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Le ministère des armées face aux défis
du changement climatique
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Le ministère des armées occupe une situation particulière au sein de
l’État s’agissant de sa capacité à contribuer à la lutte contre le réchauffement
climatique ou à s’y adapter. En effet, l’exercice de l’activité opérationnelle,
qui est au cœur de la mission des armées, est indissociable de l’usage d’un
parc considérable de véhicules terrestres, aériens ou navals, le plus souvent
fortement motorisés (engins blindés et autres véhicules terrestres, avions de
combat et de transport, navires de surface et sous-marins) et qui représentent
la part la plus importante des matériels du ministère des armées
398
. Par
ailleurs, en raison de l’importance de son effectif (près de 266
000 agents
militaires et civils) et des contraintes sur les personnels qui sont inhérentes
au fonctionnement des armées, le ministère des armées dispose d’un parc
immobilier d’une surface de plus de 25 millions de mètres carrés,
représentant le quart de la surface utile brute occupée par l’État.
Pour les armées, optimiser autant que possible la consommation
d’énergie des véhicules et plateformes militaires –
donc accroître leur
autonomie
–
est un enjeu essentiel de leur performance opérationnelle. En
retour, le primat de ces exigences opérationnelles conduit les forces
a
rmées à bénéficier de dérogations, tant à l’échelon national qu’européen
et international, quant à leur participation à la politique générale de lutte
contre le réchauffement climatique. Dès lors, les démarches engagées par
le ministère des armées pour apporter sa contribution à la réduction des
émissions de gaz à effet de serre sont restées limitées (I).
En outre, ce n’est
que récemment que le ministère a commencé à identifier les adaptations
nécessitées par les effets prévisibles du changement climatique sur la
capacité des forces armées à réaliser leurs missions
399
(II).
398
La valeur comptable brute des équipements de mobilité (véhicules terrestres tels que
les chars, avions de chasse et de transport, navires de surface et sous-marins) représente
plus de 75 % de la valeur totale des matériels du ministère des armées.
399
L’évolution des conflictualités résultant du changement climatique et les adaptations
nécessaires pour y faire face, problématique identifiée dans le rapport annexé à la loi relative
à la programmation militaire pour les années 2024-2030, ne sont pas traitées par le présent
chapitre. Les implications concrètes de ces questions sur l’appareil de défense demeurent
encore trop imprécises pour que la Cour les ait prises en compte dans son enquête.
COUR DES COMPTES
444
I -
Le ministère des armées face au changement
climatique : une démarche contrainte
par les impératifs opérationnels
Les forces armées sont fortement consommatrices d’énergie et, en
raison de
s enjeux auxquels elles répondent, bénéficient d’un régime
dérogatoire en matière d’obligation de réduction des émissions de gaz à effet
de serre (A). S’agissant de leurs activités opérationnelles, qui représentent
une part prépondérante de leur consommati
on d’énergie et dont les
performances sont à ce jour très liées à l’utilisation des énergies fossiles, la
trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peut viser
que des objectifs limités (B). Concernant les infrastructures relevant du
régime de droit commun, les objectifs pluriannuels de réduction ont été
jusqu’à présent atteints, plus toutefois par l’effet d’une diminution du format
des forces que par celui d’une réduction nominale des consommations (C).
A -
Une consommation d’énergie él
evée
Résultant des engagements des armées en opérations comme des
activités d’entraînement qui les précèdent,
la consommation annuelle
moyenne d’énergie par personnel actif du ministère des
armées
(45 800 kWh) représente près du double de celle du personnel tous secteurs
d’activité confondus de la France (28 300 kWh).
Elle compte pour 1,45 %
dans la consommation nationale finale hors ménages et représente une
dépense annuelle de l’ordre du milliard d’euros, soit près de 3
% du budget
de la mission
Défense
.
Cette
consommation d’énergie
est, pour les trois quarts, imputable
aux activités opérationnelles des forces armées et de leurs soutiens
, c’est
-
à-dire essentiellement
à l’usage des plateformes mobiles
: aéronefs (avions
et hélicoptères), navires de surface et sous-marins et véhicules terrestres
(chars, blindés, camions et autres véhicules).
Le quart restant correspond essentiellement à la consommation au
titre de
l’
activité dite
non opérationnelle, c’est
-à-dire le chauffage des
bâtiments et les usages liés au fonctionnement courant (bureautique,
data
centers
, simulateurs, navires à quai, etc.
), sans qu’il soit possible de
déterminer la part respective de chacun de ces usages.
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
445
L’insuffisance de
s outils de mesure pour bâtir une politique appropriée
Le ministère des armées a publié début 2013 son « bilan carbone »,
conformément à l’article 75 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement
national pour l’environnement. Ce bilan n’a pas été actualisé depuis, alors
que la loi prévoyait sa mise à jour au moins tous les trois ans.
Des informations relatives aux consommations
d’énergie
existent
néanmoins, mais elles ne sont toujours que partielles.
Ainsi le service d’infrastructure de la défense (SID) produit
annuellement un indicateur de l’évolution de l’
empreinte carbone, mais
celui-ci ne porte que sur le patrimoine immobilier occupé par le ministère,
sans que la continuité des informations soit assurée puisque de nouveaux
points de comptage ont été pris en compte en 2021. Par ailleurs, le ministère
n’est
pas en mesure de valoriser ce que peut être sa contribution en matière
de séquestration de carbone liée à ses emprises maritimes ou forestières.
