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Rapport particulier n°6
Document de travail
Ce rapport a été établi sous la seule responsabilité de ses auteurs.
Il n’engage pas le Conseil des prélèvements obligatoires
.
RAPPORT PARTICULIER N° 6
Où va l’impôt
sur les sociétés ?
Paul SAUVEPLANE
Ingénieur des mines
Laurent SIMULA
Professeur de sciences économiques
à l’Université Grenoble Alpes
Rapporteurs
Rapport particulier n°6
Document de travail
Rapport particulier n°6
Document de travail
RAPPORT PARTICULIER N°6
Où va l’impôt sur les sociétés
?
Paul Sauveplane, ingénieur des mines
Laurent Simula, professeur de sciences économiques
à l’Université Grenoble Alpes
Rapport particulier n°6
Document de travail
SYNTHESE
La réflexion sur l’impôt sur les sociétés sous l’angle économique s’inscrit dans celle, plus large,
sur la fiscalité des revenus du capital. Nous éclairons celle-
ci à l’aide de deux points de vue
complémentaires :
l’analyse de l’incidence fiscale et la thé
orie de la fiscalité optimale
. La
première souligne en particulier que la charge fiscale finit toujours par porter sur des
personnes physiques (propriétaires du capital, salariés et/ou consommateurs). La seconde
cherche à caractériser le meilleur système fiscal
. Elle souligne qu’il serait préférable
de
s’affranchir de tout impôt sur les sociétés et d’imposer directement les personnes physiques.
Cependant, lorsque le décideur public ne dispose pas des informations nécessaires à une
taxation optimale des personnes physiques, une fiscalité des personnes morales devient
nécessaire.
Dès lors, l’impôt sur les sociétés apparaît comme un impôt par défaut
.
L
’impôt sur les sociétés
est un élément de cohérence du système fiscal
. Il constitue tout
d’abord un substitut à la fiscalité des personnes physiques dans la mesure où l’incidence fiscale
ne peut être tracée parfaitement. Il permet également d’imposer indirectement le revenu des
détenteurs du capital résidant à l’étranger, et échappant à l’impôt sur le revenu domes
tique.
En jouant le rôle d’acompte sur l’impôt sur le revenu des entrepreneurs, il limite les possibilités
d’optimisation fiscale par non
-distribution des profits. Il constitue également un substitut à
une contribution directe des entreprises pour
l’usage
des biens et services publics, ce dernier
étant matériellement difficile à mesurer. Il est enfin un moyen de taxer les rentes pures
générées par les entreprises. Celles-ci apparaissent lorsque les facteurs de production sont
rémunérés à un prix excessif et
sont sources d’inefficacité. L’impôt sur les sociétés contribue
donc à la fois à la justice sociale, à l’efficacité économique et à la neutralité du système fiscal.
Cependant, certains arguments plaident pour un impôt prélevé dans le pays source alors que
d’autres sont davantage en faveur d’un impôt prélevé dans le pays de résidence des détenteurs
du capital.
Une fois cet impôt fondé, il faut
s’interroger sur les propriétés qu’il devrait satisfaire.
En
d’autres termes, comment définir un bon impôt sur les
sociétés ?
Nous examinons cette
question en économie fermée puis en économie ouverte. Nous distinguons en particulier une
perspective « internationale » dans laquelle tous les problèmes de coordination entre États
sont supposés résolus et un point de vue « national ». Du point de vue international, un système
fiscal optimal comporte un impôt sur les revenus du capital prélevé dans le pays source afin de
taxer les rentes dont bénéficient les entreprises. Cet impôt est combiné avec une taxation des
détenteurs du capital dans leur pays de résidence. Taxation à la source et dans le pays de
résidence ne sont donc pas incompatibles. Nous examinons ensuite si un État, animé par la
seule poursuite de ses propres intérêts nationaux, met spontanément en place des politiques
en accord avec la perspective internationale. Il apparaît que ce n’est généralement pas le cas
des petits pays périphériques, à la différence des pays plus grands et plus centraux sur le
marché mondial. Ces derniers ont intérêt à utiliser les mêmes instruments de taxation des
revenus du capital, du point de vue national comme du point de vue international ; cependant,
les barèmes de taux ne sont pas les mêmes dans les deux cas.
Cela suggère qu’il est
certainement plus réaliste de rechercher davantage de coordination fiscale entre
grands pays de la zone euro plutôt que directement au niveau de l’Union européenne.
En outre, i
l est sans doute plus facile de s’accorder sur une harmonisation des
instruments, que sur la définition de taux « souhaités », du moins dans un premier
temps.
L’analyse théorique ne parvient pas à identifier un système d’imposition des sociétés
qui dominerait tous les autres. Elle fournit néanmoins un ensemble de propriétés qu’un
bon impôt doit satisfaire
. À partir de celles-ci, nous resituons les différentes façons dont
l’impôt sur les sociétés est actuellement administré et présentons les principales alternatives
envisageables. Ces dernières sont obtenues en croisant deux critères : les revenus inclus dans
l’assiette d’une part,
et la localisation de l’assiette d’
autre part.
Les évolutions envisagées ont
toutes pour ambition d’introduire davantage de neutralité fiscale, tout en limitant les
risques de concurrence fiscale dommageable
. Si certaines sont plus efficaces que d’autres,
aucune ne parvient à régler tous les problèmes. Il apparaît ainsi que les décideurs publics
doivent apprendre à les combiner, en fonction de leurs objectifs, en effectuant des arbitrages
multidimensionnels.
Cependant, si la théorie économique permet de discerner plusieurs
pistes d’évolution
de l’assiette de l’impôt sur les sociétés
, aucune des bases de substitution envisageables
n’apparait pourtant satisfaisante dans l’immédiat
. Le recours à une assiette située plus
haut dans le bilan afin de taxer l’ensemble des revenus du capital de l’entreprise permettrait
de financer une baisse du taux, mais aurait des conséquences lourdes sur le tissu économique
en transférant une partie de
la charge de l’impôt sur les
activités engageant le plus de capital
productif, notamment l’industrie. Ceci romprait le lien entre le niveau d’imposition sur les
sociétés de la rentabilité réelle des entreprises. Réciproquement, une taxation assise sur la
rente économique de l’entreprise offrirait une solution neutre du point de vue de la théorie
économique, mais conduirait à adopter une stratégie opposée à celle d’élargissement de
l’assiette et à singulariser encore davantage la France par rapport aux autr
es pays européens.
Quant à une taxation s’appuyant sur la consommation des biens et services produits par
l’entreprise, elle constitue une piste intéressante d’évolution de l’impôt sur les sociétés pour
répondre aux enjeux posés par les transferts de prix au sein des groupes et les activités
numériques mais sa mise en œuvre reste inenvisageable à l’heure actuelle en raison du manque
de coordination fiscale internationale.
Dès lors
, où va l’impôt sur les sociétés
?
Deux facteurs internationaux se distinguent
comme les principales sources
d’évolution de l’impôt sur les
sociétés dans les
prochaines années
: d
une part,
les travaux engagés par le G20 et l’OCDE en faveur de
la lutte
contre la concurrence fiscale dommageable (anti-BEPS -
Base Erosion and Profit Shifting
) ;
d’autre part, les évolutions jurisprudentielles de la Cour de justice de l’Union européenne
.
Dans
les deux cas, ils contribuent à
l’adoption d
e principes communs et constituent de fait un levier
d’harmonisation
des règles d’imposition
des sociétés dans les États membres
.
Des ajustements devront être apportés à court terme aux règles de calcul de l’assiette
de l’IS français
pour assurer sa conformité à ces principes internationaux
.
C’est
notamment le cas de l’encadrement de la déductibilité des charges d’intérêt
qui n’
apparait pas
cohérent
avec l’approche retenue par le futur dispositif européen figurant dans la proposition
de directive contre l’évasion fiscale internationale (ATAD
-
Anti-Tax Avoidance Directive
), ou
du régime dérogatoire de la fiscalité des revenus de la propriété intellectuelle. De même, les
risques juridiques planant sur certaines opérations de neutralisation prévues par le régime
fiscal français des groupes de sociétés plaident
en faveur d’une simplification de ce régime pour
en réduire le périmètre à sa fonction principale de compensation des pertes et des profits entre
les sociétés du groupe.
Les analyses conduites dans le cadre du présent rapport soulignent le risque d
’une
fragilisation de la position française
alors que
l’harmonisation d’une partie des règles
d’assiette de l’impôt sur les sociétés entre les pays de l’Union est susceptible d’accroître la
concurrence fiscale en matière de taux. Tout en soutenant activement les travaux de lutte
contre l’évasion fiscale internationale, la France pourrait paradoxalement être pénalisée par
l’adoption de règles au niveau européen du fait de son taux d’imposition élev
é par rapport à
ses partenaires.
Les difficultés associées à une harmonisation des
règles d’assiette sans
une convergence parallèle des taux d’imposition
incitent à engager des réflexions en
faveur d’une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés
.
Le mouvement de convergence du taux d’imposition français vers la moyenne de
s autres
pays européens s’inscrirait également dans la perspective d’une plus grande intégration
fiscale au sein de l’Union européenne
ou, à défaut, entre certains de ses membres. Face au
risque pour les finances publiques que représenterait une nouvelle baisse généralisée des taux
d’imposition dans l’UE, le projet de mise en œuvre d’une assiette commune consolidée pour
l’impôt des sociétés (ACCIS)
multinationale apporte une réponse intéressante. Ce projet,
engagé dès 2004,
n’a pas abouti
en raison d’une divergence d’intérêts trop importante entre
les États membres. À l’heure où les États
-
membres ont fait de la lutte contre l’évasion fiscale
une priorité,
l’ACCIS constituerait une réponse efficace aux possibilités de planification
fiscale agressive laissées aux multinationales au sein même du marché intérieur
européen
.
Sans volonté politique forte l’adoption d‘un régime commun d’impôt sur les
sociétés apparait toutefois vouée à l’échec.
Tableau 1 :
Sources internationales d’évolution de l’impôt sur les sociétés
Thème
Source
Marges de manœuvre éventuelles
Évaluation de l’impact
Déductibilité des intérêts d’emprunt
Proposition de directive
anti-évasion fiscale (ATAD)
Harmonisation européenne obligatoire
Possibilité d’introduire un régime plus strict que
le plafonnement des charges financières nettes
à 30
% de l’EBITDA des groupes multinationaux
Perte
de
recettes
en
cas
de
transposition minimale évaluée à
1,8
Md€
Régime préférentiel de la propriété
intellectuelle
Travaux anti-BEPS / Code
de conduite
La France devra défendre le caractère non-
dommageable du régime des plus-values à long
terme pour les produits de la cession et de la
concession de brevets
Évolution
probable
en
raison
des
caractéristiques
du
régime
français,
orthogonales
à
celles
préconisées
par
l’approche
nexus
La suppression du régime pourrait
représenter
entre
250
M€
et
450
M€
de
recettes
supplémentaires sous réserve que
les licences de brevets concédées
demeurent localisées en France
Régime de groupe
intégration fiscale
Évolutions
jurisprudentielles de la
Cour de justice de l’Union
européenne
Risque de remise en cause progressive des
neutralisations intragroupe dépassant le seul
cham de la compensait des pertes et des profits
des sociétés intégrées
La suppression de la neutralisation
de la quote-part de frais et charges
pour
les
plus-values
de
participation
représenterait
une
hausse de 440
M€ de l’assiette
Celle relative aux abandons de
créances intragroupe 2
Md€
L’ensemble des neutralisations et
réintégrations
conduit
à
augment
er l’assiette de l’IS de
3
Md€
,
soit
environ
1
Md€ de
recettes
Dans ces conditions, il apparaît que la priorité devrait être accordée à une baisse du taux
de l’impôt
sur les sociétés afin de le ramener dans la moyenne de nos principaux
partenaires européens.
Une baisse à 25 %, soit-8 points de taux, (réciproquement à 20 %,
soit 13 points de taux)
représenterait un coût de l’ordre de 11
Md€
(réciproquement 18
Md€)
.
Com
pte tenu des efforts déjà conduits en matière de règles d’assiette, les marges de manœuvre
pour un nouvel élargissement de la base d’imposition
semblent limitées.
Les évolutions du
contexte international en matière d’imposition des sociétés
pourraient toutefois offrir
des pistes de simplification des règles actuelles tout en contribuant au financement
d’une baisse du taux d’imposition
. C’est
notamment le cas de la non-déductibilité totale des
charges financières ou du régime de l’intégration
fiscale.
Mais les marges les plus
importantes en faveur d’une baisse du taux de l’IS français résident dans les crédits
d’impôt
et les dépenses fiscales qui lui sont associés
. Au-delà du
crédit d’impôt
compétitivité-
emploi (CICE) et du crédit d’impôt en fa
veur de la recherche (CIR) qui
constituent, en 2016, les deux dépenses fiscales les plus coûteuses, tous prélèvements
obligatoires confondus, plusieurs éléments pourraient contribuer au
financement d’une baisse
du taux
, à l’exemple du
taux réduit d’imposit
ion pour les premiers 38 120
€ de
bénéfices des
PME, du taux réduit pour la fiscalité des brevets, du crédit
d’impôt mécénat ou d’autres niches
sectorielles.
Le contexte budgétaire actuel invite à privilégier une évolution du taux de l’impôt sur les
sociétés à recettes budgétaires constantes. L’analyse économique de l’impact de l’impôt sur les
sociétés souligne toutefois le lien plus étroit entre l’impôt sur le
s sociétés et la croissance que
d’autres prélèvements obligatoires. Un choc d’impôt sur les sociétés se distingue des
cotisations sociales employeurs ou de l’impôt sur le revenu par une transmission lente mais
puissante sur le PIB et les principaux agrégat
s économiques, notamment l’investissement et
l’emploi.
Le surcroît d’activité consécutif à une baisse de l’impôt sur les sociétés est
susceptible de limiter le coût d’une réforme de l’IS en rétroagissant sur les recettes
fiscales, notamment d’imposition de
s revenus et de fiscalité indirecte
. À titre de
comparaison, les évaluations effectuées par l’administration britannique concluent que la
hausse des recettes permet de participer au financement du tiers (à court terme) à la moitié (à
long terme) du coût an
nuel des mesures de réduction du taux d’impôt sur les sociétés engagées
depuis 2010 et dont le coût de 7,8 Md£ (soit près de 10
Md€ par an) est comparable
à celui
nécessaire pour atteindre la cible
Tableau 2 :
Quelques pistes de financement d’une baisse du taux de l’IS à 25
% (-8 points de taux / -11
Md€)
ou à 20 % (-13 points de taux / 18
Md€)
Thème
Mesure
Ordre de grandeur de l’impact en recettes
(en
Md€)
Pistes issues des évolut
ions internationales de l’imposition sur les sociétés
Régime de l’intégration fiscale
Restriction du bénéfice du régime de l’intégration à
la compensation entre les gains et les pertes des
filiales (
group relief
)
+1
Régime préférentiel de la propriété intellectuelle
Suppression du taux réduit pour les revenus de la
concession de brevets
+0,3 à +0,5
Taux réduit pour les premiers 38 120
€ de bénéfices
des PME
Suppression de l’imposition progressive des
résultats en fonction de la taille de l’entreprise
+2,6
Déductibilité des intérêts d’emprunt
Renforcement du plafonnement des charges
financières nettes à 30
% de l’EBITDA (extension à
l’ensemble des entreprises cumulée à un possible
abaissement du plafond)
Non chiffré
Autres pistes d’assiette
Report en arrière des déficits
Suppression de toute possibilité de
carry-back
Non chiffré (impact toutefois réduit en raison de sa
limitation au seul exercice précédent)
Principaux crédits d’impôt (hors CICE)
Crédit d’impôt en faveur de la recherche (CIR)
+5,5
Exonération des organismes HLM
+1
Crédit d’impôt mécénat
+0,8
Rentrées fiscales supplémentaires liées à l’impact économique d’une baisse de l’IS pouvant atteindre 50
% du coût de la réforme
SOMMAIRE
1.
