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Lutte contre les déserts médicaux : l'exemple de l'Aveyron

CRC OCCITANIE

L’accès aux soins de premier recours dispensés par les médecins généralistes, les spécialistes en accès directs, les pharmaciens, infirmiers et kinésithérapeutes notamment est de plus en plus difficile, au point que l’on qualifie une partie du territoire national de « désert médical ».

Pourtant de nombreuses lois ont cherché à améliorer l’efficacité du système de santé de proximité.

La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes se sont intéressées à l’efficacité des mesures mises en œuvre, au niveau national, comme au niveau local.

Trois constats ont été opérés :

1. Comme le ressentent la plupart des Français, les conditions d’accès aux soins sont de plus en plus difficiles :

- au niveau de l’offre de soins, si certains effectifs sont en augmentation, comme les infirmiers, d’autres diminuent. Les professionnels sont par ailleurs inégalement répartis sur le territoire, et les comportements ont changé, le nombre de consultations proposées par les professionnels tendant à diminuer.

- au niveau de la demande de soins, le vieillissement de la population et l’augmentation des pathologies chroniques se traduisent par une augmentation du besoin de soins dits programmés, au détriment parfois des soins non programmés, la saturation des agendas des professionnels les conduisant à ne plus pouvoir apporter de réponses satisfaisantes aux demandes des patients ressenties comme urgentes.

Les délais moyens pour obtenir des rendez-vous avec les médecins s’allongent, la part de patients sans médecin traitant s’accroît, de même que la part de médecins ne prenant plus de nouveaux patients. Parmi les patients sans médecin traitant, la part des plus précaires augmente. Les inégalités géographiques de répartition des professionnels de santé s’aggravent. Dans certains territoires, le taux de patients sans médecin traitant peut ainsi représenter jusqu’au quart des patients et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière atteindre 40 %.

Difficultés d’accès aux soins -l’exemple de l’Aveyron-

13,8 % de la population aveyronnaise ont plus de 75 ans ; c’est trois points de plus que dans la région (10,7 %) et quatre et demi de plus que la moyenne nationale (9,3 %). La part de la population âgée de 60 à 74 ans a augmenté de 18,4 % à 20,5 %, de 2013 à 2018 ; 34,3 % de la population avait plus de 60 ans en 2018. Selon l’Insee les personnes de plus de 65 ans représenteront plus de 37 % de la population en 2050, contre 27 % aujourd’hui. Or, cette tranche d’âge est la plus représentée dans la consommation de soins infirmiers ou, même, de kinésithérapie et de médecine générale. En relation avec ce vieillissement, la part des patients reconnus en affection de longue durée (ALD) était en 2019 de 25,2 % en Aveyron, contre 22,6 % au niveau régional et 21,3 % pour la France entière.

Deuxième contrainte particulière pour l’accès aux soins de premier recours, le département de l’Aveyron est un département étendu10, peu dense (31,9 hab./km²) et montagneux. Soixante-treize des 304 communes aveyronnaises présentent une densité inférieure à 10 hab./km², 94 % de la superficie du département sont classés en « zone de montagne ».

Une grande partie du département est située entre 30 et 60 minutes d’un service d’urgence, comme le montre le graphique qui suit. Cette contrainte, liée à la géographie et aux conditions de transport, exige d’autant plus une organisation efficace et maillée des soins de premier recours sur l’ensemble du territoire.

Or alors que la demande de soins tend à augmenter et qu’un accès aux soins de premier recours est une exigence renforcée, l’offre en soins de premier recours est inférieure à la moyenne nationale. Satisfaisante pour les infirmiers et les pharmacies, la densité des médecins généralistes, des kinésithérapeutes, des chirugiens-dentistes varie très fortement selon les territoires. Elle est ainsi de 109 pour la communauté de communes Aubrac, Carladez et Viadène mais de 36,3 pour la communauté de la Muse et des Raspes du Tarn.

2. Les mesures mises en œuvre par les acteurs publics sont nombreuses, mais ne sont pas assez ciblées :

Depuis la fin des années 1990, divers plans ou mesures ont été déployés pour mieux organiser les soins de premier recours. Des « réseaux de soins » ont été organisés pour faciliter la coopération entre les professionnels de santé. Des « plans » ont cherché à renforcer les aides versées aux professionnels de santé pour favoriser leur installation, ou leur maintien, dans des zones peu dotées en médecins.

À partir des années 2010, l’objectif a plutôt été de développer des structures de soins telles que des maisons de santé pluriprofessionnelles ou des centres de santé médicaux. De manière globale, si l’objectif d’adaptation des soins de premier recours a été affirmé, il n’a pas été traduit en objectifs opérationnels évaluables.

