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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR L’ADAPTATION DES STATIONS
DE MONTAGNE FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Mardi 6 février 2024 – 9h
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous présenter le rapport public thématique des
juridictions financières sur les stations de montagne face au changement climatique.
Cette enquête est inédite, à plusieurs égards.
D’abord, elle a mobilisé un grand nombre de membres des juridictions financières, sur l’ensemble
du territoire.
Il s’agit, en effet, d’un travail issu d’une formation dite « inter-juridictions »,
qui a
mobilisé cinq chambres régionales des comptes – Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence Alpes
Côte d’Azur, Nouvelle-Aquitaine et Bourgogne-France-Comté – mais aussi des membres de la 1
ère
et
de la 2
ème
chambre de la Cour des comptes.
Je souhaite saluer le travail remarquablement transversal et très approfondi de l’ensemble des
artisans de ce rapport
. Je remercie chaleureusement le président de la Chambre régionale des
comptes d’Auvergne-Rhône-Alpes,
Bernard Lejeune
, qui a présidé cette formation, mais aussi les
présidentes et présidents de toutes les chambres régionales et des chambres de la Cour qui se sont
investis dans cette enquête. Je salue la présence du vice-président de la CRC PACA
Didier Gory
et du
vice-président de la CRC Occitanie,
Patrice Ros,
qui sont présents à mes côtés.. Sont également
présents les rapporteurs généraux
Nicolas Ferru
, de la CRC ARA, et
Hervé Bournoville
, de la CRC
Occitanie, que je remercie vivement pour ce travail objectif et rigoureux.
Au-delà de l’ampleur de la mobilisation des chambres, ce rapport est profondément novateur et
utile dans sa méthode.
D’abord, il permet de poser des constats chiffrés, complets et territorialisés sur l’adaptation des
stations de montagne au changement climatique.
Nous avons tenu à cette dimension transversale
et à la représentativité géographique de l’enquête. Le rapport présenté aujourd’hui se fonde sur un
échantillon considérable de contrôles des comptes et de la gestion de 42 stations de montagne,
réalisés principalement par les CRC Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et PACA. Ces contrôles
concernent des stations de toutes tailles, et sont illustratifs de la diversité des situations
rencontrées ; comme vous pouvez le voir sur la carte projetée derrière moi, elles sont réparties sur
les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et le Jura.
Autre innovation : la Cour a constitué et analysé, pour cette enquête, une base de données
ad hoc
.
Durant l’été 2022, les rapporteurs ont en effet agrégé des données géographiques, climatiques et
2
financières sur 200 stations. Cela a permis de croiser des données jamais exploitées ensemble
jusqu’alors, et d’aboutir à une analyse statistique encore plus exhaustive. Pour la première fois, cette
nouvelle base de données a permis de chiffrer les enjeux d’adaptation des stations de montagne face
au changement climatique.
Enfin, l’équipe du rapport a collaboré avec le monde de la recherche, en sollicitant l’appui au début
de l’enquête des universitaires spécialistes du changement climatique, et de l’enneigement.
Les
rapporteurs ont même organisé un séminaire de recherche sur leur sujet d’enquête, en février 2023.
Il s’agit donc d’un travail très fourni, aux méthodes novatrices, mené dans un calendrier très
resserré entre novembre 2022 et ce jour.
Les méthodes utilisées sont, en réalité, proches de celles
d’une évaluation de politique publique, et j’en suis ravi, tant nous veillons à monter en puissance sur
ces dernières, à la Cour et dans les CRC.
***
Il était très important que la Cour des comptes examine ce sujet, qui constitue un enjeu majeur
pour le tourisme et l’économie française.
La France est en effet la deuxième destination mondiale
pour le tourisme hivernal, avec près de 54 M de journées-skieurs par an, et 1,6 Md d’€ de chiffres
d’affaires pour le secteur des remontées mécaniques. Le tourisme hivernal en montagne s’est
surtout développé dans les années soixante et soixante-dix, avec la construction des stations de
sports d’hiver dans le cadre des plans neige initiés par l’État. La création, à cette période, de 150 000
lits d’hébergement touristiques, a initié le développement d’un tourisme hivernal de masse. Le
tourisme montagnard représente actuellement 22,4 % des nuitées touristiques en France.
Mais le modèle des stations de ski est durablement affecté par le changement climatique.
