La situation d’ensemble des finances
publiques (à fin février 2024)
La situation d’ensemble des finances
publiques (à fin février 2024)
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Ouvrant chaque année le rapport public annuel de la Cour, le
présent chapitre analyse la situation d’ensemble des finances publiques
après deux années 2022 et 2023 caractérisées par de fortes tensions
inflationnistes et un niveau élevé des prix de l’énergi
e, qui ont affaibli le
rebond de l’économie en sortie de crise sanitaire. Les dispositifs visant à
atténuer l’effet de la hausse des prix ont pris le relais des mesures de
soutien et de relance mises en place à partir de 2020, repoussant la sortie
du « quo
i qu’il en coûte
» et la résorption du déficit public.
En effet, avec un taux de croissance estimé à 0,9
% en volume, l’année
2023 a été marquée par un net ralentissement de l’activité économique. Le
déficit public s’est légèrement creusé et devrait attein
dre 4,9 % du produit
intérieur brut (PIB), dans un contexte marqué, à la différence des deux
années précédentes, par un faible dynamisme des recettes fiscales.
Les textes financiers de l’année 2024 ont été bâtis
à l'automne 2023
sur un scénario macroéconomique plus favorable d’une croissance de
1,4 %, justifié alors, selon le Gouvernement, par un repli progressif de
l’inflation et une diminution du taux d’épargne des ménages. Selon ce
scénario, les mesures mises en place pour soutenir les ménages et les
entreprises devaient refluer et les recettes fiscales progresser de nouveau
à un rythme proche de celui de l’activité économique pour réduire le déficit
public à 4,4 % du PIB fin 2024, en diminution de 0,5 point.
Rapidement, ce scénario macroéconomique est apparu improbable au
regard des informations disponibles. Les prévisions de croissance pour 2024
des organismes nationaux et internationaux ont toutes été abaissées au cours
des derniers mois, amenant finalement le Gouvernement à annoncer,
mi-février 2024, une révision de sa propre prévision à 1 %, au-dessus du
consensus des économistes qui se situe à 0,7 %. La moindre croissance
prévue pour 2024 risque de fragiliser
ab initio
, voire de rendre caduque la
trajectoire pluriannuelle 2023-2027 inscrite dans la loi de programmation
COUR DES COMPTES
16
des finances publiques (LPFP) promulguée le 18 décembre 2023, alors même
que celle-
ci repoussait déjà les débuts de l’effort structurel de maîtrise des
dépenses à 2025. Pour conserver l
’
objectif de déficit à 4,4 points de PIB en
2024,
le Gouvernement a procédé à l’annulation de 10 Md€ de crédits sur le
budget de l’État
. Deux ans après la sortie de la crise sanitaire, la France reste
ainsi l’un des pays de la zone euro dont la situation des finances publiques
est la plus dégradée et dont les objectifs de rétablissement sont les plus étalés
dans le temps.
Après une présentation de la situation des finances publiques en
2023 et 2024, ainsi que des principaux risques qui affectent l’exercice en
cours (I), la Cour analyse les enjeux liés à la trajectoire de moyen terme
tracée par la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (II).
Les observations de la Cour reposent sur les informations
disponibles au 19 févier 2024.
I -
Un déficit qui restera élevé en 2024,
en dépit
de l’extinction programmée
des
mesures de soutien face à l’inflation
L’année 2023 constitue une «
année blanche » sur la trajectoire de
réduction du déficit public. C’est en 2024 que celle
-ci devait être amorcée
par le repli des mesures de soutien face à l’inflation (avant un effort plus
structurel repoussé à 2025).
Mais l’ampleur de la baisse prévue du dé
ficit
(- 0,5 point de PIB pour atteindre 4,4
% fin 2024) est aujourd’hui remise
en cause par l’assombrissement des perspectives de croissance et les
incertitudes sur l’évolution des prix de l’énergie.
La présente partie souligne la dégradation de la conjoncture
économique et ses conséquences sur la prévision de croissance pour 2024
(A), puis analyse l’évolution des prélèvements obligatoires (B), la
dynamique des dépenses publiques (C) et leurs conséquences sur le déficit
et la dette publics (D).
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
17
A -
Une conj
oncture qui s’est assombrie,
malgré le recul de l’inflation
Depuis deux ans, le rebond de l’activité constaté en sortie de crise
sanitaire a laissé la place, dans un contexte de fortes tensions
inflationnistes, à une dynamique plus hésitante avec une croissance
trimestrielle moyenne de 0,2 %
4
, inférieure de plus de 0,1 point à la
croissance potentielle
5
retenue par le Gouvernement dans la loi de
programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 (1,35 % par an,
soit un rythme trimestriel supérieur à 0,3
%). La croissance du PIB s’est
ainsi limitée à 0,9
% en 2023, selon la première estimation de l’Insee,
contre 1,0 % prévu par le Gouvernement
6
et après 2,5 % en 2022.
Selon le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, la croissance
devait rebondir en 2024 pour dépasser légèrement son rythme potentiel, à
1,4 %. Dès l'automne 2023, ce scénario apparaissait optimiste. Le Haut
Conseil des finances publiques (HCFP) avait ainsi relevé dans son avis du
22 septembre 2023 sur le PLF pour 2024 que cette prévision de croissance
était «
élevée
» et que «
pour la totalité des postes de demande
(consommation, investissement, exportations), le Gouvernement est plus
optimiste que [les] organismes
7
» qu’il a auditionnés.
Six mois après la présentation du PLF 2024, le contexte
conjoncturel s’est assombri
: l’environnement international s’est dégradé,
en particulier dans la zone euro, comme en témoigne la révision à la
baisse des prévisions de croissance de la Commission européenne en
novembre 2023 puis en février 2024 ; le taux de chômage est reparti à la
hausse au deuxième semestre 2023 ; les anticipations des chefs
d’entreprise se sont détériorées d’après les enquêtes de conjoncture dans
la quasi-
totalité des secteurs. Selon l’Insee, le climat global des affaires
est repassé depuis octobre 2023 sous sa moyenne historique pour la
première fois depuis la sortie de crise sanitaire.
4
La croissance finale en 2022 (2,5 %) a été très supérieure à celle de 2023 (0,9 %). En effet,
le niveau moyen du PIB
en 2022 a bénéficié du fort rebond de l’activité enregistré au cours
de l’année 2021. En revanche, la croissance trimestrielle moyenne (0,2
%) du PIB a été
identique au cours des années 2022 et 2023 et ne traduit plus le rebond intervenu en 2021.
5
La cro
issance potentielle est le rythme de progression de l’activité économique qui
peut être durablement maintenu en utilisant pleinement les capacités de production sans
tensions inflationnistes.
6
En valeur, la différence serait plus prononcée par rapport à la prévision du
Gouvernement dans le PLF 2024. Le PIB nominal a progressé de 6,3 % selon l’Insee
contre 6,8 % anticipé par le Gouvernement. L’analyse des ratios de finances publiques
(déficit, dette, prélèvements obligatoires, dépenses, etc.)
–
exprimés en proportion du
PIB
–
présentée dans ce chapitre est faite en référence au PIB prévu dans le PLF 2024.
7
L’Insee, la Banque de France, l’OFCE et Rexecode.
COUR DES COMPTES
18
Les prévisions de croissance des organisations nationales et
internationales ont toutes été abaissées au cours des derniers mois, celle du
consensus des économistes se situant depuis décembre 2023 au niveau de
0,7 %. La prévision initiale du Gouvernement étant devenue inatteignable,
celui-ci a finalement annoncé, le 18 février 2024, une révision de son scénario
macroéconomique avec une prévision de croissance ramenée à 1 %.
Tableau n° 1 :
prévisions de croissance et d’inflation en France
pour 2024 (en %)
Croissance
Inflation*
Gouvernement (septembre 2023, PLF 2024)
1,4
2,6
Consensus forecasts
(février 2024)
0,7
2,4
Banque de France (décembre 2023)
0,9
2,5
OCDE (février 2024)
0,6
2,7
Commission européenne (février 2024)
0,9
2,8
FMI (janvier 2024)
1,0
2,5
Gouvernement (révision février 2024)
1,0
2,6
Source : prévision des différents organismes
* Indice des prix à la consommation pour le Consensus forecasts et le PLF 2024, indice harmonisé
des prix à la consommation pour les autres.
Le Gouvernement anticipe que l’inflation
poursuivrait son repli
amorcé au printemps 2023 sous l’effet
du ralentissement des prix
alimentaires et des prix des produits manufacturés. Après 4,9 % en 2023,
elle atteindrait ainsi 2,6 % en 2024 selon le PLF pour 2024. Cette prévision
se situe légèrement au-dessus de celle du consensus des économistes et à
l’intérieur de la fourchette des organisations internationales. Des
incertitudes s
ubsistent toutefois sur l’évolution des prix de l’énergie,
comme l’illustre la volatilité observée sur le cours du pétrole, dans un
contexte de tensions géopolitiques au Proche-Orient.
Au-
delà des prix de l’énergie
, plusieurs inconnues affectent encore
le scénario macroéconomique pour 2024
: les évolutions du taux d’épargne
des ménages et de la productivité sur lesquelles table le Gouvernement
dans son scénario, l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur
l’investissement des entreprises, dans un conte
xte où la politique de
resserrement monétaire pourrait avoir atteint son pic, et la dynamique des
exportations dans un environnement international de chocs géopolitiques.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
19
B -
Des prévisions de recettes optimistes exposées à des risques
L’évolution des prélève
ments obligatoires sur une année est dictée
par deux mouvements distincts : celui de leur dynamique « spontanée »,
c’est
-à-
dire en fonction de l’activité et à législation inchangée, et celui des
baisses ou des hausses d’impôts, correspondant aux «
mesures nouvelles ».
À l’inverse de ce qui avait été constaté en 2021 et en 2022, les
prélèvements obligatoires ont progressé spontanément à un rythme très
inférieur à celui de l’activité en 2023. Couplée à des mesures de baisses
d’impôts (
- 4,2
Md€), cette atoni
e des recettes publiques a entraîné une
diminution, inédite, de 1,4 point du ratio de prélèvements obligatoires, qui
s’est établi
à 44,0 points de PIB en 2023.
En 2024, d'après la loi de finances initiale, ce taux augmenterait
légèrement (+ 0,1 point), en
raison d’une évolution spontanée des
prélèvements un peu supérieure à celle de l’activité
, faisant plus que
compenser les mesures nouvelles (- 0,7
Md€
).
Graphique n° 1 :
évolution du taux de prélèvements obligatoires
sur la période de 2000 à 2024 (en points de PIB)
Source : Insee, LFI 2024
COUR DES COMPTES
20
1 -
Une prévision optimiste de l’évolution spontanée
des prélèvements obligatoires dans le PLF 2024
En 2023, la croissance spontanée des prélèvements obligatoires
(+ 4,0 %) a été nettement inférieure à celle du PIB en valeur (+ 6,8 %)
8
.
