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PRÉSENTATION À LA PRESSE DE L’ÉVALUATION DE POLITIQUE PUBLIQUE
RELATIVE À LA POLITIQUE DE PÉRINATALITÉ
Lundi 6 mai 2024 – 9h30
Salle André Chandernagor
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous accueillir pour vous présenter
l’évaluation de politique publique menée par la Cour, intitulée « la politique de périnatalité : des
résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier ».
Je souhaite avant tout saluer le travail de l’ensemble des artisans de ce rapport, qui sont nombreux
.
Je tiens à remercier, en premier lieu, la Présidente de la sixième chambre, Véronique Hamayon, le
Président de section François de la Gueronnière, le contre-rapporteur Nicolas Fourrier ainsi que
Sébastien Dorlhiac, conseiller référendaire, et Robin Gonalons, conseiller référendaire en service
extraordinaire, rapporteurs, dont la plupart sont présents à mes côtés aujourd’hui.
Avant d’en dévoiler les principaux messages, j’aimerais préciser la nature et les méthodes de notre
publication
. Ce rapport est, je tiens à le souligner, une évaluation de politique publique.
Je m’en
réjouis, car la Cour s’est engagée dans une montée en puissance de ce format de travaux : nous
produisons de plus en plus d’évaluations de politiques publiques, y compris dans les CRC, nous
développons de nombreux partenariats académiques, nous avons recruté une équipe de
data scientists
qui viennent en appui des personnels de contrôle et nous organisons, le 16 mai
prochain, les rencontres de l’évaluation en lien avec l’Assemblée nationale.
Comme pour toute évaluation de politique publique, les travaux ont été présentés tout au long de
la procédure pour avis à un comité d’accompagnement
. Il était composé de professionnels de santé,
de responsables associatifs et de gestionnaires publics spécialistes des questions de santé périnatale.
Je remercie les dix-neuf membres de ce comité, qui ont pu s’exprimer dans toute la diversité de leurs
opinions et expériences.
Notre rapport se distingue aussi par l’accompagnement scientifique solide et étroit dont il a
bénéficié
. Le caractère médical de nombreuses questions abordées a en effet nécessité de bénéficier
d’un regard scientifique et expert. C’est pourquoi la Cour a été accompagnée par des spécialistes des
questions périnatales. Cet accompagnement donne à notre rapport un poids scientifique d’autant plus
important. L’équipe Inserm EPOPé, de l’Université Paris-Cité, a réalisé à la demande de la Cour des
analyses originales, qui permettent d’apporter, dans le débat public, des réponses inédites sur des
points importants que je développerai dans quelques instants. La qualité des échanges avec les
membres de cette équipe de l’Inserm et de leurs productions souligne la pertinence de ce type de
partenariat pour la Cour. S’il n’est pas possible de citer tous les professionnels du laboratoire ayant
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contribué à ces travaux, je tiens à remercier le Professeur Pierre Yves Ancel, responsable de l’équipe
EPOPé, ainsi que Mme Catherine Deneux-Tharaux. Par ailleurs, l’équipe de rapporteurs de la Cour a
été accompagnée par le Docteur Mathieu Levaillant, médecin de santé publique spécialiste des
questions périnatales, dont le regard a été précieux tout au long de l’enquête. Que l’ensemble de ces
professionnels soient remerciés.
Qui dit évaluation de politique publique, dit aussi exploitation d’un grand nombre de données
;
l’instruction a reposé sur l’exploitation des principales bases de données nationales disponibles, mais
aussi sur des données internationales. Des analyses approfondies des données hospitalières comme
de la médecine de ville ont été conduites.
Les enquêtes épidémiologiques principales, à l’instar de l’enquête nationale périnatale (ENP),
l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) ou les données de
l’observatoire des morts inattendues du nourrisson (OMIN) ont été bien sûr exploitées. L’appui de
l’équipe Inserm EPOPé a été particulièrement précieuse pour réaliser certaines analyses, ainsi que
pour en garantir la rigueur sur le plan médical et épidémiologique.
Surtout, et c’est là je crois l’élément le plus distinctif d’une évaluation de politique publique,
l’instruction de rapport a été guidée par des questions évaluatives, auxquelles l’équipe a cherché à
répondre.