En ce qui concerne les mobilités opérationnelles, le bilan de leurs
consommations énergétiques n’est pas réali
sé par les trois armées avec un niveau
de détail suffisant.
L’analyse de ces
bilans, s’ils étaient établis avec
davantage de
précision
, permettrait pourtant d’identifier les optimisations possibles.
En raison de la nécessité de ne pas dégrader les capacités
opérationnelles des forces armées, les textes européens relatifs à la
trajectoire de décarbonation prévoient que, pour celles-ci, les États
membres peuvent déroger à certaines de leurs dispositions. Ainsi, la
directive 2009/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril
2009,
qui instaure des contraintes en matière de consommation d’énergie
et d’émission de CO
2
pour le renouvellement du parc de véhicules routiers
des administrations des États membres, exonère de ses prescriptions les
véhicules conçus et construits ou adaptés pour être utilisés uniquement par
les forces armées. De la même façon, ne s’appliquent pas aux forces armées
certaines dispositions de la directive 2012/27/CE du Parlement européen et
du Conseil du 25 octobre 2012 qui a pour obj
et l’amélioration de
l’efficacité énergétique. Il s’agit notamment
de celles qui sont relatives aux
règles de rénovation énergétique des bâtiments, dès lors que ceux-ci
servent à des fins de défense nationale, ou des dispositions qui concernent
les achats, lorsque ceux-ci portent sur des produits, services ou bâtiments
pour lesquels l’application des dispositions
de la directive entre en conflit
avec
les exigences inhérentes à l’
activité de forces armées.
Au niveau national, la loi portant évolution du logement, de
l'aménagement et du numérique du 23 novembre 2018, dite « loi Elan », et
le décret du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de
la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire, dit
COUR DES COMPTES
446
« décret tertiaire »
, mettent en œuvre, pour les bâtiments,
dont ceux de
l’
État, les obligations européennes en matière de réduction des émissions
de gaz à effet de serre (- 40 % en 2030 par rapport à 2010, - 50 % en 2040
et - 60 % en 2050). Néanmoins les forces armées bénéficient de
dérogations pour les bâtiments ou parties de bâtiments
où s’exerce
une
activité opérationnelle à des fins de défense.
En revanche, les armées ne bénéficient pas de dérogation pour ce qui
concerne les aéronefs et les navires. Mais les mesures destinées à réduire les
émissions de gaz à effet de serre pour ces deux types de matériel sont
aujourd’hui peu exigeantes, puisqu’il s’agit essentiellement de mesures
incitatives. Tel est par exemple le cas de la taxe incitat
ive relative à l’utilisation
d’énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT), qui s’applique, pour le
secteur aérien, lorsque le taux d’incorporation de biocarburant est inférieur au
taux fixé : 1 % en 2022, taux qui serait porté à 2 % en 2025 et 5 % en 2030.
B -
Pour les activités opérationnelles, une politique
de réduction formulée récemment, aux objectifs limités
L’impératif opérationnel de sobriété énergétique
a longtemps été
considéré par les armées comme le moteur d’
une démarche vertueuse qui
ne les a pas incitées à pousser plus avant leur effort de maîtrise des
consommations (1). Mais la politique énergétique définie en 2022, aux
objectifs certes limités, constitue une évolution (2). La situation de la
France diffère en réalité peu de celle des autres pays développés (3).
1 -
Une consommation d’énergie jusqu’à présent stable
La sobriété, préoccupation constante des forces armées, est
consubstantielle à leurs activités. Outre le fait que le besoin en carburant
est un facteur limitant du rayon d’action des
aéronefs, des navires et des
véhicules, la maîtrise de sa consommation permet aussi de diminuer les
risques de vulnérabilité inhérents à son transport, en particulier pour
l’armée de terre
.
L’existence de cette contrainte de sobriété n’a toutefois
pas incité les forces armées à approfondir leur démarche en y intégrant la
prise en compte des préoccupations liées au réchauffement climatique.
La consommation de carburant fossile nécessaire aux mobilités
opérationnelles n’a ainsi globalement pas varié depuis 2010, l’armée de l’air et
de l’espace représentant de l’ordre des deux tiers de la consommation. En
prenant en compte les aéronefs embarqués sur les navires de surface et
l’aviation légère de l’armée de terre, la consommation des aéronefs représente
les trois quarts de la consommation de carburant fossile des armées.
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
447
Graphique n° 37 :
consommation
d’énergie
des armées sur la période
2010-2022 (GWh)
Source
: Cour des comptes d’après les données
du ministère des armées
Note
: consommations facturées par le service de l’énergie
opérationnelle (SEO).
2 -
Les ambitions limitées de la politique énergétique définie en 2022
Ce n’est qu’en 2022
, dans le cadre de la stratégie énergétique de
défense adoptée en 2020 (cf.
infra
), que les armées ont formalisé leur
politique de l’énergie opérationnelle, avec
trois volets : la sobriété
(
« consommer moins »
), le développement durable (
« consommer mieux »
)
et la résilience (
« consommer sûr »
).
Pour autant, à la différence de maintes activités civiles et à l’exception
des navires à propulsion nucléaire, la mobilité des engins opérationnels repose
sur l’usage de moteurs thermiques utilisant des carburants fossiles, sans qu’il
soit possible d’escompter, à moyen terme, quelque évolution significative de
ce mode de motorisation. Certes, le ministère prévoit bien que des techniques
ou énergies alternatives pourront être mises en œuvre
: moteurs hybridés pour
certains matériels terrestres, batteries (fantassins, équipements, camps, etc.),
hydrogène pour des applications spécifiques (certains drones, stockage
temporaire d’électricité, génération autonome d’électricité, etc.), énergies
intermittentes pour la production d’énergie des camps. Mais au regard des
besoins globaux en énergie des forces armées, l’impact de ces solutions
alternatives sur leur consommation restera marginal.
