PRÉSENTATION À LA PRESSE
DU RAPPORT SUR LA SITUATION ET LES PERSPECTIVES
DES FINANCES PUBLIQUES
Jeudi 29 juin – 9h
Salle des conférences
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et Messieurs,
Merci d’avoir répondu présents aujourd’hui pour la présentation du rapport de la Cour des
comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Je souhaite saluer l’ensemble de ses artisans
, Carine CAMBY, présidente de la première
chambre, et ses équipes, notamment Emmanuel GIANNESINI, conseiller maître et contre-
rapporteur, Stéphane GUENE, conseiller maître en service extraordinaire, rapporteur
général, Olivier VAZEILLE, conseiller référendaire, Claire FALZONE et Emmanuel JESSUA,
conseillers référendaires en service extraordinaire et Nicolas THERVET, auditeur.
Cette année, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques (RSPFP)
porte des messages particulièrement importants
sur l’état toujours très dégradé de nos
finances publiques et la nécessité de se projeter sur une trajectoire de redressement, alors
que le contexte économique a fortement évolué depuis l’année dernière.
La croissance ralentit et même si la France semble avoir échappé à la récession,
contrairement à l’Allemagne, le dynamisme exceptionnel des rentrées fiscales qui nous a
bien aidés en 2021 et en 2022 ne se répètera pas une troisième année consécutive. Du côté
des dépenses, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt augmentent la charge de la dette, qui
mobilise une part croissante de nos ressources.
Je l’ai dit et je le redirai : si nous voulons préserver notre souveraineté budgétaire, si nous
voulons restaurer nos marges de manœuvre pour financer la transition écologique, si nous
voulons pouvoir investir dans des domaines clés, il est indispensable d’assainir nos finances
publiques.
Cette contribution, est, je le sais, attendue avec intérêt voire impatience, d’autant plus que
j’ai déjà eu l’occasion d’en présenter certains éléments aux Assises des finances publiques, le
19 juin dernier.
2
*
Le rapport que je vais vous présenter comporte quatre chapitres,
dont les trois premiers
sont traditionnels pour un RSPFP - ils portent successivement sur les résultats 2022, sur
l’exercice 2023 puis sur la trajectoire pluriannuelle tracée par le programme de stabilité
2023-2027 - tandis que le quatrième, plus novateur, est une contribution transversale,
méthodologique, de la Cour des comptes à l’exercice des revues de dépenses.
Il propose une grille d’analyse de la qualité de la dépense publique, qui est illustrée par de
nombreux travaux récents des juridictions financières et qui sera prolongée par les neuf
notes thématiques que je vous présenterai la semaine prochaine. Je vais organiser mon
propos autour de ces quatre temps, en m’en tenant à quelques messages synthétiques.
*
I.
Le RSPFP de cette année est donc l’occasion de constater que le déficit demeure
très élevé en 2022
Quelques mots d’abord sur le quoi qu’il en coûte, dont nous devons acter définitivement la
fin
. Celle-ci est depuis longtemps annoncée. L’année 2022 devait en marquer la sortie. Mais
la crise des prix de l’énergie et la guerre en Ukraine ont empêché ce retour à la normale du
niveau des dépenses publiques. L’inflation a atteint des niveaux que nous n’avions plus
connu depuis les chocs pétroliers et l’activité économique a ralenti en 2022.
Le gouvernement a choisi, et à raison, de protéger les ménages et les entreprises grâce à
des dispositifs comme le bouclier tarifaire et les primes à la pompe
. Ces choix ont permis
de sauvegarder le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises, mais
ils ont entretenu une dynamique de dépense. Ce faisant, ils ont fortement pesé sur notre
déficit, qui est resté élevé, à 4,7 points de PIB.
Si je qualifie ce déficit d’élevé, bien qu’il se soit évidemment réduit par rapport aux creux
de 2020 et 2021, c’est parce que, paradoxalement, nos finances publiques ont bénéficié en
2022 de facteurs conjoncturels favorables
.
