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Pour une fiscalité du
logement plus cohérente
Synthèse
Décembre 2023
La fiscalité du logement représente un ensemble complexe
d’impositions et de dispositifs fiscaux incitatifs hérité d’une histoire
longue
et d’une intégration inaboutie à la politique publique du
logement.
Représentant un produit d’environ 92 Md€ en 2022,
soit
environ 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) selon la définition
retenue dans ce rapport, elle fait face aujourd’hui à des enjeux inédits
liés aux difficultés conjoncturelles du marché de l’immobilier et, de
manière plus structurelle, à la transition énergétique et écologique et
à l’accroissement des inéga
lités patrimoniales en France.
Pour ces raisons, le CPO a choisi pour la première fois
d’analyser la fiscalité du logement en s’interrogeant sur sa cohérence
et son efficacité. Il arrive à la conclusion, au terme de son analyse,
que cette fiscalité sectorielle est peu préparée aux défis actuels et doit
gagner en cohérence en trouvant un meilleur équilibre entre les
dispositifs d’incitation et une logique plus large de neutralité.
La fiscalité du logement est déconnectée de la
valeur économique des biens.
La fiscalité du logement est plus lourde en part du PIB que
dans la majeure partie des autres pays développés, ce qui reflète
moins une structure de la fiscalité défavorable au secteur que le poids
particulièrement important des prélèvements obligatoires en France.
Répartition des prélèvements fiscaux et de leur rendement selon le
cycle de vie du logement (2022)
POUR UNE FISCALITÉ DU LOGEMENT PLUS COHÉRENTE
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La fiscalité concerne toutes les étapes du cycle de vie du
logement : construction, acquisition, rénovation, détention, location
et enfin cession. Selon cette approche, la fiscalité du logement
s’élève à 3,5 % du PIB et 7,6 % des prélèvements obligatoires.
Son
produit
est toutefois concentré sur les phases
d’acquisition
, du fait
du poids important des droits de mutation à titre onéreux (DMTO)
ou gratuit (DMTG),
et de détention
, avec la taxe foncière sur les
propriétés bâties (TFPB).
La réforme de la taxe d’habitation (2018
-
2022), aujourd’hui
supprimée pour les résidences principales, a réduit la part de recettes
qui revient aux collectivités territoriales et amenuisé leur pouvoir de
taux. La moitié des ressources fiscales des communes continue
néanmoins à provenir de la fiscalité du logement.
Répartition par affectataire des prélèvements sur le logement en
2018 et en 2021
Pour autant, cette fiscalité représente une faible part du coût
du logement et pèse de façon prédominante sur les propriétaires.
Cependant l
e taux d’effort, c’est
-à-dire la part du revenu consacrée
au logement, reste plus élevé chez les locataires ou les accédants à la
propriété que chez les propriétaires.
Surtout, dans la catégorie des propriétaires, comme le
montrent des travaux réalisés par l’Insee pour le CPO dans le cadre
de ce rapport, la taxe foncière est régressive en raison principalement
des effets d’une assiette archaïque qui sous
-évalue la valeur de
l’immobilier dans les communes les plus aisées.
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CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Part de la taxe foncière dans le revenu des ménages imposables en
région parisienne, par lieu de résidence (2017)
Note de lecture : La taxe foncière acquittée par les ménages imposables à
cet impôt et résidant à Paris représente en moyenne moins de 1,5 % de
leur revenu disponible. Cette part est supérieure à 2,5 % dans la plus
grande partie de la Seine-Saint-Denis
Source : O. Meslin (Insee, 2023)
La difficulté à pouvoir disposer de données solides et
exhaustives sur le logement et sa fiscalité fragilise les perspectives
de réforme. Des modifications pourtant nécessaires, comme la
révision des valeurs locatives cadastrales (VLC) qui forment
l’assiette de la taxe foncière, sont
régulièrement repoussées en raison
des difficultés techniques et des forts
enjeux redistributifs qu’elle
présenterait, mais au prix d’une divergence
devenue considérable
entre la fiscalité foncière et les capacités contributives des ménages.
La révision de l’assiette de la taxe foncière es
t une réforme
majeure qui devrait être conduite selon une méthodologie qui
établisse un lien direct avec la valeur locative de marché ou la valeur
vénale des logements, permettant une actualisation régulière et à
moindre coût pour
l’administration.
POUR UNE FISCALITÉ DU LOGEMENT PLUS COHÉRENTE
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La fiscalité du logement, malgré des dispositifs
incitatifs coûteux, rigidifie le marché et n’est pas adaptée
aux nouveaux enjeux environnementaux du bâti
Fruit d’une lente construction historique remontant au moins
à la Révolution française, la fiscalité du lo
gement s’est complexifiée
dans la deuxième moitié du XX
ème
siècle par l’ajout de dépenses
fiscales nombreuses (70 en 2022) et coûteuses (15,5 Md€ en 2022)
qui sont censées traduire la volonté de faire de l’outil fiscal un levier
de la politique du logement. Elles devraient
a minima
être bornées
dans le temps et régulièrement évaluées.