Les facteurs explicatifs des résultats sanitaires médiocres de la France en matière de santé
périnatale sont-ils bien identifiés ? L’organisation de l’offre de soins, et notamment des maternités,
permet-elle de répondre aux enjeux ? Les mesures de prévention actuelles permettent-elles de
réduire les risques pour les mères et les enfants ? L’accompagnement des parents, avant et après
l’accouchement, est-il suffisant et adapté ?
La liste de ces questions me mène aux grands chapitres de notre évaluation, qui est divisée en trois
parties
:
-
un premier chapitre sur les indicateurs de santé périnatale en France, qui témoignent
d’une aggravation récente et de fortes inégalités ;
-
un deuxième chapitre sur l’offre de soins, qui apparaît inadaptée et peu efficiente ;
-
enfin, un troisième et dernier chapitre sur les limites des politiques récentes comme la
stratégie des « mille jours », et des mesures de prévention et d’accompagnement
parental.
*
Avant d’en dévoiler les principaux messages, j’aimerais préciser l’origine de ce travail, son périmètre
et quelques éléments de contexte.
Ce qui nous a amenés à programmer cette enquête, c’est d’abord et avant tout les indicateurs
alarmants en matière de périnatalité pour la France par rapport aux autres pays d’Europe, que
l’enquête sur la santé des enfants avait permis d’identifier. Nous voulions comprendre ces mauvais
résultats et donc examiner spécifiquement la périnatalité sous l’angle d’une évaluation de politique
publique.
La notion de périnatalité se rapporte aux circonstances entourant la naissance ; elle recouvre des
acceptions plus ou moins larges selon la définition retenue.
Dans ce rapport, elle est définie comme la période allant de la fin du premier trimestre de la
grossesse jusqu’à l’âge d’un an de l’enfant.
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En revanche, nous n’abordons pas certains des aspects de la périnatalité.
Les questions de
contraception, d’interruption volontaire de grossesse, d’accompagnement pré-conceptionnel et
d’assistance médicale à la procréation constituent des enjeux spécifiques et n’ont pas été abordés. De
la même manière, le rapport ne traite pas de la question de la natalité en France et de sa trajectoire,
qui n’est aucunement le sujet de cette évaluation.
La fin de la grossesse et les premiers mois après l’accouchement représentent une période sensible
pour le développement de l’enfant.
De nombreux facteurs déterminent son bien-être physique,
psychique, et son développement émotionnel ou cognitif. Ils peuvent avoir des effets immédiats, mais
aussi s’exprimer tout au long de la vie de l’individu, et avoir des conséquences considérables sur le
niveau des dépenses de santé.
Cette période présente également des défis spécifiques, pour la santé des femmes en particulier, et
pour l’accompagnement parental en général
. Cela soulève des enjeux en matière de prévention, de
prise en charge et de suivi.
Notre enquête s’inscrit dans le prolongement de travaux de la Cour déjà publiés sur ce sujet.
La
politique de périnatalité a déjà été examinée en tant que telle à deux reprises par la Cour. Une
première fois en 2006, puis à nouveau en 2012, dans le cadre d’une enquête de suivi de
recommandations. La Cour a également traité de certains aspects de la périnatalité à travers, par
exemple, des enquêtes sur les acteurs de santé impliqués dans la prise en charge de la grossesse – sur
les sages-femmes en 2011, sur les réseaux des maternités en 2015 –, ou d’autres enquêtes concernant
les principaux facteurs de risque (tabac, alcool, obésité, et prévention des grandes pathologies). Plus
récemment, la Cour s’est penchée sur la santé des enfants, dans une communication à la commission
des affaires sociales de l’Assemblée nationale en décembre 2021.
Au-delà des rapports de la Cour, la santé périnatale est un thème qui est profondément d’actualité,
et d’autres travaux récents ont abordé le sujet en France.
