Les obstacles à une politique routière en Île-de-France
En Île-de-France, le boulevard périphérique parisien, propriété de la Ville de Paris, forme, avec les routes nationales, le « réseau magistral » de la région, qui représente un linéaire total de 656 kilomètres. Sur ce réseau magistral, l’état de la circulation et de la congestion routières apparaît correctement suivi et s’accompagne de la mise en œuvre progressive d’instruments de gestion de ce trafic. Toutefois, la connaissance des flux totaux, y compris de poids lourds, de leur tendance, de la nature des déplacements et des besoins émergents s’avère encore insuffisante. L’évaluation couramment présentée – 4 millions d’usagers par jour pour les seules routes nationales, soit 25 % des trajets en Île-de-France - résulte d’études anciennes, voire mal identifiées. De manière plus qualitative, il est regrettable qu’aient été abandonnées les enquêtes de satisfaction permettant de mieux prendre en compte les attentes des usagers. De plus, le manque d’harmonisation et de partage des données routières existantes entre les différents gestionnaires de réseau et avec les gestionnaires de transports collectifs, fait obstacle à une connaissance précise des déplacements et à une vision exhaustive des mobilités incluant les transports collectifs, indispensable à l’adoption d’une stratégie cohérente en matière de mobilité durable. Une autre cause de cette situation est liée au partage des compétences sur le « réseau magistral » en Ile-de-France entre de multiples acteurs publics et surtout à leur insuffisante coordination : État, région, Île-de-France Mobilités (IDFM), métropole du Grand Paris, départements, établissements publics intercommunaux et communes. Leur coopération et leur coordination, qui prennent essentiellement la forme de documents de programmation communs peu opérants, sont en effet insuffisamment développées. Malgré une mise en évidence ancienne de cette problématique, c’est seulement en 2024 qu’une première plateforme de partage des données a été mise en place. Elle se heurte encore à des obstacles techniques (méthode, formats) et à la nécessité de convaincre certains maîtres d’ouvrage routiers et gestionnaires d’y participer. A cet égard, il conviendrait d’associer les départements, propriétaires de la plus grande partie du linéaire routier francilien et nécessairement concernés par la gestion du « réseau magistral ».
Une décentralisation des routes nationales au profit de la région ou d’IDFM pourrait en théorie faciliter l’articulation de la politique routière avec celle des transports en général. Toutefois, outre que la possibilité d’expérimenter une mise à disposition de routes nationales n’a pas été saisie par la région quand elle était offerte par la loi, il convient de rappeler qu’à ce réseau magistral s’attachent aussi, en Île-de-France, des intérêts stratégiques nationaux. Par ailleurs, la mise en œuvre d’une telle réforme soulèverait la question de son financement ainsi que des modalités techniques de transfert des compétences et des moyens. Elle aboutirait également à créer un acteur supplémentaire de la politique routière, au risque de rendre sa gouvernance encore plus complexe. Aussi la Cour privilégie-t-elle une amélioration de la coordination entre les différents acteurs pour arriver à la définition d’une politique routière à l’échelle régionale, articulée à la politique de mobilité en transports collectifs. Il revient d’abord à l’État, de par ses responsabilités de gestionnaire et sa position institutionnelle, de prendre en ce sens les initiatives nécessaires, ce qui n’exclut pas une réflexion sur des évolutions de gouvernance à plus long terme. Dans ce contexte, la Cour recommande à l’Etat de se doter des moyens techniques pour estimer et suivre le niveau de la circulation sur le réseau magistral en Île-de-France, en distinguant les différentes catégories de véhicules, notamment les poids lourds. Elle préconise également d’achever la démarche de partage des données routières entre les différents gestionnaires de réseaux et acteurs de la politique de mobilité.
Un réseau dont la gestion n’est pas toujours à la hauteur de son caractère stratégique
Si le patrimoine routier francilien a jusqu’à présent rempli son rôle de manière satisfaisante, son entretien et son suivi n’apparaissent pas toujours à la hauteur de son importance économique et sociale, ni du nombre de ses usagers. De même, la connaissance et le suivi de l’état des voiries départementales apparaissent inégaux.
En effet, plusieurs référentiels d’évaluation coexistent et chaque gestionnaire opère sa propre classification, avec un niveau de précision variable, voire une connaissance approximative, en particulier s’agissant du boulevard périphérique. Le réseau magistral géré par l’État est mieux suivi, mais il est vieillissant et globalement en mauvais état, à l’exception des tunnels, qui ont fait l’objet d’un effort important au début des années 2000, en application d’une loi de 2002 faisant suite à l’incendie du tunnel du Mont-Blanc. Il convient donc d’amplifier l’augmentation récente des moyens financiers accordés et de poursuivre les actions de productivité des services chargés de l’entretien du réseau, les progrès constatés sur la dernière période. Ce point concerne notamment la gestion des ressources humaines, après un laisser-aller longtemps constaté en matière de contrôle de l’activité des agents, de leur temps de travail et de leurs absences. Dans les départements, les modes de gestion mériteraient également d’être revus pour gagner en performance, avant tout par la tenue d’une comptabilité analytique nécessaire pour connaître précisément les différents coûts liés à la gestion des routes et en piloter l’évolution dans un contexte financier contraint. Alors que les dépenses routières annuelles de l’État, de la Ville de Paris et des départements franciliens atteignent 1,17 Md€, un tel effort se révèle d’autant plus impératif qu’il ne s’agit pas seulement de remettre le patrimoine concerné à niveau mais aussi, du fait de l’ancienneté de sa conception, d’appliquer les nouvelles normes en vigueur et de l’adapter aux enjeux contemporains en matière de mobilité. La politique de sécurité routière, au regard des fortes spécificités de la région en la matière, et, particulièrement, l’adaptation des infrastructures à l’objectif de réduction de l’accidentalité doit également être relancée.