Si les effets de la fiscalité sur le marché du logement
paraissent globalement limités en comparaison de ceux de la
conjoncture ou des taux
d’intérêt, certains dispositifs pe
uvent
contribuer à rigidifier les prix et à freiner les ajustements nécessaires
en cas de contraction du crédit.
Indice des prix des logements (neufs et anciens)
Ainsi, les effets sur la solvabilisation des ménages du « prêt
à taux zéro » sont incertains, des études sur un dispositif analogue
américain ayant même
conclu à une réduction de l’accès à la
propriété. De même, l’effet
inflationniste de certains dispositifs
fiscaux d’incitation à l’investissement
locatif a pu être démontré.
Une étude inédite réalisée pour ce rapport par
l’Institut des
politiques publiques (IPP) montre également que la suppression de
la taxe d’habitation sur les résidences principales a pu être
en partie
répercutée sur les prix de l’immobilier et les loyers,
bien que dans
des proportions limitées.
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CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Prix moyen/ m
2
et loyer moyen/m
2
Source : Bach, Bozio, Dutronc-Postel, Fize, Guillouzic, Malgouyres
(IPP, 2023)
Les effets de la fiscalité du logement au regard des défis
nouveaux du bâti (« zéro artificialisation nette », rénovation
énergétique) sont encore mal pris en compte.
Le CPO constate que certains dispositifs fiscaux pourraient
être mobilisés pour limiter l’artificialisation des sols,
comme la taxe
sur les terrains nus rendus constructibles, à condition toutefois de
revoir le régime d’abattement pour durée de détention,
et la taxe sur
les logements vacants (TLV), qui serait généralisée à tous les
territoires sauf ceux en déprise.
Taux effectif de la taxe sur les terrains nus rendus constructibles
en fonction de la durée de détention
POUR UNE FISCALITÉ DU LOGEMENT PLUS COHÉRENTE
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De même, les dispositifs de solvabilisation de la demande
(prêts à taux zéro) peuvent avoir un attrait dans un contexte de hausse
des taux d’intérêt, mais
devraient être orientés vers l’acquisition et la
rénovation des logements anciens qui permettent une forme de
sobriété foncière.
En revanche, recourir à l’outil fiscal pour la rénovation
énergétique ne permet pas de répondre aux enjeux de ciblage et
d’efficience, si bien
qu’un alignement du taux réduit de TVA de
5,5 % sur le taux intermédiaire de 10 % pourrait être recherché, à
condition de redéployer le gain budgétaire de ces réformes sur les
aides budgétaires directes.
Répartition du parc de logements par diagnostic de performance
énergétique et par quintile de revenus en 2022
Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des
territoires
La logique globale qui doit motiver toute réforme
de la fiscalité du logement est un rééquilibrage vers plus
de neutralité.
Il s’agit tout d’abord de chercher à taxer plus la
détention que
l’acquisition, au vu notamment des effets économiques peu efficients
des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) qui sont plus élevés
en France que dans les autres pays européens. Cette orientation
générale implique,
d’une part
,
d’envisager
une bascule des DMTO
vers la taxe foncière, sans perte pour les collectivités locales, d’autre
part,
d’engager une réflexion précise sur l’assiette foncière, dont les
incohérences par rapport aux réalités économiques locales et les
effets régressifs entre propriétaires sont patents.
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CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Niveau des impôts sur les transactions immobilières (2021, en points
de PIB)
Source : OCDE et Commission européenne
Il est nécessaire également de traiter de manière homogène
des situations comparables, dans le temps et dans l’espace. Dans le
temps, les avantages fiscaux des plus-values immobilières liés à
l’abattement pour durée de détention alimentent des phénomènes d
e
rétention immobilière ou foncière qui pourraient être corrigés en
tenant compte de l’érosion monétaire et des travaux d’amélioration
du bâti.
Dans l’espace, la distinction historique et unique dans le
monde entre la location vide et la location meublée devrait être
remise en cause, en supprimant d’abord les conditions favorables
pour les meublés touristiques classés, et en unifiant ensuite
progressivement le droit fiscal, autour de deux régimes, microfoncier
(en-dessous de 15 000 euros) et réel (au-dessus).
Réforme de la fiscalité des revenus locatifs autour de deux
régimes, unifiés pour la location vide et meublée
POUR UNE FISCALITÉ DU LOGEMENT PLUS COHÉRENTE
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Face aux nouveaux défis du bâti en France, la fiscalité du
logement apparaît encore trop peu adaptée aux réalités économiques
locales et aux objectifs, traditionnels et nouveaux, de la politique
publique du logement. Assurer sa plus grande cohérence passe ainsi
par la mise en extinction des dispositifs fiscaux inefficaces et une
plus grande neutralité fiscale.