VERS OU L’IMPOT SUR
LES SOCIETES DEVRAIT-IL ALLER ?
........................................
1
1.1.
L’impôt sur les sociétés est
-il nécessaire ? Et si oui, pourquoi ?
..................................
1
1.1.1.
Un substitut à une fiscalité directe des personnes physiques
..............................
1
1.1.2.
Une contribution aux biens publics dont bénéficient les entreprises
..............
4
1.1.3.
Une taxation des rentes pures
............................................................................................
5
1.1.4.
Un acompte de l’IR sur les revenus des entrepreneurs
...........................................
6
1.1.5.
Un impôt sur le revenu des entreprises ?
......................................................................
7
1.1.6.
Un élément de cohérence des systèmes fiscaux actuels
..........................................
8
1.2.
Qu’est
-
ce qu’un bon impôt sur les sociétés
?
.....................................................................
10
1.2.1.
Un impôt juste et efficace ?
...............................................................................................
10
1.2.2.
Définir un bon impôt sur les sociétés en l’absence de
mobilité du capital . 11
1.2.3.
Définir un bon impôt sur les sociétés en économie ouverte
..............................
13
1.3.
Neuf manières alternatives de taxer les revenus du capital
.......................................
17
1.3.1.
Une cartographie des possibles
......................................................................................
18
1.3.2.
Le point de départ
: les deux modèles d’IS les plus répandus aujourd’hui
. 19
1.3.3.
Les alternatives aux systèmes actuels, fondées elles-aussi sur le principe de
taxation à la source
.............................................................................................................
21
1.3.4.
Les alternatives au principe de taxation dans le pays source
..........................
23
1.3.5.
Le décideur public face à un arbitrage multidimensionnel
..............................
25
2.
LE RECOURS A UNE ASSIETTE DE SUBSTITUTIO
N POUR L’IMPOT SUR L
ES
SOCIETES N’APPARAIT
NI
SOUHAITABLE,
NI
ENVISAGEABLE
A
MOYEN
TERME
.........................................................................................................................................
27
2.1.
Une taxation de l’excédent brut d’exploitation élargirait l’assiette de l’imp
ôt
mais conduirait à imposer des sociétés sans lien avec leur capacité financière
. 29
2.1.1.
Le recours à l’excédent brut d’exploitation permettrait d’augmenter
l’assiette d’imposition sur les sociétés de près de 80
%
.......................................
29
2.1.2.
L’instauration d’une taxe sur l’EBE conduirait à pénaliser, sans
justification économique, les capacités d’investissement des entreprises
.. 31
2.2.
Une tax
ation du résultat d’exploitation est envisageable pour élargir l’assiette et
garantir une neutralité de l’impôt aux modalités de financement mais
s’inscrirait à rebours d’une harmonisation de l’IS
..........................................................
33
2.2.1.
La réintégration des charges financières dans la base de calcul de l’impôt
sur les sociétés conduirait à en élargir l’assiette tout en limitant les
possibilités d’optimisation et
en supprimant le biais en faveur de
l’endettement
..........................................................................................................................
33
2.2.2.
Une taxation du résultat d’exploitation pèserait sur le taux de
rendement
des investissements
..............................................................................................................
34
2.2.3.
Une taxation au niveau du résultat d’exploitation serait d’un point de vue
économique moi
ns efficace que l’assiette actuelle mais permettrait d’en
augmenter la taille
...............................................................................................................
35
2.2.4.
Une réforme qui n’apparait pas pertinente
sans une coordination
préalable au niveau européen voir international
.................................................
39
2.3.
L’introduction d’un système d’intérêts notionnels
conduirait à une assiette de
l’IS réduite, trop coûteuse pour les finances publiques même si elle constitue, en
théorie, la solution la plus neutre
...........................................................................................
39
3.
LES EVOLUTIONS A VEN
IR DE L’IMPOT SUR LE
S SOCIETES SONT PORTEES PAR
LES
TRAVAUX
INTERNAT
IONAUX CONTRE L’EVAS
ION
FISCALE
ET
LES
CONTRAINTES DU DROIT EUROPEEN
..............................................................................
44
3.1.
Alors que la France a soutenu l’adoption des travaux anti
-BEPS, leur articulation
avec les règles du marché unique européen pourraient lui être défavorable en
raison d’un taux d’imposition élevé
......................................................................................
44
3.1.1.
L’adoption de la proposition de directive européenne contre l’optimisation
fiscale, présentée en janvier 2016, devrait conduire à des adaptations de
l’IS français
..............................................................................................................................
45
3.1.2.
Les modalités d’encadrement de la déductibilité des charges financières
devraient évoluer
..................................................................................................................
47
3.1.3.
La mise en place d’un mécanisme d’inversion (switch over) européen
serait souhaitable mais son adoption, sans coordination préalable,
constituerait un risque pour la France
.......................................................................
55
3.2.
Le régime français d’imposition à taux réduit des rés
ultats et des plus-values de
concession des brevets pourrait être revu pour répondre aux critiques de
l’OCDE au titre de la concurrence dommageable
.............................................................
58
3.2.1.
Le taux réduit pour les plus-values et les bénéfices de concessions de
licence de brevets est le seul régime français identifié comme
potentiellement dommageable dans les conclusions des travaux anti-
BEPS
............................................................................................................................................
58
3.2.2.
L’ampleur des évolutions nécessaires pour se conformer aux princi
pes
européens pourrait conduire à envisager la suppression de ce régime
......
59
3.3.
Les évolutions jurisprudentielles de la CJUE invi
tent à s’interroger sur une
évolution du régime d’intégration fiscale
...........................................................................
62
3.3.1.
Les risques de contentieux s’accumulent sur le régime fiscal des groupes de
sociétés
.......................................................................................................................................
62
3.3.2.
L’insécurité juridique croissante des dispositions du régime de
l’intégration fiscale et le coût associé aux contentieux plaident pour une
réflexion stratégique sur son évolution
......................................................................
64
3.3.3.
Une évolution du régime de l’intégration fiscale vers un système de
neutralisation moins poussé permettrait d’augmenter l’assiette de l’impôt
en faveur d’une baisse des taux sans remettre en cause son attractivité
... 66
4.
LA CONVERGENCE DES REGIMES EUROPEENS EN MATIERE
D’ASSIETTE COMME
DE TAUX CONSTITUE UNE ETAPE PREALABLE POUR ENVISAGER LEUR
INTEGRATION DANS UN IMPOT SUR LES SOCIETES EUROPEEN
............................
70
4.1.
Les travaux, démarrés en 2004, en faveur de l’adoption d’une assiette commune
consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) ont échoué en raison d’une
divergence d’intérêts trop importante entre les États membres
..............................
70
4.2.
L’incertitude sur l’impact de l’ACCIS sur les bases taxables au niveau de chaque
État membre rend son adoption difficile
.............................................................................
72
4.2.1.
Le projet d’ACCIS prévoit des règles de calcul d’assiette a priori plus
souples que l’impôt sur les sociétés français
............................................................
72
4.2.2.
La consolidation de l’assiette commune continuera de rencontrer des
oppositions très fortes en raison de la distorsion
qu’elle crée dans la base
taxable des États membres et de la concurrence fiscale persistante
...........
76
4.3.
Les facteurs de blocage à l’adoption d‘un régime commun d’impôt sur les
sociétés sont toujours présents et nécessiteront une volonté d’intégration
politique forte pour aboutir
......................................................................................................
78
4.3.1.
La relance du projet d’ACCIS engagée par la Commission européenne a
peu de chances d’aboutir sans une réduction préalable de la concurrence
fiscale entre États-membres, notamment en matière de taux
.........................
78
4.3.2.
Un impôt sur les sociétés européen permettrait de dépasser les divergences
liées à la répartition de l’assiette mais nécessiterait un engag
ement
politique fort
...........................................................................................................................
80
5.
UNE BAISSE DU TAUX D
E L’IMPOT SUR LES SO
CIETES DEVRAIT ETRE ENVISAGEE
AFIN DE REDUIRE LES ECARTS AVEC NOS PARTENAIRES ET DE FAVORISER UNE
CONVERGENCE DES REGI
MES D’IMPOSITION EUR
OPEENS
......................................
82
5.1.
Ramener le taux d’IS français dans la
moyenne des pays européens nécessiterait
de dégager des recettes de 11
Md€
.......................................................................................
83
5.1.1.
Les adaptations à venir de l’impôt sur les so
ciétés offrent une occasion
d’en adapter la structure en faveur d’une baisse du taux d’imposition
......
83
5.1.2.
La suppression du tau
x réduit d’imposition pour les PME, dont l’existence
n’apparait pas justifiée économiquement, pourrait également contribuer
au financement d’une baisse du taux normal d’imposition
..............................
85
5.2.
Une baisse de l’IS, en améliorant la rentabilité nette des entreprises,
contribuerait à soutenir la croissance et les investissements limitant ainsi son
coût à long terme
...........................................................................................................................
91
5.2.1.
La baisse de l’impôt sur les sociétés se transmet dans l’économie par
plusieurs canaux
...................................................................................................................
91
5.2.2.
L’impôt sur les sociétés se distingue des autres prélèvements obligatoires
par un impact plus fort mais plus long à se diffuser sur la croissance
........
93
5.2.3.
Certains travaux de recherche récents remettent en question les bénéfices
supposés d’une baisse de l’IS sur l’activité et la croissance
...............................
96
5.3.
La hausse d’activité consécutive à une baisse de l’impôt sur les sociétés est
susceptible d’en limiter le coût
................................................................................................
97
5.3.1.
Compte tenu de la mobilité des capitaux, l’assiette de l’IS est a priori elle
-
même sensible au niveau du taux d’imposition, mais cette
rétroaction a été
peu étudiée
...............................................................................................................................
97
5.3.2.
Les expériences allemandes de 2009 et britanniques de 2010 laissent
envisager une hausse des recettes fiscales compensant en partie la baisse
du taux de l’impôt sur les sociétés
.................................................................................
98
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 1 -
1
1.
Vers où l’impôt sur les sociétés
devrait-il aller ?
1.1.
L’impôt sur les sociétés est
-il nécessaire ? Et si oui, pourquoi ?
La réflexion sur l’avenir de l’impôt sur les sociétés exige de s’interroger au préalable sur le rôle
et la place de cet impôt au sein du système fiscal. Faut-il conserver un impôt sur les sociétés et,
si oui, pour quelles raisons ?
Nous présentons ci-après les motivations traditionnellement mises en avant dans la littérature
économique. Nous nous appuyons à cette fin sur Bird (1996)
1
, Mintz (1995)
2
ainsi que
Devereux et Sørensen (2006).
3
1.1.1.
Un substitut à une fiscalité directe des personnes physiques
L’analyse économique standard de la fiscalité utilise deux points de vue complémentaires.
Le premier est d’essence positive
: la théorie de l’incidence fiscale a pour objectif
d’étudier comment un impôt donné affecte l’allocation initiale des ressources par le
marché et donc la répartition du bien-être collectif.
4
Le second est fondamentalement normatif : la théorie de la fiscalité optimale a pour
ambition de déterminer le meilleur système fiscal possible. Cette théorie a connu un
essor important dans les années 1970, notamment à la suite des travaux de James A.
Mirrlees,
5
Peter A. Diamond,
6
Joseph E. Stiglitz
7
ou Anthony B. Atkinson,
8
puis un
renouveau dans les années 2000, en particulier
sous l’impulsion d’Emmanuel Saez.
9
La théorie de l’incidence fiscale nous permet de comprendre pourquoi l’impôt sur les sociétés
ne va pas de soi. Les entreprises ont des propriétaires, des salariés et des consommateurs, ainsi
1
Richard M. Bird (1996), « Why Tax Corporations? », Working Paper 96-2,
Canadian Technical Committee on
Business Taxation
.
2
Jack Mintz (1995), « The Corporation Tax: a Survey »,
Fiscal Studies
, n° 16, pp. 23-68.
3
Michael P. Devereux et Peter Birch S
ørensen (2006),
« The Corporate Income Tax: International Trends and Options
for Fundamental Reform »,
European Commission Economic Papers
, n°264.
4
On pourrait aussi se poser la question de l’incidence de l’IS sur la croissance. Il est néanmoins extrêmement difficile
d’isoler l’impact de cet impôt, pris isolément. Il faudrait en effet disposer à cette fin d’une expérience naturelle
suffisamment nette. Mais même dans ce cas-
là, l’analyse reste délicate. Les effets d’une variation de l’IS sur la
croissance ne sont certainement pas tous immédiats. Plus les effets sont éloignés, plus il sera difficile de les discerner
d’autres sources potentielles de variation.
Compte tenu de ces difficultés, on peut envisager une analyse en coupe
instantanée, étudiant la corrélation entre ta
ux d’IS et taux de croissance, par exemple parmi les pays de l’OCDE. On
pourra se référer sur ce point à un document de travail de l’OCDE, téléchargeable à l’adresse
:
.
Dans tous les cas, les travaux actuels sont loin d’être parvenus à une conclusion définitive.
5
On peut notamment citer James A. Mirrlees (1971), « An Exploration in the Theory of Optimum Income
Taxation »,
Review of Economic Studies,
vol. 38, n° 2, pp. 175-208.
6
Peter A. Diamond et James A. Mirrlees (1971), « Optimal Taxation and Public Production I-II »,
American Economic
Review,
n°61, pp. 8-27 et 261-278.
7
Joseph E. Stiglitz (1987), « Pareto Efficient and Optimal Taxation and the New New Welfare Economics », in
Handbook of Public Economics,
vol. 2, chapitre 15, pp. 991-1042.
8
Anthony B. Atkinson et Joseph E. Stiglitz (1976), « The design of Tax Structure: Direct versus Indirect Taxation »,
Journal of Public Economics,
vol. 6, pp. 55-75.
9
Citons par exemple Emmanuel Saez (2001), « Using elasticities to derive optimal income tax rates »,
Review of
Economic Studies
, vol. 68, pp. 205-229. Pour des références complémentaires, cf. http://eml.berkeley.edu/~saez.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 2 -
2
que des fournisseurs ou sous-traitants, qui ont eux-mêmes des propriétaires, des salariés et
des clients, etc. Dans une économie de marché, un impôt de type IS entraîne des ajustements
de prix et se traduit
in fine
par une baisse de la rémunération du capital investi, par une
diminution des salaires des employés, par une augmentation des prix de consommation, et le
plus souvent par une combinaison de ces trois effets en des proportions variables.
10
Ainsi, c’est
toujours sur des personnes physiques que portent les impôts, quand bien même ils sont en
apparence payés par des personnes morales.
La théorie de la fiscalité optimale traite de l’impôt optimal sur le revenu, de l’impôt optimal sur
les biens et services, et de l’impôt optimal sur le capital. Elle étudie également l’articu
lation de
ces différents impôts au sein du système fiscal. Mais elle n’aborde pas directement la question
d’un impôt spécifique sur les bénéfices au niveau des entreprises parce qu’elle considère, sur
la base de la théorie de l’incidence fiscale, qu’il est
préférable de taxer directement des
personnes physiques. Les entrepreneurs détiennent du capital (stock) qui génère des revenus
(flux) et devraient être imposés sur ces stocks à travers un impôt sur le capital et sur ces flux
par l’entremise de l’impôt su
r le revenu.
L’impôt sur les sociétés ne se justifie que dans la mesure où il n’est pas facile de taxer
directement les personnes physiques.
Dans un monde de premier rang (cf. Encadré 1), la théorie de la fiscalité optimale nous
enseigne qu’il est optimal
de mettre en place des transferts spécifiques assis sur des
caractéristiques intangibles des personnes physiques. Toute allocation des ressources
jugée socialement désirable est en effet atteignable une fois que les bons transferts ont
été calculés par le décideur public.
11
Cependant, les caractéristiques par rapport auxquelles on souhaiterait redistribuer ne
sont le plus souvent pas directement observables, à l’exemple de la productivité ou du
talent individuel.