L
’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, qui rapporte leur
évolution spontanée à la croissance de l’activité en valeur,
aurait été de 0,6,
soit un niveau très en
deçà de l’élasticité moyenne de long terme, proche
de 1. Cette situation contraste avec les deux années précédentes, marquées
par de bonnes surprises en exécution.
Le manque à gagner constaté en 2023 par rapport à une élasticité
unitaire des prélèvements obligatoires à la croissance du PIB peut être
estimé, selon la Cour, à environ 33
Md€
.
L’impôt sur les sociétés, dont les recettes ont chuté en 2023 de
10,7 %
à législation constante, contribue à hauteur d’un tiers à cet écart
.
Un deuxième tiers provient d’une progression de la masse salariale
inférieure à celle de l’activité, qui a pesé
sur les cotisations et prélèvements
sociaux ainsi que sur l’impôt sur le revenu en 2023.
Enfin, le dernier tiers se
partage entre, d’une part, une faible croissance spontanée de la TVA (+
4,4 %)
et, d’autre part, la baisse des droits de mutation à titre on
éreux (- 20 %) sous
l’effet de la chute des transactions immobilières.
De plus
, l’exercice budgétaire 2023 s’est clos avec des recettes fiscales
nettes sur le budget de l’État inférieures
de 7,7
Md€
par rapport à ce qui était
prévu par la loi de finances de fin de gestion.
En 2024, le Gouvernement prévoit un retour à une élasticité des
prélèvements obligatoires proche de l’unité (1,1)
qui s’expliquerait pour près
des deux tiers par la dynamique de l’
impôt sur les sociétés. Ce dernier serait
en effet en forte hausse (+ 16,4
%), qu’il s’agisse des acomptes ou du solde
versé, en raison de l’augmentation prévue du bénéfice fiscal moyen en
2023 (+ 14
%) sous l’effet du reflux des coûts de l’énergie.
Ces prévisions de recettes pour 2024 sont maintenant à revoir au
regard de la nouvelle prévision de croissance à 1 % du PIB. Par ailleurs, à
croissance donnée, la prévision de recettes de TVA apparaît élevée. Le
Gouvernement fait, en outre, l’hypothèse d’une st
abilité des droits de
mutation à titre onéreux (DMTO) en 2024 qui est optimiste compte tenu de
leur forte baisse au cours de l’année 2023 («
effet d’acquis
») et de la
persistance d’une orientation à la baisse du marché immobilier. La
8
Ce chiffre correspond à la prévision du Gouvernement dans le PLF pour 2024. Fin
janvier 2024, l’Insee
a estimé la progression du PIB nominal à 6,3 % en 2023.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
21
prévision d’évolution
de la masse salariale dans les branches marchandes
pour 2023 (+ 6,3 % hors prime de partage de la valeur) est, quant à elle,
désormais hors d’atteinte compte tenu du ralentissement enregistré au
3
e
trimestre 2023, créant un effet de base défavorable pour les recettes en
2024. Enfin, l’exécution budgétaire décevante en recettes pour 2023 (cf.
supra
) joue à la baisse sur le niveau attendu des recettes pour 2024, là aussi
par un effet de base.
Il doit en outre être relevé que
l’évolution heurtée des recettes
anticipées en 2023 et 2024 s’explique en grande partie par les à
-coups de
l’impôt sur les sociétés.
Alors que cet impôt ne représente que 5 % de
l’ensemble des prélèvements obligatoires, la difficulté d’anticiper
l’évolution de son produit a des conséquences notables sur l’ensemble des
prévisions de recettes
de l’État
.
2 -
L’arrêt des baisses d’impôt en 2024
La politique de baisse pérenne de certains impôts menée depuis 2018 a
continué de produire ses effets jusqu’en 2023, avec notamment la dernière
étape de l
a suppression de la taxe d’habitation (
-2,8
Md€) et la diminution de
la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, - 4,2
Md€).
Si plusieurs mesures de baisses et de hausses figurent dans la loi de
finances pour 2024, celle-ci marque globaleme
nt l’arrêt des baisses
d’impôt. La principale consiste en une légère diminution additionnelle de
la CVAE (- 1,0
Md€), dont la suppression serait
finalement étalée sur toute
la période 2024-2027.
Des hausses d’impôts sont parallèlement
prévues en 2024, en lien
avec le repli des prix de l’énergie et
avec le nécessaire verdissement de la
fiscalité
. Il est notamment prévu de pouvoir multiplier jusqu’à huit le tarif
normal d’accise sur les gaz naturels combustibles, pour un surcroît
maximal de recettes de 1,9
Md€. La réalisation effective et l’ampleur de
cette recette demeurent incertaines. Parallèlement, le gel en valeur du seuil
des réductions (dites « bandeaux ») des cotisations famille et maladie
(auparavant exprimé en multiple du SMIC), introduit par amendement, se
traduirait par un surcroît de recettes de 0,5
Md€ en 2024.
Au total, en supposant que la hausse des accises sur le gaz soit
pleinement mise en œuvre, les mesures nouvelles pérennes augmenteraient
les recettes publiques de 3,9
Md€ en 2024, après une diminution de
8,2
Md€ en 2023.
COUR DES COMPTES
22
Les mesures temporaires de soutien face à l’inflation et l’évolution
des prix de l’énergie perturbent
toutefois la lecture de ces hausses et baisses
d’impôts. Le repli des prix de l’énergie conduirait à réduire les gains sur
les charges de service public de l’énergie
9
(CSPE), entraînant en 2024 un
recul des recettes de 2,7
Md€ par rapport à 2023. Par ailleurs, la
contribution sur les rentes infra-
marginales des producteurs d’électricité
,
finalement maintenue dans la loi de finances pour 2024, verrait ses recettes
diminuer de 2,6
Md€ en 2024. Ces deux
recettes demeurent toutefois
fortement dépendantes de l’évolution des prix de l’électricité sur les
marchés. En revanche, en dépit du repli des prix de l’énergie, l’
allègement
de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité
(TICFE) a été
maintenu en 2024, réduisant les prélèvements obligatoires de 0,1
Md€
supplémentaires
10
.
En tenant compte de ces mesures temporaires, les mesures nouvelles
de prélèvements obligatoires amputeraient les recettes à hauteur de
9,8
Md€ en 2023 puis de 1,4
Md€ supp
lémentaires en 2024.
Enfin, il convient de noter la nette diminution des remboursements
au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui
concerne les entreprises n’ayant pas enregistré de bénéfice imposable
depuis la suppression du dispositif en 2019. Neutre sur le solde public en
comptabilité nationale, elle conduit à une hausse des prélèvements
obligatoires de 5,6
Md€ en 2023 et 0,7
Md€ en 2024. En intégrant cette
extinction, l’impact des mesures nouvelles serait ramené à
- 4,2 Md
€ en
2023 et à -0,7
Md€ en 2024.
9
Les CSPE
visent à soutenir les producteurs d’électricité à partir d’énergies
renouvelables (EnR), en assurant la rentabilité de leur activité par des prix garantis dont
le niveau est supérieur à c
elui des prix d’avant
-crise. La hausse des prix de marché de
l’énergie depuis fin 2021 a conduit au contraire
à un prélèvement sur les producteurs
d’énergie renouvelable, la différence entre
les prix garantis et les prix de marché étant
devenue négative. Le gain de CSPE pour les finances publiques, estimé à 8,5
Md€ pour
2023, se décompose alors en comptabilité nationale en (i) une économie en dépense par
rapport à la dépense normale de CSPE liée au soutien aux EnR, évaluée à 5,8
Md€ et
(ii) une recette vers
ée à l’État par les producteurs
- en raison de la différence
actuellement positive entre les prix de marché et les prix garantis -, évaluée à 2,7
Md€.
10
La LFI 2024 prévoyait
la faculté pour le Gouvernement d’augmenter le taux de la
TICFE en 2024, mais aucune hypothèse de hausse
n’avait
été intégrée dans les chiffres
de recettes et de solde de l’article liminaire. Le Gouvernement a
relevé le taux de la
TICFE au 1
er
février, ce qui procurerait 6
Md€ de recettes supplémentaires en 2024
par
rapport à la LFI 2024.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
23
Tableau n° 2 :
impact des principales mesures nouvelles
sur les prélèvements obligatoires (en
Md€
)
2023
2024
Suppression de la taxe d’habitation
- 2,8
Baisse du taux d’IS
- 0,4
Suppression pour moitié de la CVAE en 2023
- 4,2 - 0,4
Suppression de la CVAE restante étalée sur quatre ans (2024-2027)
- 1,0
Baisse de cotisation de travailleurs indépendants
- 0,6 + 0,3
Renforcement du malus CO2
+ 0,2
Hausse du tarif normal d’accise sur les gaz naturels combustibles
+ 1,9
Gel des bandeaux famille et maladie
+ 0,5
Autres
- 0,2 + 2,4
Total hors abaissement TICFE, CSPE et contribution
sur les
producteurs d’électricité
- 8,2
+ 3,9
TICFE
–
bouclier tarifaire
- 1,8 - 0,1
Traitement en recettes des gains sur CSPE
- 1,6 - 2,7
Contribution sur les rentes infra-marginales
+ 1,8 - 2,5
Total hors CICE
- 9,8
- 1,4
Extinction du CICE
+ 5,6 + 0,7
Total y compris extinction CICE
- 4,2
- 0,7
Source : LFI 2024
La compréhension des mesures fiscales inscrites dans la LFI 2024
est
brouillée par le fait que certaines d’entre elles continuent à dépendre,
en droit ou en fait, de l’évolution des prix de l’énergie. L’exercice 2024
n’en marque pas moins une rupture avec les années précédentes en portant
davantage de hausses que de baisses
d’impôts
.
C -
Des dépenses publiques qui resteraient en 2024
supérieures à leur niveau d’avant
-crise
Après avoir atteint 1 522,5
Md€ en 2022, la dépense publique
11
a,
selon les prévisions du Gouvernement, continué de croître en valeur en
2023 (+ 3,3 %) et augmenterait de nouveau en 2024 (+ 3,2 %). Cette
progression est toutefois inférieure à celle de la croissance économique. Le
ratio de dépense publique, exprimé en proportion du PIB, aurait reculé de
1,9 point en 2023, et baisserait de nouveau de 0,4 point en 2024. Il passerait
ainsi de 57,7 points en 2022 à 55,4 points de PIB en 2024 d'après la LFI
2024 et avant prise en compte des mesures d'économies annoncées dans
leur principe par le Gouvernement en février 2024.
11
Dans ce paragraphe, la dépense publique est considérée hors crédits d’impôts.
COUR DES COMPTES
24
Graphique n° 2 :
part de la dépense publique dans le PIB
(en % du PIB y compris crédits d’impôts)
Source : Insee, LFI pour 2024
Ce reflux résulte du repli des mesures exceptionnelles de soutien pour
faire face aux crises sanitaire et énergétique. En excluant ces mesures
exceptionnelles, le poids de la dépense
publique dans le PIB, qui s’est élevé
à 55,5 points de PIB en 2022, baisserait de 0,9 point en 2023, mais repartirait
à la hausse de 0,6 point en 2024 pour s’établir à 55,2 points de PIB.