Dans ce
contexte, l’enquête avait trois objectifs : préciser les conséquences du changement climatique sur le
tourisme hivernal en montagne, examiner comment les collectivités territoriales s’y sont adaptées, et
dessiner les stratégies d’adaptation les plus pertinentes en fonction des particularités des territoires.
Les principales conclusions et recommandations de notre rapport sont les suivantes :
-
D’abord, le modèle économique du ski français conçu dans les années soixante
s’essouffle, fragilisé par le changement climatique ;
-
Ensuite, les politiques d’adaptation menées par les stations de montagne ne sont pas à
la hauteur des enjeux ;
-
Enfin, certains leviers d’action devraient être mis en œuvre pour mieux planifier
l’adaptation des stations au changement climatique.
*
I. Le premier message de notre rapport, c’est l’essoufflement du modèle français des stations de
montagne depuis les années 2000.
Comparée aux autres grands pays du ski, la France a plusieurs particularités.
D’abord, le paysage des stations y est hétérogène, avec à la fois des très grands domaines skiables
et un nombre important de stations moyennes, petites voire des microstations.
Ensuite, dans un secteur mondial du ski dominé par l’économie de marché, la France fait figure
d’exception
. Le modèle français des stations de ski a toujours été étroitement lié au soutien de l’Etat
et des collectivités.
Le domaine des sports d’hiver a la particularité d’avoir été soutenu à ses débuts
par l’Etat, qui a mis en œuvre plusieurs plans « neige » successifs dans les années 1960 et 1970. Ces
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derniers ont conduit à la création de stations de montagne
ex nihilo
, intégrées et souvent en haute
altitude, avant la construction d’une deuxième génération de stations en moyenne altitude, plus
respectueuse de l’environnement et de l’architecture locale. Cette politique de développement des
stations a conduit les territoires de montagne à devenir fortement dépendants de l’activité
touristique.
Par ailleurs, le service des remontées mécaniques est qualifié par la loi « montagne » de 1985 de
service public à caractère industriel et commercial, ce qui permet parfois à la puissance publique
de verser d’importants concours publics. Il s’agit là encore d’une originalité française en la matière.
La même loi a reconnu que les communes jouent un rôle clef dans la gouvernance des sports d’hiver,
soit en assurant en direct l’exploitation des domaines skiables, soit en la déléguant à des opérateurs
privés. Ce modèle a conduit les élus à chercher l’équilibre entre la rentabilité économique du
domaine skiable et la recherche de l’intérêt général.
Or, l’équilibre financier des remontées mécaniques et l’économie locale qui en découle ont été
fragilisés, dès les années 2000, pour plusieurs facteurs.
D’une part, l’activité baisse.
La fréquentation des stations de ski françaises connaît une lente érosion
depuis 2008/2009, notamment due à la dégradation de l’enneigement et au vieillissement de la
clientèle des skieurs.
D’autre part, le modèle économique des stations souffre de l’inadaptation croissante de leur
patrimoine immobilier.
L’offre d’hébergement touristique est mal connue, peu optimisée et
vieillissante. En sus, 50%cen moyenne de ces hébergements sont considérés comme des passoires
énergétiques. À défaut de programmes de rénovation du bâti, ces difficultés immobilières pourraient
s’accentuer dans un avenir très proche.
Cette fragilisation économique et financière des stations de montagne est accentuée par le
changement climatique, d’autant qu’il se manifeste en montagne de manière encore plus marquée.
Les régions de montagne sont particulièrement vulnérables au changement climatique.
Par
exemple, la hausse des températures est plus importante dans les Alpes depuis 1900 (+1,97°C) qu’en
moyenne en France métropolitaine (+1,7°C).
La conséquence logique de cette hausse de température accrue en montagne est une perte de
fiabilité de l’enneigement et une remontée de la limite pluie/neige en montagne.
Dans les Alpes,
entre 1971 et 2019, la période d’enneigement s’est réduite d’environ un mois par an en dessous de 2
000 m d’altitude. C’est considérable ! Selon les spécialistes du climat, les projections futures
s’agissant de la réduction du manteau neigeux sont sans équivoque. A horizon 2050, l’épaisseur
moyenne hivernale du manteau neigeux serait réduite, selon les lieux, de 10 à 40 % en moyenne
montagne.
Le changement climatique entraîne aussi la fonte du pergélisol, aussi appelé permafrost – c’est-à-
dire la partie du sol normalement gelée en permanence.
