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Chapitre VII
Intérim médical et permanence des
soins dans les hôpitaux publics : des
dérives préoccupantes et mal maîtrisées
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Faisant suite à une demande formulée dans le cadre de la
consultation organisée sur la plateforme de participation citoyenne
ouverte sur son site, la Cour des comptes a conduit une enquête sur le
l’intérim médical et la permanence des soins. L’enquête porte ici sur les
emplois médicaux dans les hôpitaux publics, à l’exclusion des autres
professions soignantes et des établissements privés
296
.
Dans un contexte global de tensions quantitatives sur les ressources
médicales, les hôpitaux publics font appel aux emplois temporaires pour
assurer, en particulier, leurs obligations de continuité et de permanence
des soins. Le recours à l’intérim médical a été conçu pour pallier d
es
absences ponctuelles mais les solutions de remplacement ne relèvent pas
du seul recours à l’intérim. Les hôpitaux publics emploient aussi des
médecins sous contrat
297
.
Au cours des vingt dernières années, le recours à des contrats s’est
fortement développé et induit des conséquences dommageables de plus en
plus patentes
298
. Il
traduit une fragilité structurelle de l’hôpital public et
il
pèse lourdement sur sa situation financière lorsque le recours aux emplois
temporaires devient nécessaire pour assurer le fonctionnement courant et
non plus pour répondre à des problèmes transitoires.
L’ampleur du recours aux emplois temporaires, plus qu’aux
intérimaires, et les conditions de rémunération des médecins concernés ont
des conséquences préoccupantes (I). Les mesures de maîtrise des
rémunérations ne suffisent pas à limiter les dérives (II). Des évolutions
structurelles adossées à une recomposition territoriale de l’offre de soins
sont à envisager à court terme (III).
296
Cette focalisation s’explique par la complexité des questions
abordées et ne signifie
pas que les difficultés soient cantonnées au secteur public. Ainsi, les niveaux de
rémunérations accordées aux médecins exerçant en établissement privé contribuent aux
tendances constatées.
297
Hormis les personnels hospitalo-universitaires,
qui sont fonctionnaires d’État
par
leur fonction d’enseignement
, les médecins hospitaliers sont soit des agents publics
statutaires nommés à titre permanent, soit des contractuels, dont ceux recrutés pour
répondre à une pénurie ou pour combler un poste vacant.
298
Cour des comptes,
Les agents contractuels dans la fonction publique,
septembre 2020
.
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252
Définition et chiffres clés
Le terme d
’intérim médical est souvent utilisé, à tort, pour désigner
tous les médecins intervenant à l’hôpital pour compléter les plannings des
services. Une telle terminologie laisse à penser que les dérives en matière
de rémunération ne concerneraient que les mis
sions d’intérim stricto sensu
alors qu’elles peuvent être observées sur d’autres formes de contrat. Le
présent chapitre examine ces diverses situations et utilise le terme général
«
d’emplois temporaires
» pour les désigner de manière indifférenciée,
même si les emplois ainsi occupés correspondent à des postes permanents
dans l’organisation hospitalière.
Le nombre total des médecins hospitaliers, quel que soit leur statut,
est de 100 000 en équivalent temps plein, soit 10 % des effectifs salariés du
secteur. Ce nombre prend en compte 11 100 praticiens contractuels, mais
pas les missions intérimaires.
Le total des dépenses de personnel médical dans les hôpitaux publics
a été de 8,8
Md€ en 2022, en augmentation de 31
% par rapport à 2017.
Afin de compléter le
s analyses tirées de l’exploitation des données
nationales, un échantillon de dix hôpitaux publics, sélectionnés dans trois
régions avec les chambres régionales et territoriales des comptes, a été
constitué. Ce panel d’observation a permis notamment d’anal
yser au plus
près du terrain les pratiques en matière de recrutement de médecins
contractuels et de construire une méthodologie d’évaluation des dépenses
engagées pour compenser ou atténuer une pénurie de temps médical.
À partir de ces données, les dépenses engagées par les hôpitaux pour
combler ou atténuer le manque de temps médical ont pu être estimées
nationalement en 2021 entre 559
M€ et 662
M€ hors charges (entre 751
M€
et 904
M€ avec charges). Elles résultent de
:
-
la rémunération d’heures supplément
aires pour 321
M€ en 2021 (402
M€
en 2022) ;
-
la surrémunération des contrats négociés en 2021, + 80
M€ par rapport à
la rémunération moyenne d’un praticien hospitalier ; +
183
M€ par
rapport aux plafonds réglementaires des médecins contractuels ;
-
la facturation des mises à disposition de médecins par les entreprises de
travail temporaire pour 157
M€ en 2021 (147
M€ en 2022).
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INTÉRIM MÉDICAL ET PERMANENCE DES SOINS DANS LES HÔPITAUX
PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
253
I -
Un recours accru et préoccupant
aux emplois temporaires
Afin de compléter les effectifs médicaux des services, outre les
intérimaires, les hôpitaux recrutent directement des médecins contractuels
avec des montants de rémunération non réglementaires. Le développement
important de ces contrats est problématique.
A -
Un fort développement des heures supplémentaires
et des contrats négociés
Lim
ité à l’origine aux seules missions d’intérim, le recours à des
contrats temporaires s’est généralisé, au point de concerner la plupart des
activités hospitalières et non plus seulement les activités nécessitant une
permanence des soins.
1 -
Un recours limité
à l’intérim médical au sens strict
Conformément aux dispositions de l’article L.
1251-1 du code du
travail
299
, seules les mises à disposition d’un médecin salarié par une
entreprise de travail temporaire répondent à la définition de l’intérim médical.
Celui-ci a été réglementairement conçu pour pallier un problème conjoncturel
et doit être motivé par des nécessités liées à la continuité du service public
300
.
Les dépenses d’intérim médical des hôpitaux publics s’élevaient en
2022 à 147,5
M€
301
, en progression de 25 % par rapport à 2017, soit 2 %
des dépenses totales de personnel médical. Selon Prism’emploi, fédération
représentant les entreprises de travail temporaire, 17 000 missions ont été
réalisées en 2022 soit, pour les médecins employés, une moyenne de
11 mi
ssions dans l’année, chacune d’une durée moyenne de 3,6 jours.
299
Article L.1251-1 du code du travail :
« le recours au travail temporaire a pour objet
la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail temporaire
au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission. Chaque mission
donne lieu à la conclusion : 1° d'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de
travail temporaire et le client utilisateur, dit " entreprise utilisatrice " ; 2° d'un contrat
de travail, dit " contrat de mission ", entre le salarié temporaire et son employeur,
l'entreprise de travail temporaire. »
300
Circulaire du 3 août 2010
relative aux modalités de recours à l’intérim dans la
fonction publique.
301
Données de la direction générale des finances publiques (DGFiP)-
et de l’Agence
technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), comptes financiers transmis
par 96 % des hôpitaux publics en 2022.
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254
Le coût d’une mission intérimaire englobe le coût de la recherche
du médecin, de sa rémunération (y compris les charges patronales), des
frais de gestion, la taxe sur la valeur ajoutée et la ma
rge de l’entreprise
d’intérim. Pour ces motifs, le coût de la prestation de service est très
supérieur à la rémunération toutes charges comprises d’un médecin recruté
directement par l’hôpital (entre 50% et 150% de plus).
Les données de Prism’emploi indiqu
ent que 57 % des demandes
d’intérim émanant des établissements ne peuvent pas être satisfaites, faute
de candidats.
2 -
Un développement accru des heures supplémentaires
et des contrats de gré à gré
Parmi les moyens internes
302
mobilisés en priorité par les directions
d’hôpital, figure le temps de travail additionnel
303
, dénommé dans ce
rapport « heures supplémentaires
». En 2022, la dépense s’élevait à
402
M€. Elle a quasiment doublé entre 2017 et 2022, et représente 5
% de
la dépense totale de personnel médical en 2022
304
.