L
’année
2023 aura marquée à cet égard une normalisation avec une tenue de
l’exécution budgétaire sans nécessiter de loi de finances rectificative
.
À l’horizon 2024, la France sortirait donc des crises qu’elle a
connues depuis 2020 avec un niveau de dépense publique supérieur de plus
d’un point de PIB au niveau d’avant cris
e (53,8 % en 2019). Cette situation
i
llustre l’effet de cliquet de la dépense publique
–
spécifique à la France au
sein de la zone euro
–
qui augmente durant une crise mais ne retrouve pas
son niveau antérieur une fois la crise passée. La Cour a analysé en détail
sur longue période cette tendance à la croissance de la dépense publique
par poussées successives dans son rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques de juin 2023.
1 -
Une extinction progressive des dépenses de soutien face
aux crises sanitaire et énergétique
Les aides
d’urgence et de soutien en réponse à la crise sanitaire
, très
conséquentes en 2020 et 2021, ont été résiduelles en 2023. Le
Gouvernement a parallèlement élaboré un plan de relance articulé autour
de trois volets
–
la transition écologique, la compétitivité et la cohésion
–
,
qui s’est traduit par des dépenses élevées
en 2021 et 2022 et en décrue en
2023. Enfin, à partir de 2022, différentes mesures ont été prises pour
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
25
atténuer l’impact de la hausse des prix de l’éne
rgie sur les ménages et, dans
une moindre mesure, sur les entreprises
12
: après avoir été très élevé en
2022 et 2023, leur coût devrait baisser fortement en 2024.
Tableau n° 3 :
coût net des dépenses de soutien face à la crise
énergétique (Md€)
2021
2022
2023
2024
Indemnité inflation
3,8
Bouclier gaz
0,4
6,7
2,3
0,5
Bouclier électricité
11,2 15,9
2,8
Aide au paiement des factures d'électricité
pour les entreprises
0,5
2,5
Moindres dépenses SP de l'énergie*
- 1,9 - 5,8 - 5,8 - 5,6
Soutien aux ménages modestes**
0,5
1,2
1,3
Aides sectorielles
0,9
0,1
Remise carburants
7,9
Aide exceptionnelle de rentrée
1,1
Amortisseur d'électricité et garantie TPE
2,6
0,8
Autres
0,9
Total
2,8
23,7
19,8
- 1,5
Total (% PIB)
0,1
0,9
0,7 - 0,1
* :
le montant représente la moindre dépense de charges de service public de l’énergie par rapport
à une situation fictive sans crise énergétique. Le signe négatif des chiffres traduit une moindre
dépense de soutien aux énergies renouvelables lorsque les prix énergétiques sont élevés.
** : chèques énergie exceptionnels, chèque « fioul », chèque « bois » et indemnité carburant en 2023.
Source :
ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Les mesures les plus coûteuses sont le plafonnement des tarifs
réglementés du gaz et de l’électricité
(« boucliers tarifaires »). Ces
boucliers ont pesé pour environ 18
Md€
en 2022 et 2023 mais leur coût
serait nettement plus faible en 2024, aux alentours de 3
Md€
. La remise à
la pompe, dont le coût avait atteint 7,9
Md€,
a été remplacée en 2023 par
une aide ciblée sur les travailleurs modestes qui utilisent leur véhicule pour
aller travailler, pour un coût bien inférieur
d’
environ 1
Md€
.
12
La hausse des prix des combustibles fossiles (en particulier le gaz) a alors entraîné
une forte augmentation des prix de l’électricité. Pour les rendre moins dépendants
de la
volatilité des prix des combustibles fossiles, les ministres européens de l’énergie ont
trouvé un accord en octobre 2023 sur une réforme du marché européen de l’électricité.
COUR DES COMPTES
26
L
es dépenses de soutien face à l’inflation
énergétique se sont élevées
à 23,7
Md€
en 2022 et à 19,8
Md€
en 2023. En 2024, compte tenu de la forte
baisse du coût des boucliers, une économie nette de 1,5
Md€
apparaîtrait,
imputable aux gains de CSPE (5,6
Md€). L’impact sur les finances publiques
de ces dispositifs en 2024 est toutefois encore très incertain, car fortement
dépendant de l’évolution des prix de marché de l’électricité.
Au total, les dépenses exceptionnelles de soutien et de relance, après avoir
atteint un pic en 2021 (87,0
Md€, soit 3,5
points de PIB), reflueraient d’environ
un point de PIB par an entre 2022 et 2024. Essentiellement constituées de
dépenses de relance à partir de 2024, leur volume serait alors résiduel.
Tableau n° 4 :
ensemble des dépenses exceptionnelles de soutien
et de relance mises en place depuis 2020
(Md€)
2020
2021
2022
2023
2024
Crise sanitaire
70,1
61,7
14,8
3,0
1,3
Plan de relance
2,5
22,5
19,7
11,3
7,7
Crise énergétique
0
2,8
23,7
19,8
- 1,5
Total
72,6
87,0
58,2
34,1
7,5
Total (% du PIB)
3,1
3,5
2,2
1,2
0,3
Source :
ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
2 -
Hors dépenses de crise, la dépense publique devrait croître
rapidement en 2024
Le recul (- 1,4 %) de la dépense publique en volume
13
en 2023 et sa
progression modérée (+ 0,7 %) en 2024 attendue par le Gouvernement,
procèdent très largement de
l’extinction
des dépenses exceptionnelles de
crise. Hors ces mesures, la dépense publique aurait progressé en volume
de 0,3 % en 2023,
avant d’accélérer nettement en 2024 (
+ 2,5 %).
Cette progression en 2024 résulterait en grande partie de la dépense
des administrations centrales (État et organismes divers d’administration
centrale) qui augmenterait de + 3,1 %, mais également des administrations
de sécurité sociale (+ 2,0 %).
13
Les chiffres en volume ont été obtenus en déflatant les évolutions en valeur par
l’indice des prix à la consommation hors tabac.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
27
Tableau n° 5 :
croissance de la dépense publique hors dépenses
exceptionnelles en volume à champ constant
2023
2024
Administrations publiques centrales
-1,7 %
3,1 %
Administrations de sécurité sociale
1,0 %
2,0 %
Administrations publiques locales
1,0 %
0,9 %
Ensemble des administrations publiques
0,3 %
2,5 %
Source :
ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
,
retraitements Cour des comptes
a)
Une dépense dynamique des administrations centrales en 2024
La dynamique des dépenses des administrations publiques centrales
prévue par la LFI en 2024 (+ 3,1 % en volume hors des dépenses exceptionnelles
de soutien) résulte d’abord de la forte progression de la charge de la dette de
l’État (+
9,5
Md€) liée, en plu
s de son augmentation en volume, à la hausse des
taux d’intérêt qui a renchéri le coût des titres émis ces deux dernières années.
La hausse de la dépense de l’État
découle ensuite de la mobilisation
de moyens importants pour financer les priorités du Gouvernement et de la
quasi-
absence de mesures d’économie
en contrepartie.
La planification écologique bénéficie ainsi de 7
Md€
de crédits
supplémentaires. Les moyens de la mission
Enseignement scolaire
progressent
de 4,6
Md€
, soit + 5,6 %, portés par les revalorisations salariales des
professeurs dans le cadre du « Pacte enseignants ». La montée en charge des
lois de programmation sectorielles, essentiellement dans le domaine régalien
(Défense, Justice, Intérieur), conduit à des dépenses supplémentaires de
5,2
Md€
en 2024. Parallèlement, l’exercice 2023 des revues de dépenses n’a
débouché sur aucune mesure significative d’économie.
Enfin, les différentes mesures de revalorisation des agents publics
annoncées en juin 2023, avec notamment celle du point d’in
dice de la fonction
publique de 1,5 % au 1
er
juillet 2023, pèseront à hauteur de 2,0
Md€ sur le
budget de l’État en 2024, représentant 0,8
Md€ de plus qu’en 2023.
Cette prévision de dépenses pour 2024 paraît entourée de plusieurs aléas.
En particulier, si
la baisse des prix de l’électricité sur les marchés observée
depuis l’automne 2023 se poursuivait au cours des prochains mois pour
retrouver le niveau d’avant
crise, les économies de charges de service public de
l’énergie (CSPE) –
évaluées à 5,6
Md€ dans l
a LFI 2024 sur la base des prix de
septembre 2023
–
risqueraient de totalement disparaître selon l’évaluation du
Haut Conseil des finances publiques (HCFP)
14
.
14
Avis du HCFP n° 2023-8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de
la sécurité sociale pour l’année 2024, 22 septembre 2023.
COUR DES COMPTES
28
Par ailleurs,
il ne peut être exclu qu’une remontée des prix
des
carburants liée à des tensions internationales
conduise à l’adoption de
nouvelles mesures de soutien.
Enfin, le Gouvernement n’a pas intégré d’hypothèse de revalorisation
du traitement des agents publics, dans un contexte où
l’inflation
attendue en
2024 est encore significative (2,5 %) et où les revalorisations de 2022 et 2023
sont restées inférieures à la hausse des prix ces deux années. Les économies
annoncées par le Gouvernement en février 2024 à hauteur de 10
Md€, non
prévues en loi de finances initiale, représentent donc un défi. Les crédits
correspondant ont été annulés sur le budget de l’État par décret du 21 février
2024
: il convient maintenant que les mesures qu’impliquent ces économies
soient rapidement identifiées dans les différents ministères, et les conditions de
leur mise en
œuvre documentées.
b)
Une progression soutenue des prestations sociales
Le Gouvernement prévoit une progression des dépenses des
administrations de sécurité sociale de 2,0 % en volume en 2024 (hors
mesures exceptionnelles), tirées par les prestations (+ 2,5 %) du fait
d’une
indexation sur une inflation élevée en 2023. En particulier, les pensions de
retraite croîtraient de 4,2 % en volume en raison de la revalorisation des
pensions de base de 5,3 % au 1
er
janvier 2024, assise sur l’inflation en
moyenne annuelle mesurée en octobre 2023.
Les dépenses de santé dans le champ de l’objectif national de
dépenses d’assurance maladie (Ondam), hors dépenses liées à la crise
sanitaire, progresseraient de 3,2 %
, soit 0,7 point de plus que l’inflation.
Cette progression serait faible au regard des tendances passées puisque,
durant les années 2010, les dépenses de santé ont en moyenne augmenté de
1 point de plus que les prix. L’atteinte de l’objectif suppose donc un
infléchissement important des dépenses par rapport à 2023, année marquée
par une progression de 4,8 % et un dépassement de près de 3
Md€
de
l’objectif voté en LFRSS, qui
sera
d’autant
plus difficile à
atteindre qu’une
nouvelle convention médicale est en cours de négociation. Dans son avis du
13 octobre 2023, le C
omité d’alerte de l’Ondam a relevé, à cet égard, qu’une
partie significative des économies intégrées dans l’objectif pour 2024
(3,5
Md€
) reste à définir ou à négocier avec les acteurs du système de santé.