COUR DES COMPTES
448
Compte tenu de la répartition des consommations entre les armées,
l’emploi d’un carburant unique, dit carburéacteur, qui alimente la plupart
des aéronefs, mais aussi, moyennant un additif, la plupart des véhicules
militaires terrestres, devrait rester, à moyen terme, prépondérant dans
l’approvisionnement en énergie des engins de mobilité opérationnelle.
Néanmoins, contrepartie de cet usage prédominant du carburant
unique, celui-ci ne peut pas être utilisé, sans adaptation spécifique, par les
moteurs de conception récente
dès lors qu’ils sont
dotés de systèmes de
dépollution conformes aux normes européennes les plus récentes. En
revanche, les véhicules diesels, dont les moteurs répondent aux normes
plus anciennes peuvent, sauf exception, fonctionner avec le carburéacteur.
La principale exception est constituée par les chars Leclerc, qui doivent
encore être adaptés pour pouvoir fonctionner avec du carburéacteur.
Mais, plus de 95 % de la consommation de carburéacteur étant
imputable aux vols des aéronefs militaires, il paraît difficile de prévoir, au
moins à moyen terme, une évolution significative de leur motorisation, sauf,
en mettant en œuvre d’autres motorisations (électriques, à hydrogène), à
dégrader substantiellement leurs performances opérationnelles. Tout au moins
peut-
on constater que déjà l’objectif du ministère des armées d’incorporer dans
le carburéacteur 1 %
400
de biocarburant en 2022, dans le cadre de sa politique
d’atténuation du changement climatiq
ue (cf.
infra
), a été atteint. Cette action
devrait s’amplifier puisqu’il est prévu de porter le taux d’incorporation du
biocarburant à 5
% à échéance de 2030, comme dans l’aéronautique civile.
Aussi, au-delà des efforts qui pourront être faits pour réduire les
consommations, ne serait-ce que sous la pression des hausses probables du
coût de l’énergie, il paraît difficile d’escompter que la contribution de l’activité
opérationnelle des armées à la réduction des émissions de gaz à effets de serre
puisse suivre un rythme comparable à celui auquel sont en principe soumises
les activités civiles. La crédibilité de l’outil de défense repose sur des
performances opérationnelles qui requièrent de la puissance, donc de l’énergie.
3 -
Une situation semblable dans les autres pays développées
En matière de politique énergétique pour les forces armées, la France ne
diffère pas des autres pays développés, ainsi qu’en témoigne une étude réalisée
en 2021 par l’observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques.
Portant sur l’Allemagne, l’Australie, le Canada, les États
-Unis, les Pays-Bas et
le Royaume-Uni, cette étude fait ressortir que les politiques de ces pays sont
assez concordantes : si la préoccupation en matière climatique est partagée, les
actions visant
à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre sont limitées.
400
Dans les faits
, l’objectif est de
0,5 %, car lorsque le biocarburant incorporé est
produit dans des conditions de développement durable, il compte double.
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
449
Ainsi cette étude montre que :
-
les activités opérationnelles sont toujours exclues des obligations
d’atténuation, la préservation des capacités d’action des armées étant
prioritaire. Il est fait état, pour quelques pays, d’une recherche de
sobriété, mais toujours avec l’objectif d’une amél
ioration de la
résilience et de l’autonomie des forces armées
;
-
la question de l’énergie nucléaire, utilisée
aussi pour la propulsion
navale par les États-Unis et le Royaume-
Uni, n’est jamais abordée,
alors qu’il s’agit d’un moyen de décarbonation puissant
des forces
armées
dès lors qu’elles
dispose
nt d’une marine importante
;
-
le principal inducteur de la consommation des armées est leur format,
c’est
-à-dire que les plus grandes variations de consommation résultent
du format des armées et non des actions de sobriété ;
-
les infrastructures et les mobilités non opérationnelles sont régies par les
règles civiles en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Néanmoins, trois pays présentent des particularités. Les États-Unis
développent une véritable politique énergétique, mais dans le seul but de
diminuer «
l’empreinte logistique
» de leurs forces armées, c’est
-à-dire réduire
leur vulnérabilité en augmentant leur autonomie, notamment énergétique.
L’Allemagne présente la particularité que la
Bundeswehr
a pris en considération
les questions environnementales de longue date, avec la formation de 1 000
personnes aux questions climatiques et environnementales. Enfin, les Pays-Bas
sont les seuls à afficher un objectif à moyen terme de réduction de
consommation de carburants fossiles pour leurs mobilités opérationnelles.
C -
La réduction du format des armées,
raison essentielle de la réduction de la consommation
énergétique des infrastructures
Sous réserve des dérogations prévues pour les forces armées, le
ministère des armées est tenu de se conformer aux obligations de réduction de
consommation d’énergie prévues la loi Elan, qui s’appliquent aux bâtiments à
usage tertiaire, dès lors qu’ils représentent une surface de plancher supérieure
à 1
000 m². À l’instar
de tous les opérateurs publics et privés concernés, il doit
en outre rendre compte de la mise en œuvre de ses obligations sur la plateforme
numérique OPERAT développée par l’Ademe. Toutefois, pour des raisons
touchant à la protection de données relatives à la défense, il a été dispensé de
procéder à une restitution détaillée de ses engagements pour les 17 millions
de m² de bâtiments soumis aux obligations de réduction des consommations
(sur 27 millions de m² au total), mais doit seulement produire une restitution
globale. Il reste que celle-
ci n’avait toujours pas été réalisée en juin 2023,
malgré le délai supplémentaire accordé au ministère.