Parallèlement, les collectivités territoriales ont multiplié les aides aux professionnels. La réduction des inégalités sociales et territoriales en santé relève de la responsabilité de l’État, qui délègue une part de sa mise en œuvre à l’assurance maladie. Mais les collectivités territoriales ont également une marge d’action, reconnue en particulier par une loi de 2005, qui les autorise à intervenir pour soutenir l’installation ou le maintien de professionnels de santé libéraux, dès lors que l’accès aux soins médicaux y est reconnu comme inférieur ou voisin de la moyenne nationale, soit pour plus des deux tiers de la population.  

L’enquête menée par la Cour et les chambres régionales en 2023 sur les aides apportées par les collectivités territoriales a montré le caractère ambivalent de ces aides : relativement limitées sur le plan financier par rapport à l’intervention de l’État ou de l’assurance maladie, ces actions peuvent s’avérer utiles et efficaces si elles s’inscrivent en complémentarité des projets médicaux établis par les professionnels de santé et si elles s’insèrent dans un projet territorial cohérent.

Bonnes pratiques aveyronnaises : les politiques menées par la communauté de communes Aubrac, Carladez et Viadène, la communauté d’agglomération de Rodez et le département de l’Aveyron, contrôlées par la Chambre régionale des Comptes Occitanie

Nombreuses sont les collectivités territoriales à avoir apporté un soutien à la construction de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Ces MSP regroupent dans une même structure divers professionnels de santé libéraux (médecins, infirmières, kiné…). Les enquêtes de la chambre montrent que les résultats de ces interventions sont positifs lorsque l’aide conforte un projet médical solide, et l’engagement effectif des professionnels de santé ; c’est le cas par exemple des maisons de santé pluriprofessionnelles construites par la communauté de communes Aubrac, Carladez et Viadène, dans l’Aveyron. La construction de MSP est ainsi intervenue à la suite d’un diagnostic réalisé à la fin des années 2000 par les professionnels de santé du territoire, inquiets des évolutions possibles en matière de démographie médicale.

De même, la communauté d’agglomération de Rodez s’est appuyée sur son contrat local de santé pour proposer, au-delà de la construction de trois maisons de santé, une démarche globale de soutien aux professionnels du secteur.

C’est également la démarche suivie par le département de l’Aveyron, qui a organisé un soutien individualisé aux professionnels de santé, avec la création en 2011 d’une cellule « Accueil médecin », destinée à permettre la réalisation de stages sur le territoire et à aider à l’installation ultérieure éventuelle des médecins.

 

Les collectivités territoriales sont cependant peu nombreuses à avoir mobilisé l’ensemble des leviers à leur disposition, se privant ainsi de potentiels effets de synergie. Les aides proposées sont souvent peu connues et peu sollicitées, car trop dispersées. Parfois aussi, elles conduisent à des formes de concurrence stérile entre collectivités, chacune souhaitant attirer son propre médecin.

Le contraste est donc important entre l’ambition des mesures annoncées, tant au niveau national qu’au niveau local et le « sentiment d’abandon » que peuvent ressentir des habitants des territoires les plus fragilisés. La multiplication des dispositifs d’aides et leur instabilité dans le temps rendent une consolidation globale des résultats très difficile. Bien que des éléments positifs soient à noter, les aides apportées se révèlent inefficaces si l’on en juge par leur faible impact.

3. La politique publique d’accès aux soins ne doit plus seulement se centrer sur la multiplication de dispositifs, mais doit se fixer des résultats à atteindre :

                Les constats de la Cour et des chambres s’appuient d’une part les contrôles d’organismes réalisés et d’autre part sur des ateliers d’acteurs, réalisés à Paris, à Nantes, à Périgueux et dans l’Aveyron, à Rodez et à Espalion. Chaque atelier a réuni des professionnels de santé (médecins, infirmiers, pharmaciens…) et des institutionnels (associations, ARS, CPAM) sur le thème des soins programmés, des soins non programmés et de l’aller-vers, c’est-à-dire des actions à mener envers les publics qui n’iraient pas spontanément vers le soin. Les juridictions financières se sont appuyées sur les résultats de ces ateliers pour proposer des pistes d’amélioration.

- Les aides des collectivités pourraient être recentrées sur les investissements mobiliers et immobiliers, c’est-à-dire la construction, le réaménagement, l’équipement, de maisons de santé, de centres de santé ou de cabinets secondaires. L’expertise des collectivités territoriales dans ces domaines est importante : elles ont l’habitude d’assumer la maîtrise d’ouvrage de nouveaux bâtiments. Leur intervention serait donc complémentaire à celle de l’État, et permettrait de favoriser l’installation non seulement de médecins mais aussi de professionnels de santé sur lesquels peuvent s’appuyer les médecins -comme les assistants médicaux ou les infirmières en pratique avancée-, qui permettent de dégager du temps médical.