En complément de ces moyens, les hôpitaux publics sont
réglementairement autorisés à recruter des praticiens contractuels pour
«
pallier
une absence, en cas d’accroissement temporaire d’activité
»
ou
« faire face aux difficultés particulières de
recrutement ou d’exercice pour
une activité nécessaire à l’offre de soin sur le territoire
». Il s’agissait dans
ce seul dernier cas de contrats de cliniciens, créés par la loi n°2009-879 du
21 juillet 2009
et
mis en extinction à la fin de 2021.
Les praticiens contractuels et cliniciens, décomptés en équivalent
temps plein rémunéré (ETPR), étaient au nombre de 8 976 en 2017 et de
10 896 en 2021 (+ 21 %). La dépense atteignait en 2021 un peu plus de
950
M€, en progression de 47
% par rapport à 2017.
302
À défaut de pouvoir recruter des praticiens hospitaliers, les hôpitaux publics
s’appuient sur d’autres catégories de médecins
comme les assistants, les praticiens à
diplôme hors union européenne et les étudiants en fin de formation, en particulier les
internes et les docteurs juniors depuis le 1
er
novembre 2020.
303
Les heures supplémentaires des praticiens hospitaliers sont décomptées au-delà de
leurs obligations de service (48 heures lissées sur un quadrimestre, sauf pour les équipes
fonctionnant en horaires continus). Elles peuvent donner lieu à récupération ou à
indemnisation.
304
Parmi les facteurs explicatifs, il convient de relever que l’indemnisation des heures
supplémentaires a été majorée à titre exceptionnel entre mars 2020 et l’été 2022.
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INTÉRIM MÉDICAL ET PERMANENCE DES SOINS DANS LES HÔPITAUX
PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
255
Graphique n° 34 :
évolution des emplois temporaires de 2017 à 2022
Source : Cour des comptes à partir des données ATIH
La crise sanitaire n’a pas eu d’effet significatif dans cette
progression. Le développement des emplois temporaires était antérieur et
n’a ni régressé ni f
ortement augmenté en 2020 et en 2021. En effet, pendant
la crise, l’offre de soins a été redéployée des services les moins exposés au
bénéfice de ceux qui étaient le plus en tension
305
.
3 -
L’incidence prépondérante de la permanence des soins
La permanence des s
oins à l’hôpital se définit comme l’accueil et la
prise en charge de nouveaux patients dans les services de médecine,
chirurgie, obstétrique (MCO) la nuit, le week-end (sauf le samedi matin) et
les jours fériés
306
.Elle se traduit par des gardes et des astreintes
307
pour les
médecins concernés et implique souvent de recourir à des emplois
temporaires, en particulier dans les établissements les plus en difficulté.
Selon les agences régionales de santé (ARS), les spécialités
soumises à gardes et astreintes les pl
us dépendantes de l’emploi temporaire
sont la médecine d’urgence, l’anesthésie
-réanimation, la gynécologie-
obstétrique et la pédiatrie.
305
Cour des comptes,
Réanimation et soins critiques en général : un modèle à repenser
après la crise,
rapport public annuel 2021
tome I.
306
Circulaires de la DGOS du 24 février 2011 et du 1
er
aout 2011.
307
La garde impose que le médecin reste sur son lieu de travail
; l’astreinte l’oblige à
revenir sur son lieu de travail dans les meilleurs délais.
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256
Un recours structurel aux emplois temporaires
ARS de Corse : la plupart des services de la région fonctionnent
structurellement avec des contractuels temporaires et des intérimaires ;
ARS Bretagne : le taux de dépendance aux emplois temporaires des
hôpitaux les plus en difficulté peut atteindre 100 % sur certaines gardes ;
ARS
Centre-Val de Loire
:
l’effectif
temporaire
mob
ilisé
par
les
obligations de la permanence des soins est évalué de 20 % à 30 % ;
ARS Bourgogne-Franche Comté : pour les spécialités en grande tension,
les personnels temporaires ont couvert 97 % des besoins ;
ARS Nouvelle-Aquitaine : pour les 50 établissements les plus en difficulté,
20 % à 100 % des gardes et astreintes sont tenues par des contractuels
rémunérés au-delà des plafonds ;
ARS Île-de- France : la situation semble moins préoccupante mais près de
15 % des gardes et astreintes sont assurées par du personnel temporaire.
La permanence des soins à l’hôpital comporte de nombreuses
contraintes et suscite des positions contradictoires des établissements et des
médecins eux-mêmes. Elle accentue la pénibilité des conditions de travail
et contribue ainsi à
la perte d’attractivité des spécialités concernées. Elle
réduit le temps médical disponible en journée, ce qui peut aboutir à
restreindre les consultations ou l’activité des blocs opératoires.
Les hôpitaux auraient donc intérêt à réduire le nombre de gardes
mais elles constituent, pour eux un enjeu de reconnaissance de leur rôle en
matière d’offre de soins sur les territoires. En outre, les indemnités de
sujétion accordées en contrepartie constituent une part significative de la
rémunération de certains praticiens et sont donc un levier financier pour les
attirer et pour les conserver. Enfin, la transformation de gardes en astreintes
peut être refusée par certains praticiens au regard des conséquences
possibles pour la sécurité des soins.
En 2022, la permane
nce des soins à l’hôpital représentait 10
% des
dépenses de rémunération des médecins des hôpitaux publics. Comme les
chambres régionales et territoriales des comptes
308
, l’inspection générale
308
Par exemple, chambre régionale des comptes des Pays-de-la-Loire,
centre
hospitalier de Cholet
, décembre 2021
; chambre régionale des comptes d’Occitanie,
centre hospitalier Émile Borel de Saint-Affrique
, novembre 2022 ; chambre régionale
des comptes de Normandie
, centre hospitalier de Dieppe
, août 2023.
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PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
257
des affaires sociales (Igas)
309
a alerté sur un risque d’utilisatio
n détournée
à d’autres fins que de répondre aux besoins d’accès aux soins du territoire.
D’autres spécialités sont également dépendantes des emplois
temporaires comme la psychiatrie, la gériatrie, les soins de suite et de
réadaptation, la réanimation ou encore diverses spécialités chirurgicales.
Plus encore que la spécialité, le facteur explicatif principal est celui
de la taille de l’hôpital
: plus il est petit, plus la dépendance aux emplois
temporaires est élevée. En 2021, le taux de recours moyen était de 15 %
mais il atteignait 30 % dans les hôpitaux de moins de 20
M€ de chiffre
d’affaires et 6
% dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). La
progression depuis 2017 a atteint huit points pour les petits hôpitaux, cinq
points pour ceux dont le budget est compris entre 20
M€ et 70
M€ et un
point pour les CHU.
Tableau n° 26 :
taux de recours au personnel temporaire (2017-2021)
2017
2021
Catégories
d’établissements
310
Intérimaires
Praticiens
contractuels
et cliniciens
Intérimaires
Praticiens
contractuels
et cliniciens
CH<20M€
4 %
22 %
4 %
30 %
20M<CH<70M€
4 %
18 %
4 %
23 %
70M<CH<150M€
2 %
13 %
3 %
16 %
CH>150M€
1 %
12 %
CHU
1 %
5 %
1 %
6 %
Total
2 %
11 %
2 %
13 %
Source : Cour des comptes à partir des données DGFIP-ATIH
309
Igas,
Rapport
d’étape sur l’évaluation de la permanence des soins en établissements
de santé
, mars 2021 ;
La permanence des soins en établissements de santé face à ses
enjeux, une nouvelle ambition collective et territoriale à porter
, juin 2023.
310
Classification des hôpitaux publics selon le montant total des produits inscrits au
compte de résultat.