COUR DES COMPTES
450
Le ministère des a
rmées suit les consommations d’énergie de ses
infrastructures, mais avec un niveau de détail différent de celui qui est en
principe demandé, et sur un périmètre ne permettant pas de vérifier la mise
en œuvre effective des obligations
qui lui incombent.
Antérieurement à sa stratégie énergétique de défense (SED), validée
en octobre 2020 et portant sur un champ plus large, le ministère des armées
avait élaboré une stratégie ministérielle de la performance énergétique
(SMPE) pour les années 2020 à 202
3, dont le champ d’application était
circonscrit aux infrastructures et aux mobilités non opérationnelles. Les
cibles
qui ont alors été définies en termes de réduction, d’ici 2030, des
consommations d’énergie finale
(- 21 % par rapport à 2012)
et d’énergie
fossile (- 38 %), sont proches des engagements nationaux (respectivement
–
20 % et
–
40
%). L’objectif port
ant sur la réduction des émissions de gaz
à effet de serre (- 55 % par rapport à 2009) est plus ambitieux que les
engagements nationaux (- 40 %).
Le bilan de ces consommations (cf. tableau n° 1) montre que le
ministère des armées a réduit la consommation d
’énergie de ses
infrastructures de 20 % entre 2010 et 2021. Pour une part, cette réduction
résulte sans conteste de l’amélioration de l’efficacité énergétique des
bâtiments. Elle a aussi été obtenue par la diminution des surfaces utilisées
qu’a entraînée l
a réduction du format des armées. Le ministère des armées
n’est cependant pas en mesure d’évaluer l’impact de ce second facteur, les
méthodes de comptabilisation des surfaces ayant été modifiées depuis 2010.
Graphique n° 38 :
é
volution de la consommation d’énergie (GWh)
des infrastructures du ministère entre 2010 et 2021
Source
: Cour des comptes d’après les données ministère des armées
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
451
L’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments
provient
essentiellement du remplacement ou de la moindre utilisation des
chaudières fonctionnant au fioul ou au charbon, et de
la mise en œuvre de
neuf contrats de performance énergétique (CPE), portant sur près de 5 %
de la consommation d’énergie du ministère (hors activités opérationnelles).
De plus, le regroupement sur le site de Balard des centres de décision du
ministère,
jusqu’alors disséminés sur une douzaine d’emprises
, a aussi
contribué
à améliorer l’efficacité énergétique globale des bâtiments.
En revanche, plusieurs facteurs sont venus grever la capacité du
ministère des armées à améliorer son efficacité énergétique. Au niveau
central, la dispersion des responsabilités se traduit par l’intervention de
nombreux services insuffisamment coordonnés. À l’échelon local,
l’insuffisance de personnel capable d’apporter son expe
rtise en matière de
pilotage de l’énergie constitue aussi un facteur limitant. Enfin, l’insuffisante
connaissance des consommations détaillées prive le ministère de capacité de
pilotage et de meilleure maîtrise des consommations.
Pour la prochaine stratégie ministérielle de performance énergétique
(2024-2030
), le ministère des armées a prévu d’améliorer
le suivi des
actions
pour s’assurer du respect de
la trajectoire de diminution des
consommations d’énergie fossile
et de réduction des émissions de gaz à
effet de serre. Il
est nécessaire qu’il s’assure que ce suivi soit effectif
.
II -
L’identification à peine entamée
des adaptations au changement climatique
La stratégie « Climat & Défense » a défini la démarche pour
identifier les adaptations au changement climat
ique à mettre en œuvre (A),
mais pour quelques sujets, cette identification a été réalisée dans d’autres
cadres (B). Par ailleurs, les dérogations dont bénéficient les forces armées
vont conduire à des divergences avec le domaine civil, qui nécessiteront
d
es adaptations de leur part d’une nature particulière (C).
A -
Une démarche structurée par la stratégie Climat & Défense
La stratégie Climat & Défense définit une démarche pour identifier
les adaptations au changement climatique à prévoir (1), notamment pour
les équipements (2) et les infrastructures (3).
COUR DES COMPTES
452
1 -
Une démarche définie par la stratégie Climat & Défense adoptée en 2022
La prise de conscience par les armées de la nécessité de réfléchir de
façon plus systématique à leur adaptation au changement climatique les a
conduites à élaborer leur stratégie portant sur le climat
. Il s’agit de
la
stratégie Climat & Défense, rendue publique par la ministre en avril
2022
401
et dont il est fait état dans le rapport annexé à la loi relative à la
programmation militaire pour les années 2024-2030.
La stratégie Climat & Défense présente une zone de recouvrement
importante avec la stratégie énergétique de défense, puisqu’elle
reprend les
sujets déjà couverts par cette dernière (la réduction des émissions de gaz à
effet de serre), tout en élargissant le propos aux questions relatives à
l’adaptation de l’appareil de défense au changement climatique
.