En sens inverse, les prestations sociales seraient freinées par le recul
des dépenses d’indemnisation du chômage (
- 3,0 % en volume). Celui-ci
résulterait,
d’une part
,
de l’hypothèse retenue par le Gouvernement d’une
bonne tenue du marché du travail (en dépit de la légère hausse récente du
taux de chômage) et
, d’autre part
, des premiers effets attendus de la réforme
de 2023 modulant la durée d’indemnisation en fonction de la situation du
marché du travail selon le principe de « contracyclicité ».
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
29
c)
Des dépenses locales tirée
s par l’investissement
La dépense publique locale progresserait, selon le PLF 2024, de 0,7 %
en volume en 2024
15
. La forte croissance des investissements (+ 6,0 %)
16
, en
raison de la position dans le cycle électoral
17
, compenserait le repli des
dépenses de fonctionnement (- 0,4 %).
Tableau n° 6 :
évolution des dépenses des administrations
publiques locales en volume
2023
2024
Dépenses de fonctionnement
- 0,1 %
- 0,4 %
dont achats
0,8 %
- 0,8 %
dont rémunérations
0,2 %
- 0,5 %
dont prestations sociales
- 2,9 %
- 0,5 %
Investissement
3,7 %
6,0 %
Total
1,0 %
0,7 %
Source :
ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Ce léger recul des dépenses de fonctionnement serait permis par celui des prestations sociales à
la charge des collectivités locales, principalement des départements (-2,9 % en volume) et une
progression contenue des achats (+0,8 % en volume). Selon ces mêmes prévisions, les dépenses
publiques locales d’achats courants et de rémunérations devraient se contracter en volume en
2024 (- 0,8 % et -0,5
%). En particulier, l’absence de nouvelle revalorisation des agents publics
en 2024 freinerait la dépense dans u
n contexte où l’inflation reste élevée.
Ces prévisions demandent cependant à être confirmées. Les données
comptables disponibles à fin 2023 suggèrent une progression plus rapide
des achats, potentiellement en lien avec la hausse des prix alimentaires, et
de
certaines
dépenses
sociales
comme
l’allocation
personnalisée
d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH).
15
La progression à champ constant est un peu plus rapide (0,9 %).
16
Les données sur l’investissement excluent les investissements de la Société du Grand Paris.
17
Les dépenses d’investissement des collectivités territoriales dépendent de la
proximité avec les échéances électorales locales. Les dépenses sont traditionnellement
peu dynamiques l’année de l’élection et l’année suivante, et accélèrent au fil du mandat.
COUR DES COMPTES
30
D -
Un déficit structurel plus creusé qu’avant
-crise,
une dette publique proche de 110 points de PIB
1 -
Après une « année blanche » en 2023, une baisse du déficit en
2024 dont l’ampleur n’est pas acquise
Après 4,8 points de PIB en 2022, le déficit public en 2023 se creuserait
légèrement à 4,9 points de PIB (les comptes nationaux 2023 seront publiés fin
mars 2024 par l’Insee). Le repli des mesures exceptionnelles en dépense
compensant la faible élasticité des prélèvements obligatoires en recettes, cette
détérioration du solde proviendrait principalement d’une croissance inférieure
à la croissance potentielle avec un creusement du solde conjoncturel.
La révision de sa prévision de croissance pour 2024 n'a pas conduit la
Gouvernement à modifier celle du déficit public, qu'il est toujours prévu de
réduire de 0,5 point de PIB pour atteindre 4,4 points de PIB du fait de
l’extinction des mesures de soutien face à l’inflation.
En 2023, le déficit public est resté p
rincipalement porté par l’État, dont le
déficit s’élèverait à 5,3 points de PIB selon le Gouvernement. C’est en effet lui
qui supporte la plupart des dépenses de soutien aux ménages et aux entreprises
ainsi que les baisses d’impôts. Symétriquement, en 2024, l’extinction des
mesures de soutien et le fort rebond des recettes d’impôt sur les sociétés feraient
de l’État le principal contributeur à l’amélioration du solde public.
Les administrations de sécurité sociale (Asso) seraient excédentaires de
0,7 point de PIB en 2023 et de 0,6 point en 2024
18
. La légère dégradation du
solde en 2024 serait principalement imputable aux effets retardés de l’inflation
2023 sur le niveau des pensions
via
leurs revalorisations.
Ces soldes positifs masquent toutefois les déficits du régime général
et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui s’élèveraient à 0,3 point de PIB
en 2023 et 2024. Par ailleurs, la caisse nationale de retraites des agents des
collectivités locales (CNRACL) contribuerait à dégrader le solde des régimes
sociaux à hauteur de 0,1 point de PIB en 2023 et en 2024.
Le solde positif des administrations de sécurité sociale (Asso) est lié à
celui de
la caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades)
, qui est
structurellement
excédentaire
puisque
ses
recettes
financent
le
remboursement en capital de la dette sociale,
qui n’est pas considéré
comme
une
dépense
en
comptabilité
nationale.
Les
régimes
complémentaires de retraite et l’Unedic
enregistreraient également des
excédents sur les deux années, en raison pour cette dernière de la bonne
tenue de l’emploi e
t
de l’effet des réformes de l’assurance
-chômage.
18
Ces chiffres ne prennent pas en compte les pensions des agents de l’État, qui relèvent
du budget de ce dernier.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
31
Les administrations publiques locales (APUL), qui étaient à
l’équilibre en 2022,
deviendraient déficitaires (- 0,3 point de PIB en 2023
puis - 0,2 point de PIB en 2024).
Cette dégradation s’expliquerait
principalement par le dynamisme de l’investissement compte tenu de la
position haute dans le cycle électoral communal (+ 8,5 % pour chacune des
deux années hors Société du Grand Paris) et par la chute des recettes de
droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Le déficit des APUL pourrait
être encore plus prononcé compte tenu du risque de sous-estimation de la
baisse de ces dernières (cf.
supra
).
La conjugaison de ces éléments et les risques propres à chaque
nivea
u d’administration publique font que la prévision de déficit pour 2024
est optimiste, voire difficilement atteignable en raison d’hypothèses
encore
trop favorables sur la croissance des recettes. Si le Gouvernement a pris
soin d'annoncer un objectif d'économie de 10
Md€ parallèlement à la
révision à la baisse de la croissance prévue pour 2024, il n'est pas certain
que celui-ci suffise pour maintenir la prévision de déficit. Des risques
existent également sur le coût net des mesures de soutien énergétique
co
mpte tenu de l’incertitude sur l’évolution des prix de marché, ainsi que
sur la capacité à respecter une valeur particulièrement contenue de
l’Ondam (hors dépenses exceptionnelles).
2 -
Un déficit structurel qui excèderait toujours en 2024
son
niveau d’avant
-crise
Le déficit structurel, c’est
-à-dire le déficit public mesuré hors effet
des fluctuations conjoncturelles (cf. encadré), se résorberait à hauteur de
0,4 point en 2024 pour atteindre 3,7 points de PIB selon la LFI 2024, après
une quasi-stabilité en 2023
19
. Cette réduction résulterait essentiellement de
l’extinction des mesures de soutien face à la crise énergétique
et, dans une
proportion difficile à quantifier à ce stade de l'année, des mesures
d'économies
annoncées
par
le
Gouvernement
pour
compenser
l'abaissement de la prévision de croissance. Même en baisse, ce solde
structurel serait toujours très éloigné de l’objectif de moyen terme (OMT)
fixé à -0,4 point de PIB dans la loi de programmation des finances
publiques pour les années 2023 à 2027, et resterait supérieur de 1,1 point de
PIB à son niveau d’avant
crise (2019).
19
Ces estimations sont basées sur l’
écart de production et la croissance potentielle
retenus dans le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 révisé
en septembre 2023.
COUR DES COMPTES
32
Solde public effectif, solde conjoncturel et solde structurel
Les évolutions du solde public sont affectées par les fluctuations de
l’activité économique. Afin de mieux apprécier la situ
ation des finances
publiques, le solde « effectif » peut être corrigé de cet effet conjoncturel
ainsi que des facteurs exceptionnels pour en déduire le solde « structurel ».
Ce calcul se fait en plusieurs étapes :
-
(i) estimation du PIB « potentiel »,
c’est
-à-dire du PIB corrigé de la
conjoncture ou encore le niveau du PIB qu’il serait possible d’atteindre de
manière soutenable en utilisant pleinement les capacités de production, et
calcul de l’écart entre le PIB effectif et ce PIB potentiel (rapporté a
u PIB
potentiel), appelé écart de production (
output gap
) qui définit la position
dans le cycle économique ;
-
(ii) estimation de la composante conjoncturelle du solde effectif, dit solde
conjoncturel, qui résulte, pour l’essentiel, du gain ou de la perte de
recettes
associé à cet écart de production ;
-
(iii) désignation et chiffrage des mesures ponctuelles et temporaires, qui
ne contribuent pas au solde structurel ;
-
(iv) estimation du solde structurel par différence entre le solde effectif et la
somme du solde conjoncturel et des mesures ponctuelles et temporaires.
Indépendamment des mesures de soutien, cette dégradation depuis le
déclenchement de la crise sanitaire résulte aussi de baisses significatives de
prélèvements obligatoires qu’aucun effort d’économie n’a compensé. Ainsi,
entre 2019 et 2024, les mesures fiscales, comme la suppression de la taxe
d’habitation, la convergence du taux normal d’impôt sur les sociétés vers
25 % ou la baisse de la TICFE, ont dégradé le déficit structurel de 1,6 point
de PIB. Parallèlement, la dynamique de la dépense publique a excédé la
croissance potentielle sur la période, de sorte qu’elle a contribué à dégrader
celui-ci de 0,3 point de PIB
20
. En sens inverse, sur cette même période, la
dynamique spontanée des prélèvements obligatoires, bien supérieure à la
croissance
de l’activité
(cf.
supra
), a contribué de manière positive à la
variation du solde structurel, pour un montant estimé à 1 point de PIB
21
.
20
En 2024, le ratio de dépenses publiques par rapport au PIB serait supérieur de
1,6 point à son nive
au de 2019. C’est toutefois l’évolution du ratio de dépenses
publiques par rapport au PIB potentiel qui est pertinente pour l’analyse de l’évolution
du déficit structurel. Or, le PIB potentiel étant supérieur au PIB effectif en 2019 (écart
de production de 0,9) et inférieur en 2024 (écart de production de -1,1), la dépense
publique aurait nettement moins progressé depuis 2019 par rapport au PIB potentiel que
ce que suggèrent les ratios par rapport au PIB effectif.
21
L’
évolution des recettes hors prélèvements obligatoires jouerait, quant à elle,
défavorablement sur le solde structurel, à hauteur de - 0,3 point de PIB, principalement
en raison de la baisse tendancielle de leur part dans le PIB.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
33
L’estimation du solde structurel reste par ailleurs entourée d’incertitud
es
importantes, liées
notamment à l’estimation de l’écart de production (voir
encadré
supra
) et aux éventuelles révisions qui pourraient être apportées aux
comptes nationaux (croissance, déflateur du PIB) au moment de la publication
des comptes annuels en mai 2024. Le niveau affiché du solde structurel est donc
susceptible d’être révisé ultérieurement, à la baisse ou à la hausse.