Mais la multiplication des maisons de santé, ou d’autres dispositifs, ne permet pas à elle seule d’améliorer l’accès aux soins. L’enquête menée par les juridictions financières a permis de montrer que l’on dispose aujourd’hui d’une boîte à outils très fournie. Les aides disponibles sont nombreuses, et les outils mobilisables également.

Le problème réside dans l’absence de diagnostic territorial concret, rassemblant l’ensemble des acteurs, sur des indicateurs précis.

- Il faut donc d’abord réaliser un diagnostic, au niveau des départements, en utilisant des indicateurs peu nombreux, faciles à suivre, qui se centrent sur le résultat à atteindre et non sur les dispositifs créés. Ce n’est pas le nombre de MSP créées qui est important, c’est le fait de proposer à tous une solution pour accéder aux soins de premier recours le plus facilement possible. Pour cela, il faut se concentrer sur les résultats à atteindre : diminuer le nombre de patients sans médecins traitants par exemple, plutôt que compter le nombre de centres de santé ouverts. Il est inutile de créer une MSP si elle ne repose pas sur un projet médical concret, sur des professionnels qui ont envie de travailler ensemble. Elle ne sera autrement qu’une coquille vide.. Des indicateurs sont utilisés par les acteurs, mais ils ne sont pas les mêmes selon les régions, sont centrés sur les dispositifs et non sur les résultats, et leur évolution n’est pas analysée chaque année.

- Il faut ensuite, au niveau de chaque département, réunir les acteurs concernés et sur la base de ce diagnostic, proposer une solution sur-mesure pour chaque bassin de vie.  Dans certaines zones, une meilleure coordination entre les professionnels suffira. Dans d’autres, la puissance publique devra intervenir, par la création d’antennes de centres de santé adossées à des hôpitaux par exemple ou des navettes à la demande permettant d’amener les personnes ne disposant pas d’un médecin dans leur lieu de vie à la MSP la plus proche. Les solutions sont nombreuses et doivent être adaptées à chaque territoire. D’où l’importance d’un diagnostic précis, au niveau du département, suivis de la définition, au niveau des départements, de projets territoriaux d’organisation des soins de premier recours identifiant les solutions sur-mesure à apporter à chaque bassin de vie. Ces territoires pourraient également bénéficier d’une dotation plus importante d’assistants médicaux, ou accueillir des cabinets secondaires de médecins exerçant dans des zones surdotées, qui viendraient, une demi-journée par semaine, proposer des consultations dans des zones carencées. Les zones surdotées sont souvent peu éloignées des zones carencées. Dans certains territoires, cela pourrait donc constituer une solution. 

Les solutions proposées en Aveyron

Au-delà des initiatives des collectivités territoriales, des actions significatives ont été engagées par l’ARS d’Occitanie ou la Cpam de l’Aveyron. Elles ont apporté en particulier un soutien efficace aux projets de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP - fin 2023, 31 étaient labellisées par le comité départemental chargé, en Aveyron, d’approuver les projets de MSP)) et, dans une moindre mesure, aux équipes de soins primaires (ESP, encouragées par les ARS) ou aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS, soutenues par l’ARS et la Cpam). Plus récemment, de nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé ont été mobilisées, de même que le recours à des assistants médicaux, qui permettent de développer les patientèles, à effectif de médecins donné.

Cette stratégie partenariale connaît des réussites évidentes, notamment dans l’Aubrac, dont la densité en médecins généralistes est restée satisfaisante, mais au prix de l’aggravation de l’accès aux soins de premier recours dans des territoires très carencés. C’est en partie le reflet de la concentration des aides sur les projets portés par des acteurs locaux volontaires, mais qui ne maillent pas le territoire départemental de manière exhaustive. Les acteurs publics interviennent en soutien des initiatives menées par les professionnels ou les élus locaux, mais dans les territoires où les volontés locales ne sont pas mobilisées, les leviers qui permettraient un ciblage territorial ou social plus marqué, comme le déploiement de centres de santé ou le développement d’actions de soutien en provenance des hôpitaux de proximité, n’ont pas été mis en œuvre. Se développent ainsi des zones carencées, où n’exercent plus aucun professionnel.

Si une feuille de route a été adoptée, les outils qui permettraient à l’ARS, à la Cpam, à la région et au département d’établir un diagnostic précis des territoires ne sont pas disponibles en routines m global des territoires les plus démunis à l’échelle des CPTS. Il conviendrait à cet effet de systématiser pour chacune le recueil des indicateurs pertinents, et notamment : le niveau de l’APL pour les médecins généralistes, la part du nombre de passages aux urgences sur les classifications cliniques les moins graves (CCMU1), le pourcentage de patients sans médecin traitant.

Il conviendrait ensuite de de mobiliser de manière coordonnée et dans la durée, par une gouvernance territorialisée, les moyens des autres collectivités publiques, des professions de santé et des usagers, dans le double objectif de soutenir les initiatives qui permettent d’accroître l’offre de soins sur les territoires les plus carencés.