Dressant le tableau des défis à relever, cette stratégie détermine les
axes d’efforts impliquant d’engager des actions idoines
: la connaissance
et l’anticipation, l’adaptation des capacités et des savoir
-faire aux
nouvelles conditions climatiques, l’atténuation du changement climatique
.
Elle rappelle en outre que les évolutions doivent s’inscrire dans un double
contexte de coordination ou de coopération :
d’une part,
interministérielle,
à la fois pour assurer le partage et la diffusion de l’expertise, mais aussi
pour garantir que soit bien prise en compte, à cet échelon, la singularité des
armées
; d’autre part,
internationale et interalliée, également dans la
perspective de la mise en commun de savoir-faire, mais aussi pour garantir
que les évolutions escomptées n’affectent pas l’interopérabilité des forces
armées françaises avec celles de leurs partenaires.
Dans l’immédiat, l’apport pri
ncipal de la stratégie Climat & Défense
réside dans le fait d’avoir lancé une réflexion systématique sur les actions
qu’implique l’adaptation des armées au changement climatique ou, dans les
domaines où des actions ont déjà été lancées, de les organiser et de les piloter.
Les sujets sont répartis sur trois axes, confiés chacun à un groupe de
travail, dont les résultats sont attendus dans un délai d
’
un à deux ans :
-
l
’évolution de la conflictualité et de l’emploi des forces résultant du
changement climatique : conflits pour accéder aux ressources, dynamique
des mouvements migratoires, impact géostratégique de l’ouverture de
nouvelles voies maritimes du fait de la fonte des glaces en arctique, etc.
402
;
-
le domaine capacitaire et l’innovation
;
-
la résilience des infrastructures.
401
La France est d’ailleurs l’un des premiers pays développés à avoir adopté une
stratégie en matière de climat pour ses forces armées.
402
Sujet non traité dans le cadre de la présente enquête (cf.
supra
).
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
453
Deux autres groupes de travail couvrent les questions de
l’accompagnement de l’adaptation au changement climatique, au niveau
national (environnement normatif et enjeux de défense) et international
(coopération internationale).
2 -
La démarche relative aux équipements
Copiloté par la
direction générale de l’armement (
DGA)
et l’
état-
major des armées (EMA), le groupe de travail relatif au domaine
capacitaire et à l’innovation associe l’ensemble des acteurs concernés du
ministère, ainsi que les industriels. Parmi eux,
l’
A
gence de l’innovation de
défense (AID) contribue aux travaux, en diffusant les études relatives aux
sujets liant climat et capacités de défense que son travail de veille lui
permet de collecter.
L’objectif du groupe de travail est
d’identifier, par milieu
(terre, air,
mer)
, l’ensemble des effets et
des risques liés au changement climatique
sur les systèmes d’arme (en matière d’emploi, de soutien et d’interfaçage).
Les effets indirects du changement climatique résultant de l’évoluti
on des
conflictualités (résultats attendus du premier groupe de travail, cf.
supra
)
constituent une donnée d’entrée des travaux à réaliser.
Les équipements évolueront à terme pour réduire leur empreinte
carbone, même si ces évolutions se feront lentement (cf.
supra
). Mais le
mandat du groupe de travail ne fait pas état de cette problématique, qui
constitue aussi une donnée d’entrée de la réflexion.
Sur ce point, l’organisation de la DGA n’a jusqu’à présent pas été
formellement modifiée pour retracer la prise en compte des stratégies et
politiques définies depuis 2012, notamment la stratégie énergétique de
défense et la stratégie Climat & Défense, dont les effets attendus sur les
mobilités opérationnelles (cf.
infra
) sollicitent une implication forte de
cette administration. La DGA a néanmoins prévu de revoir prochainement
son organisation.
3 -
La démarche relative aux infrastructures
Le pilotage du groupe de travail « résilience des infrastructures » est
confié conjointement à la direction centrale du service infrastructure de défense
(DCSID) et à l’état
-major des armées (EMA). Il a pour objectif de proposer un
plan d’adaptation des infrastructures et des emprises du ministère aux effets du
changement climatique à l’échéance 2030 (montée des eaux, tempêtes,
inondations torrentielles, hausse des températures, stress hydrique, etc.).
COUR DES COMPTES
454
Pour réaliser cette mission
, le groupe de travail s’appuie
non
seulement sur les compétences propres du ministère, mais aussi sur des
compétences
émanant d’institutions
extérieures ou d
’entreprises privées
(Cerema, BRGM, Véolia, EDF, la Fondation pour la recherche
scientifique, etc.).
Il devrait ainsi pouvoir disposer d’outils élaborés par ces
dernières, telle que la
carte des risques climatiques à l’échelle communale
réalisée par
AXA Climate
.
Au début de l
’année 2023, le groupe de travail a lancé une enquête
auprès des 55 commandants de base de défense pour répertorier les
phénomènes climatiques extrêmes intervenus
403
ces 10 dernières années
dans leur ressort et identifier les vulnérabilités des emprises et des
infrastructures face aux aléas climatiques.
Pour la poursuite de ses travaux, le groupe de travail a retenu deux
scénarios du GIEC afin de quantifier la sensibilité des infrastructures aux
risques :
-
un scénario tendanciel (le scénario SSP2-4.5), qui anticipe une
augmentation de niveau des mers en 2050 par rapport à l’ère pré
-
industrielle de 30 cm et une augmentation de la température moyenne
de 2,0 °C ;
-
un scénario pessimiste (le scénario SSP5-8.5), qui prévoit une
augmentation de niveau des mers en 2050 par rapport à l’ère pré
-
industrielle de 35 cm et une augmentation de la température moyenne
de 2,4 °C.