3 -
Des charges d’intérêts en hausse de 10 Md€ en 2024
En dépit de ces déficits élevés, le ratio de dette publique, rapporté au
PIB,
diminuerait de plus de deux points en 2023 pour s’établir à 109,7
points
de PIB, après 111,8 points en 2022. Ce recul s’explique de manière
mécanique par la forte croissance du PIB en valeur en 2023 (+ 6,8 %)
22
et,
de façon plus marginale, par un repli des
charges d’intérêts (
-
3,7 Md€) par
contrecoup du bond exceptionnel en 2022 lié aux obligations indexées sur
une inflation alors à son pic. En valeur, la dette publique progresserait
néanmoins de 140
Md€ en 2023.
En 2024, la dette publique progresserait au
total de 120 Md€ tandis que
le ratio d’endettement public demeurerait stable à 109,7 points de PIB. Celui
-
ci excèderait son niveau d’avant
crise de plus de 12 points, la dette en valeur
et atteignant près de 3 200
Md€, en hausse de plus de 800
Md€ par rapp
ort à
2019. En particulier, les charges d’intérêts augmenteraient de 10
Md€ en 2024.
Graphique n° 3 :
évolution prévue du niveau d’endettement public
entre 2022 et 2024 (en Md€)
Source : Insee, LFI 2024
22
Selon la prévision du Gouvernement dans le PLF pour 2024 la croissance en volume
serait faible en 2023 (1,0
%) mais, compte tenu de l’ampleur de l’inflation et de sa
transmission aux prix de production, le prix utilisé pour valoriser le PIB
–
ou déflateur
du PIB
–
progresserait de 5,7 % en 2023, conduisant à une progression du PIB en valeur
de 6,8
%. Fin janvier 2024, l’Insee a estimé la progression du PIB nominal à 6,3 % en
2023 (+0,9 % en volume et +5,4 % pour le déflateur du PIB).
COUR DES COMPTES
34
Compte tenu des incertitudes évoquées précédemment tant sur les
recettes que sur les dépenses, le risque existe que la dette publique
rapportée au PIB augmente de nouveau en 2024
, retardant l’inflexion
indispensable au respect de la trajectoire pluriannuelle (cf. II ci-dessous).
4 -
Des finances publiques particulièrement dégradées en 2024
par rapport à nos partenaires européens
Les prévisions de la Commission européenne publiées en
novembre 2023 permettent de comparer la situation des finances publiques
des huit principaux pays de la zone euro (représentant près de 90 % du PIB
de cette dernière) et leur évolution par rapport
à leur niveau d’avant
-crise.
Un groupe de pays se détache nettement, constitué de l’Allemagne,
des Pays-
Bas et de l’Autriche. Ces pays connaissaient une situation favorable
en 2019, avec des excédents structurels pour les deux premiers et un déficit
structurel inférieur à 1 % du PIB pour le dernier, qui leur ont permis de
soutenir leur économie. En 2024, ils conserveraient un endettement inférieur
à 80 points de PIB ainsi qu’un déficit structurel nettemen
t sous les 3 %.
Les autres principales économies de la zone euro se caractérisent par des
taux d’endettement public supérieurs à 100 points de PIB. On peut y distinguer
deux catégories. D’une part, la France, la Belgique et l’Italie ont nettement creusé
leur déficit structurel, qui excèderait encore 4 %
23
du PIB en 2024. La dette
italienne resterait, à cet horizon, supérieure à 140 points de PIB. D’autre part,
l’Espagne et le Portugal verraient au contraire leur déficit structurel diminuer par
rapport à l’
avant crise. Les deux pays se distingueraient toutefois nettement par
le niveau du solde (proche de l’équilibre au Portugal, déficit supérieur à 3
% en
Espagne) et l’évolution du ratio de dette publique
(- 16 points de PIB pour le
Portugal, + 8 points de P
IB pour l’Espagne).
23
La Commission européenne prévoit pour la France un déficit structurel de 4,4 % du
PIB, soit une estimation nettement supérieure à celle du Gouvernement dans le
PLF 2024 (3,7
%). Cet écart résulte d’une estimation, par la Commission européenne,
du PIB potentiel nettement inférieure à celle du Gouvernement.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
35
Graphique n° 4 :
évolution de la dette publique et du déficit structurel
des principaux pays européens entre 2019 et 2024 (en % du PIB)
Source
: prévisions d’automne 2023 de la Commission européenne
Les crises récentes ont accru la divergence entre ces groupes de
pays, constituant un risque pour la cohésion de la zone euro. L’engagement
d’une réelle convergence serait pourtant nécessaire compte tenu du
durcissement de la politique monétaire. De fait, les conditions de
financement des pays dont l’ende
ttement est élevé se sont fortement
dégradées depuis 2022 : le «
spread »
de l’Italie, c’est
-à-dire la différence
entre son taux à 10 ans et celui de l’Allemagne, a augmenté de plus de 40
points de base depuis début 2022, tandis que celui de la France a augmenté
de plus de 20 points de base depuis deux ans.
La sortie du «
quoi qu’il en coûte
» décidé au cours de la crise
sanitaire a été retardée par la crise énergétique, qui a mobilisé de nouveaux
dispositifs massifs de soutien avec pour corollaire le main
tien d’un déficit
et d’une dette publique très élevés en 2023. L’année 2024 devrait voir
s’éteindre l’essentiel de ces dispositifs exceptionnels, sans que l’effort en
matière d’économies structurelles soit véritablement engagé
par la loi de
finances initiale pour 2024. C'est en étant obligé de revoir sa prévision de
croissance pour 2024, en février, que le Gouvernement a annoncé de
nouveaux objectifs d'économies à hauteur de 10 Md€, qui seront d'autant
COUR DES COMPTES
36
plus difficiles à réaliser qu'ils interviennent en cours d'année. Réduire
sensiblement les déficits, inscrire la dette publique dans une trajectoire
décroissante et préserver le potentiel de croissance sont les trois objectifs
posés à l’horizon de la trajectoire pluriannuelle 2023
-2027. Le respect de
ce tripty
que est d’autant plus nécessaire que la situation des finances
publiques des pays de la zone euro, et notamment de la France, ont divergé
avec la crise, créant des risques accrus d’instabilité.
II -
Une trajectoire de retour
du déficit sous 3 % en 2027 à crédibiliser
La trajectoire présentée dans la loi de programmation des finances
publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027 conjugue trois faiblesses :
un retour tardif du déficit public sous 3 % du PIB en 2027 avec de surcroît
un
déficit
croissant
de
la
sécurité
sociale
(A),
un
scénario
macroéconomique trop optimiste, dès 2024 (B) et des efforts de maîtrise
des dépenses inédits mais non documentés et renvoyés à la période 2025-
2027 (C), dans un contexte où la réforme de la gouvernance économique
européenne me
t davantage l’accent sur la dynamique de la dépense
publique (D). En annonçant des mesures d'économies parallèlement à la
révision de la prévision de croissance pour 2024, le Gouvernement
s'efforce d'éviter que cette trajectoire pluriannuelle ne dérape dès le début.
Ce choix était nécessaire mais sa crédibilité exige désormais que ces
mesures d'économies soient rapidement précisées et effectivement mises
en œuvre.
A -
Une trajectoire peu ambitieuse, qui entérine
un déficit croissant de la sécurité sociale
À travers la LPFP pour les années 2023 à 2027, le Gouvernement a
présenté une trajectoire pour ramener le déficit sous 3 % du PIB et placer
la dette sur une trajectoire décroissante. Ainsi, en 2027, les déficits effectif
et structurel atteindraient
l’un et l’au
tre 2,7 points de PIB. La dette publique
rapportée au PIB commencerait à refluer légèrement en 2025 et serait
ramenée à 108,1 points de PIB en 2027.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
37
Tableau n° 7 :
trajectoire pluriannuelle associée à la LPFP 2023-2027
(en points de PIB)
2022
2023
2024
2025
2026
2027
Solde public, dont :
- 4,8
- 4,9
- 4,4
- 3,7
- 3,2
- 2,7
Solde structurel
- 4,2
- 4,1
- 3,7
- 3,3
- 2,9
- 2,7
Ajustement structurel
1,0
0,1
0,5
0,4
0,3
0,2
Dette publique
111,8
109,7
109,7
109,6
109,1
108,1
Source : LPFP 2023-2027
Le scénario macroéconomique sous-jacent à cette trajectoire est
celui d’une croissance potentielle de 1,35
% et d’une croissance effective
comprise entre 1,7 % et 1,8 % entre 2025 et 2027, après 1,4 % prévu
initialement
en 2024, qui permettrait de porter l’activité éc
onomique à son
niveau potentiel en 2027 en refermant en quatre ans l’écart de production
24
.
Dans ce scénario, l’inflation fléchirait progressivement, revenant autour de
2 % en 2025 puis se stabilisant à 1,75 %.
Au-
delà de l’amélioration du déficit permise
par ce scénario, la
trajectoire s’appuierait également sur un
e réduction du déficit structurel de
1,5 point de PIB entre 2022 et 2027. Celle-
ci résulterait d’une faible
croissance de la dépense publique primaire
25
(0,2 % par an en volume
26
sur
la période 2025-2027) ainsi que du retour à la normale de la fiscalité
énergétique à partir de 2025 avec la sortie du bouclier tarifaire.
En dépit de cet effort affiché de redressement, le déficit structurel
resterait très élevé en 2027, à 2,7 points de PIB, soit très au-dessus de
l’objectif de moyen terme (OMT) des administrations publiques,
toujours
fixé à 0,4 point de PIB dans la LPFP 2023-2027.
De surcroît, à rebours de la trajectoire de finances publiques qui se
redresserait sur la période 2023-2027, le déficit de la sécurité sociale se
creuserait de manière continue selon les prévisions du Gouvernement. Le
solde des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse
(FSV) se dégraderait en effet de 8,5
Md€ entre 2023 et 2027 pour atteindre
un déficit de 17,2
Md€ en 2027.
24
L’écart de production ou
output gap
désigne l’écart entre le PIB effectif et le PIB
potentiel (rapporté au PIB potentiel). Le PIB « potentiel » correspond au niveau du PIB
qu’il serait possible d’atteindre de manière soutenable en utilisant pleinement les
capacités
de production. L’écart de production définit ainsi la position dans le cycle économique
(en haut de cycle lorsque l’écart est positif, en bas de cycle lorsque l’écart est négatif). L
e
Gouvernement estimant
l’écart de production largement négatif
en début de période (-1,2
point de PIB en 2023), son scénario implique une croissance effective plus élevée que la
croissance potentielle sur la période 2024-2027 (1,65 % en moyenne contre 1,35 %).
25
La dépense publique hors charges d’intérêt est appelée
dépense publique primaire.
26
Ce chiffre en volume est calculé à partir de l’indice des prix à la consommation hors
tabac (IPCHT).