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258
B -
Des rémunérations non réglementaires
devenues habituelles
La loi de l’offre et de la demande, qui conduit à augmenter le prix
d’une ressource qui se raréfie, s’applique dans le champ de la santé. Les
médecins contractuels disposent d’un pouvoir de négociation, quelles que
soient la durée du contrat (une simple vacation, plusieurs semaines ou
mois) ou la quotité de temps. Bien que conscients du caractère
répréhensible du non-respect des plafonds réglementaires en termes de
rémunération, des hôpitaux, préoccupés d’assurer la conti
nuité des soins,
consentent des dépassements qui peuvent être importants.
Les tarifs exigés par les médecins varient d’un service à l’autre, au
sein d’un même établissement et en fonction de la période travaillée (jour,
nuit, période de fêtes), de la taill
e de l’établissement et de sa situation
géographique. L’ARS Auvergne
-Rhône-
Alpes indique qu’en 2018 la
rémunération nette perçue par médecin allait de 650
€ la journée à 1
300
pour 24 heures. En Aquitaine, plusieurs établissements ont proposé en
anesthésie des missions de 24 heures pour plus de 2 700
€ bruts.
Ces pratiques irrégulières étaient assumées avec plus ou moins de
transparence. Des hôpitaux ont présenté à leur commission de
surveillance
311
un état des lieux des rémunérations médicales non
réglementaires. Beaucoup ont informé régulièrement les ARS des
difficultés rencontrées et des conditions tarifaires accordées aux médecins.
Certains médecins exigent également la prise en charge de leurs frais
de transport, d’un hébergement, de repas, voire de mén
age, dépenses
difficilement repérables qui peuvent représenter jusqu’à 230
000
€ de
janvier à juin 2023 pour un établissement de taille moyenne.
Dans 61 % des hôpitaux publics, la rémunération brute moyenne
versée aux praticiens contractuels dépasse le plafond réglementaire. Le
ratio baisse à 7 % pour les cliniciens avec un plafond beaucoup plus
élevé
312
. Le diagnostic établi plus haut se confirme : en moyenne, plus
l’établissement est petit, plus il paie un tarif élevé.
311
La commission de surveillance composée de représentants des élus, des usagers et
des professionnels de santé contribue à la définition de la stratégie, à l’évaluation et au
contrôle de la politique hospitalière de l’hôpital.
312
Depuis le 29 septembre 2020, le plafond réglementaire est de 58 227
€ annuels pour
les praticiens contractuels en contrats à durée déterminée, 148 516
€ annuels pour les
cliniciens hospitaliers.
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259
Tableau n° 27 :
nombre et proportion d’hôpitaux publi
cs
ayant accordé une rémunération brute moyenne
supérieure au plafond réglementaire en 2021
Catégories
Nombre
Praticiens
contractuels
En %
Cliniciens
En %
CH<20M€
346
181
52 %
11
3 %
20M€<CH<70M€
207
163
79 %
18
9 %
70M€<CH<150M€
107
72
67 %
14
13 %
CH>150M€
32
19
59 %
6
19 %
CHU
29
6
21 %
4
14 %
Total
721
441
61 %
53
7 %
Note de lecture : 181 centres hospitaliers de moins de 20
M€ de chiffre d’affaires, soit 52
% de
ceux de la catégorie, surrémunèrent les praticiens contractuels.
Source : DGFiP/ATIH
La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), saisie à plusieurs
reprises, a cherché un point d’équilibre entre le respect de la réglementation sur
les rémunérations et la prise en compte des contraintes liées au manque
d’attractivité des métiers et à l’obligation de continuité du service public. Selon
les situations, elle a reconnu des circonstances atténuantes ou absolutoires
313
.
C -
Des dérives aux conséquences préoccupantes
Le développement des emplois temporaires pèse sur la situation
financière des hôpitaux, fragilise le statut de praticien hospitalier, ainsi que
la qualité et la sécurité des soins.
1 -
Des évolutions coûteuses
Le surcoût financier induit par le dépassement des limites
réglementaires peut être estimé à 183
M€ en 2021 (+
72 % par rapport
à 2017).
En 2021, ces dépenses supplémentaires ont représenté 18 % des
rémunérations des personnels concernés (10 % en 2017) et 2,2 % de la
rémunération totale du personnel médical (1,6 % en 2017).
La taille de l’établissement joue
: les centres hospitaliers dont le budget
est inférieur à 70
M€ rémunèrent les praticiens contractuels 50
% de plus que
les CHU. Pour les structures dont le budget est inférieur à 20
M€, l’écart atteint
62 %. Il est moins marqué pour les cliniciens hospitaliers (13 %).
313
CDBF,
Centre hospitalier d'Ambert
, décembre 2006 ; Centre hospitalier de
Fougères, avril 2009 ;
Centre hospitalier de Givors
, novembre 2016
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260
Toutes les régions sont concernées. La proportion d’établissements
qui dépassent les seuils réglementaires est particulièrement élevée en Corse
(100 %), en Bourgogne-Franche-Comté (73 %), en Bretagne (70 %), en
Grand-Est (67 %) et en Normandie (66 %).
Toutefois, des actions comme la transparence dans les pratiques
tarifaires dérogatoires, avec la mise en place d’un observatoire des
pratiques tarifaires, la signature d’une charte régionale, ou encore la mise
en place d’un tarif «
étalon
» ont permis d’atté
nuer la concurrence. De rares
hôpitaux ont pris la décision de privilégier le recours à l’intérim
stricto
sensu
pour éviter tout risque de surenchère en leur sein.
2 -
Un statut de praticien hospitalier fragilisé
Le nombre de contractuels mobilisés pour compenser ou pour atténuer
un manque de médecins a augmenté de manière constante.
Entre 2017 et
2021, leur part dans l’effectif médical total a progressé de 29
% à 33 %.
Les rémunérations des praticiens hospitaliers sont sensiblement
inférieures à celles d
es médecins bénéficiant d’un contrat de clinicien, type de
contrat aujourd’hui mis en extinction. Cependant, un nouvel écart, certes
moindre, apparaît en faveur des médecins bénéficiant de nouveaux contrats.
Graphique n° 35 :
évolution des rémunérations par type d’emploi
entre 2017 et 2022
Note : rémunération hors charges, indemnités de sujétion de permanence des soins et heures
supplémentaires.
Source : Cour des comptes à partir des données ATIH
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PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
261
Ces écarts engendrent un sentiment d’iniquité, voire du ressentiment
chez les praticiens hospitaliers, qui subissent en outre, de ce fait, une
instabilité de leurs plannings. Ceux-ci sont construits sous la contrainte
d’assurer la continuité des soins, en tenant compte en priorité des
disponibilités des contractuels. Les praticiens hospitaliers sont ainsi
mobilisés sur les jours non comblés, ce qui constitue une inversion
pernicieuse de la logique qui devrait prévaloir.
Les écarts de rémunération entre statuts pour un même travail
induisent des effets concurrentiels délétères. Plusieurs indicateurs
confirment la perte d’attractivité du statut de praticien hospitalier même si
d’autres raisons peuvent jouer, comme le souhait de mieux concilier vie
professionnelle et vie personnelle. En dépit de créations nouvelles, le
nombre de poste
s resté vacant à l’issue des tours de recrutement a été
multiplié par 2,3 entre 2014 et 2022, passant de 3 271 à 7 541 et le nombre
de praticiens hospitaliers en disponibilité, c’est
-à-dire partis exercer
ailleurs qu’à l’hôpital public est passé de 1
291 en 2012 à 5 561 en 2022
314
.
3 -
Un affaiblissement du travail en équipe, de la qualité
et de la sécurité des soins
Ces évolutions ne sont pas sans conséquence : la progression des
emplois non-pérennes engendre des équipes médicales plus instables et
fragilise le
fonctionnement des services. Par nature, l’intervention des
contractuels ne s’inscrit pas dans la durée, ce qui ne facilite pas la
construction d’un travail en équipe sur laquelle se fonde toute démarche
d’amélioration de la qualité et de gestion des risq
ues de long terme.