Le groupe de travail envisage ensuite une démarche en deux temps.
La première phase consiste, à part
ir d’une approche homogène restant à
définir, à identifier, parmi les 4 000 emprises du ministère, celles qui sont
prioritaires, c’est
-à-dire qui sont à la fois les plus exposées aux aléas
climatiques et abritent les activités les plus critiques sur le plan fonctionnel.
La seconde phase consistera à réaliser des audits approfondis pour ces sites
prioritaires, afin de déterminer les travaux à y réaliser et d’en évaluer le coût.
La feuille de route du groupe de travail ne définit pas de calendrier
précis, autre que la fourniture de son programme de travail détaillé en fin
d’année 2022.
Il pensait néanmoins
être en mesure d’établir la hiérarchie
des priorités (fin de la première ph
ase) d’ici la fin de l’année 2023.
403
Ce sont les événements extrêmes (amplifiés par le changement climatique) dans leurs
trois dimensions (amplitude, durée et fréquence), qui sont les plus porteurs de risques.
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
455
B -
Des travaux plus avancés pour les installations
nucléaires et
l’intervention des armées en cas
de catastrophe naturelle
Avant même que soit élaborée la stratégie Climat & Défense, les
perspectives induites par le changement climatique ont conduit le ministère
des armées à se mobiliser et à développer des actions sur deux sujets qui
sont pour lui particulièrement critiques : les installations à terre nécessaires
aux navires et sous-marins à propulsion nucléaire (1) et
l’in
tervention des
armées sur le territoire national en cas de catastrophe naturelle (2).
1 -
Les bases navales déjà sous la contrainte des règles régissant
les installations nucléaires
Plusieurs sites du ministère des armées comportent des installations
hébergeant des activités de nature nucléaire, relatives essentiellement à la
propulsion nucléaire des navires de surface (porte-avions à propulsion
nucléaire Charles de Gaulle, basé à Toulon) et des sous-marins (quatre
sous-
marins nucléaires lanceurs d’engins –
SNLE
–
basés à l’Île
-Longue,
dans la rade de Brest et entretenus, pour certains travaux de maintenance,
à Brest et six sous-
marins nucléaires d’attaque –
SNA
–
basés à Toulon).
La conception et la construction de ces installations nucléaires est
soumise à des prescriptions fixées par des référentiels de sûreté qui tiennent
compte
aussi
bien
des
risques
d’agression
que
des
conditions
d’environnement
, les uns et les autres identifiés
ex ante
ou à l’occasion de
réévaluations ultérieures de sûreté.
À la suite de l
’accident nucléaire de Fukushima de mars 2011, les
autorités de sûreté nucléaire ont demandé que soit pris en compte le retour
d’expérience de cet événement pour
réexaminer la sûreté des installations
à vocation nucléaire. Cette démarche s’est notamment tr
aduite par
l’instauration d’un nouveau référentiel de sûreté (
« intégration de
nouvelles exigences de sûreté pour la propulsion nucléaire »
ou INES-PN),
dont les dispositions intègrent les conséquences de deux aléas naturels
supplémentaires que sont les séismes et la submersion marine.
Pour la quantification de l’aléa
que représente une éventuelle
submersion marine, a été prise en considération
la hauteur d’eau maximale
théorique induite par la conjonction des marées avec les conditions
climatiques (pression atmosphérique), majorée par
l’intégration de
paramètres traduisant l’impact d
es phénomènes exceptionnels. Telle
qu’elle s’est effectuée, l
a révision du référentiel de sûreté a retenu le
scénario pessimiste défini en 2010 par l’observatoire national sur les effets
COUR DES COMPTES
456
du réchauffement climatique (Onerc), concluant, pour les sites de
métropole, à une élévation des mers moyenne de 0,25 m en 2050 et 0,60 m
en 2100. Mais au bout du compte, du fait des facteurs majorants (pression
atmosphérique et phénomènes exceptionnels), la hauteur maximale retenue
est beaucoup plus élevée (2,00 m en 2050).
L’autre paramètre sur lequel le changement climatique a un im
pact,
la température, a aussi été actualisé.
Les coûts d’adaptation au changement climatique, c’est
-à-dire les
coûts des travaux nécessaires pour tenir compte de l’élévation du niveau de
l’eau et des températures résultant du changement climatique, ne peu
vent
toutefois être isolés des autres coûts de mise à niveau des infrastructures.
Les exigences de sûreté sont maintenant à actualiser en fonction des
derniers travaux du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution
du climat (GIEC). Le scénario à prendre en compte par le ministère des
armées n’a pas encore été déterminé. Néanmoins, le cadre méthodologique
existe et la prise en compte précoce des facteurs majorants (cf. ci-dessus)
fait que l’augmentation de la hauteur maximale retenue devrait être,
en
valeur relative, faible.
Les installations nucléaires ne couvrent, en particulier pour les bases
de Toulon et de Brest, qu’une partie des surfaces (de l’ordre de 10
% pour la
base navale de Toulon). Jusqu’à présent, l’obligation d’adaptation aux effets
escomptés du changement climatique n’a porté que sur ces parties.
Néanmoins, dans la mesure où ils ont été déjà définis pour les infrastructures
à caractère nucléaire, les paramètres à prendre en compte pour le
dimensionnement des ouvrages dans les zones non nucléaires sont connus
404
.