Un rapport de l’académie de médecine, dit
rapport « Yves Ville », qui a fait grand bruit lors de sa publication en en février 2023, s’est penché sur
la planification de l’offre des soins périnatals. L’assemblée nationale, dans le cadre d’une « mission
flash », a publié un rapport sur la mortalité infantile en décembre 2023. Enfin, le Sénat réalise
actuellement des auditions sur la planification périnatale, dont les conclusions sont attendues à l’été
2024. Vous le voyez, il n’y a donc pas que la Cour à s’être penchée sur ce sujet qui concerne, à un
moment ou à un autre de son existence, chacun de nos concitoyens.
***
1.
Après ces quelques mots de cadrage général, j’en viens au premier chapitre du rapport, qui
porte sur les indicateurs dégradés de la santé périnatale en France.
Ce chapitre répond principalement à la première ques�on évalua�ve
, qui est la suivante : les
facteurs explica�fs des résultats médiocres de la France en ma�ère de santé périnatale sont
-ils
clairement iden�fi
és ? Orientent-
ils suffisamment les disposi�fs de préven�on et de prise en charge
sanitaire de la grossesse, de l’accouchement et de la première année post-partum ?
Les risques ayant une incidence sur la santé périnatale de la mère et de l’enfant sont à des niveaux
élevés, et ces niveaux sont parfois en forte progression.
Par exemple, la prévalence du surpoids et
de l’obésité maternels, les consommations à risque (tabac, alcool, drogues), les grossesses tardives
ainsi que les phénomènes de prématurité ou de petit poids à la naissance constituent des facteurs de
risque significatifs, dans les résultats de la santé périnatale. Or, ces facteurs de risques augmentent :
à titre d’illustration, la part des grossesses tardives, intervenant après 35 ans, représente désormais
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près du quart des naissances en France. Elles sont associées à des risques majorés pour les mères
comme pour les enfants, ainsi qu’à des complications obstétricales plus importantes.
Les principaux indicateurs de la santé périnatale mettent en évidence une situation durablement
médiocre pour la France.
De surcroît, les disparités territoriales et sociales sont importantes, en
particulier au détriment de l’outre-mer. Ces inégalités sont aussi plus fortes pour les mères nées à
l’étranger, dont les situations sociales sont corrélées à des morbidités et à des risques plus importants,
alors même que près du quart des naissances sont issues de mères étrangères.
Les indicateurs étudiés mettent en évidence une performance nettement en deçà des autres pays
européens.
Je développerai trois de ces indicateurs dont les résultats sont insuffisants.
Le taux de mortinatalité en France correspond au rapport entre le nombre d’enfants nés sans vie
rapporté au nombre de naissances totales. Depuis vingt ans ce taux en France est parmi les plus
élevés d’Europe
. Il s’élève à 3,8 pour 1 000 enfants nés pour la période allant de 2015 à 2020. La
France est aussi l’un des seuls pays dans lesquels il ne s’est pas amélioré depuis 2000.
Venons-en à un deuxième indicateur, celui de la mortalité néonatale : elle correspond aux décès
d’enfants intervenus au cours du premier mois de vie. Pour cet indicateur aussi, la France est une
mauvaise élève : elle se situe au 22e rang sur 34 pays européens, avec un taux de 2,7 décès pour 1
000 naissances.
La trajectoire est défavorable depuis 2012, malgré une amélioration constatée entre
2001 et 2011. A titre d’exemple, si le taux de mortalité néonatale français avait été identique à celui
des meilleurs pays européens, près de 40 % des décès enregistrés en France entre 2015 et 2017
auraient pu être évités, soit 2 079 enfants.
Quant aux décès maternels, ce sont, heureusement, des évènements rares, mais la plupart sont
évitables.
90 décès maternels sont recensés en moyenne chaque année. Le taux de décès pendant la
grossesse jusqu’au 42
ème
jour après la naissance, qui est l’indicateur de référence international, s’élève
en France à 8,5 pour 100 000 naissances vivantes. Il est comparable à la moyenne des pays européens.
Mais 60 % des décès maternels sont considérés comme potentiellement évitables ! Dans les deux tiers
des cas, ces décès sont intervenus après des soins non-optimaux, en raison notamment de
dysfonctionnements dans le système de prise en charge et dans les parcours de soins périnatals.