En l’absence de relation directe entre caractéristiques intangibles
observables
mais
éthiquement
non-pertinentes
et
caractéristiques
intangibles
socialement pertinentes mais inobservables, la politique fiscale ne peut donc s’appuyer
sur des instruments de
premier rang. Le décideur public est alors contraint d’utiliser
des
impôts de second rang, à l’exemple des impôts sur le revenu, sur le capital, et sur la
consommation.
L’impôt sur les sociétés apparaît donc comme un impôt par défaut, que le décideur publ
ic
introduit lorsque des contraintes supplémentaires l’empêchent d’utiliser les instruments, plus
efficaces, de second rang. En ce sens, on peut le qualifier d’impôt de troisième rang. Parmi ces
contraintes, on peut tout d’abord mentionner l’absence d’acco
rd international sur la taxation
du capital ou des dividendes. Ceci s’avère problématique dans la mesure où le capital est
devenu aujourd’hui très mobile internationalement. Il s’investit davantage à l’étranger, dans
les pays membres de l’
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
mais aussi en des proportions croissantes dans les pays en développement. Or près de cent
cinquante pays ne disposent actuellement d’aucun cadastre,
12
alors même qu’il est plus facile
de tracer la propriété de la terre que celle du capital. Il est donc impossible de recueillir toutes
les informations requises pour imposer le capital avec précision. En outre, déterminer
10
Ces ajustements dépendent de la sensibilité de chacune des bases (capital, travail et consommation) au taux
effectif d’imposition. On parle techniquement d’
élasticités
.
La charge fiscale d’un impôt pèse d’autant plus sur un
facteur qu’il est «
inélastique ». Voir par exemple Arnold Harberger (1962), « The Incidence of the Corporate Income
Tax »,
Journal of Political Economy,
vol. 70, n°3, pp. 215-240. Il peut également être utile de distinguer les bases
fiscales selon que le facteur en question est domestique ou non (notamment pour le capital).
11
Ce résultat est le «
second théorème fondamental de l’économie du bien
-être ». Techniquement, il repose sur des
hypothèses de convexité des ensembles de consommation et de production.
12
Farid Toubal et Alain Trannoy (2016), «
L’attractivité de la France pour les centres de décision des entreprises
»,
Note du CAE
n°30.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 3 -
3
l’incidence fiscale requiert la collaboration d’acteurs privés, comme les banques, qui peu
vent
ne pas avoir intérêt à révéler l’information dont elles disposent.
À très long terme, dans un monde où les contraintes que nous venons de souligner auraient été
levées, il serait
a priori
préférable de renoncer à un impôt spécifique sur les sociétés, et de taxer
directement le capital plutôt que les revenus qu’il génère.
13
Dans le cadre de ce rapport, il nous
semble cependant plus pertinent de situer notre réflexion, certes prospective, dans un horizon
moins lointain et plus réaliste.
Encadré 1 :
Fiscalité et asymétries d’information
La puissance publique ne dispose pas d’une information parfaite sur les agents qui contribuent
à l’impôt ou bénéficient de transferts. Afin d’illustrer cela, considérons une économie très
simple dans laquelle la productivité (ou le capital humain) des agents dépend en partie d’une
loterie originelle des « talents ». Supposons, en outre, que les agents cherchent à maximiser
une fonction de bien-être individuelle sous contrainte budgétaire et que le décideur public soit
« bienveillant ».
14
A l’âge adulte, les agents perçoivent un revenu qui dépend à la fois de leur effort et de leur
« talent
». Du point de vue de l’équité, il est sans doute légitime que les agents fournissant plus
d’effort perç
oivent un revenu plus élevé. En revanche, à effort donné, le revenu des agents ne
devrait pas varier en fonction de leur « talent
» dans la mesure où ils n’en sont pas
responsables.
15
Si le décideur public était omniscient (situation de « premier rang »), il utiliserait une taxe
forfaitaire croissante en fonction du talent. Supposons qu’une taxe de ce type soit mise en place
alors même que les talents sont des informations privées. Ce cadre informationnel correspond
à une situation de « second rang ». Les ag
ents ont intérêt à déclarer à l’administration fiscale
que leur niveau de talent est nul, afin de payer le moins d’impôt possible et obtenir le niveau
de bien-être le plus grand. La redistribution devient impossible.
Cet exemple illustre l’asymétrie d’information qui est au cœur de l’analyse moderne de l’impôt
optimal.
16
Dans l’article fondateur de Mirrlees (1971,
op. cit.
), le décideur public ne peut
qu’observer le revenu des agents, combinaison de l’effort et du talent, et non directement
l’effort ou le talent. Compte tenu de cette contrainte informationnelle, l’impôt doit être assis
sur le revenu, alors même que c’est pourtant le talent que l’on souhaiterait imposer.
Les impôts utilisés dans un monde de premier rang ne distordent pas les choix individuels.
L’optimum social correspond à l’allocation des ressources à la fois la plus juste et la plus
efficace. En second rang, atteindre une situation plus juste à un coût en termes d’efficacité. Une
distribution plus égalitaire des revenus a généralement comme contrepartie une moindre
incitation à l’effort des «
talentueux », ce qui réduit le produit agrégé. Le second rang se
caractérise donc par un arbitrage entre équité et efficacité. En raison de cet arbitrage, on
13
En taxant le stock de capital, on supprime notamment des difficultés telles que le décalage temporel entre la
génération du revenu et sa distribution.
14
Nous considérons que le décideur public « respecte
» l’utilité individuelle dans le sens où l’utilité
sociale est une
fonction non-
décroissante de l’utilité individuelle. En outre, le décideur public n’a pas d’intérêt propre
; sa seule
ambition est de servir l’intérêt de tous.
15
Voir par exemple John E. Roemer (1996),
Theories of Distributive Justice,
Harvard University Press. Roemer opère
une distinction fondamentale entre les « choix autonomes
» d’un agent et les «
circonstances » qui échappent au
contrôle de celui-ci. La société devrait compenser les agents pour des différences de circonstances (comme les
« talents
») mais pas de choix autonomes (à l’image de l’«
effort »).
16
Le prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel 1996 a ainsi été remis à William Vickrey et James A.
Mirrlees pour « leurs contributions fondamentales à la théorie économ
ique des incitations en présence d’asymétrie
d’information
».
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 4 -
4
comprend que le niveau de bien-être social en second-
rang ne peut être qu’inférieur à celui du
premier rang. C’est
a fortiori
le cas en troisième rang.
1.1.2.
Une contribution aux biens publics dont bénéficient les entreprises
Un autre argument en faveur d’un impôt sur les sociétés, prélevé dans le pays so
urce
(cf.
Encadré 2), se fonde sur l’utilisation par les entreprises des biens (et services) publics
fournis par l’État. La qualité des biens publics offerts varie fortement en fonction des pays
:
services régaliens (police, justice et défense nationale), infrastructures publiques de transport
(routes, ports, aéroports) et de télécommunication, éducation de la main d’œuvre locale, etc.
Le lien n’est cependant pas direct entre le montant des profits d’une société et la quantité de
biens publics qu’elle utili
se. Une entreprise peut très bien utiliser beaucoup de biens publics
mais dégager peu de profits en raison d’une stratégie commerciale médiocre ou, à l’inverse,
être très profitable sans pour autant recourir largement aux biens et services financés par
l’État. C’est la raison pour laquelle il pourrait sembler préférable que l’État tarifie directement
l’utilisation des biens publics par les entreprises.
Néanmoins, s’il est relativement facile de tarifer l’utilisation d’une route ou d’un port, le calcul
d’un prix pour des biens publics essentiels, comme la recherche ou l’éducation, apparaît
beaucoup plus compliqué. Les entreprises n’ont en outre aucun intérêt économique à déclarer
spontanément la quantité exacte de biens publics qu’elles emploient, quantité qu
i est très
largement inobservable par l’administration fiscale.
L’impôt sur les sociétés peut alors jouer le rôle de substitut imparfait des droits d’usage
impayés par les entreprises. Ceci plaide en faveur d’un IS prélevé sur le lieu de production.
L’entr
eprise est ici taxée dans les mêmes conditions que les ménages qui contribuent au
financement des biens publics sans que leur contribution soit fonction des biens et services
qu’ils utilisent effectivement.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 5 -
5
Encadré 2 : Localisation de la base fiscale
Du point de vue économique, la base fiscale peut être localisée :
dans le pays de production (taxation à la source),
dans le pays de résidence de l’entreprise (siège social),
dans le pays de résidence des propriétaires de l’
entreprise,
dans le pays de destination (lieu de consommation finale).
Les juristes utilisent une distinction entre principes de mondialité et de territorialité. Lorsque le principe
de mondialité prévaut, les entreprises sont imposées dans leur État de rés
idence sur l’ensemble de leurs
bénéfices mondiaux. C’est le système qui prévaut dans la totalité des pays de l’OCDE et de l’UE à
l’exception de la Suisse, du Danemark et de la France. L’IS français s’appuie sur le principe de
territorialité : son assiette comprend les bénéfices réalisés par des entreprises exploitées en France et
ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention fiscale internationale relative aux
doubles impositions.
Comme le Rapport particulier n°4 l’a souligné
: « les systèmes fiscaux étrangers arrivent à un résultat
proche du système de territorialité en combinant un principe de mondialité en droit interne avec une
politique conventionnelle conforme au modèle de convention fiscale établi par l’OCDE, qui repose sur le
pr
incipe selon lequel les bénéfices d’un établissement stable étranger ne sont imposables par l’État de
résidence de la société qu’à condition d’éliminer la double imposition qui en résulte, soit en les exonérant
(ce qui revient à une territorialité stricte)
, soit en accordant à la société un crédit d’impôt à hauteur des
charges fiscales qu’elle a supporté à l’étranger. Enfin, plusieurs règles du droit fiscal français prévoient
la réintégration des bénéfices artificiellement transférés à l’étranger. (…)
» L’e
xception française doit
dès lors être relativisée.
Lorsque le principe de territorialité est mis en œuvre, l’impôt est prélevé sur le lieu d’«
exploitation »,
c’est
-à-dire de production. Le principe de mondialité correspond en première analyse à un impôt prélevé
sur le lieu de résidence de l’entreprise. Ses effets
économiques sont donc en première analyse très
proches d’une taxation à la source, comme nous l’
expliquons par la suite.
1.1.3.
Une taxation des rentes pures
Les rentes pures peuvent être définies comme l’excédent qui apparaît une fois le travail et le
capital rémunérés à leurs productivités marginales respectives. Une entreprise percevant une
rente pure réalise un profit « excessif » compte tenu des facteurs de production mobilisés, des
investissements effectués, et des risques encourus. L’existence de rentes pures perturbe le
mécanisme d’allocation des ressources par le marché, en favorisant l’accumulatio
n de
ressources dans les secteurs où la rentabilité du capital est « artificiellement » élevée.
Les grandes entreprises peuvent être « grandes » car elles sont plus efficaces que les firmes
concurrentes ou bien parce qu’elles utilisent une partie de leurs
ressources pour empêcher
l’entrée de concurrents sur le marché. Dans le second cas, les prix sont maintenus à des niveaux
ne reflétant pas la valeur incorporée : ils sont excessivement élevés en général, et
artificiellement faibles lorsqu’il s’agit de contrer l’installation d’une nouvelle entreprise sur le
marché. Les entreprises bénéficient alors d’une rente de situation, au détriment de l’efficacité
économique et du bien-
être collectif. S’il existe différentes façons de réguler des marchés
oligopolistiques,
17
l’une d’entre elles consiste à introduire un impôt pour extraire les rentes de
situation et restaurer une saine concurrence.
Taxer les rentes pures est doublement attrayant sur le plan théorique. Cela permet en effet
d’augmenter les recettes fiscales tout en limitant les activités qui portent préjudice à l’efficacité
17
Cette question est notamment au cœur des travaux de Jean Tirole. Voir par exemple «
Jean Tirole: Market Power
and Regulation
», préparé par l’Académie Royale des Sciences Suédoise dans le cad
re de la remise du prix de la
Banque de Suède 2014 en mémoire d’Alfred Nobel:
sciences/laureates/2014/advanced-economicsciences2014.pdf
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 6 -
6
économique. En outre, avec un impôt portant sur la rente, la d
écision d’investir davantage dans
le pays en question n’est pas distordue fiscalement puisque le taux marginal effectif
d’imposition est nul. Ceci fournit ainsi un argument supplémentaire en faveur d’un impôt
spécifique sur les sociétés, dont l’assiette se
rait précisément les « surprofits » apparaissant au-
delà d’une rémunération «
normale » du capital.
Afin d’obtenir un impôt pleinement efficace, il est nécessaire d’isoler la rente pure au sein du
résultat comptable de l’entreprise, pour calculer un taux d
e profit « normal »
juste
récompense de l’épargne investie dans l’entreprise—
et un taux de « surprofit
». Ce n’est en
effet que sur le second que l’impôt devrait porter afin de ne pas distordre les décisions des
agents en matière de consommation et d’épa
rgne.
18
En pratique, la distinction entre rémunérations normale et excessive est difficile à opérer, pour
au moins deux raisons.
Tout d’abord, les entreprises réalisant des surprofits n’ont pas nécessairement intérêt à
communiquer à l’administration fiscale
tout un ensemble d’informations, non
-vérifiables
pour un agent extérieur, mais nécessaires à la détermination exacte de la rente.
D’autre part, comment discerner ce qui relève du surprofit de la juste récompense d’une
prise de risque ?
Pour ces raisons,
il apparaît compliqué de mettre en place un impôt sur les sociétés qui
parviendrait à extraire la rente, entreprise par entreprise
. On ne peut sans doute extraire
la rente qu’en moyenne.
Des dispositifs comme la déduction pour fonds propres (
allowance for corporate equity
-
ACE)
ont été proposés, notamment par le groupe de travail sur l’imposition
du capital
de l’
Institute
for Fiscal Studies
. Il s’appuie sur la définition d’un taux de rendement du capital notionnel, qui
est comparé au taux effectif constaté entreprise par entreprise. Un certain nombre de pays ont
réformé leur fiscalité en ce sens : la Croatie (entre 1994 et 2001),
19
la Belgique (depuis 2006)
ou encore l’Italie (depuis 2011). Ces propositions sont intéressantes, et nous les développerons
plus en détail par la suite.
Il convient de souligner que même un impôt sur les sociétés dont l’assiette serait la rente pure
n’est pas nécessairement neutre économiquement. En effet, la comparaison entre l’IS et l’IR
pourrait toujours inciter certains entrepreneurs à privilégier certaines formes juridiques
d’entreprises. Par ailleurs, un IS assis sur la rente dans le pays source pourrait induire certains
entrepreneurs à localiser leurs activités dans des pays à taux plus faibles.
1.1.4.
Un acompte de l’IR sur les reve
nus des entrepreneurs
Aucun impôt n’est parfait. Et l’impôt sur le revenu ne l’est certainement pas. L’une des missions
de l’impôt sur les sociétés est précisément de combler certains manquements de l’impôt sur le
revenu.
18
La microéconomie standard parle de « choix inter-temporels » des ménages. Un impôt qui taxe le rendement du
capital au-delà du niveau correspondant à la rente pure réduit la rémunération « normale » de l
’épargne et favorise
la consommation présente au détriment de la consommation future. La réduction du volume d’épargne qui en
découle rend le financement de l’investissement plus coûteux.
19
Michael Keen et John King (2002), « The Croatian Profit Tax: an ACE in Practice »,
Fiscal Studies
, vol. 23, n°3, pp.
410-418.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 7 -
7
Il est en effet difficile d’administrer une taxe portant sur l’ensemble des revenus du
capital se rattachant à un individu donné. En particulier, les profits non distribués
sources de gains en capital pour les actionnaires
sont difficiles à taxer au titre de
l’impôt sur le revenu dans un
système de comptabilité d’exercice.
