Premier réseau régional ferroviaire après celui de l’Ile de France, les trains express régionaux (TER) Auvergne-Rhône-Alpes transportent près de 220 000 voyageurs tous les jours, pour un coût de 820 M€ en 2022, dont 67 % sont pris en charge par le contribuable régional et 33 % par les usagers.
La politique ferroviaire est de la compétence de la Région Auvergne-Rhône-Alpes dont la mise en œuvre est réalisée par la SNCF, exploitant unique. Au sein de cette compétence ferroviaire, la politique du matériel roulant ferroviaire constitue un axe essentiel pour permettre une bonne réalisation du plan de transport et assurer une bonne qualité de service aux usagers.
La Région Auvergne-Rhône-Alpes a saisi la chambre régionale des comptes (CRC) pour mener une évaluation de sa politique ferroviaire, axée sur le matériel roulant ferroviaire. L’évaluation exclut de son champ les transports TER par cars et le Léman Express qui fait l’objet d’une convention particulière.
Les questions posées étaient les suivantes :
- Dans quelle mesure le matériel roulant est-il adapté pour atteindre le niveau de qualité de service arrêté par convention entre la Région et la SNCF ?
- Dans quelle mesure la politique d'entretien et de maintenance du parc de matériel est-elle adaptée pour atteindre le niveau de qualité de service arrêté par convention entre la Région et la SNCF ?
- Comment rendre la politique en matière de matériel roulant de la Région plus efficiente ?
Afin de pouvoir déterminer si le niveau de qualité de service attendu était atteint, la chambre a procédé à sa propre étude de satisfaction des usagers.
Un matériel ferroviaire qui ne contribue pas à la qualité de service attendue
La qualité de service des TER dans la Région Auvergne-Rhône-Alpes est mesurée par la SNCF avec des indicateurs d’exploitation du réseau, conformément à la convention signée entre la Région et la SNCF.
Sur le plan de l’exploitation, les résultats régionaux affichés sont proches de la moyenne nationale avec 2,6 % de trains annulés (contre 2,2 % au niveau national) et 8,9 % de trains en retard (contre 8,4 % au niveau national). L’analyse des causes des retards et annulations montre que la part du matériel est très significative notamment pour les annulations (environ un quart entre 2017 et 2022).
La SNCF mesure également le niveau de satisfaction des usagers. Le taux de satisfaction global avoisine les 90 % entre 2017 et 2022. Sur les items relevant du matériel roulant, seule la propreté des sanitaires présente une réserve des usagers avec seulement 62 % de satisfaction.
Face à de tels résultats plutôt favorables, souvent en décalage avec l’expression des associations d’usagers, la chambre régionale des comptes a réalisé ses propres mesures pour objectiver la qualité de service.
Les mesures de la SNCF sur le degré de réalisation de l’exploitation des TER sont réalisées par train, sans tenir compte du nombre de passagers à bord. Cette mesure de la performance industrielle ne tient pas compte du volume d’usagers transportés, en retard ou dont le train a été annulé.
Ainsi, si le taux de retard par train est à 8 %, il s’élève à 14 % en moyenne vu de l’usager, ce constat mettant en évidence que les retards sont plus nombreux pour les trains fortement fréquentés en heures de pointe que pour les trains des heures creuses ou du week-end. En prenant en compte les annulations de trains, le nombre de trains en retard ou annulés vu de l’usager est de l’ordre de 20 % : pour un usager effectuant cinq allers retours par semaine, deux trajets en moyenne seront affectés.
La chambre a aussi audité les enquêtes de satisfaction menées par la SNCF auprès des usagers et a administré la sienne auprès des abonnés du TER, utilisateurs en moyenne plus intensifs que les usagers interrogés par la SNCF. L’analyse de l’enquête de la SNCF fait ressortir des biais méthodologiques qui favorisent des scores de satisfaction élevés. En adoptant la méthode de calcul de la SNCF, la chambre estime la satisfaction générale des usagers satisfaits et très satisfaits à 53 %, contre 87 % en moyenne pour les enquêtes SNCF (2017 2022). De même, l’indicateur qui mesure le nombre d’usagers disposés à recommander le service (le NPS), est mesuré à - 44 par la chambre, contre - 10 par la SNCF. Tous les items relatifs au matériel roulant ont un taux de satisfaction inférieur à 50 %, sauf le sentiment de sécurité à bord (75 %). Un des enseignements de l’enquête montre que le niveau de l’emport des trains et donc du confort de voyage est extrêmement important pour les usagers.
La chambre a constaté une qualité de service relativement dégradée, dont une des causes est l’insuffisance de rames et l’inadaptation des matériels actuels aux besoins des usagers. Ce constat devait être fait avant de pouvoir répondre aux trois questions évaluatives.