D’abord, les mesures de soutien liées à la crise sanitaire et les dépenses de relance ont
diminué de 50 Md€ : c’était attendu, mais c’est considérable, et si les dépenses liées à la
crise énergétique n’avaient pas pris le relais, cela aurait ramené le déficit à un niveau
nettement plus satisfaisant.
D’autre part, et comme en 2021, le dynamisme spontané des recettes publiques a été
exceptionnel, au point que malgré la poursuite des baisses d’impôts (50 Md€ depuis 2017),
le taux de prélèvements obligatoires a atteint en 2022 son plus haut historique à 45,4 %. Il
n’y a jamais eu un tel taux de prélèvements obligatoires en Europe, dû à un dynamisme des
recettes existants.
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Pourquoi le déficit reste si élevé malgré ces facteurs conjoncturels favorables ? Eh bien, il
s’est passé que celui-ci reste, pour sa plus grande partie, de nature structurelle (à hauteur
de 4 points de PIB) et ne se résorbera donc pas du seul fait du redressement de
l’économie.
Les concepts et les indicateurs utilisés dans le cadre de la gouvernance budgétaire
européenne sont en cours de révision mais je rappelle que ce déficit structurel, qui est
l’élément clé du Pacte de stabilité et de croissance, devrait être beaucoup plus bas : l’objectif
de moyen terme fixé par la LPFP 2018-2022 était de – 0,4 % et la cible pour 2022 de – 0,8 %.
On en est très loin. On voit à quel point les cicatrices de la crise sanitaire sont profondes.
Conséquence du déficit élevé, la dette publique, à 111,8 points de PIB, reste très supérieure
à son niveau de 2019, à hauteur de 14,2 points de PIB supplémentaires, passant de 2 375
Md€ en 2019 à 2950 Md€ en 2022, soit une augmentation de 575 Md€ en trois ans.
*
II.
J’en viens maintenant à l’année 2023. Celle-ci aurait dû être la première année
d’une
trajectoire
de
redressement,
mais
d’après
les
prévisions
du
Gouvernement, on peut craindre que ce soit une année « blanche » ou disons
de transition, en matière de redressement des finances publiques bien sûr.
En effet, en 2023, les incertitudes économiques demeurent fortes et le déficit non
seulement ne se réduira pas mais devrait ne pas se réduire, voire légèrement repartir à la
hausse, repoussant à 2024 le véritable début de la décrue.
Si
nous
avons
eu
la
chance
de
bénéficier
d’un
hiver
doux,
sans
rupture
d’approvisionnement sur le gaz et alors que les prix de l’énergie ont fortement diminué en
début d’année, l’année 2023 demeure marquée par de nombreuses incertitudes, tant du
point de vue géopolitique et financier
. Dans ce contexte, et selon le programme de stabilité,
notre croissance attendrait seulement 1% en 2023. Je rappelle que cette prévision reste au-
dessus du consensus des économistes et du HCFP.
L’inflation resterait proche de 5%. Il faut
relever ici que cette prévision de croissance est plus élevée que celles des organismes de
prévision et des institutions internationales.
S’agissant des recettes publiques, elles devraient marquer cette année un net
ralentissement en termes réels : le Gouvernement prévoit qu’elles pourraient croître de
4,3 %, mais ce serait sensiblement moins que la valeur du PIB, qui augmenterait, elle, de
6,5 %
. Ce décalage des recettes par rapport au PIB, accentué par les mesures votées de
baisses d’impôt (je pense notamment à la suppression de la dernière tranche de la taxe
d’habitation et la première étape de celle de la CVAE) explique que le taux de prélèvements
obligatoires devrait baisser d’un point et s’établir à 44,3 %. Tout ceci encore une fois
toujours du fait de la dynamique des recettes exceptionnellement forte...
4
Face à cela, la dépense publique progresserait moins vite que
l’inflation
, du fait, je le disais,
du repli des dépenses de soutien face à la crise sanitaire et de relance, et ce malgré des
mesures de soutien liées à l’énergie toujours très conséquentes.
Au total, le déficit augmenterait à nouveau à 4,9 points de PIB, après 4,7 points en 2022.
Le
déficit structurel demeurait inchangé à 4 points de PIB et la dette attendrait 109,6 points de
PIB, soit un repli de plus de deux points dont on se réjouirait davantage s’il n’était
exclusivement dû au seul effet de l’inflation sur le dénominateur.