Dans l’hypothèse d’une mise e
n place des différentes
recommandations figurant dans le présent rapport qui se regroupent
autour de trois grandes orientations (mettre en cohérence les
dispositifs fiscaux avec la valeur économique des logements ;
préférer les aides budgétaires ciblées en substitution aux incitations
fiscales pour faire face aux nouveaux défis du bâti ; renforcer la
neutralité de la fiscalité du logement pour favoriser la résilience du
marché du logement) et
en raisonnant à rendement budgétaire
constant, il est possible de représenter les enjeux financiers de la
fiscalité du logement. Actuellement assise sur les deux piliers de la
détention et de l’acquisition, cette fiscalité serait à terme recentrée
sur la détention, ce qui permettrait de mieux la répartir sur le cycle
de vie du logement.
Enjeux financiers de la réforme proposée de la fiscalité du
logement
L
a part de l’acquisition serait réduite, du fait de la baisse
voire de la suppression
des DMTO, tandis que seraient relevées les
parts de la détention, du fait
de la révision de l’assiette et de la hausse
de la taxe foncière, et dans une moindre mesure de la cession
(limitation des avantages fiscaux sur les plus-values immobilières),
de la location et de la rénovation (suppression de certaines dépenses
fiscales).
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CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Représentant un tiers du produit de la fiscalité du logement
dans le régime actuel, la détention en représenterait ainsi la moitié
dans le régime cible. La représentation schématique ci-dessus illustre
les enjeux d’un tel rééquilibrage, à comportement
s des agents
économiques et grandes masses financières constants.
Le CPO rappelle qu’il serait nécessaire, pour une réforme de
cette ampleur, de lisser ses effets dans le temps et de ménager la
possibilité d’
appliquer une
clause d’antériorité pour prendre
en
compte la situation légitime de particuliers ayant effectué un
investissement sous l’empire d’un précédent régime fiscal.
Une telle dynamique permettrait
in fine
non seulement de
renforcer la cohérence de la fiscalité du logement avec les réalités
économiques et les nouveaux défis environnementaux, mais aussi de
sécuriser son rendement et le financement des services publics
locaux et d’améliorer, plus largement, la progressivité globale du
système socio-fiscal français.
POUR UNE FISCALITÉ DU LOGEMENT PLUS COHÉRENTE
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LISTE DES RECOMMANDATIONS
Orientation 1 : Mettre en cohérence les dispositifs fiscaux avec la
valeur économique des logements
Recommandation n° 1 : Borner dans le temps les dépenses fiscales
liées au logement et procéder à leur évaluation systématique pour ne
conserver
que
celles
aux
effets
économiques,
sociaux
ou
environnementaux avérés.
Recommandation n° 2 : Compléter les bases de données existantes
relatives au logement, notamment à sa fiscalité, et en réaliser
l’expertise statistique.
Recommandation n° 3 : Revoir la méthodolo
gie d’estimation de
l’assiette de la taxe foncière pour établir un lien plus direct et
facilement actualisable avec les loyers ou les prix de marché.
Recommandation n° 4 : Étendre la liste des communes soumises à la
taxe sur les logements vacants (TLV) en excluant les territoires en
déprise et supprimer la possibilité pour les communes et
établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)
d’instituer la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV).
Orientation 2 : Préférer les aides budgétaires ciblées en
substitution aux incitations fiscales pour faire face aux nouveaux
défis du bâti
Recommandation n° 5 : Confirmer la non-reconduction du dispositif
« Pinel » et l’absence de dispositif équivalent en remplacement.
Recommandation n° 6 : Ouvrir à nouveau le prêt à taux zéro (PTZ)
au logement ancien avec travaux dans les zones tendues pour le
rendre plus cohérent avec les enjeux environnementaux.
Recommandation n° 7 : Rehausser le taux de TVA à 5,5 % sur la
rénovation énergétique au niveau du taux intermédiaire de 10 % et
utiliser le gain financier ainsi obtenu pour les aides budgétaires
ciblées en faveur de la rénovation énergétique des logements.
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CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
Orientation 3 : Renforcer la neutralité de la fiscalité du logement
pour favoriser la résilience du marché du logement
Recommandation n° 8
: Une fois le lien rétabli entre l’assiette de la
taxe foncière et la valeur économique des logements taxés, engager
une réflexion sur le niveau et l’affectation des droits de mutation à
titre onéreux (DMTO) visant à moins taxer l’acquisition de
logements et à compenser le manque à gagner pour les finances
publiques par un relèvement des impôts portant sur leur détention.
Recommandation n° 9 : Limiter la rétention des biens en remplaçant
les abattements sur les plus-values de cessions foncières et
immobilières pour durée de détention par une prise en compte de
l’évolution des prix de la construction et des travaux d’amélioration
réalisés par le vendeur et en réhaussant, pour les terrains nus rendus
constructibles, la taxe forfaitaire.
Recommandation n° 10 : Rapprocher et unifier à terme les régimes
fiscaux de la location meublée et de la location nue.