés figurent en annexe du rapport
.
3
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Sommaire
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
Le modèle économique de ski français s’essouffle
7
2
Les politiques d’adaptation restent en deçà des enjeux
9
3
La nécessité d’une gouvernance élargie
et d’une meilleure préservation
des ressources naturelles
11
4
Un subventionnement public significatif et croissant
13
Recommandations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
5
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Introduction
La France est une destination majeure pour le tourisme hivernal : avec
53,9 millions de journées-skieur, elle se classe ainsi au 2
e
rang mondial, après
les États-Unis (61 millions) . Comparée aux autres grands pays du ski, la France a
pour caractéristique de proposer à la fois un grand nombre de domaines skiables
majeurs ainsi qu’un nombre important de petites stations . Le tourisme hivernal
en montagne s’est développé essentiellement dans les années 1960 et 1970
avec la construction des stations de sports d’hiver dans le cadre des plans neige
initiés par l’État . Ces derniers ont conduit à la création de stations de montagne
ex nihilo,
intégrées et souvent en haute altitude : 150 000 lits d’hébergement
touristiques ont été créés durant cette période et ont permis le développement
d’un tourisme hivernal de masse en montagne . Le tourisme montagnard
représente actuellement 22,4 % des nuitées touristiques en France .
En France, le secteur des remontées mécaniques représente un chiffre d’affaires
de 1,6 Md€ . Dans un marché mondial du ski dominé par l’économie de marché,
la France fait figure d’exception car ce secteur est qualifié par la loi dite
« montagne » de 1985 de service public à caractère industriel et commercial .
Les communes y jouent un rôle clef soit en assurant en direct l’exploitation des
domaines skiables soit en la délégant à des opérateurs privés .
L’enquête réalisée par les juridictions financières a eu pour objet de préciser les
conséquences du changement climatique sur le tourisme hivernal en montagne
et d’examiner comment les stations s’y sont adaptées . Au total, 42 stations,
réparties sur les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et le Jura, ont été contrôlées .
Celles-ci sont illustratives de la diversité des territoires et des situations . En outre,
une base de données a été constituée, comprenant 200 stations des trois massifs
concernés, permettant une analyse statistique plus exhaustive .
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
1
Le modèle économique
de ski français s’essouffle
Alors qu’il pouvait compter à la fin
du XX
e
siècle sur une dynamique
alimentée par une croissance du
tourisme de ski entraînant celle des
infrastructures immobilières et des
remontées mécaniques, le modèle
économique des stations de ski est
durablement affecté par le changement
climatique depuis le début du XXI
e
siècle . À compter de la fin des années
2000, la diminution de l’activité ski et
l’inadaptation croissante du patrimoine
immobilier des stations ont commencé
à fragiliser l’équilibre financier des
remontées mécaniques et l’économie
locale qui en découle pour partie .
Altération du moteur de la croissance des stations de ski au début du XXI
e
siècle
Parc de logements
de moins en moins adaptés
Flux décroissant
de touristes-skieurs
Fragilisation
de l’équilibre économique
des remontées mécaniques
Changement
climatique
et préoccupations
environnementales
Source : juridictions financières
Ce phénomène est accentué par
le changement climatique qui se
manifeste en montagne de manière
plus marquée qu’en plaine, avec
une hausse des températures, en
accélération depuis les années
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
2010 . Les projections climatiques
des scientifiques font état d’une
accentuation du phénomène à moyen
terme, avec des conséquences plus
marquées sur l’enneigement et sur
les risques d’origine glaciaire et
périglaciaire . Ce constat s’applique
tant aux précipitations neigeuses qu’à
la neige produite .
Inégalement vulnérables en fonction
de leur exposition au risque climatique,
du poids de l’activité économique et
de la surface financière de l’autorité
organisatrice, toutes les stations seront
plus ou moins touchées à horizon de
2050 . Quelques stations pourraient
espérer poursuivre une exploitation
au-delà de cette échéance . Celles
situées au sud du massif des Alpes
seront en revanche plus rapidement
touchées que les autres .
Le changement climatique a d’ores
et déjà un impact significatif sur
les finances publiques locales, qui
ira croissant . En effet, l’activité de
remontées mécaniques nécessite de
lourds investissements et un niveau
de fréquentation suffisant, permettant
de dégager les recettes nécessaires au
renouvellement des immobilisations .
Fragilisées par le manque d’enneige-
ment et l’érosion de leur clientèle de
skieurs, de plus en plus de stations ne
sont déjà plus en capacité d’atteindre
l’équilibre d’exploitation . Elles doivent,
dès lors, faire preuve de la plus grande
prudence en matière d’investissement .