La conclusion de ce tableau pour 2023 est qu’elle sera donc une année blanche en termes
de redressement des finances publiques. Il n’y a pas grand-chose à attendre, cela reste un
plateau très élevé au regard de la situation dans le reste des pays de la zone euro.
*
III.
J’en viens maintenant à la trajectoire 2023-2027 tracée par le programme de
stabilité. J’ajoute par ailleurs qu’il est fondamental que nous puisons disposer
d’une loi de programmation à l’automne. C’est une trajectoire qui vise à
tourner la page de la crise sanitaire. Notre message est simple : ramener le
déficit à moins de 3% - et j’ajouterai significativement en dessous de 3% - du PIB
à cet horizon, en 2027, est un objectif atteignable mais au prix d’un effort très
substantiel sur la dépense publique, d’autant que le scénario macroéconomique
qui sous-tend cet objectif est optimiste – et donc à la merci d’une déception.
Je redis ma formule, presque un mantra, il faut baser notre trajectoire sur un objectif
ambitieux et des hypothèses crédibles et réalistes. C’est par une loi de programmation que
nous pourrons le faire.
Les crises sanitaire puis énergétique ont propulsé notre dette publique à des niveaux
historiques.
La période qui s’ouvre à partir de 2023 doit donc impérativement être mise à
profit pour retrouver des marges de manœuvre et redresser nos finances publiques. C’est le
point de départ, si je puis dire.
La Première ministre a annoncé la semaine dernière, aux Assises des Finances publiques,
que le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 sera
redéposé sur le bureau des assemblées en septembre
. C’est surtout absolument impératif,
non seulement au regard de nos engagements européens, mais aussi pour ancrer, expliciter,
étayer notre stratégie de finances publiques. Pour l’heure nous nous basons sur le PSTAB, ce
n’est pas juridiquement solide.
Ce projet de loi de programmation des finances publiques devra apporter des réponses
claires à trois enjeux majeurs :
Le premier est celui du risque de divergence française au sein de la zone euro :
la
trajectoire proposée dans le programme de stabilité est moins ambitieuse que celle de nos
principaux partenaires européens. En réalité, et sous réserve bien sûr que tous les pays
concernés respectent les engagements qu’ils viennent d’afficher, cette trajectoire
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accentuerait notre divergence au sein de la Zone Euro, alors que toute la gouvernance
européenne est fondée sur l’impératif d’une convergence, gage de solidité et de durée.
Il y a dès lors un risque de divergence fort !
Le deuxième enjeu est celui du réalisme des prévisions macroéconomiques utilisées pour
construire cette trajectoire de retour sous les 3 %.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire comme
président du HCFP durant la présentation de l’avis sur le programme de stabilité, et je le
redis ici devant vous du point de vue de la Cour des comptes : les hypothèses
macroéconomiques prévues par le gouvernement sont trop optimistes notamment en
termes de croissance potentielle, au-dessus de toutes les prévisions ! et conduisent donc à
sous-évaluer l’effort pour atteindre les objectifs des finances publiques. Si on ne cale pas un
objectif plus réaliste, alors l’objectif sera très difficile à tenir.
Le troisième enjeu est celui de la maîtrise des dépenses.
Avec le niveau déjà atteint par nos prélèvements obligatoires, il est clair que la réduction du
déficit reposera à titre principal sur un effort substantiel en dépense. Les ordres de grandeur
sont connus : avec une croissance de la dépense publique en volume limitée à 0,4 point par
an hors charges d’intérêt, c’est en réalité entre 10 et 12 Md€ d’économies qu’il faut réaliser
chaque année, et ce alors que de nouvelles dépenses ont été annoncées.
La crédibilité et le
succès de cet objectif exigent que le PLPFP soit ambitieux et précis sur les réformes qui
permettront de réaliser ces économies.
*
IV.
J’en viens ainsi à mon quatrième moment : la revue des dépenses à laquelle s’est
engagé le Gouvernement, que la Cour propose d’emblée d’axer sur la qualité et
les résultats.