En l’absence d’une taxe complémentaire à l’IR, les entrepreneurs seraient incités à
réinvestir directement les profits plutôt qu’à se verser une rémunération. On parle en
anglais d’effet de verrou (
lock in
). Afin d’évit
er que les entrepreneurs ne minimisent leurs
revenus déclarés et que les plus-
values n’échappent ainsi à l’impôt, il semble légitime
d’introduire un impôt sur les sociétés, conçu comme une sorte d’acompte sur l’impôt sur
le revenu des entrepreneurs.
Ceci p
laide cependant pour l’adoption d’un IS levé selon un principe de territorialité, défini par
rapport au lieu de résidence des détenteurs du capital, comme l’illustre l’exemple suivant.
Considérons une entreprise produisant dans un pays A et appartenant à des agents résidant
dans le pays B. En outre, les résidents fiscaux du pays A détiennent des parts de sociétés
produisant dans un pays C. En l’absence d’harmonisation fiscale entre les pays A, B et C, il est
techniquement impossible de faire de l’IS un véritable acompte sur l’IR, lorsque l’IS est prélevé
dans le pays source. En effet, les taux pertinents pour l’IS ne sont pas déterminés dans la même
juridiction que les taux d’IR.
Faire de l’IS un véritable acompte sur l’impôt sur le revenu des entrepreneurs
nécessite donc
un abandon du principe de taxation à la source, et l’adoption d’une taxation dans le pays de
résidence des détenteurs du capital.
1.1.5.
Un impôt sur le revenu des entreprises ?
Un quatrième argument en faveur d’un impôt sur les sociétés se fonde
sur la perception,
largement répandue, que les entreprises
tout comme les ménages
doivent payer un impôt
sur le revenu. En ce sens, l’impôt sur les sociétés ne serait rien d’autre que l’équivalent de
l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
S’il peut apparaître politiquement solide, cet argument l’est cependant moins du point de vue
économique, comme le révèle l’analyse économique de l’incidence fiscale.
20
Cette dernière
on
l’a vu –
dépasse la pure incidence légale, et cherche à identifier sur quels agents pèsent
réellement les impôts, au-
delà des apparences. Elle insiste notamment sur l’idée que la charge
fiscale pèse toujours, en définitive, sur des personnes en chair et en os, qui ne sont pas
nécessairement celles payant l’impôt à l’administrat
ion fiscale.
En taxant l’entreprise, personne morale, le décideur public prélève donc un impôt sur des
personnes physiques, même si cela n’est pas complètement transparent. Il nous semble
essentiel de garder cela à l’esprit lorsque l’on discute d’évolution
s possibles de la fiscalité des
entreprises. Une hausse de l’IS n’aura pas en effet les mêmes conséquences en termes de
redistribution des richesses selon qu’elle pèse davantage
in fine
sur les propriétaires du capital,
sur les salariés, ou sur les consommateurs.
Certains des agents concernés par l’incidence fiscale peuvent résider fiscalement à l’étranger.
Il est donc difficile pour le pays où se situe l’entreprise de les taxer directement au titre de l’IR.
Dans ces circonstances, il peut être utile de mettre en place un impôt sur les sociétés, dans le
pays source, jouant un rôle de substitut à l’impôt sur le revenu que les actionnaires étrangers
20
Voir par exemple Laurence J. Kotlikoff et Lawrence H. Summer (1987), « Tax incidence », in
Handbook of Public
Economics,
vol. 2, pp. 1043-1092.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 8 -
8
ne paient pas. Cela plaide donc en faveur d’un système d’imposition des sociétés comportant
un impôt levé selon le principe de la source.
Cette taxation via l’IS du revenu des investisseurs étrangers peut se justifier sur la base de
l’équité entre nations.
21
La rentabilité du capital investi par les agents résidant fiscalement à
l’étranger dépend en effet en partie d
es infrastructures publiques et de la protection des droits
de propriété dans le pays où se situe l’activité économique en question.
Ce raisonnement pourrait justifier une augmentation de l’impôt sur les sociétés, dans la mesure
où les entreprises domestiques sont possédées en des proportions croissantes par des
résidents étrangers.
22
Il peut également expliquer, au moins partiellement, pourquoi les États
n’ont pas davantage réduit leur taux d’IS en dépit de la mobilité croissante du capital.
1.1.6.
Un élément de cohérence des systèmes fiscaux actuels
L’idée même de l’incidence fiscale prive l’impôt sur les sociétés de fondements théoriques
solides, à moins que son assiette ne corresponde exactement aux rentes pures.
Les différents arguments que nous venons de présenter nous conduisent plutôt à
appréhender
l’impôt sur les sociétés comme un instrument complémentaire aux
impôts sur les personnes physiques dans un monde de troisième rang
. Cet
instrument n’en est pas pour
autant accessoire car il joue un rôle clé dans la cohérence
d’ensemble du système.
Dans la mesure où l’incidence fiscale est mal comprise par les citoyens, et reste
, dans tous
les cas, peu transparente, on peut aussi penser que
l’IS répond à une exigence
politique et sociale de contribution de tous les agents aux finances publiques
,
ménages comme entreprises. En « taxant les entreprises », le décideur public
améliorerait le consentement à l’impôt, qui constitue un élément essentiel du contrat
social.
Le Tableau 3
synthétise les principaux arguments en faveur d’un IS. Cette liste n’est certes pas
exhaustive. Elle a cependant le mérite de souligner l’une des grandes diffi
cultés à laquelle toute
réflexion sur le devenir de l’IS se trouve confrontée
: les différents fondements de l’IS ont des
implications souvent contradictoires, notamment en matière de localisation de l’assiette. Si l’on
souhaite atteindre toutes ces fins,
il est nécessaire de doter l’IS de suffisamment d’instruments.
Il faudrait alors parler d’impôts sur les sociétés au pluriel.
21
Voir en particulier le chapitre 3 de Richard A. Musgrave et Peggy M. Musgrave (1989),
Public finance in theory
and practice
, cinquième édition, MCGraw-Hill, International Edition, New York.
22
Ce raisonnement est souligné par Jack Mintz (1994), « Is there a future for capital income taxation ? »,
Canadian
Tax Journal,
n° 24, pp. 1469-1503.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 9 -
9
Tableau 3
: Pourquoi l’IS
?
Un impôt sur les sociétés :
Fondements
Portée / Implications
Substitut à la fiscalité des personnes
physiques
Le décideur public ne dispose pas des informations
nécessaires
à
une
taxation
optimale
des
personnes
physiques
une fiscalité des personnes morales devient
nécessaire (troisième rang).
L’IS est un impôt par défaut.
Acompte de l’impôt sur le revenu des
entrepreneurs
Éviter l’optimisation fiscale par non
-distribution des profits
(
lock-in
)
Plaide pour un IS prélevé dans le pays de
résidence des détenteurs du capital
Un substitut à l’IR des non
-résidents
Les détenteurs du capital résidant à l’étranger écha
ppent à
l’IR
un IS à la source permet de les taxer
Il faut s’assurer que l’IS pèse bien sur les
détenteurs
du
capital
non-résidents (et
éventuellement
compenser
les
salariés
et
consommateurs résidents des pertes qu’ils
subissent)
Plaide pour un IS prélevé dans le pays source
Contribution aux biens et services
publics utilisés par les entreprises
Difficulté à tarifer directement les entreprises pour les biens
et services publics qu’elles utilisent (problème de «
passager
clandestin »)
L’IS comme substitut des droits d’usage
impayés par les entreprises
Plaide pour un IS prélevé dans le pays source
Taxation des rentes pures
Les rentes pures témoignent de surprofits et grèvent
l’efficacité économique
Comment isoler les rentes pures ?
Définition (difficile
) d’un taux de rendement
« normal » du capital
Rendre
le
système
fiscal
plus
« cohérent »
L’incidence fiscale est mal comprise par les citoyens et peu
transparente
les entreprises en tant que personnes
morales doivent contribuer aux finances publiques
L’IS est susceptible d’améliorer le consentement
à l’impôt
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 10 -
10
1.2.
Qu’est
-
ce qu’un bon impôt sur les sociétés
?
La section précédente nous a permis de préciser
un certain nombre d’arguments expliquant
l’existence d’un impôt spécifique sur
les sociétés. Une fois cet impôt fondé, il est nécessaire de
s’interroger sur les propriétés qu’il devrait satisfaire. En d’autres termes, comment définir un
bon IS ? Nous répondrons à cette question en nous appuyant principalement sur une littérature
normative
micro-
fondée, à la rencontre de l’économie publique et de l’économie
internationale.
23
1.2.1.
Un impôt juste et efficace ?
Les économistes retiennent généralement une définition large de l’impôt. Cette dernière
regroupe les impôts et taxes proprement dits, payés par les contribuables sans contrepartie
directe, mais également les cotisations sociales assises sur les salaires qui participent au
financement de la sécurité sociale dans une logique assurantielle. Impôts, taxes et cotisations
sociales sont agrégés sous le terme de « prélèvements obligatoires ». Le champ de la fiscalité
ne se limite pas cependant à celui des prélèvements ; il comprend également les prestations et
les transferts, monétaires ou en nature, qui correspondent du point de vue économique à des
« impôts négatifs ». Le périmètre de la politique fiscale peut donc être identifié à celui du
système socio-fiscal.
Le dilemme entre justice et efficacité est au cœur de l’analyse économique moderne de la
politique fiscale. Parmi les instruments à la disposition du décideur public, certains sont de très
bons moyens de collecter des recettes fiscales. D’autres sont plus appropriés au rétablissement
de l’efficacité, à l’image des taxes correctrices d’externalités négatives (fiscalité verte), ou à la
redi
stribution des richesses, à l’exemple de l’impôt sur le revenu.
C’est le système fiscal dans son ensemble qui doit être juste et efficace, et non chaque
impôt pris isolément
. James A. Mirrlees le souligne avec vigueur en introduction du rapport
final de la
Mirrlees Review
24
: « un principe fondamental est que le système fiscal doit
précisément être analysé comme un système ».
25
Cela ne signifie pas, bien évidemment, qu’il
n’est pas utile d’examiner les différents impôts un à un. Néanmoins, il convient ce fais
ant de ne
jamais perdre de vue la perspective d’ensemble.
Si la question de l’efficacité relève bien du champ de compétence de l’économiste, les
préférences sociales en matière de redistribution procèdent dans les démocraties modernes
de l’expression de la
volonté générale. Elles sont donc considérées comme données. C’est la
raison pour laquel
le la plupart de nos développements théoriques s’appuieront sur des
arguments fondés sur l’efficacité.
L’idée fondamentale est la suivante. Compte tenu des différentes
contraintes identifiées,
informationnelles ou constitutionnelles par exemple, l’économiste définit l’ensemble des
23
D’autres perspectives permettent sans doute aussi d’éclairer ce qu’est un bon IS. Notre ambition se limite ici à
exposer de façon claire mais aussi précise que possible les principaux résultats
souvent assez subtils
sur lesquels
s’accorde l’analyse économique «
dominante ».
24
Le site de l’Institute for Fiscal Studies présente ainsi la Mirrlees Review
: «
The Mirrlees Review brought together
a high-profile group of international experts and early career researchers to identify the characteristics of a good tax
system for any open developed economy in the 21st century, assess the extent to which the UK tax system conforms to
these ideals, and recommend how it might realistically be reformed in that direction.
»
25
«
Second [of our three key considerations] is the crucial insight that the tax system needs to be seen as just that
a
system
», in James Mirrlees, Stuart Adam , Tim Besley, Richard Blundell, Steve Bond, Robert Chote, Malcolm
Gammie, Paul Johnson, Gareth Myles et James Poterba (2011),
Tax by Design
, Oxford University Press, p. 16.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 11 -
11
allocations réalisables du point de vue de la répartition des utilités individuelles. Parmi celles-
ci, il prête une attention toute particuli
ère à celles pour lesquelles il n’est pas possible
d’augmenter l’utilité d’un agent sans réduire celle d’un autre. Ces allocations sont dites
« efficaces » au sens de Pareto et décrivent la «
frontière d’efficacité de Pareto
». Toute
allocation des ressour
ces pour laquelle il serait possible d’augmenter l’utilité d’un agent sans
détériorer celle d’un autre ne peut être socialement optimale. Par conséquent, tout optimum
social appartient à la frontière d’efficacité de Pareto.
Un décideur public bienveillant choisit nécessairement un système fiscal correspondant à une
allocation des ressources située le long de la frontière d’efficacité de Pareto. En se concentrant
sur la question de l’efficacité, l’économiste décrit donc des propriétés nécessairement
satisfaites par le système fiscal optimal.
26
Un bon impôt est ainsi avant toute chose un impôt
efficace, même si le « meilleur » des impôts
—c’est
-à-dire celui qui est socialement
optimal
n’a pas pour seul attribut l’efficacité.
1.2.2.
Définir un bon impôt sur les sociét
és en l’absence de mobilité du capital
Il est utile, dans un premier temps, d’examiner quelles seraient les propriétés d’un bon impôt
en l’absence de mobilité du capital. Cela nous fournira un cadre de référence à l’aune duquel
nous pourrons analyser les e
ffets de l’ouverture croissante des économies de marché.
L’un des résultats essentiels de l’économie publique moderne est le «
théorème
d’efficacité
productive », formulé par Peter A. Diamond et James A. Mirrlees.
27
Ce lemme énonce une règle
de politique éc
onomique très simple, qui utilise le concept d’efficacité productive (
production
efficiency
). On dit d’une allocation des ressources qu’elle est efficace du point de vue de la
production s’il n’est pas possible de produire plus d’un bien sans réduire la production d’au
moins un autre bien. Les allocations qui satisfont cette propriété appartiennent à la frontière
des possibilités de production de l’économie.
Le théorème
d’efficacité productive peut être formulé de la façon suivante. Considérons une
économie concurrentielle, où les surprofits éventuels peuvent être taxés à 100 %. Le décideur
public a la possibilité de lever une taxe (linéaire) sur tous les biens, qu’ils soient intermédiaires
ou finals. Dans ce cadre, Diamond et Mirrlees démontrent que tout système fiscal optimal est
efficace du point de vue de la production.
Cela signifie qu’il n’est pas désirable de distordre
le choix des entrepreneurs en ce qui concerne les facteurs mobilisés dans le processus
productif. Ce résultat a d’importantes implica
tions, parmi lesquelles la sous-optimalité
d’une taxation des biens intermédiaires
.
28
Ce résultat est souvent mobilisé afin de justifier l’idée selon laquelle un bon impôt sur les
sociétés serait caractérisé par sa
neutralité
. Considérons un impôt sur les sociétés pour lequel
le taux d’imposition effectif est le même indépendamment du secteur d’activité, du type d’actifs
mobilisés, des modes de financement de l’investissement, et des formes d’organisation. Dans
ce contexte, les investisseurs ont la possibilité de choisir quels projets ils souhaitent financer.
À l’équilibre, les taux de rendement, nets d’impôts, des différents projets (ajustés du risque)
26
Cette démarche est par exemple développée par Joseph E. Stiglitz. Cf. « Self-Selection and Pareto Efficient
Taxation » (1982),
Journal of Public Economics
, vol. 17, n°2, pp. 213-240, et « Pareto Efficient and Optimal Taxation
and the New New Welfare Economics » (1987),
Handbook of Public Economics
, vol. 2, pp. 991-1042.
27
Peter A. Diamond et James A. Mirrlees (1971), « Optimal Taxation and Public Production I-II »,
American Economic
Review,
n°61, pp. 8-27 et 261-278.
28
Taxer les biens intermédiaires ne fait que rajouter des distorsions supplémentaires et inutiles. Il est donc
préférable de ne taxer que les biens finals, directement consommés par les consommateurs. À l’a
une de cette règle,
et à titre d’exemple, des fruits et légumes consommés directement par un agent seront taxés, alors que ces mêmes
produits utilisés par un fabricant de plats cuisinés ou un restaurateur ne le seront pas.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 12 -
12
s’égalisent. Compte tenu de l’hypothèse de neutralité fiscale, cela implique que les taux de
rendement avant impôt (ajustés du risque) sont égaux et donc que la production est maximale.