2 -
Un renforcement de la contribution des armées en cas
de catastrophe naturelle sur le territoire national
Parmi les perspectives tracées par la loi du 1
er
août 2023 relative à
la programmation militaire pour les années 2024 à 203
0 figure l’objectif
d’améliorer la contribution des forces armées à la protection du territoire
national et de renforcer celle qui concerne les territoires d’outre
-mer. Ceci
passe, en particulier, par une adaptation continue de leurs missions
d’interventio
n en cas de catastrophe naturelle, sanitaire ou climatique, mais
aussi par un renforcement de l’articulation et de la coordination avec les
forces de sécurité intérieure, que devrait favoriser la mise en place de
réserves territoriales.
404
Ce qui différencie les installations nucléaires des autres installations est la
conformité aux exigences, vérifiée par les autorités de sûreté, qui n’est pas requise pour
les installations non nucléaires.
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
457
Ces orientations ne font jamais que prolonger, en les enrichissant, les
dispositifs d’interventions déjà programmées des armées sur le territoire
national, essentiellement d’ailleurs l’armée de terre. L’actuel contrat
opérationnel imparti aux forces armées prévoit ainsi leur engagement en cas
de catastrophe naturelle et pour l’assistance aux populations sur le territoire
national et outre-mer, en renfort des forces de sécurité intérieure et de
sécurité civile. Sont mentionnées la contribution des armées à la lutte contre
les feux de forêt (plan Héphaïstos), en cours de révision à la suite des
incendies de 2022, et la mobilisation des moyens spécialisés (logistique,
aviation légère de l’armée de terre, génie) en cas de catastrophe naturelle.
Dans le cadre de la refonte des contrats opérationnels, les armées
prévoient de mettre en place un dispositif spécifique (Guépard-territoire
national), adapté à l’intervention sur le territoire métropolitain comme
outre-
mer. Ce dispositif comprendra l’ensemble des capacités liées à cette
mi
ssion de protection et d’assistance aux populations dans le cadre des
catastrophes naturelles.
Les orientations qui engagent les armées à devoir se préparer à
intervenir davantage sur le territoire national ont en outre rendu nécessaire
une évolution de leur organisation. Ainsi, est envisagée
la création d’un
état-major interarmées « territoire national » pour améliorer le dialogue
civilo-militaire et permettre une meilleure prise de décision stratégique. De
même, devraient être renforcées les responsabilités des officiers généraux
de l’armée de terre, déjà présents sur le territoire, qui sont en mesure de
travailler
avec
les
soutiens
interarmées
et
qui
maîtrisent
leur
environnement institutionnel
. Enfin, l’armée de
t
erre prévoit de s’appuyer
davantage sur l
es réserves et cherche à mettre en œuvre le projet de
volontaires du territoire national (VTN), pour constituer des bataillons en
métropole et des compagnies outre-mer afin de disposer de capacités
d’intervention supplémentaires implantées dans les territo
ires.
Ainsi, même si de telles interventions étaient déjà prévues et ont été
mises en œuvre ces dernières années, la préparation et l’organisation des
forces armées devront dorénavant correspondre au niveau d’engagement
qui leur sera demandé du fait du ris
que accru d’événements extrêmes liés
au changement climatique.
COUR DES COMPTES
458
C -
Les risques de divergence par rapport
aux
technologies mises en œuvre
dans le secteur civil
Le maintien, sur une période qui pourrait être encore longue, des
dérogations dont bénéficient les armées en matière de réduction des émissions
de gaz à effet de serre va engendrer, dans ce domaine, une divergence, allant en
s’accentuant, entre leur trajectoire et celle du monde civil. Cette évolution
pourrait peser sur les conditions d’approvisionnemen
t de certains de leurs
équipements (1), mais avoir également des conséquences sur leurs possibilités
de recrutement auprès des jeunes générations (2). Ce sont là deux sujets que le
processus d’adaptation au changement climatique doit aussi prendre en compt
e.
1 -
Les risques portant sur la base industrielle et technologique
de défense (BITD)
Même si elles
ne s’applique
nt pas en général à la défense, les
règlementations
européenne et française en matière d’environnement
constituent un facteur de risque considéré comme majeur, que la direction
générale de l’armement (
DGA) cherche à anticiper. En effet, le fait que les
spécifications
propres
aux
équipements
militaires
s’éloigne
nt
de
l’ensemble des exigences toujours plus contraignantes qui s’appliquent au
secteur civil menace de
restreindre le nombre d’entreprises aptes à
travailler avec le ministère des armées, et pourrait fragiliser ses
approvisionnements. La démarche d’éco
-conception mise progressivement
en œuvre par la DGA
vise notamment à prévenir ce risque.
Celui-ci
est
particulièrement
avéré
pour
les
motorisations
thermiques. En raison des dérogations dont bénéficient les armées pour
leurs mobilités opérationnelles, le ministère continuera à utiliser, maintenir
et même développer des matériels dotés de motorisations thermiques, alors
que le secteur civil se sera concentré sur les nouvelles motorisations
(essentiellement électriques, et de façon plus accessoire, thermiques à
hydrogène). En conséquence, certaines activités de la base industrielle et
technologique
de
défense
(BITD)
relatives
aux
motorisations
(essentiellement pour les véhicules terrestres, et peut être à terme plus
lointain, pour les navires) qui, jusqu’à maintenant, étaient duales, c’est
-à-
dire qui portaient à la fois sur le secteur civil et le secteur de la défense,
deviendront progressivement spécifiques à ce dernier.