Je l’ai dit depuis longtemps cette revue est à mes yeux indispensable et elle peut être un
instrument puissant au service des objectifs de la programmation pluriannuelle si elle est
menée avec détermination, dans la durée, et si elle porte sur un périmètre large en
impliquant et en responsabilisant tous les niveaux d’administrations publiques. Ce n’est pas
seulement un exercice budgétaire, c’est beaucoup plus ambitieux et exigeant. Les assises
des finances publiques ne peuvent pas se faire en une matinée, c’est un travail de long
terme, qui doit réunir tous les acteurs sur la table, autour de sujets structurels !
L’exercice des revues de dépenses n’est en rien une nouveauté pour nos voisins.
De
nombreux partenaires européens la pratiquent et lui accordent une place centrale dans la
gouvernance de leurs finances publiques. Les organisations internationales, OCDE, FMI,
Commission européenne encouragent ce type d’exercice et en proposent des guides de
bonnes pratiques.
En France, quatre tentatives passées de revues de dépenses se sont succédé depuis le
début des années 2000 :
les audits de modernisation de l’Etat en 2005, la révision générale
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des politiques en 2007, la modernisation de l’action publique en 2012, et le plan action
publique 2022 en 2017.
Ces démarches étaient pour l’essentiel limitées aux dépenses de fonctionnement courant
de l’Etat et n’ont par conséquent abouti de ce fait qu’à des résultats modestes
. En atteste
la dynamique de notre dépense publique, que nous n’avons jamais réussi à infléchir depuis
cinquante ans quel que soit l’indicateur utilisé (en valeur, en volume, en proportion du PIB,
par habitant), alors que d’autres pays en Europe, aux modèles également largement
socialisés, ont réussi, eux, à faire ce qu’il faut c’est à dire diminuer leur dépense publique en
période de haut de cycle de l’activité économique.
La nouvelle génération de revues de dépenses doit en tirer les leçons de ces insuffisances
et être conçue, dès l’origine, comme un exercice beaucoup plus ambitieux.
Cette nouvelle
revue des dépenses publiques est l’occasion de mettre en place une gouvernance des
finances publiques qui soit saine et efficace
,
en associant toutes les administrations
publiques, l’Etat et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoires, et en
portant
l’effort
sur
toutes
les
dépenses,
qu’elles
soient
de
fonctionnement
ou
d’investissement et pour tous les secteurs.
Toutes les dépenses doivent ainsi être soumises
aux exigences similaires de qualité et de soutenabilité.
Pour ce faire, nous avons placé la qualité de la dépense publique, au cœur de notre
contribution à cette revue des dépenses et nous avons identifié des pistes d’amélioration
.
C’est ça l’objet du 4
e
chapitre de ce rapport.
Ma conviction, notre conviction est que la réduction brutale et uniforme des dépenses
publiques n’est pas une solution – j’ai dit maintes fois que l’austérité était la pire des
options et le rabot la pire des procédures.
Seule la recherche de la qualité et d’efficience
doit être la clef de la maîtrise de la dépense et de l’amélioration de la qualité de nos
politiques publiques. En d’autres termes, l’approche purement budgétaire est bienvenue,
mais ne peut pas suffire et ne donnera pas de bons résultats.
Pourquoi soulever cette question de la qualité de la dépense pour mieux la maîtriser ?
Je
fais comme beaucoup le constat d’un paradoxe français de la dépense. Nous avons une
dépense 8% plus élevée et pourtant la satisfaction de nos concitoyens vis-à-vis des services
publics fléchit depuis le début des années 2000, parallèlement à la croissance de la dépense
publique, qui a augmenté de 28 % en volume et par habitant depuis 2000 (oui, en euros
constants, un Français de 2022 « reçoit » 28 % de plus en dépense et services publics qu’un
Français de 2000) ne cesse de croitre ! Les contribuables sont en droit d’interroger le rapport
qualité prix de nos politiques publiques. Ils se tournent vers les décideurs publics et leur
demandent :
que faites-vous de notre argent ?
C’est une question tout à fait fondamentale,
on peut dépenser beaucoup à condition qu’on dépense très bien, mais si la qualité de la
dépense est approximative, on crée une approximation.