Dans ce contexte, la Cour constate que le dispositif de surveillance et d’analyse épidémiologique est
insuffisant.
Il ne permet pas d’identifier avec précision et fiabilité les facteurs explicatifs de la situation
française, pour orienter utilement l’action publique.
En outre, nous figurons parmi la minorité de pays européens qui ne dispose pas d’un système
épidémiologique de suivi conforme au standard de référence européen, défini par Euro-Peristat :
notre système de suivi de la santé périnatale ne relève pas, notamment, d’une source unique de
données. Dans un contexte d’indicateurs de santé périnatale dégradés, il est indispensable que les
pouvoirs publics se dotent d’outils à la hauteur des enjeux.
Pour surmonter ce problème, la Cour recommande d’enrichir le système national des données de
santé avec les bases de données manquantes (bulletins de l’état civil, certificats de santé de
l’enfant), de façon à aboutir à un registre unique des naissances.
Cette solution est d’autant plus
souhaitable qu’elle est par ailleurs peu coûteuse.
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2.
Le second chapitre du rapport examine l’offre de soins périnatale, qui apparaît inadaptée
aux enjeux actuels de la périnatalité, et peu efficiente.
Ce chapitre répond principalement à
la deuxième question évaluative
: dans quelle mesure
l’
évolution de l
organisation des soins a
-t-elle permis d’améliorer la sécurité et la qualité des prises
en charge, pour réduire la mortalité et la morbidité maternelle sévère de manière pérenne ?
La Cour relève que l’offre de soins ne répond pas aux exigences de sécurité optimale, et manque
d’efficience.
L’organisation des soins et la qualité des prises en charge jouent un rôle décisif,
notamment lors de l’accouchement et des suites de la naissance.
Pourtant, l’offre de soins et les conditions de prise en charge des nouveau-nés repose sur des bases
règlementaires anciennes, qui ne correspondent plus aux enjeux actuels.
La réglementation sur
l’organisation et les conditions techniques de fonctionnement des maternités est inchangée depuis
vingt-cinq ans, (décrets dits « de 1998 »).
Par ailleurs, l’évolution de l’offre de soins apparait insuffisamment pilotée, tant du point de vue de
la démographie des professionnels de santé que de la cartographie des maternités.
Ce phénomène
est bien illustré par la persistance préoccupante de structures dérogatoires aux exigences minimales
d’activité pour les maternités, soit 300 accouchements annuels. Cette dérogation prévue par les textes
en 1998 répond à un enjeu d’accessibilité ; mais elle apparait aujourd’hui moins justifiée, alors que les
indicateurs de santé périnatale sont dégradés et les risques mieux connus. Et ces risques sont plus
importants dans les plus petites structures, s’agissant de la morbidité maternelle et infantile, c’est
désormais pleinement démontrée par des données présentées dans notre rapport.
De manière générale, les petites structures ont des difficultés pour assurer la continuité de leur
activité, ce qui est mis en évidence par la fermeture de certaines maternités.
Ces structures, souvent
moins attractives, rencontrent des difficultés en matière de ressources humaines. La suspension de
leur activité, pour des périodes pouvant s’étendre de plusieurs jours à plusieurs mois, fragilisent les
parcours de soin des patientes. Elles mettent en évidence les limites d’une planification sanitaire non
maîtrisée par les pouvoirs publics.
La Cour des comptes relève qu’un consensus médical et scientifique se dégage, en faveur de
structures de taille plus importante et davantage sécurisés.
C’est le modèle retenu dans certains pays
européens. L’Académie de médecine a même pris position, en février 2023, en faveur du
rehaussement du seuil minimal d’activité pour une maternité à 1 000 accouchements annuels.
Les conclusions la mission flash diligentée par l’Assemblée nationale concernant la mortalité infantile,
rendues publiques le 20 décembre 2023, posent également la question de la persistance de petites
maternités au regard des difficultés qu’elles rencontrent.
Dans ce contexte, la Cour des comptes ne propose pas de nouveau seuil minimal d’activité ni ne
désigne de maternités qu’il conviendrait de fermer. Ce n’est pas son rôle. En revanche, elle invite
les pouvoirs publics à engager sans délai une réelle planification de l’offre de soins, et à assurer une
revue régulière des maternités les plus fragiles.