Évolution du nombre de journées-skieurs en France
saisons hivernales
nombre de journées skieurs (en millions)
48,5
48,0
48,0
47,0
49,0
50,0
49,5
49,0
50,0
52,5
53,5
52,5
55,6
47,7
54,9
58,6
0
10
20
30
40
50
60
70
1991-1992
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
1996-1997
1997-1998
1998-1999
1999-2000
2000-2001
2001-2002
2002-2003
2003-2004
2004-2005
2005-2006
2006-2007
2007-2008
2008-2009
2009-2010
2010-2011
2011-2012
2012-2013
2013-2014
2014-2015
2015-2016
2016-2017
2017-2018
2018-2019
2019-2020
2021-2022
46,0
43,0
56,6
53,2
55,3
58,0
55,0
53,9
52,0
51,1
53,8
53,4
53,9
44,9
Source : juridictions financières d’après les données de domaines skiables de France (en rouge,
phase de croissance, en turquoise phase de décroissance)
Le modèle économique
de ski français s’essouffle
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Les politiques d’adaptation menées par
les acteurs de la montagne reposent
essentiellement sur la production de
neige, ainsi que, dans une proportion
nettement plus réduite, sur le dévelop-
pement d’activités de diversification . La
production de neige permet de fiabiliser
l’enneigement à court terme . Mais,
elle ne constitue qu’une protection
relative et transitoire contre les effets
du changement climatique . Son coût
est en effet important et son efficacité
tend à se réduire avec la hausse des
températures : dans certains cas, la
production de neige peut tendre vers
une mal-adaptation . À cet égard, les
investissements réalisés sont encore
trop souvent décorrélés des prévisions
climatiques . De plus, l’impact de la
production de neige sur les ressources
en eau apparaît sous-estimé dans de
nombreux territoires . Il serait nécessaire
que les autorisations de prélèvements
d’eau destiné à la production de
neige tiennent davantage compte des
prospectives climatiques .
Sur les territoires, les actions de
diversification mises en œuvre sont
rarement adossées à un véritable
projet . Réalisées au fil de l’eau, elles
tendent souvent à reproduire le modèle
du ski, fondé sur des investissements
importants et une forte fréquentation,
sans plan d’affaires permettant d’établir
leur pertinence économique . Les
initiatives des collectivités territoriales
sont peu coordonnées entre elles,
entraînant un risque de concurrence
entre territoires . Les actions de
diversification se juxtaposent au
soutien à la production de neige, sans
réflexion sur l’articulation entre ces
deux politiques . La mobilisation de
ressources financières importantes en
faveur de la production de neige est
au contraire susceptible d’entretenir
un
« sentier de dépendance »
au ski, ne
laissant que peu de place à l’invention
d’alternatives .
La planification écologique de l’État,
peu opérationnelle pour le secteur
touristique en montagne, ne permet
pas d’impulser une réelle dynamique
de changement . Il en est de même
des régions, qui ne souhaitent pas
orienter les choix locaux, en dépit
de leurs compétences en matière de
planification touristique . Elles orientent
pourtant de facto les investissements
des collectivités territoriales par les
subventions qu’elles leur accordent
et ont conforté les stratégies de
renforcement de la production de neige
sans tenir compte des perspectives du
changement climatique, en particulier
dans les Alpes .
Afin de mieux structurer l’action des
collectivités territoriales, de véritables
plans d’adaptation au changement
climatique doivent être mis en place .
De même, le soutien des financeurs
publics doit être conditionné au
contenu de ces plans .
Les politiques d’adaptation
restent en deçà des enjeux
2
11
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Avec une gouvernance centrée sur
l’échelon communal et des regrou-
pements insuffisants, l’organisation
actuelle ne permet pas aux acteurs de
la montagne de s’adapter aux réalités
du changement climatique à l’échelle
d’un territoire pertinent .
Comme d’autres grands pays du ski, la
France aurait tout intérêt à promouvoir
une organisation fédérant l’ensemble
des acteurs concernés autour de projets
de territoires et d’une gouvernance
élargie, permettant de préserver les
ressources et de valoriser les espaces
naturels .
Cela est d’autant plus important que
des friches industrielles apparaissent
dans les montagnes françaises : près
de 200 installations inutilisées et
non démontées sont recensées au
niveau national . En l’absence d’actions
fortes de rénovation du patrimoine
existant, des friches immobilières
risquent de se développer . Ce n’est
que depuis 2016 que la loi impose aux
autorités organisatrices l’obligation de
démanteler les remontées mécaniques
définitivement inutilisées . Toutefois,
aucune sanction n’est prévue et
aucune obligation n’existe pour les
installations construites avant 2016 .