Sans avoir fait l’objet, jusqu’à présent, d’études spécifiques, le
recours aux emplois temporaires fait partie des causes profondes ou
facteurs contributifs retrouvés lors de l’analyse des événements
indésirables graves associés aux soins
315
. Ainsi, la Haute Autorité de santé
(HAS) relève que s’agissant de la prise en charge des parturientes, la
survenue d’événements graves est explicitement en lien, 42 fois sur 133,
avec des personnels non-habituels.
Compte tenu de la forte progression de
l’emploi temporaire, et afin
de dépasser des approches empiriques, la mesure de son impact sur la
qualité et la sécurité des soins pourrait faire l’objet de travaux.
Cette
mesure pourrait s’appuyer sur des dispositifs de la HAS comme
314
Centre national de gestion,
Éléments statistiques sur les praticiens hospitaliers temps
plein et temps partiel statutaires au 1
er
janvier 2022.
315
HAS,
Retour d’expérience national –
Les événements indésirables associés à des
soins-
2021.
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262
l’accréditation des mé
decins et des équipes médicales, le programme
d’amélioration continue du travail en équipe, et leur portage par la
certification des établissements de santé
II -
Des corrections réglementaires
qui manquent largement leur cible
Afin de corriger les dérives constatées, les pouvoirs publics ont
d’abord rehaussé les
plafonds réglementaires de rémunération puis
renforcé les contrôles. Cette seule régulation par les tarifs, qui a introduit
des effets d’aubaine non maîtrisés, n’a pas suffi pas à répondre aux
conséquences de la pénurie durable de médecins.
A -
Une mise en œu
vre hésitante
L’encadrement des pratiques a peiné à trouver une traduction concrète.
1 -
En 2017, une première tentative mise en échec
En 2017, le salaire maximal brut d’un médecin intérimaire mis à
disposition par une entreprise de travail temporaire a été fixé à 1 170
€ pour
24 heures
316
. L’objectif était de rendre l’intérim médical moins attractif que
l’exercice sous statut. Les prestations de service facturées étant soumises
aux règles de la commande publique, un encadrement renforcé de la
dépense était escompté.
Cette réglementation n’a toutefois pas été respectée, en raison
notamment du recours à des procédures d’urgence. Surtout, en ne ciblant
que les mises à disposition par des entreprises de travail temporaire, elle
n’a pas pris en compte le rapide dévelo
ppement des contrats négociés et a
même concouru à leur progression.
316
Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, décret n° 2017-1605 du 24 novembre 2017,
instruction DGOS du 28 décembre 2017. Le montant plafonné ne comprend pas la
rémunération des congés, le remboursement de frais professionnels et
l’indemnité de
fin de mission de 10 %.
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PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
263
2 -
En 2021, un encadrement élargi et renforcé des rémunérations,
mais ajourné
Tirant les conséquences de cet échec, l’article 33 de la loi n°
2021-
52 du 26 avril 2021, dite loi Rist, a élargi le périmètre de la régulation aux
contrats de gré à gré. Elle a renforcé la maîtrise du dispositif en confiant au
comptable public la nouvelle mission de vérifier le respect des plafonds
réglementaires.
Cette disposition législative devait s’appliquer à
partir d’octobre
2021 mais elle a été reportée afin de limiter les risques pour la permanence
des soins. Des travaux préalables ont été engagés pour disposer d’une carte
précise du recours aux emplois temporaires par territoire. Ce report a mis
en lumière
la fragilité d’un pilotage du recours aux emplois temporaires
sans données sur son ampleur, et donc sur les risques de rupture de soins.
3 -
En 2022, la mise en œuvre de mesures complémentaires
L’article 33 de la loi Rist s’est inscrit dans un ensemble de
mesures
destinées à favoriser l’attractivité de l’emploi médical à l’hôpital. En
particulier, un nouveau statut de praticien contractuel a prévu quatre motifs
de recrutement, dont deux pour combler les besoins de temps médical.
Le « motif 1 » vise à répondre à des besoins ponctuels, à assurer le
remplacement d’un médecin absent ou à faire face à un accroissement
temporaire d’activité. La quotité de temps de travail peut être comprise
entre une et dix demi-journées par semaine. La durée maximale du contrat
est de deux ans. Le montant annuel brut ne peut excéder 71 163
€ depuis
le 1
er
juillet 2023, 58 227
€ pour les anciens praticiens contractuels.
En cas de difficultés particulières de recrutement ou d’exercice pour
une activité nécessaire à l’offre de soins
sur le territoire, un contrat dit de
« motif 2
» peut être proposé pour trois ans au maximum, la durée d’exercice
au sein d’un même hôpital ne pouvant excéder six ans. Le nombre maximal,
la nature et les spécialités de ces emplois sont inscrits au contrat pluriannuel
d’objectifs et de moyens de l’hôpital, validé par l’ARS. Les émoluments
peuvent comprendre une part variable, subordonnée à la réalisation
d’engagements particuliers et d’objectifs prévus au contrat de travail. Le
montant annuel brut ne peut excéder 119 130
€ pour un temps plein
317
.
317
Le motif
2 a été conçu dans la continuité de l’ancien contrat de clinicien, mis en
extinction en 2021. Si la rémunération maximale du contrat de clinicien était plus
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COUR DES COMPTES
264
Les médecins, qu’ils soient praticiens hospitaliers ou contractuels,
peuvent bénéficier en outre d’une prime de solidarité territoriale (PST)
318
,
lorsqu’ils effectuent des heures supplémentaires au
-delà de 48 heures, dans
un autre établissement que leur hôpital de rattachement. Le montant de
cette prime, supérieur à celui d’une prestation d’intérim de même durée,
doit contribuer à éliminer le recours aux emplois temporaires irréguliers et
à l’intérim.
Tableau n° 28 :
comparaison des m
ontants de la PST et de l’intérim
Rémunération brute
pour 24H
Avec frais
de
gestion
319
PST
du lundi au vendredi
1 441
samedi
1 575
dimanche ou jours fériés
1 709
Intérim
à compter du 1
er
janvier 2020
1 170
2 340
Du 29 mars au 31 décembre
2023
320
1 389
2 780
Source : Cour des comptes
En parallèle, le nouveau statut de praticien hospitalier a interdit le
cumul de cet emploi avec celui de praticien contractuel dans un autre hôpital
public
321
. Cette règle limite la diversité des statuts auxquels les praticiens
pouvaient auparavant recourir pour augmenter leur rémunération.
4 -
En 2023, un contrôle accru sur un périmètre encore limité
Après de nombreuses hésitations, les pouvoirs publics ont décidé
que seuls les prestations intérimaires et contrats conclus à compter du
3 avril 2023 entreraient dans le nouveau cadre légal. Ce faisant, ils ont
limité le périmètre des contrats à contrôler et reporté le plein effet de la loi.
importante (148 516
€), le contrat de motif 2 autorise les jours de réduction du te
mps de
travail et la réalisation d’heures supplémentaires. Il offre une protection sociale améliorée.
318
Décret n°2021-1654 et arrêté du 15 décembre 2021.
319
Hypothèse d’un coefficient multiplicateur de 2, correspondant à la facturation des
charges, frais de gestion, marge et TVA.
320
De manière dérogatoire, le montant initialement prévu étant de 1 211
; il a été porté
à 1 411
€ à compter du 1
er
janvier 2024.
321
Article R. 6152-4 du code de la santé publique.
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PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
265
Afin de sécuriser l’offre de soins, les contrats ont été, avant c
ette date,
renouvelés ou anticipés dans de nombreux hôpitaux aux anciennes
conditions, plus avantageuses pour les médecins.