COUR DES COMPTES
38
Graphique n° 5 :
solde de la sécurité sociale par branche (Md€)
Source : annexe A de la LFSS pour 2024
Cette aggravation résulterait de la dégradation financière de la
branche vieillesse
27
qui, proche de l’équilibre en 2023, serait déficitaire de
10,8
Md€
en 2027 malgré la réforme des retraites de 2023 (qui devrait
néanmoins réduire le déficit de la branche de 6,3
Md€
en 2027,
via
de
moindres dépenses de pensions mais également un surcroît de cotisations
retraites). La réforme, qui conduit au recul de l’âge légal de départ à la
retraite, ne compense en effet que partiellement les effets démographiques
du vieillissement et de l’augmentation de la taille des générations qui partent
à la retraite. En particulier, le déficit de la caisse nationale de retraites des
agents des collectivités locales (CNRACL), attendu aux environs de 8
Md€
en 2027, contribuerait fortement au déficit de la branche.
Sur la période 2023-2027, la branche maladie resterait également très
déficitaire à un niveau proche de 10
Md€
malgré une trajectoire de dépenses
sous Ondam qui nécessitera la réalisation d’importantes économies.
La persistance sur moyenne période de déficits massifs de la sécurité
sociale ne peut être just
ifiée dès lors que l’économie ne se trouve pas en bas
de cycle comme en 2020. Les dépenses sociales sont en effet constituées de
prestations aux ménages qui, lorsqu’elles ne sont pas couvertes par des
impôts ou des cotisations sociales, pèsent sur les générations suivantes
auxquelles incombe de rembourser la dette sociale.
Des mesures doivent par conséquent être prises pour ramener les
comptes de la sécurité sociale à l’équilibre à l’horizon 2027. C’est d’autant
plus indispensable que les effets du vieillissement de la population, déjà
perceptibles, s’accroîtront et exerceront une pression croissante sur les
branches maladie, vieillesse et autonomie.
27
Est ici considéré l’ensemble de la branche vieillesse et du fonds de solidarité vieillesse (FSV).
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
39
B -
Un scénario macroéconomique optimiste
Indépendamment du scénario de croissance effective, qui a déjà dû
être révisé pour 2024, la trajectoire pluriannuelle repose sur un scénario de
croissance potentielle optimiste. Les hypothèses de croissance potentielle
à 1,35 % par an à partir de 2023 qui structurent la LPFP sont supérieures
aux estimations des autres institutions et organisations internationales. Le
Gouvernement met notamment en avant l’impact favorable des réformes
du marché du travail pour justifier ce niveau élevé. Si l’impact de la
réforme des retraites sur l’emploi retenu par le Gouvernement est
vraisemblable (+200
000 emplois occupés à horizon 2027), l’évaluation
des effets de la réforme de l’assurance
-chômage (+100 000 à 150 000
emplois à moyen terme) repose sur des hypothèses optimistes
28
, tandis que
l’effet des autres réformes n’est pas précisé
.
Le Gouvernement table par ailleurs sur un retour au plein emploi qui
se traduirait par une baisse du taux chômage jusqu’à son niveau le plus bas
depuis plus de 40 ans. Actuellement à un niveau historiquement faible, ce
dernier s’accompagne pourtant de tensions sur le marché du travail. Cette
concomitance suggère que le taux de chômage est voisin de son niveau
structurel et qu’une poursuite de sa diminution, déjà interrompue
depuis le
3
e
trimestre 2023, supposerait de nouvelles réformes d’ampleur. La Banque
de France, dans ses dernières prévisions, anticipe au contraire une remontée
du taux de chômage à 7,7 % fin 2024 et 7,8 % fin 2025. Faute de précisions
supplémentaires sur les mesures envisagées, le retour au plein emploi
affiché apparaît ainsi hypothétique.
Graphique n° 6 :
taux de chômage (France entière, en % de la population active)
Source : Insee, Banque de France
28
Cf. l’avis du Haut cons
eil des finances publiques n° HCFP-2023-7 relatif à la révision
du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027,
22 septembre 2023.
COUR DES COMPTES
40
Le Gouvernement suppose également un soutien accru, par rapport à
l’avant
-
crise, de l’investissement à la croissance potentielle, qui peut paraître
optimiste dans un contexte de durcissement des conditions de financement
m
ais aussi dans la perspective d’un déclassement accéléré des technologies
intensives en carbone
29
. La transition écologique devrait aussi peser sur les
recettes liées à l’énergie
30
, pouvant fragiliser
l’hypothèse de stabilité du taux
de prélèvements obligatoires à partir de 2025.
Pour ces raisons, l’estimation de la croissance potentielle par le
Gouvernement à 1,35 % par an apparaît très favorable. Elle contraste en
particulier avec celle de la Commission européenne, qui l’estime à 0,8
%
en moyenne sur la période 2023-
2027, et s’inscrit aussi au
-dessus de celles
de l’OCDE (1,1 %) et du FMI (1,3 %). D
ans sa note sur «
La croissance
potentielle à l’horizon de moyen terme
»
de juillet 2022, le secrétariat
permanent du HCFP privilégiait, quant à lui, «
un scénario de croissance
potentielle à l’horizon de moyen terme proche de 1
% par an
».
Parallèlement, le Gouvernement retient une estimation de l’écart de
production particulièrement creusé en 2022 (- 0,9 point), nettement en deçà
de celle de la Commission européenne (+ 0,2)
31
, qui apparaît difficilement
conciliable avec les tensions observées aujourd’hui sur le marché du travail.
Ces hypothèses favorables sur la croissance potentielle et l’écart de
production conduisent, comme il a été indiqué
32
, à un scénario de croissance
effective élevée au cours des prochaines années, autour d’une moyenne de
1,7
% par an jusqu’à la fermeture totale de l’
output gap
en 2027
33
. La
révision à la baisse de la croissance effective prévue pour 2024 devrait
logiquement conduire à terme à revoir le scénario de croissance potentielle.
29
Cf. direction générale du Trésor,
Les enjeux économiques de la transition vers la
neutralité carbone
, rapport intermédiaire, décembre 2023.
30
Selon le rapport de la DG Trésor cité ci-dessus, ces recettes pourraient être inférieures
de 13
Md€ à l’horizon 2030.
31
Elle est en revanche intermédiaire entre l’estimation du FMI (
-
0,7) et celle de l’OCDE (
- 1,3).
32
Plus l’
output
gap
(écart de production) est négatif, ce qui correspond au diagnostic
d’un creux conjoncturel, plus la croissance effective peut temporaireme
nt excéder la
croissance potentielle pour résorber progressivement cet écart et revenir à une pleine
utilisation des capacités de production.
33
La révision à la hausse de 0,2 point de l’écart de production par rapport au PLPFP
présenté en septembre 2022, qui justifierait une moindre croissance effective sur la
période de programmation, trouve sa contrepartie dans la révision à la baisse de
0,2 point de la croissance pour 2024.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
41
C -
Une trajectoire assise sur une maîtrise de la dépense
publique qui doit être mieux étayée
Le respect de la trajectoire pluriannuelle de dépense nécessitera la
réalisation d’efforts considérables de maît
rise de la dépense dès 2024,
contrairement à ce qui était prévu en LFI, dans un contexte de hausse
sensible des charges d’intérêts qui viennent contraindre d’autant les autres
composantes de la dépense publique.
Après un léger reflux en 2023 lié au contre
coup de l’effet exceptionnel
de l’inflation en 2022 sur les obligations indexées, la hausse des taux d’intérêt
entraîne une augmentation graduelle mais régulière des charges d’intérêts qui
préemptent une part croissante de la dépense publique. Malgré un reflux
récent, le taux à 10 ans a ainsi augmenté de plus de 200 points de base depuis
le début de l’année 2022. La trajectoire pluriannuelle est construite sur
l’hypothèse d’une légère remontée des taux d’intérêt, de 3,4
% fin 2023 à
3,5 % à partir de fin 20
24. Les charges d’intérêts passeraient ainsi de 1,7 point
de PIB en 2023 à 2,6 points en 2027, où elles représenteraient 84
Md€.
Graphique n° 7 :
charges d’intérêts
(en
Md€
–
ensemble des administrations publiques)
Source : PLPFP 2023-2027 présenté en septembre 2022, LPFP 2023-2027
Hors charges d’intérêts
et hors dépenses exceptionnelles, la dépense
publique ne devrait, dès lors, progresser que très modérément en volume,
à raison de 0,2 % en moyenne par an sur la période 2025-2027, ce qui
apparaît très ambitieux au regard de la dynamique passée.
COUR DES COMPTES
42
Graphique n° 8 :
taux de croissance de la dépense publique (hors charges
d’intérêts et hors dépenses exceptionnelles) en volume (en
%)
Source : Insee, LFI 2024 et LPFP 2023-2027
* les volumes ont été calculés à partir
de l’IPC
hors tabac.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
43
La trajectoire du périmètre des dépenses de l’État serait
particulièrement contrainte. Ces dernières passeraient de 496
Md€
34
en
2023 à 519
Md€ en 2027
35
, affichant même une diminution de 0,4 % en
volume en 2026 et en 2027. En tenant compte des lois de programmation
sectorielle (Défense, Justice, Intérieur, Recherche), le recul serait encore
plus marqué pour les autres ministères avec - 1,1 % en volume pour chacune
de ces deux années. L’accumulation de lois de programmation sectorielle,
qui couvrent actuellement 20
% du périmètre des dépenses de l’État et
jusqu’à 31
% en 2027, présente ainsi le risque de rigidifier la dépense ou de
reporter sur les ministères qui n’en bénéficient pas un effort peu réaliste.
La trajectoire de la LPFP suppose également une forte maîtrise des
dépenses locales. Dans l’ensemble,
celles-ci se contracteraient en volume
de 1,9 % en 2026 et 1,0 % en 2027. Ces prévisions sont d
’
autant plus
ambitieuses qu
’
elles ne sont associées à aucun mécanisme contraignant. En
outre, la baisse significative des investissements prévue en fin de période
n’est pas structurelle mais liée au cycle électoral communal.
Dans un contexte de vieillissement de la population faisant peser des
charges croissantes en matière de santé, retraite et dépendance, les dépenses
des administrations de sécurité sociale ne progresseraient en volume que de
0,5 % par an en moyenne entre 2024 et 2027. Cette modération serait
notamment permise par les économies résultant des réformes des retraites
(3,5
Md€ en 2027) et de l’assurance
-chômage (4,2
Md€ en 2027), tandis que
les prestations
d’assurance
-chômage resteraient contenues par le dynamisme
de l’emploi.
Par ailleurs, l
’évolution tendancielle des dépenses
dans le
champ de l’Ondam
étant très supérieure (évaluée à 4,6 % en valeur pour
2024), le respect de ces objectifs ambitieux nécessitera la réalisation
d’économies importantes
pour l’assurance maladie
, au moins égales chaque
année à celles prévues pour 2024 (3,5
Md€).