Cela peut fragiliser les infrastructures de
remontées mécaniques, augmenter leurs coûts de maintenance et avoir des conséquences graves sur
la sécurité de leurs utilisateurs. Malgré des contrôles de sécurité par l’Etat, il n’existe pas de
cartographie spécifique des risques naturels pesant sur les installations de remontées mécaniques.
Enfin, la hausse des températures conduit à une raréfaction de la ressource en eau dans les zones
de montagne
. Le nombre d’arrêtés dits « sécheresse » augmente dans les départements concernés
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par notre enquête, et sur des périodes de plus en plus larges.
Si toutes les stations seront touchées par le changement climatique d’ici 2050, la Cour remarque
toutefois qu’elles sont inégalement vulnérables face à ce risque.
Dans ce rapport, nous avons établi une classification des stations selon le risque auxquelles elles
sont exposées.
Nous avons pour cela créé un score de vulnérabilité, dont les critères sont, entre
autres : l’exposition au risque climatique, l’impact économique et social d’une possible cessation de
l’activité de ski, et la capacité financière des acteurs publics locaux à s’adapter.
Le rapport tire plusieurs enseignements de cette méthode multifactorielle
. D’une part, les stations
des Alpes du Nord sont moins vulnérables au changement climatique que les stations des Alpes du
Sud : huit des 10 stations présentant le score de vulnérabilité le plus élevé sont situées dans les Alpes
du sud, et plus particulièrement dans le département des Hautes-Alpes. D’autre part, la plupart des
stations de très grande taille situées en haute altitude sont moins impactées par le changement
climatique à court terme.
Cette classification innovante doit toutefois être prise avec précaution : elle a vocation à être
enrichie et débattue par les acteurs de terrain.
En tout état de cause, les données nécessaires pour évaluer la vulnérabilité des stations au
changement climatique sont éparses et difficiles d’accès ; la Cour recommande de mettre en place
un observatoire national regroupant toutes les données de vulnérabilité en montagne, accessibles
à tous les acteurs locaux.
En définitive, le changement climatique aggrave l’impact, déjà important, du ski sur les finances
publiques locales.
Le changement climatique a d’ores et déjà des effets sur les finances publiques locales des stations,
mais cet impact est voué à s’accroître
. En effet, l’activité de remontées mécaniques est très
capitalistique : elle nécessite de lourds investissements, un niveau de fréquentation suffisant et une
période minimale de fonctionnement chaque hiver, pour dégager les recettes nécessaires au
renouvellement des équipements. A ce renouvellement des infrastructures traditionnelles s’ajoute le
développement de la production de neige, qui requiert des investissements supplémentaires.
De plus en plus de stations ne sont déjà plus en capacité d’atteindre l’équilibre d’exploitation ;
c’est le cas d’une part croissante des exploitations contrôlées
. Ces dernières doivent donc être très
prudentes sur leurs projets d’investissement à moyen et long-terme. Seuls certains des plus grands
domaines skiables français, dont l’exploitation est concédée à des opérateurs privées, sont rentables
ou très rentables ; mais même ces derniers doivent opérer des arbitrages forts sur leurs projets
d’investissements.
Face à cette détérioration de la situation financière, les collectivités locales interviennent de plus
en plus fréquemment, en versant des subventions répétées et en renonçant parfois à certaines
taxes ou redevances.
Selon la Cour, sur la période 2018-2022, les 180 stations de ski françaises ayant
généré un chiffre d’affaires inférieur à 15 M€, ont été subventionnées à hauteur d’environ 124 M€
par an, toutes administrations publiques confondues.
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Ces subventions sont composées à 88 % de subventions d’exploitation et à 12 % de subventions
d’investissement. Cela représente tout de même presque un quart du chiffre d’affaires annuel de ces
180 stations !
Les premières conclusions de notre rapport sont claires : l’essoufflement du modèle des stations de
montagne va aller en s’aggravant ; il nécessite des actions d’adaptation importantes.
II. Cela me mène au deuxième message de ce rapport : les politiques d’adaptation menées jusqu’à
présent sont en-deçà des enjeux soulevés.
D’abord, la Cour relève que la planification de l’Etat en réponse aux effets du changement climatique
en montagne est lacunaire et dispersée.
L’Etat a insuffisamment pris en compte les enjeux de la montagne dans sa planification
écologique.
Les mesures prévues dans le deuxième plan national d’adaptation au changement
climatique (PNACC), pour la période 2018-2022, sont majoritairement incitatives, et souvent peu
opérationnelles.