Un système fiscal neutre permet alors d’atteindre d’efficacité productive.
Malheureusement, les hypothèses sous lesquelles le théorème
d’efficacité productive est valide
ne sont
pas vérifiées en pratique. Comme nous l’avons déjà souligné, le décideur public ne
dispose pas des instruments qui lui permettraient de taxer les surprofits à 100 %. Par
conséquent, il est incorrect d’évoquer ce
théorème
pour faire de la neutralité l’une
des
caractéristiques désirables d’un système fiscal.
En l’absence d’une taxation intégrale des surprofits, il est généralement optimal de mettre en
place des taxes spécifiques sur les intrants davantage utilisés par les entreprises (ou les
secteurs) où les rentes sont élevées.
29
Il convient bien sûr d’inclure le capital parmi ces intrants.
Il peut donc être bénéfique de violer la neutralité fiscale et de prélever un IS à un taux
plus élevé dans certains secteurs
, comme succédané d’une taxation directe des su
rprofits
qui elle-même serait pourtant non-distorsive.
Il
n’est
malheureusement
pas
facile
de
transformer
cet
argument
théorique
en
recommandations pratiques.
Tout d’abord, comme nous l’avons déjà souligné, il est très difficile de distinguer
surprofits et juste rémunération de la prise de risque.
Il n’y a en outre aucune raison de penser que les rentes pures seraient plus élevées dans
les sociétés anonymes que dans d’autres formes de structure, ou dans les grandes
entreprises que dans les petites. On ne pe
ut donc justifier sur cette base un taux d’IS
différencié en fonction de la forme jur
idique ou du chiffre d’affaires.
On sait par ailleurs qu’une part non
-
négligeable des surprofits résulte de l’exploitation
de la terre ou des ressources naturelles (mines, énergies hydraulique, solaire et
éolienne)
30
Il semble donc plus opportun d’utiliser des instruments ciblés, taxant
directement la terre ou la ressource naturelle exploitée.
Une différenciation systématique de l’IS en fonction des secteurs est également
su
sceptible d’intensifier les activités de lobbying de la part des entreprises. On peut
douter que ce lobbying aboutisse à un système fiscal optimal.
Il est donc peu probable que les pouvoirs publics disposent des informations nécessaires à la
mise en œuvre d’une différenciation
efficace
des taux d’IS. En outre, une différenciation
systématique ouvrirait la porte au lobbying fiscal et augmenterait sans doute les coûts
d’administration et de contrôle de l’impôt. Elle induirait également des réponses
comporteme
ntales potentiellement importantes, sources d’inefficacités (cf.
Encadré 3
). Faute
de mieux, il apparaît donc préférable de se cantonner à l’objectif traditionnel de
neutralité fiscale.
Encadré 3 : Absence de neutralité et importance des réponses comportementales
31
La littérature empirique récente souligne l’amplitude des réponses comportementales
provoquées par l’absence de neutralité fiscale. Ces réponses sont le simple fruit de stratégies
29
Partha Dasgupta et Joseph E. Stiglitz (1972), « On optimal taxation and public production »,
Review of Economic
Studies,
vol. 39, n°1, pp. 87-103.
30
Cette idée est déjà soulignée par David Ricardo en 1817 dans
On the Principles of Political Economy and Taxation,
chapitre 2.
31
Sur ce point, on se référera également utilement au rapport particulier numéro 2 de Claire Lelarge et Pierre-Alain
Sarthou, «
Comment l’impôt sur les sociétés affecte
-t-il les comportements ?
».
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 13 -
13
d’optimisation. Elles ne résultent pas de choix «
réels », ancrés sur les fondamentaux de
l’économie,
32
et portent préjudice à l’efficacité économique.
Par exemple, Roger H. Gordon et Jeffrey K. Mackie-Mason ont documenté les effets de la non-
neutralité fiscale entre secteurs incorporé et non-incorporé aux États-Unis, sur la période
1959-1986.
33
Ils estiment que la non-neutralité crée une perte sèche représentant 16 % des
recettes de l’IS. James Poterba a quant à lui étudié l’effet de la différence de taux effectifs
d’imposition entre les dividendes et les plus
-values sur la décision de distribuer les bénéfices
aux actionnaires.
34
Compte tenu de ses estimations, augmenter l’impôt sur les dividendes de
10 % entraîne, sur le long terme, une diminution des dividendes payés de 33 %.
1.2.3.
Définir un bon impôt sur les sociétés en économie ouverte
Il existe deux façons différentes de définir un bon impôt en économie ouverte.
Un premier point de vue, que l’on peut qualifier d’«
international » ou « mondial », a pour
ambition de caractériser le meilleur système fiscal en l’absence de problèmes de
coordination entre pays.
Un second point de vue, sans doute plus « réaliste » mais aussi moins ambitieux, consiste
à examiner quel serait le meilleur impôt dans un pays donné, en l’absence de coopération
ou de coordination internationale.
1.2.3.1.
La perspective internationale
Si la perspective internationale est la plus ambitieuse, c’est aussi celle qui devrait nous
permettre de dégager les règles les plus claires et les plus précises en matière d’imposition des
sociétés. En effet, tous les problèmes de coordination sont par hypothèse supposés résolus.
Les économies modernes se caractérisent par la mobilité croissante des facteurs de production,
et plus particulièrement du capital et du travail qualifié. Cette mobilité crée des possibilités
nouvelles d’arbitrage, not
amment entre localisations. Il est dès lors nécessaire de décliner
l’idée de neutralité
; on distingue ainsi neutralité à l’exportation du capital et neutralité à
l’importation du capital.
La neutralité à l’exportation du capital
signifie que la décision d
’un agent d’investir dans son
pays de résidence ou à l’étranger n’est pas affectée par la fiscalité. Il faut donc que les taux
effectifs d’imposition sur les différents revenus mondiaux soient les mêmes, indépendamment
de l’origine géographique. C’est donc
dans ce scenario que nous nous plaçons. En raison de la
mobilité internationale du capital, les taux de rendement du capital
après
impôt s’égalisent. Les
taux effectifs d’imposition sur les revenus mondiaux ne variant pas d’un pays à l’autre, l’égalité
des taux de rendement
après
impôt entraîne mécaniquement celle des taux de rendement
avant
impôt. L’allocation du capital au niveau international est dès lors efficace du point de vue
de la production : il est impossible de produire davantage, au niveau mondial, sans réduire la
production d’au moins un bien
. Pour réaliser la neutralité à l’exportation du capital, il faut
32
La distinction entre réponses réelles et réponses d’optimisation fiscale est au cœur de travaux théoriques et
empiriques récents. Voir en particulier Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Stefanie Stantcheva, « Optimal Taxation
of Top Incomes: a Tale of Three Elasticies »,
American Economic Journal: Economic Policy,
vol. 6, n°1, pp. 230-271.
33
Roger H. Gordon et Jeffrey K. Mackie-Mason (1997), « How Much Do Taxes Discourage Incorporation ? »,
Journal
of Finance,
vol. 52, n°2, pp. 477-505.
34
James Poterba (2004), « Taxation and Corporate Payout Policy »,
American Economic Review,
vol. 94, n°2, pp. 171-
175.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 14 -
14
que l’impôt sur les sociétés soit basé sur le principe de résidence (des détenteurs du
capital).
La
neutralité à l’importation du capital
requiert que tous les agents investissant dans un pays
donné soient soumis au même taux d’imposition effectif indépendamment de l’origine du
capital.
Il est à cette fin nécessaire que l’impôt sur les sociétés soit levé dans le pays
source
: les investisseurs ne sont taxés que dans le pays où ils investissent et le pays source
taxe les investissements domestiques et étrangers au même taux. La mobilité du capital
conduisant à l’égalisation des taux de rendement après impôt, les taux de rendement nets ne
peuvent être identiques dans les différents pays que si ces derniers taxent au même niveau.
Lorsque ce n’est pas le cas, le rendement brut du capital varie d’un pays à l’autre. Par
conséquent, l’allocation internationale des ressources n’est pas efficace du point
de vue de la
production. On peut alors concevoir l’impôt sur les sociétés comme une taxe spécifique portant
sur l’utilisation du capital dans un pays donné.
La réalisation simultanée de ces deux formes de neutralité n’est possible que si tous les pays
ado
ptent des systèmes fiscaux identiques. Or il n’y aucune raison, du point de vue de l’efficacité
économique, qu’un pays en développement taxe les revenus du capital au même taux qu’un
pays développé. Les pays en développement ont en effet un capital par tête inférieur à celui des
pays développés. Leur croissance est donc
a priori
compatible avec une fiscalité plus élevée, du
moins dans le cadre d’un modèle de croissance à la Solow.
35
Nous rejoignons ici l’un des grands résultats théoriques en matière d’imposition des revenus
du capital. Michael Keen et David Wildasin ont montré qu’un système international d’IS ne
devait généralement pas rechercher l’efficacité productive.
36
En d’autres termes
, il est
habituellement bénéfique d’introduire des distorsions
de fiscalité entre pays,
et ce même
lorsque les hypothèses du théorème
d’efficacité productive (présentées plus haut) sont
vérifiées.
Supposons donc pour commencer que les décideurs publics peuvent taxer les surprofits au
taux de 100 %. Le point de départ du raisonnement de Keen et Wildasin est le suivant. Le
résultat de Diamond et Mirrlees (1971,
op. cit.
) est obtenu en économie fermée. Il n’y a donc
qu’une seule condition d’équilibre des finances publiques ou «
contrainte budgétaire ». Aussi
n’est
-
il pas possible d’appliquer directement le
théorème
d’efficacité productive à une
économie composée de plusieurs pays, ayant chacun une contrainte budgétaire propre. Dans
ce cadre, Keen et Wildasin montrent qu’il peut être optimal d’utiliser
une fiscalité distorsive,
combinant un impôt sur les sociétés prélevé dans le pays source et des subventions à
l’exportation du capital (via un impôt négatif par exemple), afin de transférer une partie de la
base fiscale vers les pays pauvres.
Lorsqu’il n’est pas possible de taxer l’intégralité des surprofits, il est optimal —
du point de vue
mondial
d’utiliser des taxes sur le revenu du capital, prélevées à la source dans les pays
importateurs de capital.
37
Celles-ci constituent en effet un instrument indirect de taxation des
rentes pures.
Supposons maintenant que le monde se compose de deux pays, notés
A
et
B
. Nous appelons
«
taux d’IS domestique
» le taux d’imposition en vigueur dans le pays
i
pour les investissements
effectués par les ressortissants de ce pays. La détermination des taux domestiques optimaux
répond à une règle classique d’élasticité
-inverse : le taux en vigueur dans le pays
i
sera d’autant
35
Robert M. Solow (1956), « A Contribution to the Theory Economic Growth »,
Quarterly Journal of Economics
, vol.
70, n°1, pp. 65-94.
36
Michael Keen et David Wildasin (2004), « Pareto-Efficient International Taxation »,
American Economic Review,
vol. 94, n°1, pp. 259-275.
37
Michael Keen et Hannu Piekkola (1997), « Simple Rules for the Optimal Taxation of International Capital
Income »,
Scandinavian Journal of Economics,
vol. 99, n°3, pp. 447-461.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 15 -
15
plus faible que l’investissement domestique est sensible à l’impôt.
38
En outre, lorsque les
élasticité
s de l’offre et de la demande du capital sont les mêmes dans les deux pays, le taux
optimal d’imposition des investissements transfrontaliers est une moyenne pondérée des taux
domestiques dans les deux pays. Par conséquent, le taux d’imposition effectif su
r les
investissements transfrontaliers se situe entre les taux qui prévaudraient en présence de
neutralité à l’exportation et de neutralité à l’importation des capitaux respectivement. En
outre, les bénéfices liés aux investissements transfrontaliers devraient être imposés en partie
dans le pays source et en partie dans le pays de résidence des investisseurs. Principe de
résidence et principe de la source n’apparaissent plus comme deux alternatives, mais doivent
être combinés afin d’obtenir une allocation o
ptimale des ressources au niveau mondial.
Une imposition selon le principe de la source, assortie d’un système d’exonération des revenus
de source étrangère identique dans tous les pays, permet d’atteindre la neutralité à
l’importation des capitaux. Un sys
tème de taxation des revenus du capital au niveau mondial,
assorti d’un crédit d’impôt sur les revenus de source étrangère, permet d’atteindre la neutralité
à l’exportation des capitaux. Compte tenu de l’analyse que nous venons de présenter, aucun de
ces d
eux systèmes n’est optimal du point de vue mondial
. Du point de vue international, un
bon système fiscal a les caractéristiques suivantes
:
En l’absence de problèmes de coordination entre pays, le meilleur système d’IS n’est
neutre ni à l’importation ni à l’exportation des capitaux.
En outre, l’impôt sur les revenus du capital transfrontalier étant une moyenne
pondérée des taux domestiques dans le pays source et dans pays de résidence, il doit
être inférieur au maximum de ces deux taux. Ceci implique que la double taxation
des revenus du capital ne saurait être optimale du point de vue global. Il convient
donc de l’éviter.
Un bon système d’imposition sur les revenus du capital comporte un impôt prélevé
dans chaque pays selon le principe de la source. Cet impôt a un double objectif : taxer
indirectement les rentes pures et transférer des ressources fiscales des pays
(fiscalement) riches vers les pays (fiscalement) pauvres.
Principe de la source et principe de résidence (des détenteurs du capital) ne sont pas
mutuellement exclusifs. Un bon système fiscal impose les revenus du capital selon
ces deux principes (tout en évitant une double imposition à taux pleins).
1.2.3.2.
La perspective nationale
La perspective internationale que nous venons de présenter suppose résolus les problèmes de
coordination entre États. Elle offre un point de mire utile, à l’aune duquel il peut être instructif
d’apprécier les évolutions de la coordination internationale en matière d’IS. Il est clair
cependant qu’un long cheminement reste à parcour
ir. Aussi la question de la
convergence
vers cet état du monde est-
elle centrale. Il convient en particulier d’examiner si un État, animé
par la seule poursuite de ses propres intérêts nationaux, met spontanément en place des
politiques en accord avec la p
erspective internationale. Lorsque ce n’est pas le cas, il risque de
s’engager dans une concurrence fiscale dommageable. Nous ne traitons pas directement ce
38
On pa
rle en économie d’élasticité pour mesurer la variation d’une grandeur provoquée par la variation d’une
autre grandeur. Ainsi, on peut par exemple parler de l’élasticité de l’investissement domestique au taux moyen ou
marginal d’imposition.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 16 -
16
point dans ce rapport puisqu’il a fait l’objet d’une analyse approfondie dans le rapport
particulier n°5.
39
Hypothèse du petit pays
40
Nous avons vu que, du point de vue mondial, un bon système d’imposition des revenus du
capital comporte un impôt à la source dans chaque pays. Considérons, pour commencer, une
petite économie ouverte n’utilisant pas d’IS à
la source, et dont les entreprises ne bénéficient
d’aucune rente spécifique de localisation.
41
Le décideur public de ce petit pays souhaite
maximiser le bien-
être de ses nationaux. Toutes choses égales par ailleurs, l’introduction d’un
impôt sur le revenu du capital, prélevé selon le principe du pays source, a les effets suivants.
Un IS prélevé à la source diminue la rentabilité du capital investi dans ce pays et
provoque donc une fuite de capital vers le reste du monde.
Ceci induit une baisse de la productivité, et donc de la rémunération des facteurs
domestiques, ce qui a un effet direct négatif sur le bien-être des nationaux, que les
recettes fiscales supplémentaires ne permettent pas de compenser, en raison de la
réduction de la base fiscale.
Le bien-êt
re national serait donc supérieur si les nationaux payaient directement l’impôt
que le gouvernement parvient ainsi à prélever. La réforme fiscale envisagée ne peut donc
être socialement optimale.