En outre, depuis la refonte du statut de contractuel, les nouveaux
contrats sont enregistrés sur un seul et même compte de la nomenclature
comptable et budgétaire
322
, ce qui ne permet pas leur identification et donc,
en aval, leur contrôle. Le comptable public reste tributaire de la
transmission d’une liste déclarative des contrats soumis à son contrôle.
B -
Des effets non maîtrisés
L’empile
ment des dispositifs donne la possibilité aux médecins de
choisir le plus rémunérateur, ce qui crée des effets d’aubaine.
1 -
Une prime de solidarité territoriale au bilan mitigé
La promotion de la prime de solidarité territoriale pour permettre à
des praticiens hospitaliers de travailler dans des hôpitaux publics autres que
ceux de leur rattachement et l’assouplissement de ses conditions d’octroi
323
ont conduit à une forte progression, depuis avril 2023, du nombre de
conventions signées. Ce rythme est toutefois contrasté selon les régions.
Selon le premier bilan de la direction générale de l’offre de soins (DGOS)
à l’été 2023, la prime est très utilisée dans les régions Provence
-Alpes-
Côte
d’Azur, Auvergne
-Rhône-Alpes, Occitanie, Bourgogne-Franche
Comté et Grand-Est, peu en Île-de-France, en Corse et en Nouvelle-
Aquitaine. Les spécialités pour lesquelles la prime est mobilisée sont celles
soumises à la permanence des soins et aux tensions démographiques
324
.
La mise en œuvre de la prime se révèle difficile pour les s
pécialités
nécessitant des gardes, les tensions étant générales. L’ARS Grand
-Est
relève que seuls deux hôpitaux psychiatriques ont signé une convention,
les autres la refusant au motif que la prime ne permettrait pas un
engagement suffisant des médecins dans la durée.
La prime est décomptée au-delà de 48 heures par semaine, au risque
d’une charge de travail insoutenable. Ces heures supplémentaires sont plus
rémunératrices que celles réalisées dans l’hôpital de rattachement. Certains
322
Le compte 642 37 « nouveaux praticiens contractuels ».
323
Les ARS peuvent majorer son montant de 30 % au lieu de 20 % initialement.
324
Anesthésie-réanimation, urgences, gynécologie-obstétrique pédiatrie, imagerie,
médecine générale.
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266
chefs de service, chefs
de pôle et directeurs l’ont refusée à des praticiens
afin d’éviter l’incongruité de les voir aider d’autres établissements, alors
que le leur est déjà en difficulté.
Elle a des effets contreproductifs en matière de réorganisation
territoriale de l’offre de
soins car elle concurrence une autre prime, la prime
d’exercice territorial, instaurée en 2017, qui vise à encourager un exercice
multi-sites
325
dans le cadre de projets médicaux partagés.
Enfin, les possibilités de dérogations données aux ARS pour
répondre avec souplesse à des situations spécifiques de tension, créent des
effets concurrentiels dans les zones frontières régionales, sources
d’iniquités. Les dérogations au critère du temps plein
326
peuvent susciter
des passages à un exercice à temps partiel de praticiens désireux de
bénéficier de rémunérations majorées, ce qui a conduit certains directeurs
d’ARS à refuser les dérogations.
La dépense a été estimée à 66,5
M€ en 2021. La DGOS a considéré,
au moment de la création du dispositif, qu’elle serait compen
sée par des
économies sur l’intérim médical qui, à ce jour, n’ont pas été évaluées.
2 -
Un recours fréquent au contrat de motif 2 :
une réforme dévoyée
Les contrats de motif 2, désormais proposés par les hôpitaux en cas
de difficultés particulières de recrutem
ent ou d’exercice pour une activité
nécessaire à l’offre de soins sur le territoire, engendrent eux
-aussi des effets
d’aubaine. Très attractive, la rémunération attire les nouvelles candidatures
dans un rapport de force désavantageux pour les hôpitaux. Leur
développement fragilise le statut de praticien hospitalier.
Depuis le 3 avril 2023, le nombre de contrats de motif 2 a beaucoup
augmenté en Corse, en Bretagne, en Normandie et à La Réunion. Le
rapport entre le nombre de contrats de motif 2 signés et le nombre total de
praticiens hospitaliers varie de 1 % en Île-de-France, à 97 % en Corse.
Pour les établissements vulnérables, les contrats de motif 2 sont
devenus le moyen privilégié pour recruter, aux conditions financières
exigées par les médecins. L’ARS de Bretagne relève que la quasi
-totalité
de ces contrats atteint le plafond de rémunération.
325
Décret n° 2017-327 du 14 mars 2017, arrêté du 14
mars 2017. Il s’agit d’encourager
l’organisation d’activités partagées de praticiens entre plusieurs établissements.
326
L’autorisation d’une convention de PST à un médecin n’exerçant pas à temps plein
n’est permise que par dérogat
ion aux règles générales de la prime.
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267
Les ARS dénoncent de nombreux effets pervers. Dans certains
hôpitaux, ces contrats sont exigés par des praticiens à peine formés ou
aussitôt leur autorisation d’exercice obtenue. Même si le contrat est, par
définition, limité dans le temps, il est di
fficile d’imaginer un médecin
rejoindre ensuite un statut de praticien hospitalier plus contraint et moins
rémunéré. Des praticiens hospitaliers titulaires, moins bien rémunérés pour
une expérience professionnelle plus importante, peuvent donc décider de
démissionner ou de se placer en disponibilité pour pouvoir être recrutés sur
des contrats de motif 2. Par ailleurs, ces contrats, plus souples, peuvent
encourager les temps partiels et réduire
in fine
le temps médical disponible.
Les agences régionales de santé (ARS) regrettent, par ailleurs, que
les conditions de recours à ces contrats n’aient pas été précisées. Leur durée
minimale n’a pas été fixée dans le décret et la DGOS a autorisé une durée
très courte de 48
heures, ce qui est contradictoire avec l’obj
ectif de
répondre à des tensions durables. Ces contrats s’apparentent donc à de
l’intérim déguisé. D’autres ont été signés pour une durée de trois ans mais
pour des quotités de travail réduites, telles que 24 heures par mois. Des
effets concurrentiels sont
constatés entre les régions, à l’opposé de la
volonté initiale de la réforme.
En outre, les processus de validation par les ARS sont hétérogènes
et ne garantissent pas un pilotage effectif
327
. Il conviendrait que les règles
de recours à ces contrats (durée minimale, quotité de temps de travail,
expérience et ancienneté des candidats, calcul de la part variable) soient
définies de façon plus homogène et plus restrictive.
3 -
Un recours au travail intérimaire indirectement encouragé
Le recours accru aux contrats de motif 2 a pour conséquence de
détourner les médecins des contrats de motif 1 pour les remplacements de
courte durée en raison de l’écart de rémunération, qui atteint presque
50 000
€ par an.
Il conduit aussi, paradoxalement, à augmenter les dépenses
d’in
térim, ce que confirme le suivi des contrôles exercé par les comptables
publics (15,5
M€ en août 2023 pour 0,55
M€ en avril). En effet, le défaut
d’attractivité du contrat de motif
1 et la difficulté de les pourvoir
conduisent les hôpitaux publics à reveni
r à des contrats d’intérim onéreux.
327
La validation de l’ARS est parfois introduite
a posteriori
dans le contrat pluriannuel
d’objectifs et de moyens signé avec l’hôpital. Une fois l’autorisation accordée, les
avenants ne sont pas
transmis aux ARS. Certaines ARS ont d’ailleurs fait le choix
d’autoriser un nombre d’équivalent temps plein plutôt qu’un nombre de contrats
.
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COUR DES COMPTES
268
Un hôpital interrogé a ainsi évalué le surcoût induit par le recours
plus important à l’intérim au lieu de contrats de motif
1 à 290 500
€ par an,
pour 1
350 journées, soit l’équivalent de près de 2,5 postes de praticien
titulaire. Les hôpitaux font face à des désistements de dernière minute, sans
solution alternative.