De plus, les moyens du plan Avenir montagne sont dispersés et ne sont pas à la hauteur des besoins.
Lancé en mai 2021, le plan avenir montagnes (PAM) est une déclinaison du plan de relance à l’échelle
des massifs, pour accompagner la réouverture des stations fermées pendant la pandémie de la covid-
19 et faire de la montagne un terrain d’accélération de la transition écologique. Ce plan a été doté d’un
fonds de 331 M€ sur deux ans (2021 et 2022), qui a soutenu 669 projets. Mais les crédits ont été
« saupoudrés » sur un trop grand nombre d’opérations, avec une priorité accordée aux projets déjà
prêts dans les services, et donc potentiellement moins innovants et travaillés que les projets en cours
d’élaboration actuellement.
Ensuite, les stations gardent le réflexe d’une poursuite du modèle précédent : les stratégies
d’adaptation restent focalisées sur l’économie du ski, ce qui peut parfois conduire à de la « mal-
adaptation ».
D’abord, les actions menées par les acteurs de la montagne reposent essentiellement sur la
production de neige.
Mais, cela ne constitue qu’une protection relative et transitoire contre les effets
du changement climatique. Son coût est important et son efficacité tend à se réduire avec la hausse des
températures. Les investissements réalisés sont coûteux, énergivores et consommateurs de la
ressource en eau, ce qui peut en plus conduire localement à des conflits d’usage. Dans certains cas, la
production de neige
peut être qualifiée de « mal adaptation ».
C’est pourquoi la Cour recommande de faire évoluer le cadre normatif. Les autorisations de
prélèvements d’eau destinées à la production de neige devraient en effet davantage tenir compte
des prospectives climatiques.
Ensuite, le développement d’activités de diversification est encore trop limité, et il est en décalage
avec les projections climatiques.
La diversification repose encore trop souvent sur des investissements
à la rentabilité incertaine, sans projet stratégique à l’échelle d’un territoire suffisamment large. Le
tourisme découlant du ski et la diversification des activités, notamment en été, ne sont pas
systématiquement portées par les mêmes acteurs ; les seules synergies qui existent reposent sur
l’utilisation des remontées mécaniques pour certaines activités d’été. Mais la mobilisation de
ressources financières importantes pour la production de neige et la continuation du modèle de sports
d’hiver conduit à entretenir une dépendance au modèle du ski.
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Enfin, ces politiques d’adaptation des acteurs locaux ne sont pas coordonnées par les différents
échelons de collectivités, ce qui pose un enjeu de gouvernance et de pilotage.
Dans la grande majorité des stations que nous avons contrôlées, les actions de diversification sont
réalisées au fil de l’eau, en concurrence les unes avec les autres du fait de l’absence de projet
territorial, et sans concertation préalable entre acteurs publics et privés
.
J’ajoute à cela que les départements et les régions se limitent trop à un rôle de financeur : ils ne font
pas émerger de stratégie précise pour piloter l’adaptation des stations de ski, mais ils orientent,
de
facto,
les actions des collectivités par les subventions qu’ils leur accordent. Or, le rapport constate
que les régions ont conforté les stratégies de renforcement de la production de neige, sans tenir
compte des perspectives du changement climatique, en particulier dans les Alpes.
En conséquence, la Cour fait deux recommandations :
La première, c’est l’adoption de plans d’adaptation au changement climatique pour chaque autorité
organisatrice du service des remontées mécaniques. Ces plans déclineraient, pour chaque station, les
plans prévus par la loi Climat et résilience au niveau des massifs.
La seconde, c’est de conditionner tout soutien public à l’investissement dans les stations, au contenu
des plans d’adaptation au changement climatique.
*
III. J’en viens au troisième message de ce rapport : alors que les résultats des actions d’adaptation
sont limités, la Cour propose trois axes de recommandations pour améliorer la situation des stations.
D’abord, la Cour préconise de mettre en place une nouvelle gouvernance, qui engloberait des
territoires plus larges.
Le modèle français s’appuie sur le périmètre de la station de ski, elle-même très liée à
l’exploitation des remontées mécaniques
.
Les communes, autorités organisatrices, détiennent donc
un pouvoir important dans l’organisation des stations. Mais la gestion communale de cette
compétence, aux enjeux financiers significatifs, rencontre parfois des limites : les communes de taille
modeste ne sont pas toujours en mesure de contrôler l’activité de leur délégataire lorsque ce mode de
gestion est retenu.