La Cour propose que cette revue porte notamment
sur les maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, et qu’elle soit réalisée au moins
annuellement. Cette revue doit permettre de vérifier que ces maternités présentent toutes les
conditions nécessaires pour assurer une prise en charge sécurisée, qualitative et continue.
Pour les maternités qui ne répondraient pas à ces critères, les pouvoirs publics doivent interroger la
transformation de ces structures en centre périnatal de proximité.
Ces structures sanctuarisent le
suivi de la femme sur place au cours de sa grossesse et après la naissance ; en revanche,
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l’accouchement intervient dans une maternité partenaire.
Ces évolutions doivent intervenir dans le
cadre d’une réflexion territoriale, incluant tous les acteurs – institutions et professionnels – de la santé
périnatale, afin d’éviter toute perturbation et rupture brutale des parcours de prise en charge.
Par ailleurs, le rôle des services de protection maternelle et infantile (PMI) dans la détection et la
prise en charge des personnes particulièrement vulnérables reste insuffisant.
Les fragilités
persistantes des services départementaux de PMI ne leur permettent pas de prendre une part
suffisamment active dans l’amélioration des résultats de la politique de santé périnatale.
Enfin, la coordination des soins périnatals devrait être optimisée.
Les parcours des femmes
enceintes, des mères et de leurs nouveaux nés sont structurellement complexes : ils font intervenir
plusieurs professions de santé en ville, dans des services de PMI ou dans des établissements de santé.
La coordination de ces acteurs est un enjeu central, c’est pourquoi la Cour appelle à la renforcer, en
lien avec les acteurs qui proposent un accompagnement individuel aux femmes intéressées. L’offre de
soins périnatals doit être planifiée de façon globale.
3.
J’en viens au dernier chapitre de notre rapport : la stratégie récente des « 1 000 premiers
jours » porte une ambition renouvelée en matière de périnatalité, mais cette politique
publique a un champ d’action trop limité.
Ce chapitre répond à la troisième et à la quatrième question évaluative, sur les résultats des mesures
de prévention en matière de réduction des risques, et en matière de prévention de la souffrance
psychique, des troubles de la relation entre les parents et les enfants et des violences et
maltraitances sur les enfants.
Il faut ici souligner une situation paradoxale
. Alors que les résultats observés au plan sanitaire restent
défavorables et que la natalité recule, les dépenses en matière de périnatalité augmentent (9,3 Md€
en 2021). Cette évolution pose la question de l’efficience de la politique périnatale.
J’aimerais d’abord souligner que la France s’est dotée de plans périnatalité structurés et
mobilisateurs entre 1970 et 2007
. Mais cette politique publique repose aujourd’hui sur une
conception plus diffuse. Ainsi, les objectifs portés par la stratégie nationale de santé 2018-2022, au
titre de la périnatalité, ont été repris, parfois de manière redondante, dans une dizaine de plans
thématiques distincts.
Une ambition nouvelle s’est affirmée depuis 2021 à travers le chantier des «
1 000 premiers jours
»,
entendus comme la période allant du début de la grossesse aux deux ans de l’enfant.
Ce plan porte
des dispositifs structurants, comme le soutien à la généralisation des entretiens prénatal et postnatal
précoces, le renforcement des équipes médico-psycho-sociales dans les maternités, ou encore
l’expérimentation du référent parcours périnatalité. Il contient aussi des actions plus accessoires,
comme la remise d’un sac, dit des 1 000 premiers jours.
Cette récente mobilisation des pouvoirs publics traduit une ambition renouvelée, mais elle peine
encore à répondre à tous les problèmes.
D’abord, la stratégie des « 1000 premiers jours » est plutôt orientée vers la prévention, en
particulier des risques psychiques et développementaux, et la lutte contre les inégalités sociales et
de santé.
Il s’agit d’un volontarisme bienvenu en la matière, alors que les inégalités sont importantes
comme je l’ai souligné tout à l’heure ; mais cette approche ne prend pas assez en compte les enjeux
de qualité et de sécurité des soins périnataux. La Cour recommande en conséquence d’intégrer dans
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la stratégie périnatale, dite des « 1 000 premiers jours », les enjeux liés à la qualité et à la sécurité des
soins.