Un parc de matériels roulants sous dimensionné
La première question de l’évaluation portait sur l’adaptation du matériel roulant pour l’atteinte du niveau de la qualité de service prévu dans la convention entre SNCF Voyageurs et la Région.
La Région dispose d’un schéma directeur du matériel et de la maintenance depuis 2020, mais il ne se traduit pas par une programmation à long terme des investissements à réaliser. Notamment, il n’anticipe pas les acquisitions de matériel roulant sur une période longue.
De ce fait, les radiations récentes de matériels anciens, et les retards sur la mise en service de matériels commandés trop tardivement, pèsent aujourd’hui sur la consistance du parc. L’écart entre les besoins et les matériels disponibles s’élève à une trentaine de rames. La hausse significative de la fréquentation depuis 2022, et les projections d’évolution, laissent à penser que cette situation perturbée va se prolonger jusqu’en 2027.
Cette tension risque d’être encore accrue par la nécessité de remplacer les trains CORAIL et l’obligation de procéder à des opérations de maintenance patrimoniale lourdes (OPMV) sur une part significative du matériel (plus du quart du parc), qui va peser sur sa disponibilité.
Pour faire face à ce sous-dimensionnement du parc de matériel roulant et assurer au mieux le plan de transport, la SNCF a fixé la réserve de trains nécessaire pour faire face aux aléas de la circulation (avaries sur les trains) à un niveau insuffisant et a réduit l’emport de nombreuses liaisons pourtant très fréquentées. Ces choix n’ont pu qu’accroître le taux d’annulations des trains et l’inconfort des trajets pour les usagers.
Avec un taux de remplissage moyen passé de 89 à 104 voyageurs par train entre 2017 et 2022 (+ 16,8 %) et un emport qui n’a progressé que de 2,8 % sur la même période, la tension s’accroît sur le parc de matériels roulants et sur la qualité de service ressentie par les usagers. Laquelle risque de se dégrader dans les prochaines années, à mesure que les besoins en matériels seront plus importants.
Les besoins en investissement pour les seuls matériels roulants peuvent être aujourd’hui chiffrés à environ 3,8 Md€, estimation qui ne prend pas en compte de nombreux investissements qui seront rendus nécessaires avec l’ouverture à la concurrence et la mise en place des Services Express Régionaux Métropolitains (SERM).
Des gains de productivité à développer pour la maintenance
La deuxième question de l’évaluation portait sur la politique d'entretien et de maintenance du parc de matériel pour atteindre le niveau de qualité de service arrêté par convention entre la Région et la SNCF.
En matière de maintenance, les résultats de la SNCF dans la région Auvergne-Rhône-Alpes sont satisfaisants relativement aux autres régions françaises, le taux d’immobilisation des rames pour réaliser la maintenance s’élevant à moins de 17 %, soit à un meilleur niveau que la moyenne nationale. Une grande partie de ce résultat s’explique par un savoir-faire industriel reconnu et par le développement récent de la gestion de la maintenance assistée par ordinateur.
Pour autant, la maintenance souffre de faiblesses qui se traduisent par des coûts élevés et une efficacité perfectible.
Ainsi, l’implantation des différents ateliers, trop concentrés sur le nœud ferroviaire lyonnais peu accessible, se révèle inadaptée aux actuelles conditions d’exploitation des TER. De plus, la faible polyvalence des ateliers constitue un frein pour maintenir un parc caractérisé par une quinzaine de séries différentes.
Les équipements techniques apparaissent vieillissants et sous-dimensionnés. C’est notamment le cas des tours en fosse, dont la Région ne dispose à ce jour que d’un seul exemplaire, ne permettant pas de faire face aux besoins de maintenance.
Les temps de travail de nuit et le week-end sont trop peu mobilisés (35 % des opérations de maintenance) alors que ce sont les périodes où les TER ne circulent pas. Actuellement, trop de rames sont immobilisées en journée dans le technicentre alors que les usagers souffrent de manque de places dans les trains ou constatent de trop nombreuses annulations.
Enfin, en ce qui concerne la maintenance patrimoniale lourde, la Région ne dispose que de faibles marges de manœuvre. N’étant pas propriétaire de son matériel, et devant faire face à un lourd programme d’opérations à mi-vie, la collectivité se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis de son exploitant, qui définit les besoins de maintenance, arrête le calendrier et réalise les opérations qui en découlent.