De même, la mise en œuvre des projets de diversification implique un portage politique fort, dans des
communes où la culture du ski est prégnante. En outre, une stratégie de diversification « quatre saisons
» nécessite par principe d’agrandir le cercle des discussions stratégiques à un territoire élargi à
plusieurs communes. L’organisation actuelle centrée sur la commune n’est pas de nature à favoriser
l’émergence d’une stratégie cohérente entre collectivités.
Le mode de gouvernance des stations de ski
couvre donc un territoire communal trop étroit.
Par ailleurs, cette gouvernance est éclatée entre divers acteurs :
commune pour la gestion des
stations, intercommunalités pour la promotion du tourisme, région pour le développement
économique, département pour la solidarité territoriale et le tourisme, sans même parler du transport
qui relève de trois niveaux de collectivités. Il existe des exemples de regroupements de stations initiés
par les intercommunalités, les départements ou les régions, par exemple la Drôme qui gère sept petites
stations ou la SPL Trio dans les Pyrénées-Orientales ; mais ces exemples sont peu nombreux.
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La dispersion des acteurs publics est d’autant plus problématique que les relations sont souvent
déséquilibrées entre collectivités locales et les sociétés exploitantes.
La plupart des stations
importantes ont recours à une délégation de service public pour les remontées mécaniques. Il s’agit
d’un modèle qui présente des avantages et des inconvénients, mais qui ne semble plus adapté aux
petites et moyennes stations soumises à une forte pression climatique. En effet, ces dernières se
retrouvent parfois face à des exploitations déficitaires, les délégataires de service public mettant
parfois un terme à leur intervention avant la fin du contrat. Alors que les stations de ski florissantes
permettent l’intervention de sociétés privées dégageant d’importants profits, les stations en difficulté
reviennent à la charge des collectivités publiques et donc
in fine
du contribuable.
Pour toutes ces raisons, la Cour recommande de mettre en place une gouvernance des stations ne
relevant plus du seul échelon communal, mais fédérant l’ensemble des acteurs du territoire concerné
autour de projets de territoires et d’une gouvernance élargie.
A titre d’exemple, dans le massif des
Dolomites en Italie, une société a été créé pour constituer un consortium de 12 stations de sports
d’hiver, qui associe également les acteurs socio-économiques de l’hébergement, de la restauration et
des loisirs.
Ensuite, le rapport recommande de mieux préserver les ressources et de valoriser davantage les
espaces naturels.
Le nouveau modèle des stations de ski doit permettre de mieux concilier l’économie touristique à
court terme, et la protection à long terme des écosystèmes et des ressources naturelles.
Plusieurs
stations font des efforts pour réduire leur consommation énergétique et limiter les atteintes à
l’environnement, avec la fermeture des installations redondantes hors vacances scolaires ou la
modulation des plages d’ouverture comme à Isola 2000. Néanmoins, la Cour constate le caractère
ponctuel de ces dispositifs, leur suivi lacunaire et l’absence d’objectif calendaire précis.
Dans ce contexte, les infrastructures de remontées mécaniques soulèvent plusieurs enjeux pour le
paysage et l’environnement
. D’abord celui de leur rationalisation dans les futurs plans stratégiques des
stations, alors que le nombre de remontées a décru de 14% depuis 2011. Ensuite celui du démontage
des installations obsolètes, insuffisamment encadré au niveau légal. Ce démontage devrait en tout état
de cause être réalisé sous le contrôle de l’Etat, car le nombre d’installations inutilisées est appelé à
s’accroître sous l’effet du changement climatique.
Enfin, la transformation du tourisme en montagne nécessitera de repenser l’affectation des revenus
du ski, et d’en allouer une part au financement de la transition.
En effet, les mesures d’adaptation sont aujourd’hui insuffisantes, et la question se pose du
financement des futures actions à mener
. Aujourd’hui, les financements publics sont largement
orientés sur l’économie du ski. La difficulté à mettre en place un modèle « quatre saisons » provient,
entre autres, d’un niveau insuffisant de rentabilité des activités estivales. En parallèle, les recettes liées
à l’activité hivernale sont insuffisamment redistribuées.