L’ambition d
u Gouvernement de parvenir à un ajustement structurel
de 0,3 point de PIB en moyenne chaque année entre 2025 et 2027 suppose
donc une maîtrise inédite de la dépense publique primaire, qui s'ajoute à
l'effort annoncé pour 2024
. Par rapport à l’évolution ten
dancielle des
dépenses avant-crise (2015-2019), ce sont près de 50
Md€ d’économies
34
La loi de finances de fin de gestion pour 2023 a ramené ce montant à 495,5
Md€
(au format 2024).
35
Ce chiffre et ceux qui suivent sur le champ de l’État sont établis en comptabilité
budgétaire sur le périmètre des dépenses de l’État –
agrégat comprenant les crédits du
budget général (hors contributions aux pensions, charge de la dette, remboursements et
dégrèvements), les prélèvements sur recettes, les budgets annexes, certains comptes
spéciaux, ainsi que les taxes affectées plafonnées à des tiers autres que les collectivités
locales et la sécurité sociale.
COUR DES COMPTES
44
qu’il faudrait réaliser d’ici 2027. Les 12
Md€ d’économies prévues pour
2025, à parité entre l’État et la sécurité sociale, qui seraient à conforter en
2026 et 2027, ajoutées à celles qui sont anticipées du fait des réformes sur
le marché du travail (de l’ordre de 8 Md€ à l’horizon 2027), représenteraient
ainsi moins de la moitié de l’effort nécessaire au respect de la trajectoire
jusqu’en 2027. Celui
-ci suppose non seulement la réalisation de ces
économies mais aussi, pour un montant comparable, un net ralentissement
de l’évolution spontanée des dépenses, qui n’est pas étayé à ce jour.
À ce stade, les moyens permettant de respecter cette trajectoire de
dépense ne sont documen
tés qu’à la marge par les effets durables des
réformes des retraites et de l’assurance
-
chômage. L’identification des
économies de 12
Md€ prévues dès 2025 est,
quant à elle, renvoyée à la
revue annuelle des dépenses, qui devra avoir des effets bien supérieurs à
ceux du premier exercice, décevant, en 2024. Pour cela, la Cour réitère les
recommandations qu’elle a formulées en
juin 2023
36
: ces revues doivent
porter sur un périmètre large, s’inscrire
dans la durée, être axées sur la
qualité de la dépense et être sous-tendues par une volonté politique forte.
Au-
delà des seules revues de dépenses, l’effort d’économie nécessaire
devra préserver les dépenses de nature à soutenir durablement l’activité
économique et la transition écologique afin de concilier au mieux
l’ajustement budgétaire et l’amélioration du potentiel de croissance.
D -
Une trajectoire qui ne comprend aucune marge
de
manœuvre en cas de scénario moins favorable
L
’analyse des hypothèses sous
-jacentes à la LPFP montre que,
prises dans leur ensemble, celles-ci sont soit optimistes, soit requièrent une
rupture marquée par rapport à la pratique passée, notamment en termes de
maîtrise de la dépense publique.
Trois conditions sous-tendent en effet la trajectoire 2023- 2027 : une
prévision de croissance pour 2024 élevée,
qui vient d’être revue à la baisse
,
un scénario de croissance potentielle optimiste et un objectif de maîtrise
inédite des dépenses sur la période 2025-2027. Les marges de sécurité
apparaissent ainsi extrêmement faibles et toute mauvaise surprise
macroéconomique dès 2024 ou toute réalisation budgétaire en deçà des
ambitions affichées ferait s’écarter de la trajectoire, avec le risque d’une
hausse du ratio d’endettement au cours de la période de programmation.
36
Cour des comptes,
Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques
,
juin 2023.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
45
La Cour a quantifié les effets de trois scénarios moins optimistes
portant sur chacune de ces hypothèses :
•
un scénario de « croissance faible en 2024
», qui illustre l’impact
spécifique sur la trajectoire d’une croissance de 0,7
% en 2024, au niveau
du consensus des économistes et 0,3 point plus basse que la prévision
révisée de 1 % annoncée par le Gouvernement en février 2024, les autres
hypothèses de la LPFP étant conservées sur la période 2025-2027 ;
•
un scénario de « croissance faible 2024-2027 », qui retient une
croissance effective égale à 1 % sur la période 2024-2027
37
;
•
un scénario de « dépense tendancielle » dans lequel la dépense publique
primaire en volume hors mesures exceptionnelles progresserait à son
rythme pré-crise, soit 1,2 % par an sur la période 2025-2027, au lieu de
0,2 %. Contrairement aux deux précédents, ce scénario dépend
directement des décisions prises par le Gouvernement.
L’effet sur le déficit et la dette publics de chacun de ces scénarios et
de la conjugaison, d’une part, du premier et du troisième et, d’autre part,
du deuxième et du troisième, figure dans le tableau ci-dessous.
Tableau n° 8 :
scénarios d’évolution
du déficit et de l'endettement publics
(en points de PIB)
Déficit public
Dette publique
2024
2027
2024
2027
Trajectoire LPFP 2023-2027
4,4
2,7
109,7
108,1
Scénario 1 croissance faible 2024
4,8
3,1
111,0
110,5
Scénario 2 croissance faible 2024-2027
4,7
4,2
110,5
114,2
Scénario 3 dépense tendancielle
4,4
4,2
109,7
110,9
Scénario cumulé (1+3)
4,8
4,6
111,0
113,3
Scénario cumulé (2+3)
4,7
5,7
110,5
117,0
Source : LPFP 2023-2027, calculs Cour des comptes
Toutes choses égales par ailleurs, une croissance significativement
plus faible en 2024 (0,7 %) que la prévision de la LPFP (1,4 %) déjà revue à
la baisse par le Gouvernement (1,0 %), se traduirait par un déficit public de
3,1 points du PIB et un ratio de dette publique de 110,5 points de PIB en 2027,
soit un niveau d’endettement supérieur de 2,4 points à la cible de la LPFP.
37
Ce scénario repose sur l’hypothèse d’un écart de production nul en début de période
ainsi qu’une croissance potentielle égale à 1
%, ce qui se traduit par une croissance
effective
à ce niveau jusqu’en 2027, en deçà des prévisions gouvernementales.
COUR DES COMPTES
46
Le scénario
d’une croissance de 1
%
jusqu’en 2027
, quant à lui,
conduirait à un déficit de 4,2 points de PIB et à un niveau de dette en 2027
supérieur
de 6 points de PIB à l’objectif
.
Parallèlement, à scénario macroéconomique inchangé, une dépense
publique - hors cha
rges d’intérêts et hors dépenses exceptionnelles
- qui
augmenterait au même rythme qu’avant
-crise (2015-2019) se traduirait en
2027 par un déficit de 4,2 points de PIB et par un ratio de dette supérieur de
2,8 points de PIB à celui de la LPFP.
Le cumul du premier et du dernier scénario porterait la dette à plus de
5 points de PIB en 2027 par rapport à la LPFP et le déficit à 4,6 points de PIB
en 2027. Le cumul des deux derniers scénarios placerait la dette publique sur
une trajectoire ascendante accélérée,
de sorte que le ratio d’endettement
atteindrait 117 points de PIB en 2027 et le déficit 5,7 points de PIB à cet
horizon. Replacer la dette sur une trajectoire descendante constitue pourtant
un impératif pour garantir sa soutenabilité, restaurer des marges
de manœuvre
et éviter une divergence accrue des finances publiques de la France par
rapport à celles de ses partenaires européens.
Graphique n° 9 :
scénarios d’évolution de la dette publique
(en points de PIB)
Source : LPFP et calcul Cour des comptes
* Le scénario « croissance faible 2024 » suppose une croissance de 0,7 % en 2024. Le scénario
croissance faible 2024-
2027 retient l’hypothèse d’une croissance de 1
%
jusqu’en 2027
. Le scénario
dépense tendancielle retient un rythme de croissance de la dépense primaire, hors mesures
exceptionnelles de soutien,
égal à celui de l’avant
-crise. Les deux scénarios cumulés prennent en
compte conjointement les hypothèses du dernier scénario avec celles du premier ou du deuxième.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
47
E -
Une trajectoire problématique au regard
des engagements européens de la France
Le 20 décembre 2023, le c
onseil des ministres des finances de l’Union
européenne a adopté un projet de réforme de la gouvernance économique et
budgétaire européenne, après plusieurs mois de négociations. Celui-ci fait
désormais
l’objet de discussions «
en trilogue », réunissant la Commission
européenne, le Conseil et le Parlement européen, avec l’objectif que les
nouvelles règles puissent entrer en vigueur début 2025.
Fondées sur la nécessité de favoriser une croissance durable tout en
garantissant la soutenabilité des finances publiques des États membres, en
particulier ceux de la zone euro, les nouvelles règles conservent le double
objectif d’un déficit inférieur à 3 % du PIB et d’une dette inférieure à 60
%.
Elles conservent aussi un « volet correctif » automatique pour les pays dont
le déficit et la dette se situent au-dessus de ces cibles, avec des efforts annuels
minimaux globalement inchangés par rapport à la situation actuelle.
Que ce soit en vertu des règles actuelles ou futures, la levée au 1
er
janvier 2024 de la clause dérogatoire générale prévue par le Pacte de stabilité
et de croissance européen, qui a permis aux États membres de s’écarter de
ses prescriptions depuis 2020, impose donc à la France de réduire son ratio
d’endettement
d’au moins 1
point par an et de réaliser un ajustement
structurel minimal primaire de 0,4 point par an ou 0,25 point en cas de plan
de moyen terme sur sept ans, jusqu’à atteindre un solde structurel de
- 1,5
point de PIB.
Or, dans sa recommandation adressée mi-
2023, le Conseil de l’Union
européenne demandait à la France de plafonner à 2,3 % en 2024 la hausse de
ses dépenses publiques nettes. Avec une croissance affichée de 2,6 %, que la
Commission estime même à 2,8 %, le budget 2024
s’écarte
de cette
recommandation
38
. Selon la Commission, la France est un des quatre pays
de la zone euro
39
dont le projet de budget risque de ne pas respecter les
recommandations du Conseil de 2023.
38
Selon le Gouvernement, le budget présenté «
s’inscrit en cohérence avec les
recommandations européennes pour 2024
» dans la mesure où il correspond à un ajustement
structurel primaire de 0,8 point contre 0,7 point mentionné dans la recommandation.
Toutefois, c’est la valeur de l’ajustement structurel, donc en tenant compte des charges
d’intérêts, qui est mentionnée dans la recommandation du Conseil et non celle de l’ajustement
structure
l primaire. L’ajustement structurel sous
-jacent au PLF 2024 atteint 0,5 point et se
situe donc 0,2 point en deçà du niveau précisé dans la recommandation du Conseil.
39
Avec la Belgique, la Croatie et la Finlande.
COUR DES COMPTES
48
La Commission européenne a indiqué en mars 2023 qu’elle ouvrirait
des procédures pour déficit excessif au printemps 2024 sur la base des résultats
de l’année 2023
40
. En l’état, l’amélioration du solde structurel prévue en
France entre 2023 et 2024 demeure inférieure aux exigences du Pacte de
stabilité. Plus généralement,
s’il s’avérait que les objectifs de finances
publiques pour 2024 prévus par la loi de programmation des finances
publiques ne pouvaient pas être respectés, la France serait conduite à devoir
décider de mesures plus volontaristes pour tenir ses objectifs à
l’horizon 2027.