Ensuite, certaines mesures au cœur de cette stratégie ont une portée réduite, car elle est encore
insuffisamment mise en œuvre en raison du foisonnement des mesures et des structures qui y
participent
. Cela limite la prévention et la prise en charge des phénomènes de souffrance psychique
et des troubles de la relation entre les parents et les enfants, alors même qu’il s’agit de l’un des
objectifs de la stratégie.
Dans ce cadre, la Cour recommande de stopper le démantèlement en cours du service
d’accompagnement du retour à domicile, qui s’appelle « Prado maternité », par l’assurance
maladie.
Ce service a démontré son efficacité : il devrait être maintenu jusqu’à ce que d’autres leviers de
coordination des parcours de soins périnatals aient démontré une pertinence au moins égale.
Par ailleurs, une place importante est laissée aux expérimentations dans la stratégie des 1000
premiers jours
. Ces expérimentations ont un caractère parfois éphémère, qui peut entraîner
l’essoufflement des acteurs qui s’y impliquent, avec le risque de perte de visibilité des objectifs à
atteindre à long terme.
Autre point problématique, l’application de la stratégie des 1 000 premiers jours en outre-mer suit
étroitement celle mise en œuvre dans l’Hexagone
. Elle ne fait pas l’objet d’une adaptation aux
vulnérabilités économiques particulières dont sont affectés ces territoires, ni à leurs spécificités
géographiques ou socio-culturelles. Nous préconisons ainsi d’identifier et mettre en place des actions
spécifiques pour améliorer la périnatalité outre-mer.
Enfin, cette stratégie mériterait d’être mieux pilotée et gouvernée plus efficacement
. Une
gouvernance plus efficace pourrait découler d’un plan stratégique pluriannuel, consacré à la
périnatalité, qui couvrirait à la fois les enjeux identifiés dans le cadre du projet des « 1 000 premiers
jours » et ceux liés à la qualité et à la sécurité des soins. Des leviers d’actions spécifiques à l’outre-
mer, voire à chacun de ses territoires, devraient être identifiés. Pour assurer la gouvernance de ce
plan et en renforcer la visibilité, il serait opportun de restaurer la commission nationale de la naissance
et de la santé de l’enfant, de revoir sa composition et d’élargir son champ d’action à la santé des
mères.
Au-delà de la stratégie des 1000 premiers jours, il convient de renforcer la prévention.
Des
évolutions positives ont été constatées, comme l’élargissement du nombre de maladies rares faisant
l’objet d’un dépistage néonatal.
Mais nombre de mesures de prévention et recommandations sanitaires, pour certaines promues de
longue date, restent insuffisamment mises en œuvre, comme les vaccinations ou dépistages. Surtout,
elles ne touchent pas les publics les plus à risques, comme les femmes en situation précaire ou
cumulant certaines pathologies, qui restent éloignées de ces mesures.
Pour l’après-périnatalité, des actions restent aussi à mener, notamment sur l’accompagnement à la
parentalité
. Un renforcement, une mise en cohérence et une plus grande intelligibilité des dispositifs
de soutien à la parentalité pourraient être utiles, comme une meilleure coordination des
professionnels de santé et des acteurs sociaux qui interviennent dans ce domaine.
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8
Mesdames, messieurs,
je crois ce rapport profondément instruc�f et u�le au débat public, sur une
ques�on difficile
.
La protec�on et la bonne prise en charge des femmes enceintes, des mères et de
leurs nouveaux-nés
sont des enjeux primordiaux, d
ont la bonne prise en compte par les poli�ques
publiques est
un enjeu démocra�que et d
’égalité
. À travers ce rapport, c’est évidemment plus
largement les ques�ons centrales
de l’accès aux soins, de la parentalité et, plus largement, de l’égalité
qui sont posées.
Merci de votre aten�on et de votre intérêt
. Je suis à votre disposi�on, ainsi que l
’équipe qui a instruit
ce très beau rapport, pour répondre à vos
ques�ons.