Les résultats obtenus par Assaf Razin et Efraim Sadka confirment cette intuition
42
:
une petite
économie ouverte sans rente spécifique de localisation n’a pas intérêt à recourir à un IS
à la source
. Cette conclusion est en désaccord avec les bons principes de gouvernance dégagés
selon le point de vue international. Elle permet sans doute de mieux comprendre pourquoi de
petits pays, sans rente de localisation spécifique, ne sont souvent pas pionniers en matière de
coopération fiscale internationale. On peut notamment songer aux « paradis fiscaux », présents
ou passés,
n’ayant guère d’autre avantage que leur fiscalité attrayante.
Hypothèse du grand pays
43
Nous abandonnons maintenant l’hypothèse du petit pays. L’environnement économique
international se caractérise par la présence de rentes de localisation spécifiques. Ces rentes ne
sont pas transférables d’un pays à l’autre.
À
titre d’exemple, on peut citer l’avantage que
constitue une position centrale sur un grand marché régional comme l’UE ou un accès aisé à la
mer, etc.
Supposons que le décideur public d’un pays disposant d’une rente de localisation soit contraint,
pour des raisons pratiques, de taxer le rendement du capital au même taux, pour sa partie
39
Voir sur ce po
int le rapport particulier n°5 d’Antoine Chouc et Thierry Madiès
: « Comment se situe la France dans
la concurrence internationale en matière d’impôt sur les sociétés
? »
40
Par hypothèse, une petite économie ouverte est « preneuse de prix » sur les marchés internationaux. Autrement
dit, les actions de ses agents n’ont pas d’effet direct sur les prix internationaux.
41
C’est par exemple le cas lorsque le pays considéré est éloigné des principaux lieux de consommation. L’idée que
la proximité des « lieux centraux » est associée à une rente de localisation a été introduite par Johann Heinrich von
Thünen en 1842 dans
Der isolierte Staat in Beziehung auf Landwirtschaft und Nationalökonomie
.
42
Assaf Razin et Effraim Sadka (1991), « International Tax Competition and Gains from Tax Harmonization »,
Economics Letters,
vol. 37, pp. 69-76, ainsi que la version plus complète de cet article :
NBER Working Paper,
n°3152,
octobre 1989.
43
Par définition, les décisions privées ou publiques prises dans les grands pays affectent le marché mondial et, à
travers lui, les autres pays.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 17 -
17
correspondant à des profits « normaux » comme pour celle correspondant à des profits
« excessifs ».
44
Dans ces conditions, il peut s’avérer optimal —
du point de vue national
d’utiliser un système d’IS comprenant une taxe levée à la source. La structure fiscale optimale
à l’échelle de la nation devient alors compatible avec celle qui prévaudrait en l’absence de
problèmes de coordination, du moins dans les pays disposant de rentes spécifiques (ce qui
n’est pas le cas, notamment, de la plupart des paradis fiscaux). Ces pays ont individuellement
intérêt à utiliser les mêmes in
struments pour taxer les revenus du capital, même s’il n’y a
aucune raison que le barème d’imposition instrument par instrument soit le même d’un pays
à l’autre.
Cet argument théorique offre un éclairage intéressant sur la raison pour laquelle il est sans
doute plus réaliste, du moins dans un premier temps, de rechercher davantage de coordination
fiscale entre pays relativement similaires en matière de rentes de localisation spécifiques, et
donc par exemple plutôt au niveau des grands pays de la zone euro que directement à celui de
l’Union européenne dans son ensemble.
45
Il suggère aussi qu’il est sans doute plus facile de
s’accorder sur une harmonisation des instruments, que sur la définition de taux «
souhaités ».
La feuille de route suggérée procèderait donc par étapes, et commencerait pas une discussion
des instruments, avant d’aborder la question plus délicate des taux.
46
Le raisonnement présenté s’applique également à un petit pays bénéficiant de rentes de
localisation spécifiques à son territoire. Cependant, un petit pays est par essence plus sensible
aux mouvements transfrontaliers de capital. Dès lors, l’opportunité d’un impôt sur le revenu
du capital, prélevé selon le principe de la source, doit être appréciée à l’aune de la facilité à
distinguer rémunérations normale et excessive du capital. Une fiscalité pesant trop sur cette la
rentabilité « normale
» risquerait en effet d’entraîner une fuite très importante de capital.
Les résultats précédents peuvent être résumés comme suit.
Les petits pays sans avantage spécifique de type « rente de localisation
» n’ont pas intérêt
à converger vers un système fiscal optimal du point de vue international, à moins qu’ils ne
reçoivent une compensation et/ou ne fassent l’objet de pressions suffisamment crédibles.
Les pays bénéficiant de rentes de localisation spécifiques ont une structure fiscale
compatible avec celle obtenue du point de vue international
: ils ont intérêt à s’appuyer sur
les mêmes instruments, mais sur des barèmes de taux a priori différents.
Dans la mesure où une partie des rentes dont bénéficient les grands groupes sont mobiles
internationalement, chaque pays a intérêt à taxer les rentes à un taux inférieur à celui qui
prévaudrait dans un système fiscal mondial intégré.
1.3.
Neuf manières alternatives de taxer les revenus du capital
L’analyse théorique ne parvient pas à identifier un système d’imposition des sociétés qui
dominerait tous les autres. Elle fournit néanmoins un ensemble de propriétés qu’un bon IS doit
satisfaire, au niveau national et au niveau international. Notre objectif est à présent double :
resituer les différentes façons dont l’IS est actuellement administré et présenter quelles
44
En pratique, la plupart des pays utilisent aujourd’hui des systèmes d’IS qui n’opèrent pas cette différenciation.
45
Il semble en effet raisonnable de considérer que les rentes spécifiques de localisation sont plus homogènes parmi
les pays de la zone euro que parmi ceux de l’UE.
46
Dans la mesure où la discussion aurait lieu entre pays suffisamment homogènes en matière de rentes spécifiques
de localisation, les taux individuels ne devraient pas trop varier d’un pays à l’autre, ce qui permet dans un premier
temps de se concentrer sur les instruments, indépendamment des taux. La question de la coordination en matière
d’IS est beaucoup plus complexe lorsque les pays sont moins homogènes et il est sans doute difficile d’aborder la
question des instruments indépendamment de celle des taux « raisonnables ».
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 18 -
18
alternatives sont envisageables. Pour bien s’orienter, il est en effet nécessaire de connaître sa
position de d
épart et de savoir vers où l’on peut aller.
1.3.1.
Une cartographie des possibles
Nous nous plaçons d’emblée en économie ouverte
: la production, la vente, le siège social, les
profits et les actionnaires peuvent donc en toute généralité se situer dans des pays différents.
La première question est donc celle de la localisation de l’assiette. La seconde est celle des
revenus assujettis à l’impôt. En croisant ces deux dimensions, nous décrivons l’ensemble des
possibles.
47
Comme nous l’avons vu (cf.
Encadré 2), trois modalités peuvent être envisagées en ce qui
concerne la localisation de l’assiette
de l’impôt sur les sociétés
: (i) taxation dans le pays source,
(ii) taxation dans le pays de résidence ou (iii) taxation dans le pays de destination. Le principe
de résiden
ce se décline de deux manières différentes, selon que l’on retient la résidence de
l’entreprise ou des propriétaires du capital. Le principe de destination conduit quant à lui à
définir l’assiette fiscale dans le pays où les biens ou services sont consommé
s.
En ce qui concerne les revenus sujets à l’impôt, il est tout d’abord utile de rappeler que le capital
investi dans une entreprise correspond à la somme du capital propre (ou fonds propres) et de
la dette
. On peut ainsi distinguer trois assiettes principales : le rendement des capitaux
propres, le rendement du capital, et la rente
. Il s’agit dans les deux premiers cas d’un taux
de rendement
global
, incluant rémunérations normale du capital et rente.
La combinaison des critères de localisation et de revenu
s inclus dans l’assiette laisse apparaître
douze familles
d’a
pproches. Nous nous concentrons sur les neuf propositions figurant dans le
Tableau 4 qui sont les plus souvent évoquées dans le débat fiscal international. Elles sont toutes
analysées en détail ci-après.
47
Cette typologie a été introduite par Michael P. Devereux et Peter Birch Sørensen (2006), « The corporate income
Tax: International Trends and Options for Fundamental Reform »,
European Commission Economic Papers
, n°264.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 19 -
19
Tableau 4
: Quelles alternatives en matière d’
IS ?
Revenus inclus dans l’assiette
Rentabilité du capital
(fonds propres + dette)
Rentabilité des
capitaux propres
Rente
Localisation de l’assiette
Pays source
1. Impôt dual sur le
revenu
(
dual income tax ou DIT
)
3. Impôt sur le revenu
des capitaux propres,
avec exemption des
revenus de source
étrangère
6. Impôt sur le taux de
rendement excessif du
capital (
allowance for
corporate equity ou
ACE
)
7. Impôt à la source sur
les flux de trésorerie
des entreprises (
source-
based cash flow
corporation tax ou
SBCFCT
)
2. Impôt sur le revenu du
capital
(
comprehensive business
income tax ou CBIT
)
Pays de
résidence de
l’entreprise
-
4. Impôt sur le revenu
des entreprises
résidentes, avec crédit
d’impôt pour les taxes
acquittées à l’étranger
-
Pays de
résidence des
propriétaires
du capital
-
5. Impôt sur le revenu
(distribué ou non) des
capitaux propres
portant directement sur
les actionnaires
-
Pays de
consommation
finale
-
-
8. Taxe sur les
cash
flows
dans le pays de
destination (
full
destination-based cash
flow tax ou FDBCFT
)
9. IS de type « TVA »
(
VAT-type destination-
based cash flow tax
ou
VATDBCFT)
Lecture : La plupart des pays utilisent les systèmes encadrés en bleu (catégories 3 et 4). Les
impôts sur fond vert sont utilisés actuellement dans certains pays ou ont déjà été
expérimentés. On dispose donc de certains résultats empiriques en ce qui les concerne. Les
impôts restant correspondent à des propositions purement théoriques à l’heure actuelle.
1.3.2.
Le point de départ : les deux mod
èles d’IS les plus répandus aujourd’hui
Les systèmes fiscaux actuels relèvent pour la plupart des catégories 3 (impôt sur le revenu des
capitaux propres, avec exemption des revenus de source étrangère) et 4 (impôt sur le revenu
des entreprises résidentes,
avec crédit d’impôt pour les taxes acquittées à l’étranger). L’impôt
porte sur les profits de l’entreprise après déduction des intérêts de la dette.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 20 -
20
Dans le premier cas, l’administration fiscale exempte les revenus de source étrangère.
Dans le second cas,
l’intégralité des profits —qu’ils soient domestiques ou réalisés à
l’étranger—
sont pris en compte dans l’assiette, mais l’impôt obtenu par application du
barème de taux est diminué à hauteur de l’IS déjà payé à l’étranger. Ce crédit d’impôt est
le plus souvent accordé au moment où les revenus de source étrangère sont rapatriés
vers le pays de résidence de l’entreprise. En outre, il ne peut généralement excéder le
montant de l’impôt domestique sur les revenus de source étrangère. Par conséquent, un
impôt s
ur le revenu des entreprises résidentes, assorti d’un crédit d’impôt pour les taxes
acquittées à l’étranger (catégorie 4), devrait avoir les mêmes effets qu’un IS à la source
avec exemption des revenus de source étrangère (catégorie 3).
En première approximation, on peut donc considérer que la plupart des IS existant relèvent,
économiquement, de l’imposition
à la source
(voir aussi l’encadré 2)
. Cela peut paraître
surprenant dans la mesure où la définition du pays source est difficile pour des raisons à la fois
pratiques et conceptuelles (cf. Encadré 4).
En raison de la mobilité du capital et des opportunités d’optimisation de la répartition
intragroupe du profit via les prix de transferts et les règles relatives à la déductibilité des
charges financières, un impôt à la source est tout particulièrement exposé à la concurrence
fiscale entre juridictions. Le problème qui se pose à l’échelle de chaque État est alors celui de
la fuite de capital. Les différentes modalités d’imposition présentées dans le
Tableau 4 sont
toutes, d’une manière ou d’une autre, des façons de répondre au problème de la fuite de capital.
Elles cherchent également à créer davantage de neutralité fiscale dans la sphère domestique.
Encadré 4 : Quelques difficultés pratiques et conceptuelles relatives à la taxation à la source
Le principe de taxation à la source constitue l’approche conventionnelle en matière d’IS. Au
-
delà de la question de sa désirabilité et de son application à un type de revenus, il convient de
souligner que l’identification de la source du profit est dans certains cas délicate, et même
parfois conceptuellement impossible.
Commençons par un exemple simple. Un agent résidant dans le pays A possède à lui seul une
entreprise enregistrée dans le pays B. Celle-
ci n’opère que dans le pays B, qu’il s’agisse des
salariés qu’elle emploie, de son activité productive, ou de la distribution. Dans ce cas, le pays B
est clairement le pays source tandis que le pays A est le pays de résidence du propriétaire.
Supposons maintenant que l’entreprise en question vendent l’intégralité de sa production dans
le pays C. Ce dernier est le pays de destination.
Ajoutons à présent une socié
té de portefeuille localisée dans le pays D. L’agent que nous
considérons détient des parts de cette société, qui possède à son tour l’entreprise localisée
dans le pays B. On considère habituellement que le pays D est le pays de résidence du groupe
international, dès lors que le management et le contrôle du groupe sont bel et bien exercés à
partir de ce pays.
Supposons, pour rendre l’exemple un peu plus réaliste, que le groupe international possède
deux laboratoires de recherche et développement dans les pays E et F respectivement, une
succursale de financement dans le pays G, et une succursale en charge du marketing du produit
fini dans le pays H. Chacune de ces activités contribue au profit du groupe à l’échelle mondiale.
Il y a donc à présent cinq pays sources : B, E, F, G et H. Une définition conventionnelle de la
source nécessite de répartir le profit mondial entre ces cinq pays, en fonction de « prix de
pleine concurrence » (
arm’s length prices
). Il s’agit des prix de transfert qui prévaudraient si
les
différentes parties n’étaient pas directement liées.
Cette procédure est difficile à mettre en œuvre dès lors qu’aucune transaction comparable n’a
lieu à l’extérieur du groupe. De façon plus problématique encore, on peut s’interroger sur
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 21 -
21
l’existence même de certains de ces prix au niveau conceptuel. L’exemple suivant permet de
l’illustrer. Supposons que chacun des laboratoires de R&D dépose un brevet constituant un
élément clé de la technologie de production du groupe. Les deux brevets sont complémentaires
et doivent donc être utilisés simultanément. Dans ce cadre, un brevet pris isolément est sans
valeur. Le prix de pleine concurrence correspondant est donc clairement nul, ce qui n’est pas
pertinent. Une approche alternative pourrait être de se demander quel prix une tierce partie
détenant l’un des brevets serait prête à payer pour acquérir le brevet complémentaire.
Cependant, si chacun des deux brevets était évalué de cette manière, leur prix total pourrait
très bien être supérieur à la valeur totale produite par le groupe, ce qui est certainement
absurde. Aucune des deux solutions envisagées n’est donc satisfaisante. Par conséquent, les
pays ayant recours à un impôt à la source doivent dans certains cas répartir le profit de façon
purement conventionnelle, sans fondement économique réel.
1.3.3.
Les alternatives aux systèmes actuels, fondées elles-aussi sur le principe de
taxation à la source
Nous commençons par décrire les alternatives fondées elles-aussi sur le principe de taxation à
la source (catégories 1, 2, 6 et 7 du Tableau 4). Afin de limiter la répétition de dénominations
assez lourdes, nous utiliserons des abréviations pour désigner certaines de ces alternatives.
Elles sont toutes indiquées dans le Tableau 4. Nous prions le lecteur de bien vouloir nous
excuser de l’utilisation de ces acronymes assez barbares.