40
Communication de la Commission au Conseil,
Orientations en matière de politique
budgétaire pour 2024
, 8 mars 2023.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
49
______________________ CONCLUSION _____________________
Après une « année blanche » en 2023 en termes de réduction du déficit
et de maîtrise des dépenses, les textes financiers de l’année 2024 ont été bâtis
sur une hypothèse de croissance trop favorable que le Gouvernement, malgré
les avis du Haut Conseil des finances publiques et des organisations
internationales, a maintenue jusqu'à février 2024. L
’
annonce récente d'une
révision à la baisse de la croissance assortie d
’
économies en dépenses vise à
préserver l
’
objectif de déficit public, et avec lui, l
’
ensemble de la trajectoire
pluriannuelle de finances publiques jusqu'à 2027.
Celle-ci, déjà exigeante, apparaît problématique au regard de nos
engagements européens. Avec un déficit public qui ne passerait sous les 3
points de PIB qu
’en 2027 et avec une dette qui ne diminuerait que faiblement
en toute fin de période, cette trajectoire est fragile et les marges de sécurité
apparaissent
extrêmement
ténues.
Toute
mauvaise
surprise
macroéconomique, toute réalisation budgétaire en deçà des ambitions
affichées aboutiraient à
hausse du ratio d’endettement public au cours de la
période de programmation et à un maintien du déficit au-dessus de 3 %.
La trajectoire de dépense affichée par le Gouvernement implique
ainsi sur les trois dernières années de la période de programmation un très
net infléchissement, qui n
’a pas d’exemple dans l’histoire récente et
supposerait d’engager de l’ordre de 50
Md€
d’économies entre 2025 et
2027
, s’ajoutant aux 10
Md€ de réduction des dépenses de l’État annoncée
en février 2024.
Un tel effort est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que
la hausse des charges d’intérêts et de nombreuses lois de programmation
sectorielle (Défense, Justice, Intérieur, Recherche) orientent déjà la dépense
publique à la hausse, et que la transition écologique devrait mobiliser un
volume croissant de financements, privés comme publics.
La situation des finances publiques de la France restera ainsi en
2024, comme en 2023, parmi les plus dégradées de la zone euro et risque
d’exposer la France à des discussions difficiles avec la Commission et ses
partenaires européens, que ce soit dans le cadre des règles budgétaires
actuelles ou des nouvelles règles en cours de discussion.
Il est essentiel de faire preuve de sélectivité dans les dépenses et de
compenser tout surcroît de dépense ou toute baisse d’impôt par des économies
ou des hausses de recettes. Il sera aussi crucial d’engager des réformes
ambitieuses dans certains secteurs clés pour infléchir durablement le rythme
de la dépense et de faire du renforcement de la qualité de la dépense une
priorité de premier rang.
Réponse reçue
à la date de la publication
Réponse commune du ministre de l’économie, des finances
et de la souveraineté industrielle et numérique et du ministre délégué
chargé des comptes publics
.......................................................................
52
COUR DES COMPTES
52
RÉPONSE COMMUNE DU MINISTRE
DE L’
ÉCONOMIE,
DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE
ET NUMÉRIQUE ET DU MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ
DES COMPTES PUBLICS
Vous avez bien voulu nous adresser le chapitre du rapport public
annuel de la Cour des comptes sur la situation d'ensemble des finances
publiques, dont nous avons pris connaissance avec intérêt. Il constitue une
contribution utile face à l'impératif de retour à une trajectoire de finances
publiques soutenable et durable pour notre pays.
Nous partageons ainsi de nombreux points d'analyse et nous
souscrivons globalement aux orientations de la Cour, en particulier sur la
nécessité de redresser durablement les finances publiques tout en préservant
notre potentiel de croissance à moyen terme. Certains points appellent
toutefois des remarques, qui font l'objet du présent courrier, notamment sur
notre action, notre ambition et nos leviers pour la période à venir.
S'agissant du scénario macroéconomique, la Cour considère que la
prévision de croissance du Gouvernement pour 2024 de +1,4 % « apparaît
compromise » et juge les prévisions de moyen terme « optimistes ». Le
Gouvernement révise sa prévision pour 2024 de 1,4 % à 1,0 %. Cette
nouvelle prévision tient compte de l'ensemble des informations
disponibles : d'une part du ralentissement de l'activité au 2ème semestre
2023 plus marqué que prévu, et du contexte économique international
dégradé, et d'autre part, du fait que les indicateurs récents, en particulier
les climats des affaires et la confiance des ménages de l'Institut national
de la statistique et des études économiques (Insee), suggèrent un retour de
la croissance au début 2024, qui serait favorisé par la poursuite du reflux
de l'inflation. Le scénario économique de moyen terme repose sur un
diagnostic, largement partagé parmi les prévisionnistes, d'un écart de
production négatif en 2023. Cela justifie une croissance effective
temporairement supérieure à la croissance potentielle à partir de 2025, de
façon à revenir en 2027 au potentiel de l'économie,
En ce qui concerne les recettes, la Cour souligne le retournement
de la situation constatée en 2023 par rapport aux deux années précédentes,
marquées par de bonnes surprises en exécution. Depuis le programme de
stabilité pour 2022 et la loi de finances (LFI) 2023 et jusqu'à la loi de
finances de fin de gestion 2023, une hypothèse d'évolution spontanée des
prélèvements obligatoires bien moindre que l'activité était déjà prévue
pour 2023, un contrecoup étant normal après l'évolution spontanée très
dynamique de 2022. Il reste en revanche difficile de conclure à ce stade de
l'année sur les prévisions pour 2024.
LA SITUATION D’ENSEM
BLE DES FINANCES PUBLIQUES
(À FIN FÉVRIER 2024)
53
S'agissant des mesures en prélèvements obligatoires, la Cour met
en exergue l'extinction progressive des mesures temporaires relatives à
l'énergie et le verdissement de la fiscalité engagés par le Gouvernement.
Après les fortes baisses d'impôts du quinquennat précédent, la LFI 2024
marque davantage, d'une part, l'extinction partielle des mesures
temporaires relatives à l'énergie et, d'autre part, une volonté de
verdissement de la fiscalité. En particulier, la hausse de l'accise sur le gaz
combustible s'inscrit dans une démarche visant à réduire l'écart de
taxation (hors mécanisme exceptionnel de réduction de la fiscalité de
l'électricité) entre le gaz et l'électricité. Il nous semble que cette démarche,
qui participe par ailleurs à l'assainissement de nos finances publiques,
pourrait être encouragée par la Cour.
Quant aux dépenses, la Cour estime que les efforts d'économies hors
extinction progressive des mesures exceptionnelles sont repoussés en 2025,
II importe de revoir ce constat.
D'une part, les efforts structurels d'économies en dépense
commencent à se matérialiser dès 2024, et notamment ceux tenant à la
réforme de l'assurance chômage. D'autre part, des efforts importants en
gestion sont prévus, matérialisés dans le décret d'annulation de 10
milliards d'euros de crédits de l'État que nous avons annoncé le
18 février 2024. Ces annulations consistent pour moitié en une réduction
des dépenses transverses des ministères, et pour l'autre moitié en des
réductions ciblées sur certains dispositifs de politique publique.
Enfin, s'agissant plus particulièrement des mesures de soutien sur
l'énergie, après deux années de prix particulièrement élevés sur les
marchés de gros du gaz et de l'électricité, et bien que la normalisation des
prix de l'énergie ne soit pas encore totalement achevée, le Gouvernement
a déjà procédé à une forte réduction des mesures de soutien aux ménages
et aux entreprises face à la crise énergétique. À titre d'exemple, les tarifs
normaux de l'accise sur l'électricité ont été réhaussés de 20 euros/MWh le
1er février 2024, afin de réduire progressivement l'intensité de l'aide sur
la consommation d'électricité des ménages. De même, s'agissant des
entreprises, certaines mesures de soutien sont prolongées, mais avec des
paramètres de couverture allégés et pour un coût largement réduit par
rapport à 2023.
Par ailleurs, le rythme de consolidation budgétaire choisi par le
Gouvernement répond à la volonté de ne pas pénaliser la croissance et ainsi
de ne pas reproduire les erreurs commises la décennie passée lors de la crise
des dettes souveraines en zone euro. Cette consolidation progressive des
finances publiques permet également les investissements nécessaires afin de
relever les défis majeurs du pays dans les années à venir, que ce soit en
COUR DES COMPTES
54
matière de transition écologique et numérique, d'adaptation de notre
système éducatif et de formation, de défense, ou encore de renforcement de
la qualité de nos services publics. Cette approche graduelle et équilibrée
s'inscrit dans l'esprit des règles en cours de révision du pacte de stabilité et
de croissance, qui visent à concilier soutenabilité des finances publiques et
soutien à l'investissement et la croissance.
En ce qui concerne les économies à réaliser, le Gouvernement s'est
fixé des objectifs conformes au respect de la trajectoire de la loi de
programmation des finances publiques (LPFP). Les économies sous-
jacentes aux montants arbitrés dans la trajectoire pluriannuelle impliquent
de réaliser, dès 2025, un montant de 12
Md€ d'économies également
réparties entre la sphère État et la sphère sociale. Contrairement à ce qui
est avancé dans le projet de chapitre, ce quantum d'économies n'est pas
irréaliste mais nécessite de mobiliser tous les leviers à notre disposition,
de réaliser des réformes et des économies structurelles qui seront
notamment documentées par les revues de dépenses menées de façon
pérenne, chaque année. Pour la préparation du projet de loi de finances
2025, une nouvelle vague de revues de dépenses a déjà été lancée, à la fin
de l'année 2023 et au début de l'année 2024. Par rapport à la première
vague lancée en 2023, le fait qu'elle soit lancée plus en amont et avec un
objectif d'économie chiffré devrait contribuer à son succès. L'objectif d'une
maîtrise de la dépense plus volontariste est ainsi pleinement partagé et la
réalisation de revue de dépenses par la Cour elle-même contribue à la
poursuite de cet objectif commun. Si l'objectif de 12
Md€ d'économies
correspond à l'objectif minimal des mesures d'économies pour chacune des
années 2025 à 2027, les 50
Md€ d'économies supplémentaires à réaliser
d'ici 2027 mentionnés à plusieurs reprises dans le projet de chapitre ne
correspondent pas à une cible précise de la LPFP.
Enfin, s'agissant de nos engagements européens, il convient de
rappeler que 2024 devrait constituer une année de transition entre les
règles actuelles du pacte de stabilité et de croissance et le nouveau système
en cours de négociation entre le Conseil et le Parlement européen. Le
nouveau cadre ne devrait s'appliquer pleinement qu'à compter de 2025.
L'année 2024 sera l'année de préparation des plans budgétaires et
structurels de moyen terme, sur la base des nouvelles règles budgétaires,
reposant sur une analyse de soutenabilité de la dette à moyen terme.