Si les conditions de maintenance ne sont pas optimales, la maîtrise des coûts est loin d’être atteinte. Le coût constaté entre 2017 et 2022 a nettement augmenté, la part de la maintenance dans les charges d’exploitation étant passée de plus de 14 % en 2017 à 16 % en 2022. Le temps de travail productif (1 410 heures annuelles), inférieur au temps travail théorique (1 528 heures) peut constituer une explication. Mais la faible transparence des coûts du technicentre ne permet pas à la Région de suivre précisément l’évolution des charges de maintenance et leurs causes.
Pour améliorer la maintenance des TER, la Région devra envisager d’importants investissements que la chambre estime au moins à 400 M€ sur les dix ans à venir. L’ouverture de l’exploitation des TER à la concurrence sera l’occasion d’engager une refonte du système de maintenance courante et de programmer les investissements nécessaires (nouveaux ateliers, modernisation de l’existant).
Des gisements d’efficience à considérer
La dernière question de l’évaluation portait sur les pistes possibles pour rendre plus efficiente la politique en matière de matériel roulant ferroviaire de la Région.
La chambre a constaté qu’entre 2015 et 2020, la mise en œuvre de cette politique était moins efficiente en Auvergne-Rhône-Alpes que sur le territoire national. Avec un coût assez élevé au train-kilomètre et une offre de transport stable, la Région Auvergne-Rhône-Alpes se situe au 7ème rang des 11 Régions françaises.
La maîtrise du service passe d’abord par une montée en connaissance et en compétence de la Région dans le domaine des matériels ferroviaires roulants et de leur maintenance. Plusieurs gisements d’efficience ont été identifiés par la chambre lors de ses échanges avec d’autres Régions et acteurs du ferroviaire. Cependant, les moyens actuels de la direction des mobilités ferroviaires et aériennes de la Région est jugée insuffisante pour assurer un pilotage efficace de sa politique ferroviaire.
Les réponses aux deux premières questions évaluatives ont déjà permis de dégager des gisements d’efficience en matière de matériel roulant et de maintenance. D’autres gisements d’efficience existent et peuvent également être mobilisés, notamment dans la période d’ouverture à la concurrence.
L’obligation d’ouvrir à la concurrence l’exploitation des TER est à cet égard une opportunité dont la Région commence à se saisir. Le transfert de propriété des matériels et des données de service a été demandé par la Région en juin 2023, le projet d’allotissement des prochains services ouverts à la concurrence inclut une partie importante concernant la relation à l’usager qui sera désormais mieux maitrisée par la Région.
Cet engagement dans un processus que la chambre estime vertueux, s’il est contrôlé correctement, imposera à la Région de faire des choix très rapidement sur le mode de dévolution et de gestion de son parc, sur la stratégie de remplacement du parc CORAIL et sur la mise à niveau de son technicentre aujourd’hui en tension, et qui n’apparaît pas à même de sécuriser les cinq lots qui seront ouverts à la concurrence entre 2025 et 2034. À cet égard, la feuille de route « mobilité positive 2035 » adoptée par la Région en décembre 2023 affiche un objectif politique ambitieux qu’il conviendra de décliner dans un schéma opérationnel qui s’imposera alors au(x) futur(s) opérateur(s).
La mise en concurrence peut également être l’occasion d’introduire des modes d’exploitation plus efficients. Les simulations d’un cadencement généralisé sur quelques lignes d’Auvergne montrent que l’on peut obtenir une offre de service multipliée par 2,5 pour une hausse des coûts de 16 %. Pour autant, quelques prérequis sont nécessaires, tels que la standardisation des allocations de matériels, la priorisation des opérations de maintenance en travail de nuit et la mise à niveau des installations de maintenance.
LISTE DES RECOMMANDATIONS
- Recommandation n° 1. (Région) : augmenter le nombre d’indicateurs relatifs au matériel roulant dans la certification.
- Recommandation n° 2. (Région) : consolider et utiliser un indicateur au passager pour le pilotage du service.
- Recommandation n° 3. (Région) : réaliser un schéma directeur prospectif du matériel et de la maintenance, anticipant les besoins futurs.
- Recommandation n° 4. (Région) construire une prospective financière détaillée à 15 ans, déclinant le schéma directeur prospectif du matériel et de la maintenance.
- Recommandation n° 5. (Région) : arrêter une stratégie de décarbonation du parc de matériel roulant, en cohérence avec les objectifs du SRADDET.
- Recommandation n° 6. (Région) : construire avec SNCF Voyageurs des indicateurs de suivi du technicentre à même de contrôler son activité.
- Recommandation n° 7. (Région) : renforcer les moyens de la direction des mobilités ferroviaires et aériennes pour permettre à la Région de trouver son autonomie de suivi et de gestion.
- Recommandation n° 8. (Région) : statuer rapidement sur les modalités de portage et de gestion du parc prochainement transféré.