L’évaluation des besoins de financement nécessaires au changement climatique est difficile
. Mais
certaines études, comme celle de l’Institut d’économie pour le climat, incitent à flécher les
investissements pour des projets d’adaptation pour 92 M€ par an. Tel qu’indiqué supra, les juridictions
financières ont évalué à 124 M€ le soutien public à des stations exerçant une activité de loisirs,
lesquelles sont en moyenne déficitaires s’agissant des stations dégageant moins de 15 M€ de CA
annuel. Ce montant ne pourra que s’alourdir compte tenu des projections climatiques. C’est pourquoi
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les juridictions financières préconisent une réorientation fondamentale de la dépense publique pour
faciliter le développement d’un tourisme « quatre saisons ».
Pour financer la transition vers de nouveaux modèles touristiques, un effort pourrait être demandé
aux usagers des remontées mécaniques, en augmentant les tarifs des forfaits
. D’après l’édition 2023
du rapport international sur le tourisme de neige et de la montagne, le prix moyen du forfait de ski
pour les grandes stations françaises est évalué à près de 56 € par jour. Si ce coût n’est pas négligeable, il
s’agit du tarif le plus faible parmi les cinq grandes nations du ski, et l’écart ne peut pas être uniquement
expliqué par les différences de niveaux de vie entre les pays.
Le niveau des prix peut parfois s’expliquer par une concurrence entre stations géographiquement
proches, conduisant à minorer les tarifs des forfaits, comme par exemple dans les stations ariégoises.
Au-delà d’une augmentation des prix des remontées mécaniques, il conviendrait également de
mettre en place une solidarité financière entre les collectivités.
En effet, le coût de la transition va
s’étaler sur plusieurs dizaines d’années, et il concernera les différentes communes à des périodes et
dans des proportions variables. Les stations de ski les plus en altitude et situées en particulier dans les
Alpes du Nord, sont actuellement relativement épargnées par le changement climatique ; mais elles
doivent anticiper de futurs investissements avec soin.
Pour les stations de basse et moyenne altitude déjà affectées par le changement climatique, les
communes ont le plus souvent repris en charge directement l’exploitation après un désengagement
des acteurs privés.
Compte tenu de leur situation financière souvent dégradée, elles sont
fréquemment incapables de dégager de l’autofinancement suffisant pour accompagner de lourds
investissements de reconversion. En outre, l’abandon de l’activité du ski nécessitera de financer le
démontage des remontées mécaniques, et la reconversion des sites.
Pour répondre à cette situation, une solidarité inter-communes de stations de montagne pourrait
être envisagée.
Pour l’instant, le produit de la taxe sur les remontées mécaniques est affecté à des
dépenses précises relatives aux stations de ski, et à la protection du patrimoine naturel montagnard.
Son taux communal est plafonné à seulement 3 % des recettes brutes des redevances d’accès aux
domaines skiables. Sur un prix moyen de 56€ par jour, le montant maximal de la taxe revient donc
aujourd’hui à 1,68€.
Le taux maximal de cette taxe pourrait être augmenté, de quelques points de pourcentage.
Cela ne reviendrait à augmenter le prix des remontées que de quelques euros par semaine, mais le
produit supplémentaire généra par l’effet cumulé de cette augmentation pourrait alimenter un fonds
d’adaptation au changement climatique.
La Cour recommande de créer ce fond, qui serait spécifiquement dédié à la diversification et à la
déconstruction des installations obsolètes, et géré par l’État.
***
Mesdames, messieurs,
je crois ce rapport profondément instructif et utile au débat public, sur un
enjeu qui concerne de nombreux territoires français.
Notre rapport traite aussi de la question,
finalement bien plus large que les stations de montagne, de l’adaptation de notre économie, de
notre société, de nos cultures aux effets du changement climatique.
L’année 2024 sera, pour la Cour des comptes, une année dédiée à l’analyse des politiques
publiques à l’aune du changement climatique.
D’ailleurs, ce rapport est destiné à figurer dans notre
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rapport public annuel, le vaisseau amiral de nos publications, qui sera remis au Président de la
République puis publié en mars.
Nous avons en effet décidé de consacrer notre rapport public annuel 2024 à l’adaptation au
changement climatique.
Les conclusions que je viens de vous livrer figureront donc, dans une version
raccourcie, aux côtés d’autres chapitres, qui ont tous pour point commun d’interroger l’adaptation
au changement climatique d’une politique publique ou d’un secteur spécifique. Je suis sûr que nous
aurons l’occasion d’échanger à nouveau dans quelques semaines à l’occasion de la publication de ce
rapport transversal.
Merci de votre attention et de votre intérêt
. Je suis à votre disposition, ainsi que l’équipe qui a
instruit ce rapport, et que je remercie à nouveau chaleureusement, pour vos questions.