Nous avons donc réfléchi sur la qualité de la dépense en partant de questions simples à
trois étapes clefs : la conception, le déploiement et l’évaluation de la dépense.
Nous avons
identifié une vingtaine de caractéristiques qui peuvent être auditées et faire l’objet d’une
7
appréciation objective en vue de leur amélioration. Cette grille d’analyse fonctionne, et elle
a vocation à s’appliquer à la fois aux projets de dépenses nouvelles et aux dépenses
existantes.
En premier lieu, partons de la conception des dispositifs de dépense
, il est aujourd’hui
nécessaire de mieux étayer leur valeur ajoutée, leur utilité, au travers notamment d’un
ciblage plus pertinent, et d’assigner à ces dépenses des objectifs plus clairs, mieux
hiérarchisés et de veiller à ce que ces dépenses soient cohérentes et non redondantes par
rapport aux dispositifs existants. Tout ceci a l’air de bon sens mais je vous renvoie au rapport
pour constater, nombreux exemples à l’appui, que ce n’est pas toujours le cas, loin s’en faut.
Il convient également de veiller plus rigoureusement à la cohérence des initiatives entre les
différents niveaux d’administration et en associant plus en amont et plus étroitement les
parties prenantes. Par ailleurs, la « compatibilité climatique », c’est-à-dire la cohérence avec
nos engagements en faveur de la transition écologique doit être vérifiée dès la conception
de la dépense.
Ces critères sont déjà pour partie l’objet des études d’impact, obligatoires depuis 2009
.
Mais outre que celles-ci ne s’appliquent pas à la totalité des textes, elles n’ont ni enrayé la
dynamique des dépenses publiques, ni sensiblement contribué à leur qualité depuis treize
ans.
C’est donc une véritable montée en gamme des études d’impact et des évaluations
préalables qui est proposée, avec notamment une idée disruptive que je défends : la contre-
expertise indépendante systématique des études d’impacts par un organisme du monde
académique. J’en profite pour dire au passage que revue des dépenses publiques ne doit pas
être uniquement un débat, vertical et assené. Cela ne fonctionne pas.
Je sais que cette idée se heurtera à des objections, notamment dans notre culture
budgétaire très orientée sur le monde public et en son sein sur l’exécutif. C’est l’occasion
pour moi de glisser dans cette parenthèse que cette culture doit évoluer, changer, s’ouvrir,
se confronter au débat, à la contre-expertise.
Dans un second temps, au titre du déploiement des dispositifs de dépense, les crises
récentes ont montré que l’administration est capable de dépenser rapidement lorsque
cela est nécessaire, en s’appuyant sur plusieurs outils de simplification issus de la
révolution digitale.
Néanmoins, en cours de mise en œuvre, comment trouver un bon équilibre entre rapidité et
contrôle du paiement à bon droit et lutte contre la fraude ? La Cour estime que la revue de
dépenses doit intégrer ces deux dimensions et doit conduire à élever aux meilleurs
standards les dispositifs de contrôle. Les enjeux se comptent en milliards d’euros.
Toujours au stade du déploiement, la Cour observe qu’une fois les crédits votés, les
systèmes de répartition des moyens entre services, territoires ou opérateurs (par exemple
entre universités, entre tribunaux, entre collectivités territoriales) constituent un enjeu
majeur. Ce sont ces systèmes, avec leurs critères, qui déterminent en pratique qui bénéficie
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de combien, bien plus que le vote d’enveloppes globales. Ne nous contentons pas
d’examiner par enveloppe globale, descendons un peu plus bas.
Or, ces systèmes de répartition font montre d’une grande inertie ; ils privilégient les
dotations historiques sans corrélation avec les coûts auxquels font face leurs bénéficiaires,
et génèrent insatisfaction, inégalités territoriales, insuffisante prise en compte de la
démographie, etc. Là encore, les revues des dépenses sont une opportunité de moderniser
ces systèmes en les rendant plus transparents et davantage orientés vers la qualité des
services et les gains d’efficacité
Par ailleurs, la Cour observe que le volet « performance » de la loi organique relative aux lois
de finances, pour utile qu’il soit, procède d’une vision datée.