C -
Une forte instabilité et une fragilité persistante
Les moyens mobilisés ne suffisent pas à éviter la concurrence entre
établissements, qui nourrit une spirale inflationniste, ni à desserrer le
marché de l’emploi médical, durablement tendu.
1 -
Des réductions d’activité ponctuelles et récurrentes
malgré la priorité accordée au maintien de l’offre de soins
L’objectif pour le ministère, les agences régionales de s
anté et les
hôpitaux, est d’encadrer les pratiques sans mettre à mal le système de santé.
Des diagnostics territoriaux ont été engagés pour identifier les zones de
tensions et les situations problématiques. La direction générale de l’offre
de soins (DGOS)
a demandé la mise en œuvre d’organisations alternatives
ou dégradées,
via
la définition de plans de continuité d’activité territoriale
qui détaillent les mesures à appliquer pour assurer l’activité en période de
tensions. Une carte réalisée en décembre 2022, a été mise à jour
régulièrement.
Les diagnostics territoriaux recensent les risques de rupture de
l’accès aux soins par territoire et par hôpital. Le nombre de risques de
fermetures totales de services
328
était estimé à 31 établissements en avril
2023 et 39 en août ; 111 fermetures partielles ont été anticipées en avril et
261 en août. Les difficultés se concentrent sur les centres hospitaliers
généraux (51 % des fermetures totales et 47 % des fermetures partielles
décomptées en août).
Sur les 18 spécialités recensées, les services les plus touchés sont les
urgences et les mate
rnités. Par exemple, l’activité de la maternité de Sarlat
a été suspendue en avril et en octobre 2023 et les parturientes de celle de
Guingamp ont été réorientées vers d’autres structures au printemps et en
octobre 2023.
328
Fermeture complète d’un service ou de la permanence des soins.
Une fermeture
partielle ne dure que quelques jours dans le mois ou conduit à la suspension de gardes
ou d’astreintes.
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INTÉRIM MÉDICAL ET PERMANENCE DES SOINS DANS LES HÔPITAUX
PUBLICS : DES DÉRIVES PRÉOCCUPANTES ET MAL MAÎTRISÉES
269
Ces reports induisent une charge de travail supplémentaire dans les
hôpitaux vers lesquels les patients sont réorientés, sans adaptation
préalable de leur capacité de prise en charge.
Des services d’urgence particulièrement concernés
par les réductions d’activité
Une enquête en ligne menée par Samu-Urgences de France indique
que, entre le 1
er
juillet et le 31 août 2023, 57 % des services sondés ont
signalé la fermeture d'au moins une permanence médicale. Parmi eux, 41 %
ont fermé sur plusieurs jours, dont 44 % de manière continue, 41 %
fréquemment et 15 % ponctuellement. La régulation de l'accès par le Samu
a concerné 117 services, de jour comme de nuit dans 60 % des cas, et
uniquement de nuit dans 40 %.
Par ailleurs, 147 services ont déployé des mesures de réorientation
pour réduire le flux d'entrée, à 83 % vers la médecine de ville, mais aussi à
37 % vers d'autres services d’urgence.
Les fermetures de services ont touché 60 départements, avec
maintien d'un accueil physique dans 80 % des cas ; 75 % n'ont fermé que la
nuit ; 33 % ont procédé à des fermetures moins de cinq fois, 24 % entre cinq
et dix fois, 43 % à plus de dix reprises.
Dans ce contexte, l’organisation de la permanence des soins devient
plus difficile. Les plannings de présence médicale sont instables. Les
décisions de réductio
n ou de suspension d’activité sont prises sous contrainte
et dans l’urgence, sans analyse préalable de l’adéquation entre offre et
besoins. Certains médecins peuvent se désister ou s’engager à la dernière
minute. Ce fonctionnement est complexe à gérer et tend le climat social.
2 -
Des mesures qui ne réduisent pas la pénurie de médecins
Les projections démographiques prévoient une stagnation des
effectifs médicaux jusqu’en 2030, voire 2035, avant une hausse assez
importante jusqu’en 2050
329
. Le marché de l’emploi
hospitalier, pour ces
raisons quantitatives et qualitatives, va donc rester durablement déséquilibré.
Le manque structurel de médecins sera aggravé par la progression
des départs en retraite les prochaines années. Par ailleurs, l’exercice du
métier se transforme, avec de nouvelles générations qui aspirent plus
329
Dossiers de la Drees- n°76
mars 2021.
Quelle démographie récente et à venir pour
ls professions médicales et pharmaceutique ?
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COUR DES COMPTES
270
souvent à mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle, acceptant
moins les contraintes de disponibilité liées à la permanence des soins.
L’exercice de remplacements dans les services hospit
aliers peut être perçu
comme une liberté de choisir la durée et la quotité du temps travaillé.
Le développement de l’exercice mixte
La possibilité de négocier sa rémunération, ses jours et périodes de
travail concourt à l’attractivité des emplois temporaires. L’analyse des
données, encore trop parcellaires et lacunaires, laisse à penser que le choix
d’exercer comme intérimaire ou contractuel vient le plus souvent en
complément d’une activité fixe.
Les données extraites des déclarations sociales nominatives (DSN)
donnent une indication de la part de multi-
activité dans l’emploi et la masse
salariale des médecins hospitaliers : 40 % des médecins exerçant dans un
hôpital public disposent d’un autre contrat de salarié. Outre les remplacements
dans d’autres étab
lissements, cette multi-
activité concerne d’autres activités
comme des expertises, des activités d’enseignement ou d’intérêt général.
III -
Adosser les évolutions nécessaires à une
réorganisation territoriale de l’offre de soins
Les pouvoirs publics n’ont pas inscrit la régulation des
rémunérations dans une stratégie de réorganisation de l’offre de soins, qui
permettrait de combler l’écart structurel entre les effectifs médicaux
disponibles et les besoins de recrutement. La révision prochaine des
schémas régionaux d’organisation de la permanence de soins devrait viser
à réduire la dispersion de l’offre de soins, dans un souci de sécurité et
d’efficience. À cet effet, il convient de donner aux hôpitaux les outils
pertinents, pour exercer leurs missions dans le domaine des ressources
humaines médicales, au service de la cohésion de l’offre. Pour conduire ces
évolutions, la connaissance du taux de recours aux emplois temporaires et
de ses conséquences sur la sécurité des soins constitue la clé de voûte du
plan d’actions à engager.
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271
A -
Mieux organiser le déploiement
de l’offre hospitalière
La réorganisation de l’offre de soins en fonction des besoins
desserrera la contrainte en matière de gestion des ressources humaines et
contribuera à l’amélioration des conditions d’exercice, ainsi qu’à la qualité
et à la sécurité des soins.
1 -
Une offre de soins encore insuffisamment pilotée
L’offre de soins reste guidée par l’objectif de maintien d’un maillage
territorial important, qui, comme l’a relevé la
Cour dans son rapport de 2017
330
,
induit un «
effet de saupoudrage expliquant en particulier le recours aux
emplois temporaires et l’augmentation de la masse salariale des établissements
et une non prise en charge des recommandations de bonnes pratiques
».
Bien que le lien de causalité entre faible activité opératoire et risque
accru pour les patients soit établi, la réorganisation des soins ne s’appuie pas
suffisamment sur la définition de seuils d’activité, comme l’a rappelé la Cour
à plusieurs reprises. Une vingtaine de maternités est ainsi toujours en
situation dérogatoire au regard du seuil de 300 accouchements minimum
annuels pour obtenir une autorisation d’activité d’obstétrique en 2022.