1.3.3.1.
DIT et CBIT
Les deux premiers systèmes d’imposition,
dual income tax
(DIT) et
comprehensive business
income tax
(CBIT)
48
, élargissent l’assiette traditionnellement utilisée, de la rentabilité des fonds
propres à celle du capital dans son ensemble. Ce faisant, ils éliminent toute distorsion fiscale
entre financement par les fonds propres ou par la dette.
A recettes fiscales données,
l’élargissement de la base permet d’abaisser les taux en vigueur, et donc de limiter le
problème de la fuite de capital.
Le système dual d’imposition (DIT) a été introduit dans les pays nordiques au début des années
1990.
49
Celui-ci considère que l
’assiette d’imposition doit être aussi large que possible afin de
préserver un degré raisonnable de neutralité, et combine fiscalité progressive sur les revenus
du travail et imposition des revenus du capital à taux constant. Dans la forme la plus pure du
système, le taux constant sur les revenus du capital est aligné sur le taux de la première tranche
de l’impôt sur les revenus du travail. On peut donc concevoir le système dual comme prélevant
un impôt uniforme sur tous les revenus, indépendamment de leur origine, combiné à une
surtaxe progressive sur les revenus du travail et de transfert. L’idée sous
-jacente est de
favoriser l’esprit d’entreprise, la prise de risque, et l’innovation. L’une des faiblesses du
système réside dans les possibilités de transfer
t de l’impôt sur le revenu du travail vers celui
sur les revenus du capital,
50
et des règles assez complexes de partage de revenus entre les deux
bases ont été introduites afin de les limiter.
48
On rappelle que l’adjectif anglais «
comprehensive » est un faux-ami signifiant « complet » ou « global ».
49
Voir par exemple Peter Birch Sørensen (2010), « Dual Income Taxes: A Nordic Tax System », in
Tax Reform in
Open Economies,
Edward Elgar, chapitre 5.
50
Voir par exemple Jukka Pirttilä et Håkan Selin (2011), « Income Shifting Within a Dual Income Tax System.
Evidence from the Finnish Tax Reform of 1993 »,
Scandinavian Journal of Economics,
vol. 94, n°11-12, pp. 120-144,
ainsi que Annette Alstadsaeter et Martin Jacob (2012) : « Income Shifting in Sweden. An Empirical Evaluation of the
3 :12 Rules »,
Report to the Expert Group on Public Economics
, Ministère suédois des Finances.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 22 -
22
La CBIT ne souffre pas de cette faiblesse. Il s’agit en effet d’un système dual d’imposition dans
lequel le taux appliqué aux revenus du capital n’est pas aligné sur la première mais sur la
dernière tranche de l’impôt sur les revenus du travail. L’incitation fiscale à innover est donc
a
priori
moindre qu’avec une DIT.
Ce système a été proposé par le Département américain du
Trésor en 1992, mais n’a jamais été appliqué dans les faits.
1.3.3.2.
ACE et SBCFCT
Afin d’éviter les distorsions entre dette et fonds propres, l’alternative est d’étendre le dispositif
de déduction des intér
êts d’emprunt au taux de rendement normal du capital. La neutralité
fiscale est alors obtenue par un resserrement de l’assiette à la rente. L’ACE
(
allowance for
corporate equity
)
s’inscrit dans cette perspective
(catégorie 6 du Tableau 4) : un taux de
rendement notionnel, correspondant au taux d’intérêt versé pour des placements peu risqués
à moyen terme,
est imputé au résultat de l’entreprise afin d’obtenir le
« bénéfice ajusté ». En
Belgique, le taux notionnel est obtenu à partir des taux d’intérêt pour les bons du Trésor à 10
ans. Le bénéfice ajusté est ainsi expurgé du coût d’opportunité de l’investissement. La base
fiscale est ainsi plus proche de la rente, même si elle ne se limite pas à la rente pure, qui de
toute façon ne peut être directement observée par l’administration fiscale et donc servir
d’assiette.
L’ACE prend en compte la mobilité croissante du capital en taxant les investissements dans les
mêmes conditions, indépendamment de leur origine géographique. Cependant, à recettes
fiscales constantes, introduire une ACE exige de relever les taux pour compenser le
rétrécissement
de
l’assiette.
Cette
hausse
risque
d’entraîner
une
diminution
des
investissem
ents en provenance de l’étranger ainsi que des manipulations des prix de transfert
afin de localiser artificiellement la source du profit à l’étranger.
Des dispositifs proches de l’ACE ont été utilisés en Italie (1997
-2003), en Autriche (2000-2004)
et en Croatie (1994-2000) et sont actuellement en place au Brésil et en Belgique, depuis 1996
et 2006 respectivement. On ne dispose cependant que de peu de résultats empiriques les
concernant.
51
Une autre façon de cibler davantage la rente consiste à mettre en place un impôt sur les flux de
trésorerie nets afférant à la production domestique (catégorie 7 du Tableau 4
). L’assiette de
l’impôt correspond aux ventes domestiques et à l’étranger, diminuées du prix des différents
intrants domestiques et importés (capital inclus) ainsi que de la charge salariale. On obtient
alors une mesure du surprofit résultant de la production domestique. Cette SBCFCT (
Source-
based cash flow corporation tax
) permet en particulier de taxer les rentes dont bénéficient les
agents étrangers, sans introduire aucune distorsion. Les recettes fiscales correspondantes
peuvent ensuite être redistribuées aux agents résidents, à travers les différentes politiques
mises en œuvre par l’État. Elle souffre néanmoins de certaines faiblesses. Tout d’abord, la
SBCFCT est susceptible d’affecter le choix de localisation des entreprises
: certaines entreprises
éviteront de s’installer dans le pays en question tandis que d
es firmes résidentes décideront
de se délocaliser. En outre, à l’image de l’ACE, la SBCFCT favorise la manipulation des prix de
transfert par les groupes multinationaux.
Le passage d’un IS traditionnel à une taxe sur les
cash flows
risque de causer certaines
difficultés, de façon au moins transitoire. Au moment de son introduction, la SBCFCT portera
principalement sur les
cash flows
liés aux investissements passés et constituera donc un
prélèvement non-
anticipé sur le capital. En l’absence de clauses d’anté
riorité (
grandfathering
rules
), les entreprises à forte intensité capitalistiques ou fortement endettées seraient dès lors
51
Ruud A. de Mooij et Michael P. Devereux (2011), « An Applied Analysis of ACE and CBIT Reforms in the EU »,
Internation Tax and Public Finance,
vol. 18, n°1, pp. 93-120/
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 23 -
23
confrontées à des problèmes de paiement (illiquidité). Ces clauses limitent
in fine
le gain
d’efficacité résultant de la transition v
ers une taxe sur les
cash flows
.
1.3.4.
Les alternatives au principe de taxation dans le pays source
Trois propositions se distinguent assez radicalement des précédentes par l’abandon du
principe de taxation à la source, socle de base des systèmes d’IS actuels o
u des expériences
récentes.
Nous
commençons
par
présenter
un
impôt
levé
au
niveau
des
actionnaires/propriétaires, selon le principe de résidence (catégorie 5 du Tableau 4).
1.3.4.1.
Un impôt prélevé directement sur les actionnaires
Lorsque le principe de résidence des propriétaires du capital prévaut, le décideur public
applique le même taux d’imposition à tous les investissements réalisés par les résidents, qu’ils
aient été ré
alisés sur le territoire national ou à l’étranger. Il exempte en retour les
investissements en provenance de l’étranger. Par conséquent, la décision des résidents
d’investir dans le pays considéré ou à l’étranger ne dépend pas de la fiscalité. Ce système
semble donc répondre au problème de la fuite des capitaux, pour les pays particulièrement
exposés à l’expatriation du capital
domestique
.
Puisque l’incidence fiscale porte en définitive sur des personnes physiques, en chair et en os,
Charles E. McLure et Martin S. Feldstein ont proposé de faire un pas en avant et de remplacer
l’IS sur les personnes morales par un impôt payé par leurs propriétaires.
52
Une taxe sur les
actionnaires, levée dans leur pays de résidence, est en effet attrayante pour plusieurs raisons.
Elle permet tout d’abord d’agir directement sur la répartition des revenus au sein de la
population.
Elle est par ailleurs source de neutralité fiscale : entre firmes incorporées et non-
incorporées d’une part, et entre dette et fonds propres, d’autre
part.
En outre, les personnes physiques sont généralement moins mobiles que le capital.
Éviter l’impôt exige de déménager hors du pays en question, ce qui a un coût matériel et
psychologique potentiellement élevé. Passer au niveau mondial à un système de taxation
des actionnaires sur leur lieu de résidence devrait donc limiter le problème de la fuite de
capital.
Comme on l’a vu, cela présuppose que l’incidence puisse être correctement tracée, ce qui est
actuellement impossible, mais pas inenvisageable à long terme.
1.3.4.2.
Un impôt sur les rentes levé dans le pays de destination
Deux alternatives, assez proches, reprennent l’idée d’une taxe sur les
cash flows
, afin d’isoler la
rente, mais l’appliquent dans le pays de destination (catégories 8 et 9 du
Tableau 4
). L’idée
sous-
jacente est de prélever l’impôt là où son assiette est relativement peu mobile.
53
52
Charles E. McLure,
Must Corporate Income Be Taxed Twice ?,
The Brookings Institution, Washington, et Martin S.
Feldstein (1987), « Imputing Corporate Tax Liabilities to Individual Shareholders »,
NBER Working Paper
, n°2349.
53
Voir Stephen Bond et Michael P. Devereux (2002), « Cash Flow Taxes in an Open Economy », CEPR Discussion
Paper, n°3401. On pourra également se référer à : David F. Bradford (2003), « The X Tax in the World Economy »,
CEPS Working Paper, n°93, et Harry Grubert et T. Scott Newlon (1997),
Taxing Consumption in a Global Economy,
American Enterprise Institute, Washington D.C.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 24 -
24
La FDBCFT (
full destination-based cash flow tax)
concerne toutes les entreprises
distribuant
leu
rs produits dans le pays qui l’applique, qu’elles soient situées à l’étranger ou sur le territoire
national. Par conséquent, le profit mondial des multinationales est réparti sur la base des pays
où les ventes sont réalisées, et non en fonction des pays de production des biens et services en
question. En outre, tous les coûts engagés afin de réaliser les ventes sont déductibles,
indépendamment du pays où ils ont été supportés. Compte tenu de son assiette, les entreprises
domestiques ne peuvent éviter la FDBCFT en délocalisant leur production. De façon
symétrique, les entreprises étrangères n’ont aucune désincitation fiscale à ne pas localiser leur
production sur le territoire national.
La FDBCFT souffre néanmoins de certaines faiblesses.
Son assiette dépend négativement des coûts engagés afin de produire les biens vendus
dans le pays de destination. Considérons une multinationale implantée dans plusieurs
pays et intervenant dans plusieurs secteurs. Il apparaît très difficile d’affecter, de
manière univoque, les coûts fixes et variables à des ventes réalisées sur différents
marchés. Il n’est pas impossible de mettre en place des règles d’affectation, mais il
faudrait alors obtenir la coopération des différentes administrations fiscales étrangères.
Une seconde d
ifficulté est d’ordre juridique. Le droit fiscal international prévoit qu’un
État ne peut taxer une entreprise que si elle dispose d’un établissement permanent sur
son territoire, alors qu’un État appliquant la FDBCFT taxe les entreprises distribuant
leurs
produits sur son territoire sans considération de la notion d’établissement stable.
Enfin, l’adoption unilatérale de la FDBCFT par un État ou un groupe d’États risque d’être
mal perçue par leurs partenaires : elle implique en effet un partage international de la
base fiscale.
La VATDBCFT (
VAT-type destination-based cash flow tax
;
catégorie 9 du Tableau 4) corrige
plusieurs de ces faiblesses. Son assiette introduit une asymétrie entre importations et
exportations
: seules les recettes provenant d’une vente à une tierce partie résidente sont
taxées. Les importations entrent donc dans l’assiette à la différence des exportations. En
contrepartie, les entreprises ne peuvent déduire les coûts de production que dans le pays où
ils ont été supportés. Le problème d’affectation des coûts auquel la FDBCFT est confrontée ne
se pose donc pas.
L’assiette de la VATDBCFT ne diffère de celle de la TVA que dans la
mesure où les charges salariales domestiques en sont retirées
. En raison de sa proximité
avec la TVA, la VATDBCFT pourrait certainement recevoir le statut d’impôt indirect, auquel cas
l’imposition des établissements étrangers sans établissement stable sur le territoire considér
é
serait juridiquement moins problématique.
La VATDBCFT se distingue cependant de la TVA en raison de la spécificité de son assiette : elle
correspond en effet à une taxe partielle sur les
rentes,
ces dernières n’étant imposées que dans
la mesure où elles sont la contrepartie de consommations par les résidents de la juridiction en
question. Elle est très attrayante car elle élimine le problème de la manipulation des prix de
transfert au sein des multinationales. Le produit des ventes à un consommateur étranger ne
fait pas partie de l’assiette
; le prix que les sociétés liées au sein d’un groupe multinational
définissent pour comptabiliser une exportation est donc sans effet sur l’impôt payé.
Symétriquement, une importation en provenance d’une société liée localisée à l’étranger n’a
pas d’effet fiscal puisqu’il n’y a aucune déduction afférente.
La transition vers une VATDBCFT soulève des difficultés non négligeables.
Les exportations étant exemptées d’impôts, à la différence des importations, le prix en
monnai
e domestique des exportations doit s’ajuster à la baisse, d’un montant égal à
l’impôt domestique, afin de restaurer l’équilibre sur les marchés. En raison des rigidités
nominales à court terme, ce processus d’ajustement risque d’entraîner des frictions
importantes, à moins que le taux de change ne soit parfaitement flexible.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 25 -
25
Quand bien même des dispositions appropriées seraient prises pour rendre ces
ajustements plus souples, l’adoption d’une VATDBCFT aurait des effets sur la répartition
du bien-être parmi les agents domestiques. Les agents domestiques disposant de
créances nettes sur l’étranger subiraient un effet de richesse négatif, à l’inverse de ceux
qui seraient endettés vis-à-
vis de l’étranger.
Si les investisseurs interagissant avec le reste du monde anticipent ces changements, ils
vont ajuster leur portefeuille afin d’accroître les gains espérés et minimiser les pertes
potentielles. Les marchés monétaires et financiers risquent donc d’être assez instables
au moment de la réforme. En outre, tout changement ultérieur du taux de change
pourrait s’accompagner d’effets similaires.
1.3.5.
Le décideur public face à un arbitrage multidimensionnel
Toutes les alternatives en matières d’imposition des sociétés (
Tableau 4) que nous venons de
présenter cherchent à limiter le problème de la fuite des capitaux, tout en renforçant la
neutralité fiscale dans l’ordre interne. Les réponses proposées dépendent des principes de
taxation (pays source, pays de résidence des propriétaires ou pays de destination) et des
instruments mobilisés (revenus inclus dans l’assiette).
La neutralité fiscale peut s’apprécier à travers
différentes marges comportementales. Nous en
retenons six dans le Tableau 3 : financement par la dette ou par les fonds propres, distribution
ou non des dividendes (plus-
values vs dividendes), modalités d’organisation juridique de
l’entreprise, localisation de l’investissement (choix du pays où investir),
montant de
l’invest
issement une fois la localisation arrêtée et localisation du profit (pour les sociétés
multinationales).
La couleur jaune signale que les modalités d’imposition considérées sont
neutres par rapport à l’arbitrage envisagé. Les systèmes fiscaux «
classiques », actuellement en
vigueur dans la plupart des pays (signalés en bleu) ne corrigent aucune de ces distorsions. Ils
apparaissent donc à ce titre peu performants. Les systèmes les plus neutres sont ceux assis sur
la rente.
Parmi les systèmes déjà utilisés, l
’ACE est celui qui corrige le plus de distorsions.