Une telle orientation emportera inévitablement, pour la défense, une
augmentation des dépenses relatives aux approvisionnements des
équipements concernés dans un contexte budgétaire déjà très dégradé, sauf
à trouver le moyen, par des coopérations internationales, de mutualiser la
production des dispositifs de propulsion spécifiques aux armées et donc
d’en réduire les coûts unitaires.
LE MINISTÈRE DES ARMÉES FACE AUX DÉFIS
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
459
2 -
Le risque
d’
attractivité lors des recrutements
Devant encore longtemps conserver pour leurs équipements des
motorisations à carburant fossile, les armées vont de plus en plus apparaître
comme l’un des derniers secteurs d’activité fortement émetteurs de gaz à
effet de serre. Certes, tant que la propulsion des avions civils et militaires
reposera sur des technologies similaires et que la principale variable
d’évolution consistera dans l’adjonction de biocarburant au kérosène actuel,
l’armée de l’air et de l’espace pourra encore échapper au regard négatif que
ce particularisme pourrait lui valoir. En revanche, celui-ci sera sans doute
plus difficile à assumer sur longue période pour la marine, et encore plus
l’armée de terre, dès lors qu’ira s’accroissant la divergence des modes de
motorisation des engins mobi
les, entre le monde civil et l’univers militaire.
Pour peu qu’il soit de plus en plus difficile de faire valoir la
dimension d’exception d’une activité qui doit d’abord et avant tout
étalonner sa performance sur ce que les ennemis potentiels déploient en
t
ermes de puissance, l’
armée de terre et la marine
encourent le risque d’être
de plus en plus considérées comme « non vertueuses ». Cette dégradation
possible de leur image
sur ce motif auquel les jeunes sont aujourd’hui très
sensibles pourrait avoir pour c
onséquence une perte d’attractivité
contribuant à leurs difficultés à recruter.
Les trois armées ont conscience de ce risque,
qu’elles ont bien
identifié dans les travaux
qu’elles poursuivent
pour décliner à leur niveau
la politique énergétique définie pa
r l’état
-major des armées. Pour y parer,
elles s’emploient à valoriser les différentes actions qu’elles mènent en
matière de développement durable dans tous les domaines où elles ne
manquent pas de faire preuve de volontarisme dès lors que la performance
o
pérationnelle n’est pas susceptible d’en être affectée (consommation
énergétique des bâtiments, gestion des déchets, actions relatives à la
biodiversité, etc.). Il apparaît néanmoins opportun que le ministère des
armées
s’emploie à évaluer régulièrement ce
risque d’image et
d’attractivité, en procédant à des analyses sociologiques, des enquêtes, des
sondages, etc., en complément des travaux récents déjà menés par ailleurs.
COUR DES COMPTES
460
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Le contexte particulier du ministère des armées en matière
d’énergie fait que les adaptations au changement climatique, si celles
-ci
ne présentent a priori, pour les infrastructures, pas de différence par
rapport aux autres secteurs, sont de nature très différente pour ce qui
relève de l’activité opération
nelle des forces.
L’impératif d’un niveau d’opérationnalité élevé des forces armées
justifie l’octroi de dérogations conduisant à faire diverger, en conservant
des technologies fortement émissives en gaz à effet de serre, leur trajectoire
de décarbonation
de celle des autres secteurs d’activité. Deux domaines
concernés par cette problématique ont été identifiés : la fourniture
d’équipements de mobilité (véhicules terrestres, navires de surface), pour
lesquels les motorisations s’éloigneront de celles du mon
de civil,
augmentant en conséquence leurs coûts d’approvisionnement, et les
recrutements, qui pourraient souffrir d’un manque d’attractivité en raison
de la conservation de démarches non vertueuses en matière de réduction
des émissions de gaz à effet de serre.
Le ministère des armées a, dans le cadre de sa stratégie Climat &
Défense, lancé en 2022 les travaux pour identifier les adaptations
nécessaires pour faire face au changement climatique. Il doit aussi veiller
à accentuer ses efforts en matière de réduction des émissions de gaz à effet
de serre afin d’éviter, autant qu’il est possible, que ne s’accroissent encore
les écarts avec le monde civil.
Enfin, les différents travaux d’identification des adaptations
nécessaires sont à ce jour insuffisamment avancés pour que le ministère
des armées soit en mesure d’en évaluer les coûts.
Dans ce contexte, la Cour formule les recommandations suivantes :
1.
quantifier les contributions de chaque action de la stratégie ministérielle
de performance énergétique à l’atteinte
des objectifs cibles et actualiser
annuellement les trajectoires prévisionnelles (ministère des armées). ;
2.
réaliser un « bilan carbone »
sur l’ensemble des services du ministère
des armées, y compris pour la séquestration de carbone, et l’actualiser
à la fréquence prévue par les textes (ministère des armées) ;
3.
approfondir les travaux
pour optimiser les consommations d’énergie
pour les mobilités opérationnelles, notamment en utilisant au mieux
les données disponibles et en améliorant le recueil de celles qui sont
pertinentes (ministère des armées) ;
4.
a
ccélérer le processus d’identification des adaptations au changement
climatique
que
les
forces
armées
vont
devoir
mettre
en
œuvre
(ministère des armées).
Réponse reçue
à la date de la publication
Destinataire n’ayant pas d’observation
Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires
Destinataire n’ayant pas répondu
Monsieur le ministre des armées