Je vais être un peu rude : le volet performance, c’est, je le crains, l’administration qui conçoit
ses propres indicateurs de performance à destination des corps de contrôle sous le regard
indifférent des commanditaires politiques et du grand public. La voie que nous proposons
c’est une vaste ouverture, un grand coup d’aération !
Il est nécessaire de franchir une étape audacieuse et d’ouvrir largement les données
publiques, y compris budgétaires, pour que la société civile produise ses propres mesures de
l’efficacité et de l’efficience des dispositifs publics.
Enfin, en bout de chaine, l’évaluation constitue la troisième étape du cycle de la dépense.
Elle est indispensable pour mesurer la performance et surtout pour susciter une boucle
d’amélioration en continu.
Il devrait être désormais systématique d’inclure dans le dispositif juridique des nouveaux
dispositifs de dépense une clause d’évaluation
, associée à leur limitation dans le temps,
leur prolongation se faisant sous condition d’une analyse de leurs résultats. En effet,
aujourd’hui nous observons que de nombreuses dépenses se perpétuent sans être jamais
évaluées.
Dans la continuité de l’ouverture que j’évoquais il y a un instant à propos de l’analyse de la
performance, nous proposons que l’évaluation des dispositifs publics change véritablement
d’échelle et sorte du microcosme public, avec des programmes pluriannuels respectés et des
travaux davantage confiés à des structures du monde académique, laboratoires universités
et autres.
*
Cette grille d’analyse de la « qualité » proposée par la Cour permet de constater certains
progrès accomplis depuis une quinzaine d’années
. Mais aussi de nombreuses voies
d’amélioration, qui exigent parfois de rompre avec des pratiques très ancrées de la dépense
publique en France. Si elle porte sur l’ensemble des dépenses, sans exclusion a priori, si elle
responsabilise toutes les administrations, si elle s’inscrit dans la durée et reste sous-tendues
par une volonté politique forte, cette revue de dépenses pourra être un levier de
l’amélioration de la qualité de la dépense publique et de sa soutenabilité. C’est à ces
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conditions que nous réaliserons enfin une vraie revue des dépenses publiques. Sans ça, c’est
du Canada Dry, il n’y a pas de saveur !
A défaut, nous produirons à nouveau un exercice utile sur le plan financier, mais qui ne
traitera pas les problèmes à la racine, qui ne permettra pas d’améliorer les politiques
publiques et la satisfaction à l’égard des services publics
. Faire des économies peut être le
résultat d’une revue des dépenses publiques - il s’agit de dépenser mieux à moindre coût -,
ce n’en est que le préalable. On ne fait pas de revue pour faire des économies, c’est une
conséquence, pas un prérequis : l’exercice a une portée beaucoup plus grande qu’une
simple visée budgétaire. L’objectif premier doit rester d’avoir une meilleure qualité de la
dépense, pour avoir de meilleurs services publics.
Enfin, comme je l’ai rappelé lors des assises des finances publiques, il est temps de passer
à l’action. C’est pourquoi la Cour est, plus que jamais, à la disposition du pouvoir législatif,
du pouvoir exécutif et des citoyens, pour mettre à profit sa propre connaissance des
politiques publiques. Simultanément ainsi nous sommes aussi passés aux travaux
pratiques, à notre place, fondée sur nos travaux historiques. Nous avons réalisé 9 notes
thématiques dans 9 domaines.
Elle a cherché à le faire dans neuf domaines d’action prioritaires : les dépenses fiscales, les
aides aux entreprises en temps de crise, la transition écologique, l’éducation, les forces de
sécurité
intérieure,
les
relations
financières
avec
les
collectivités,
la
formation
professionnelle, le logement et les soins de ville. Ces 9 notes thématiques sont un peu les
mises en pratique de nos propres recommandations Je reviendrai la semaine prochaine vous
présenter ces travaux.
Mesdames et Messieurs, merci de votre attention
. Je me tiens, avec ceux qui m’entourent
et que je remercie à nouveau pour ce travail d’ampleur, à votre disposition pour vos
questions.