Faute de provision dans les comptes
des collectivités territoriales ou des
exploitants, seules des initiatives
ponctuelles et privées permettent de
répondre en partie à l’enjeu de remise
en état des sites fortement impactés
par ces activités de loisirs .
La nécessité d’une gouvernance
élargie et d’une meilleure
préservation des ressources
naturelles
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Les financements publics perçus
par les opérateurs des remontées
mécaniques dont le chiffre d’affaires
annuel est inférieur à 15 M€ sont
estimés à 124 M€ par an . Ce montant
doit être rapproché du chiffre d’affaires
total de l’ordre de 529 M€ généré
par ces opérateurs, soit un niveau de
dépendance à la dépense publique
d’environ 23 % . Pour les stations
réalisant moins de 10 M€ de chiffre
d’affaires, le montant est de 87 M€
représentant 28 % du chiffre d’affaires
des stations concernées .
Poids de la dépense publique dans le chiffre d’affaires des stations
générant moins de 15 M€ de chiffre d’affaires annuel (en M€)
123,6 M€
soit 23 % du total
404,7 M€
soit 77 % du total
Chi
ff
re d'a
ff
aires
hors aide publique
Aide
publique
Source : Cour des comptes
À défaut de repenser fondamentale-
ment le modèle économique, le
niveau de subventionnement public
ne pourra que s’alourdir compte
tenu des projections climatiques en
enfermant les collectivités dans un
sentier de dépendance au ski, les
privant des marges de manœuvre
pour développer un tourisme « quatre
saisons »
1
Aussi, une réorientation
Un subventionnement public
significatif et croissant
4
1 . En montagne, les saisons les plus exploitables commercialement sont l’hiver et l’été ainsi que
les « ailes » de saison du printemps et de l’automne . Par commodité, les juridictions financières
désignent ce tourisme sous l’appellation « quatre saisons » .
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Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Un subventionnement public
significatif et croissant
fondamentale de la dépense publique
en fonction de la réalité climatique et
économique de chaque territoire doit
être envisagée . À titre de comparaison,
l’institut d’économie pour le climat
a estimé à 91,7 M€ par an le coût de
l’adaptation au changement climatique
en France . Ce chiffre, qui ne couvre que
les premières mesures, ne répond ainsi
pas à l’intégralité du besoin s’agissant
d’une pleine et entière transition du
modèle économique des stations vers
l’adaptation au changement climatique .
Afin de permettre l’adaptation dans
une approche non concurrentielle, les
très fortes inégalités entre stations et
le montant important des fonds publics
déjà mobilisés justifieraient la mise
en place d’une solidarité financière
entre collectivités . Ainsi, devrait être
mis en place d’un fonds d’adaptation
au changement climatique destiné à
financer les actions de diversification
et de déconstruction des installations
obsolètes, alimenté par la taxe locale
sur les remontées mécaniques .
15
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
1.
Mettre en place un observatoire
national regroupant toutes les
données de vulnérabilité en montagne
accessibles à tous les acteurs locaux
(ministère de la transition écologique
et de la cohésion des territoires).
2.
Faire évoluer le cadre normatif afin
que les autorisations de prélèvements
d’eau destinés à la production
de neige tiennent compte des
prospectives climatiques
(ministère
de la transition écologique et de la
cohésion des territoires).
3.
Formaliser des plans d’adaptation
au changement climatique, déclinant
les plans de massifs prévus par
la loi Climat et résilience
(autorités
organisatrices, ministère de la
transition écologique et de la cohésion
des territoires).
4.
Conditionner tout soutien public à
l’investissement dans les stations au
contenu des plans d’adaptation au
changement climatique
(ministère
de la transition écologique et de
la cohésion des territoires, régions,
départements).
5.
Mettre en place une
gouvernance
des stations de montagne ne relevant
plus du seul échelon communal
(ministère de l’intérieur et des outre-
mer, collectivités territoriales).
6.
Mettre en place un fonds
d’adaptation au changement
climatique destiné à financer les
actions de diversification et de
déconstruction des installations
obsolètes, alimenté par le produit de
la taxe sur les remontées mécaniques
(ministère de la transition écologique
et de la cohésion des territoires,
ministère de l’économie et des
finances et de la souveraineté
industrielle et numérique).
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