Or, le nouveau régime d’autorisation des activités de soins,
défini par
ordonnance en 2021
331
, ne lie seuil d’activité et autorisation que de manière
encore limitée, hormis pour quelques activités ciblées
332
. Le choix des
pouvoirs publics reste de privilégier un dialogue renforcé avec l’agence
régionale de santé en cas d’al
erte donnée par les indicateurs de vigilance. Un
encadrement plus strict des conditions d’implantation et de fonctionnement
des activités de soins éviterait de faire dépendre la réorganisation de l’offre de
soins du volontarisme des hôpitaux et de leurs équipes médicales. En 2017, la
Cour recommandait notamment, s’agissant des activités chirurgicales, de
définir une prise en charge graduée des patients dans le cadre territorial, y
compris pour la permanence des soins, ainsi que de concentrer l’offre de soin
s
en réformant le régime des autorisations et en fixant par voie réglementaire
des seuils d’activité par site géographique d’établissement.
330
Cour des comptes,
Les activités chirurgicales : restru
cturer l’offre de soins pour
mieux assurer la qualité des prises en charge
, Ralfss chapitre VI, septembre 2017
331
Ordonnance n° 2021-583 du 12 mai 2021 en application de la loi n°2019-774 du
24 juillet 2019, « Ma santé 2022 ».
332
Cancérologie, cardiologie interventionnelle, médecine nucléaire, d’imagerie diagnostique,
de neuroradiologie interventionnelle, chirurgie bariatrique et chirurgie cardiaque.
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272
2 -
Définir une stratégie territoriale
Une connaissance plus transparente et mieux partagée des fragilités
des hôpitaux, dont celle du taux de recours aux emplois temporaires,
éclairerait les décisions à prendre pour soutenir les services qui doivent être
maintenus afin d’assurer un accès aux soins dans des conditions de sécurité
à renforcer.
Faute de propositions convainca
ntes en matière d’accès aux soins et
de sécurisation des parcours de santé, les élus locaux défendent le maintien
de l’offre au sein de leur territoire, sans connaître les conditions, en termes
de coût et de sécurité des soins, auxquelles elle est maintenue. La fermeture
d’un service ou d’une activité nécessite donc une préparation attentive et
un accompagnement adapté.
Les plans de continuité d’activité territoriale ont permis de préparer
et d’organiser des solutions alternatives. Ce travail préalable, s’
il a été
conduit à l’échelle des territoires et pas uniquement des hôpitaux, peut
permettre de définir une stratégie de regroupement de l’offre de soins et de
programmer sa mise en œuvre. Comme la Cour le recommandait en 2018
s’agissant des filières cardio
-neurovasculaires
333
, l’amélioration de la
qualité et de la sécurité des prises en charge doit guider la réorganisation
de l’offre de soins au sein des territoires.
3 -
Activer le levier de la réorganisation de la permanence
des soins en établissements de santé
A l’appui des projets régionaux de santé, la révision des schémas
régionaux de la permanence des soins constitue une opportunité à saisir
pour réorganiser en profondeur le dispositif et définir le nombre de lignes
d’astreintes et de gardes, de la manière l
a plus ajustée possible aux besoins
du territoire, afin de reconstituer des équipes médicales de taille suffisante
et de sécuriser leurs conditions d’exercice.
L’examen des schémas régionaux de santé montre que jusqu’alors
peu d’astreintes ou de gardes ont
été remises en cause du fait du manque
de médecins. Les organisations en place sont davantage le fruit de
reconductions historiques que d’une approche de collaboration ou de
coopération territoriale. Les ARS devraient davantage s’appuyer sur la
planification prévisionnelle des ressources, ainsi que sur la mise en relation
333
Cour des comptes,
La lutte contre les maladies cardio-neuro-vasculaires,
Ralfss
chapitre VI, octobre 2018.
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273
des niveaux de financement et d’activité, afin de déterminer le cadre
d’évolution de la permanence des soins dans les hôpitaux.
La Cour
334
a recommandé par ailleurs de renforcer la robustesse des
organisations de permanence des soins par une meilleure implication de tous
les acteurs publics et privés et par la recherche d’une plus grande répartition
des efforts,
via
un processus d’appel à candidatures lancé par les ARS.
L’Igas a, enfin,
souligné les enjeux associés à la revalorisation
financière des indemnités de permanence de soins
335
afin de renforcer
l’attractivité
de
l’emploi
médical
hospitalier.
Elle
pourrait
être
conditionnée par la mise en œuvre de la réduction effective du nombre de
lieux de réalisation de la permanence des soins et par la reconstitution
d’équipes médicales de taille suffisante. Comme le rapport de l’Igas le
suggérait, le respect d’un nombre maximal de gardes et d’astreinte par
médecin complèterait ces évolutions.
B -
Re
nforcer la territorialisation de l’offre de soins
Le
regroupement
des
centres
hospitaliers
en
groupements
hospitaliers de territoires (GHT) devait permettre de «
mettre en œuvre une
stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, dans le but
d’assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité
»
336
.
Ces
groupements manquent toutefois d’outils juridiques pour contribuer à la
recomposition de l’offre territoriale.
1 -
Encourager le déploiement des pôles territoriaux et des
équipes partagées dans les groupements hospitaliers de territoires
La création de pôles territoriaux est structurante quand elle couvre
tous les segments d’activité des établissements, comme le montre
l’exemple du centre hospitalier de Verdun qui s’y est engagé dans son
projet médical. Adossée à une gouvernance territoriale, elle a apporté des
solutions d’organisation de l’offre de soins et a limité les inconvénients de
la fermeture de la maternité de Bar-le-Duc.
334
Cour des comptes,
Les établissements de santé publics et privés, entre concurrence
et complémentarité
, septembre 2023.
335
Igas,
La permanence des soins en établissements de santé face à ses enjeux, une
nouvelle ambition collective et territoriale à porter. Répartition, soutenabilité et
reconnaissance
, recommandations 25 et 27, juin 2023.
336
Article 107 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016.
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274
Autre exemple, le GHT de Loire-Atlantique a créé une équipe
t
erritoriale des urgences. Cette initiative, prise il y a une dizaine d’années
offre aux médecins des hôpitaux partenaires l’avantage d’exercer en centre
hospitalier universitaire (CHU) et à ceux du CHU d’exercer plus
sereinement dans des sites où le niveau
d’activité moins élevé permet
d’équilibrer leur charge de travail. Le temps partagé est une condition
posée dès le recrutement.
La création de tels pôles territoriaux est conditionnée par la
constitution d’équipes médicales de taille significative, qui pe
uvent offrir
des conditions de travail améliorées. Le développement des équipes
territoriales qui découlerait de leur mise en place pourrait se traduire par
l’inscription systématique de l’exercice territorial dans les contrats de
travail, dès l’embauche.
2 -
Intégrer la gestion des ressources médicales dans les
groupements hospitaliers de territoires
Le législateur a rendu obligatoire depuis 2022 la mutualisation de la
gestion des ressources humaines médicales au sein des GHT
337
. La
réglementation prévoit toutefois de simples orientations stratégiques
communes et non une coordination des recrutements par l’hôpital support,
au profit des établissements parties.
Sur le plan pratique, la loi n’a pas imposé de mode opératoire précis,
chaque GHT ayant le choix entre un modèle intégratif, favorisant la mise
en place d’une direction des affaires médicales commune au sein de
l’hôpital support avec des référents dans chaque établissement, et un
modèle coopératif, consistant en l’animation du réseau des directeurs
d’affaire
s médicales des établissements pour harmoniser ou rapprocher les
processus de ressources humaines.
Les décisions relatives au recrutement de médecins, au recours aux
contrats de motif 2 ou à la majoration de la prime de solidarité territoriale
devraient
relever d’une gestion territoriale des ressources humaines
médicales dans le cadre de l’organisation de l’offre de soins
: l’agence
régionale de santé définirait ainsi un contingent de contrats de motif 2 et
de primes de solidarité territoriale par GHT, lesquels seraient chargés de
leur répartition entre les hôpitaux membres. Pour cela, la commission
d’organisation de la permanence des soins, qui doit traiter des problèmes
337
Ordonnance n° 2021-291 du 17 mars 2021 relative aux groupements hospitaliers de
territoire et à la médicalisation des décisions à l'hôpital.
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275
liés à l’organisation de la répartition de l’offre de soins au sein des
territoires,
devrait être mutualisée à l’échelle du GHT.
Le GHT doit être d’une taille suffisante pour travailler sur les
conditions de recrutement. La Cour recommandait déjà en 2020
338
une
révision des découpages de ces groupements pour améliorer la cohérence
de l’offre
publique.
Plus généralement, les hôpitaux qui ont fusionné juridiquement ont
davantage développé de projets structurants à l’échelle des territoires. À
l’inverse, les seuls projets médicaux partagés ont eu, en général, peu d’effet
sur la reconfiguration d
e l’offre de soins car ils se déclinent au sein de
chaque hôpital, niveau où restent décidés les autorisations sanitaires, le
recrutement et l’affectation des praticiens hospitaliers. Les commissions
médicales de groupement
339
ont encore peu travaillé sur l’
organisation de
la répartition de l’offre de soins au sein des territoires et sur des orientations
communes stratégiques en matière de recrutement.
Ces démarches s’inscrivent dans le temps long. La définition sans
plus tarder d’une stratégie visant à définir, territoire par territoire, l’offre
de soins à maintenir, les évolutions à engager sur les autres sites et leur
programmation dans le temps, fourniraient aux GHT le cadre dans lequel
inscrire leurs projets médicaux territoriaux.
C -
Améliorer la connaissance des établissements
les plus vulnérables
La connaissance du taux de recours aux emplois temporaires,
détaillée par service au sein des établissements, est nécessaire pour guider
les évolutions territoriales de l’offre de soins.
1 -
Compléter des données fragmentées et lacunaires
La dispersion des données relatives à la gestion des praticiens
hospitaliers ne permet pas à la direction générale de l’offre de soins ni aux
agences régionales de santé de connaître l’état de l’effectif médical en
338
Cour des comptes,
Les Groupements hospitaliers de territoire
, communication à la
commission des affaires sociales du Sénat, octobre 2020.
339
La commission médicale d’établissement de groupement é
labore la stratégie
médicale et le projet médical partagé
et participe à leur mise en œuvre.
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276
temps réel, ni de disposer des informations nécessaires pour piloter la
gestion des ressources humaines à l’échelle nationale et locale.
Malgré une définition statutaire de chaque catégorie de médecins, la
saisie des informations administratives et de paie est loin d’être
sta
ndardisée s’agissant de la dénomination des grades, des emplois ou des
éléments constitutifs de la paie. Les informations relatives à la durée du
travail ne sont pas systématiquement saisies. En l’absence d’outils de
pilotage, la DGOS et les ARS procèdent par enquêtes, dont les réponses
non exhaustives limitent la robustesse des données.
L’extraction des données des déclarations sociales nominatives,
dont le déploiement est récent, devrait permettre de produire des données
statistiques sur les emplois, qui éclaireront les décisions. Compte tenu
d’une insuffisante normalisation dans les modalités de gestion et de saisie,
elle nécessite toutefois des travaux préalables pour fiabiliser les analyses.
La connaissance du taux d’emplois temporaires constitue en eff
et une
condition nécessaire à la mise en œuvre d’un plan d’action. L’organisation
d’un recueil périodique extra
-comptable du taux de recours aux emplois
temporaires par chaque établissement devrait donc être rendue obligatoire.
En complément, il serait souhaitable que la nomenclature comptable
puisse à nouveau distinguer les dépenses des contrats pour les motifs
correspondant à des besoins de renfort des effectifs. En effet, depuis la
réforme du statut de praticien contractuel intervenue en février 2022, ces
contrats (motif 1 et 2) sont regroupés dans un seul compte d’imputation.
Le contrôle qui incombe au comptable (
cf. supra
) dépend donc de la bonne
transmission par l’ordonnateur de l’exhaustivité des contrats concernés.
2 -
Améliorer la connaissance des établissements vulnérables
Le nombre de demandes de report de visites de certification,
motivées par un contexte trop tendu en personnel ou de fermeture
d’unités
340
, confirme l’urgence qu’il y a à engager des analyses du recours
aux emplois temporaires comme symptôme de difficultés plus générales,
afin de pouvoir y apporter des solutions adéquates.
Or, les rapports de certification
n’ont pas pour objectif, en l’état, de
mesurer les conséquences du recours aux emplois temporaires sur la
sécurité des soins. Les constats des experts-visiteurs se limitent en général
à relier un niveau de qualité insuffisant, par exemple dans la traçabilité des
340
242 demandes de report ont été reçues en 2021 pour 413 visites programmées en
2021 et 2022 ; 172 en 2022 pour 796 visites programmées en 2022 et 2023.
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277
informations dans le dossier du patient, au recours aux emplois
temporaires, sans aller plus loin. Les taux d’emplois temporaires et de
renouvellement des effectifs par services devraient être des indicateurs
d’alerte pour la Hau
te Autorité de santé, la conduisant à analyser les fiches
de signalement d’événements indésirables et les plannings de soins pour
s’assurer si les risques sont réellement maîtrisés.
Plus généralement, le taux de recours aux emplois temporaires
pourrait compléter les indicateurs de vigilance prévus par le nouveau
régime d’autorisation des activités des soins
341
. Si ces indicateurs font
apparaître un niveau d’alerte à analyser, le maintien ou le renouvellement
de l’autorisation pourrait être subordonné à la par
ticipation du demandeur
à une concertation avec l’ARS, portant sur la mise en place éventuelle de
mesures correctrices.
341
Décret n° 2021-
974 du 22 juillet 2021 relatif au régime des autorisations d’activités
des soins et des équipements lourds.
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278
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
L’article 33 de la loi du 26 avril 2021 a traduit la volonté du
législateur de limiter les dérives constatées dans les hôpitaux publics en
matière de rémunération des emplois temporaires et de tirer les
enseignements de l’échec d’une première tentative de régulation en 2017.
La meilleure maîtrise du respect de plafonds réglementaires revalorisés
repose sur un contrôle renforcé, confié au comptable public, ainsi que sur
un dispositif visant à développer la solidarité entre établissements.
Cette régulation par les tarifs a créé cependant des effets d’aubaine
aux conséquences préoccupantes sans éviter les fermetures ponctuelles ou
récurrentes de services. Des évolutions sont nécessaires à court terme. La
Cour formule ainsi les quatre recommandations de gestion et la
recommandation de politique publique suivantes :
22.
définir de manière plus restrictive les règles de recours à certains
contrats temporaires (contrat de motif 2) (ministère du travail, de la
santé et des solidarités) ;
23.
définir une méthodologie visant à étudier l’effet sur la sécurité des
soins du recours aux emplois temporaires, et adapter en cohérence le
référentiel de certification des hôpitaux (ministère du travail, de la
santé et des solidarités, Haute Autorité de santé) ;
24.
faire dépendre la revalorisation des indemnités de sujétion des gardes
et astreintes de la mutualisation des ressources médicales au sein du
territoire (ministère du travail, de la santé et des solidarités) ;
25.
réintroduire les subdivisions comptables permettant de distinguer les
différentes catégories de contrats. ; dès à présent, rendre obligatoire
un recueil périodique du
recours aux emplois temporaires par
catégorie pour chaque établissement (ministère de l’économie, des
finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; ministère du
travail, de la santé et des solidarités) ;
26.
contingenter les contrats d’emplois temporaires
et les primes de
solidarité territoriale par groupement hospitalier de territoires et
confier à ces derniers le soin de les répartir entre les établissements
qui en font partie (ministère du travail, de la santé et des solidarités).
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