La VATDBCFT en neutralise cinq sur six, mais pose des problèmes spécifiques de
trans
ition
. Il ressort de cette comparaison qu’aucune solution n’est parfaite. Par conséquent,
les décideurs publics doivent opérer des
arbitrages multidimensionnels
, en fonction de leurs
objectifs prioritaires et des distorsions qu’ils jugent les plus néfastes.
La suite de ce rapport confronte cette grille d’analyse aux évolutions actuelles du droit
international et européen. El
le examine quelles évolutions d’assiette sont envisageables à
moyen terme et analyse les perspectives d’harmonisation au niveau de l’UE.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 26 -
26
Tableau 5 : Le décideur public face à un arbitrage multidimensionnel
Assiette
Rentabilité du
capital
(capital propre +
dette)
Rentabilité du capital propre
Rente
Impôt
Catégorie dans le
Tableau 4
DIT
1
CBIT
2
IS
« classique »
à la source
3
IS
« classique
» résidence
entreprises
4
Impôt sur
actionnaires
5
ACE
6
SBCFCT
7
FDBCFT
8
VAT
DBCFT
9
Localisation de
l’assiette
Source
Résidence/
Entreprise
Résidence/
Propriétaire
s
Source
Destination
Neutralité
par
rapport
aux
décisions
suivantes
:
Dette vs fonds
propres
Oui
Oui
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Plus-values vs
dividendes
Oui
Oui
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Modalités
d’organisation
juridique
Partiel
lement
(***)
Oui
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Localisation de
l’investissement (*)
Non
Non
Non
Non
Oui
Non
Non
Oui
Non
Montant
d’investissement
domestique (**)
Non
Non
Non
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Localisation du
profit
(déterminations
des prix de
transfert)
Non
Non
Non
Non
Oui
Non
Non
Non
Oui
Lecture
: Les différentes formes de neutralité sont mentionnées à gauche. La couleur jaune signale que l’impôt est neutre par rapport à l’arbitrage considéré. Les
systèmes « classiques
» actuels sont signalés en bleu clair. DIT et ACE signalées en vert ont déjà été mis en œuvre, à la différence des autres dis
positifs sur fond mauve.
(*) Choix du pays dans lequel l’inve
stissement est réalisé
; dépend des taux effectifs d’imposition moyens. (**) Une fois que la décision d’investir «
domestiquement » a
été prise
; dépend des taux effectifs d’imposition à la marge. (***) La neutralisation n’est que partielle en raison des p
ossibilités de transfert entre impôt sur le revenu
du travail et du capital.
Rapport particulier n°6
Document de travail
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27
2.
L
e recours à une assiette de substitution pour l’impôt sur les sociétés
n’apparait ni souhaitable, ni envisageable à moyen terme
Face au constat d’un
impôt sur les sociétés
dont l’assiette, particulièrement mobile, s’érode,
l’opportunité d’une
modification
de l’assiette d’imposition
mérite d’être analysée
. Cette
question a
fait l’objet de
nombreuses réflexions académiques, développées précédemment, en
vue de
la création d’un
impôt neutre,
c’est
-à-
dire qui n’affecterait pas les comportements et les
activités des entreprises, et qui serait efficace du point de vue de
l’allocation de
s facteurs de
production.
Le lien étroit entre les cadres fiscal et comptable invite notamment à envisager une assiette
s’appuyant sur d’autres
soldes intermédiaires de gestion que le résultat net. Ces soldes
intermédiaires servent d’ailleurs déjà d’assiette à p
lusieurs prélèvements obligatoires des
entreprises comme la contribution sociale de solidarité des sociétés
pour le chiffre d’affaire
s
ou cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour la valeur ajoutée. Un solde
intermédiaire de gestion situé en amont du résultat fiscal dans le bilan serait en effet
susceptible de constituer une assiette à la fois plus large, plus facile à mesurer et moins
manipulable.
Un élargissement de la base fiscale permettrait de réduire le taux d’imposition à
recettes équivalentes, conduisant à un taux marginal moins distorsif sur les comportements
des agents.
Un tel changement d’assiette emporterait toutefois plusieurs conséquences qu’il convient
d’analyser
:
d
’un point de vue
économique
, il n’est pas neutre de
remplacer à une imposition des
bénéfices par une contribution sur les facteurs de production ou
le chiffre d’affaires qui
pèserait dès lors non seulement sur le capital mais également sur le travail ;
du point de vue des finances publiques
, les recettes fiscales à attendre sont
susceptibles d’évoluer fortement en fonction de l’assiette
et de conduire à un transfert
des contributions en fonction de l’activité des entreprises
;
e
nfin l’opportunité d’un tel changement doit également être
examinée
en regard
des évolutions fiscales internationales
, alors même que les travaux internationaux
(
notamment ceux conduits par l’OCDE ou la
Commission européenne) avancent sur la
base d’une réflexion à structure d’IS existant en cherchant
en priorité à en limiter :
les distorsions
sur le montant total d’investissement, sur les s
ources de
financement des entreprises, ou la forme juridique
retenue par l’entreprise
;
l
es capacités d’érosion de la base, notamment au travers d’une plus grande
harmonisation.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 28 -
28
Graphique 1 : Soldes intermédiaires de gestion : de la valeur ajoutée au résultat fiscal
Source : DG Trésor.
À la suite des réflexions présentées en partie 1, les présents développements proposent
d’analyser les conséquences pratiques, économiques et budgétaires d’une substitution de
l’assiette de l’impôt sur les sociétés
par une taxation du revenu du capital (fonds propres et
dettes) ou par une taxation de la rente des entreprises. En pratique, une modification de la
localisation de l’assiette (adoption d’une taxation sur le principe du pays de résidence
des
propriétaires
ou à la source) n’apparait pas
crédible da
ns l’immédiat
en raison des difficultés
pratiques qu’elle engendrerait et du besoin de
coordination internationale (cf.
supra
). Les
assiettes de substitution retenues continuent donc de s’appuyer
sur
un principe d’imposition
à la source, conformément à la grille de lecture proposée précédemment.
Il peut cependant être souligné qu’à la suite des travaux
OCDE/G20 anti-BEPS (
Base Erosion
and Profit Shifting
)
relatifs aux défis fiscaux posés par l’économie numérique (action n°1) et
à
l’alignement des prix de tr
ansfert calculés sur la création de valeur (actions n°8 à 10), les
réflexions se multiplient en faveur d’un changement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés
vers
la consommation locale.
L’assiette de l’impôt se rapprocherait alors de celle de la taxe s
ur la
valeur ajoutée (TVA)
54
. Les avantages et les limites
associés à cette piste d’évolution, encore
théorique, ont été présentés dans la première partie.
Dès lors, cette partie analyse
les avantages et les limites d’un changement de l’assiette de
l’impôt sur les sociétés
vers une taxation :
de l’excédent brut d’exploitation
;
de résultat d’exploitation
de la « rente économique
» de l’entreprise
.
54
«
L’ass
iette de la VATDBCFT ne diffère de celle de la TVA que dans la mesure où les charges salariales domestiques
en sont retirées. » (cf.
supra
).
Valeur ajoutée
Marge commerciale + Production de l'exercice - Consommations
(matières premières et services)
Excédent brut d'exploitation
Valeur ajoutée + subventions d'exploitaiton
-
impôts, taxes et charges
de personnel
Résultat d'exploitation
EBE - dotations/reprises aux amortissements et aux provisions + autres
produits et charges d'exploitation
Résultat de l'exercice
résultat d'exploitation + Résultat financier + Résultat exceptionnel -
participation - impôt sur les bénéfices
Résultat fiscal
Résultat de l'exercice + IS et charges d'intérêt non déductibles
fiscalement -
plus-values et dividendes déductibles - déficits passés
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 29 -
29
2.1.
Une
taxation de l’excédent brut d’exploit
ation
élargirait l’assiette de
l’impôt mais conduirait à imposer des sociétés
sans lien avec leur capacité
financière
2.1.1.
Le recours à l’excédent brut d’exploitation
permettrait d’augmenter
l’assiette
d’imposition
sur les sociétés de près de 80 %
2.1.1.1.
Une assiette a priori moins manipulable
L’excédent brut d’exploitation (EBE)
correspond à
la valeur ajoutée de l’entreprise
diminuée
des charges de personnel ainsi que d
es impôts sur la production à la charge de l’entreprise. Ce
solde intermédiaire de gestion offre une mesure
la rentabilité de l’activité courante de
l’entreprise
indépendamment :
de sa structure d’investissement et de la politique d’amortissement afférente
;
des dotations et des reprises de provisions ;
de sa politique de financement.
Dès lors il offrirait une base d’imposition
sur les sociétés plus large, moins manipulable que le
résultat net de l’entreprise tout en reflétant la capacité de l’entreprise à générer des flux de
trésorerie par son activité courante.
Par rapport à un solde de production situé plus haut dans le bilan, comme la valeur ajoutée, le
recours à une taxation assise sur l’
EBE permettrait de limiter les situations où des entreprises
dont l’activité
courante dégagerait des flux de trésorerie négatifs
d’être
tout de même
r
edevables d’une cotisation d’IS.
La mise en place d’une taxe sur l’excédent brut d’exploitation permet
trait également de
corriger l
e biais fiscal en faveur de l’endettement puisque
l’assiette de calcul
repose sur les
ressources dégagées par l’activité c
ourante, que celles-ci soient utilisées pour régler les
intérêts de la dette contractée par l’entreprise ou pour rémunérer le capital.
2.1.1.2.
Une marge de manœuvre pour une mesure de rendement ou une baisse des taux
significative de l’IS
Le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait à son article
10 l’instauration d’une
contribution de 1
% sur l’excédent brut d’exploitation
55
pour les entreprises réalisant un
chiffre d’affaires supérieur à 50
M€. La mise en place de cette contribution devait permettre de
compens
er la suppression des impôts assis sur le chiffre d’affaires (l’imposition forfaitaire
annuelle (IFA), supprimée en 2014) et, dans un deuxième temps, la contribution sociale de
55
Projet de rédaction de l’article 223 terdecies dans le projet de loi de finances pour 2014 : «
I.
La contribution
est assise sur l’excédent brut d’exploitation produit par l’entreprise au cours de la période définie au I de l’article
1586 quinquies. L’excédent brut d’exploitation est égal à la différence entre : 1°. d’une part, la valeur ajoutée définie
à l’article
1586 sexies sans qu’il soit fait application du 7 du I de cet article ; 2°. et, d’autre part, la somme des charges
de personnel et des impôts et taxes à la charge des redevables, correspondant à la valeur ajoutée mentionnée au 1°,
autres que les impôts sur les bénéfices et que les taxes déjà déduites pour la détermination de cette même valeur
ajoutée. »
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 30 -
30
solidarité des sociétés (C3S)
56
. Le projet de taxe de 1
% sur l’excédent brut d’exploitation des
plus grandes entreprises
n’a
finalement pas été conservé en loi de finances.
Encadré 5 : Exposé des motifs du p
rojet de contribution exceptionnelle sur l’EBE (2013).
Le présent article engage une réforme de la fiscalité des entreprises visant à alléger leurs coûts, en
complément du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), par une baisse des impôts de production
compensée par une taxation assise sur le résultat économique.
La su
ppression de l’imposition forfaitaire annuelle (IFA) constitue une première étape d’allègement.
Cette imposition est, en effet, adossée au chiffre d’affaires, c’est
-à-dire une assiette comptable faiblement
représentative de la capacité contributive des ent
reprises. Elle ne tient en effet compte d’aucune des
charges supportées par les entreprises. En particulier, elle pénalise les entreprises dont les
consommations intermédiaires sont importantes, notamment le secteur de l’automobile, qui se situent
en bout
de chaîne productive, et qui ont donc mécaniquement un chiffre d’affaires plus élevé. Par
ailleurs, son barème forfaitaire rend son poids d’autant plus faible que l’entreprise est importante.
C’est pourquoi, en remplacement de cette imposition et afin d’am
orcer une réforme structurelle de la
fiscalité des entreprises visant à diminuer les impositions sur le chiffre d’affaires, il est proposé de créer
une contribution sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) au taux de 1
% pour les entreprises réalisant
un ch
iffre d’affaires supérieur à 50
M€. Ce seuil permet d’alléger la fiscalité pesant sur les petites et
moyennes entreprises (PME) dont le chiffre d’affaire
s est compris entre 15
M€ et 50
M€.
Source : Projet de loi de finances pour 2014.
En 2013,
l’introduction d’une telle taxe, non déductible de l’IS, sur les seules entreprises
réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 50
M€ devait, d’après les évaluations de la direction
générale des finances publiques,
permettre d’augmenter l
es recettes fiscales de 2,5
Md€
.
L
’exploitation
des liasses fiscales
pour l’année 2014
permet de simuler une substitution de
l’assiette de l’impôt sur les sociétés et
d’évaluer l’ampleur
des modifications associées à une
taxation s’appuyant sur l’excédent brut d’exploitati
on. Les limites méthodologiques des
simulations réalisées sont présentée
s dans l’encadré
infra
.
Hors secteur financier, l’assiette totale de l’impôt sur les sociétés avant imputation des reports
de déficit augmenterait de 76 % soit une baisse du taux envisa
geable de l’ordre de 14
points.
56
Exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2014 «
La contribution sur l’EBE aura vocation à être utilisée
pour le transfert qui s’enclenche afin
de diminuer les impositions sur le chiffre d’affaires, notamment la contribution
sociale de solidarité des sociétés (C3S)
. »
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 31 -
31
Encadré 6 :
Simulation de l’impact d’une substitution de l’assiette de l’impôt sur les société
s par
l’excédent
brut d’exploitation
L’évaluation de l’impact d’une substitution de l’assiette de l’IS a été réalisée
sur la base des
déclarations fiscales pour 2014
des entreprises soumises au régime normal de l’impôt sur les
sociétés. En raison de leur faible taille, les sociétés soumises au régime simplifié sont exclues du
périmètre de simulation (en 2013 elles représentaient 3 % de la valeur ajoutée et 2 % du résultat
comptable des sociétés soumises à l’IS).
Trois limites méthodologiques importantes peuvent être soulignées :
o
l
’analyse est conduite sur les entrepris
es individuelles, sans retraitements liés aux
groupes fiscaux. Cette simplification est susceptible de modifier le montant total de
l’assiette. L’analyse des résultats en variation relative par rapport au régime actuel permet
de réduire cet impact ;
o
les en
treprises du secteur financier sont exclues de l’analyse en raison du poids des
charges financières
et du régime particulier qu’il conviendrait probablement de leur
appliquer en cas de substitution d’assiette (cf.
infra
) ;
o
la reconstitution de l’assiette
suppose que le comportement des agents économiques ne
sera pas affecté par la réforme. Or, il est probable que
, dans le cas d’une modification
profonde des règles de calcul de l’assiette de l’IS,
les entreprises adapteront leurs
modalités de financement ou leur organisation.
L’excédent brut d’exploitation est reconstitué à partir des données fiscales
en réintégrant au résultat
d’exploitation les dotations et reprises aux amortissements et les autres charges et produits.
Une
seconde reconstitution
de l’EBE
à
partir du chiffre d’affaires est
également effectuée.
L
a simulation du nouveau résultat fiscal s’appuie sur l’hypothèse que
l
’ensemble des
réintégrations
et déductions extracomptables
effectuées en 2014 peuvent être réutilisées, à l’exception de celles
po
rtant sur des éléments déjà intégrés dans l’excédent brut d’exploitation, en particulier ce
lles
portant sur les amortissements et les provisions (amortissements excédentaires (art. 39-4 du CGI)
et autres amortissements non déductibles, provisions et charges à payer non déductibles) et les
charges financières réintégrées.
2.1.2.
L’instauration d’une taxe sur l’EBE conduirait à
pénaliser, sans justification
économique, les
capacités d’investissement des entreprises
Si une taxation reposant sur l’excédent brut d’exploitation permet de neutraliser toute
possibilité de réduction de la
base fiscale par le recours artificiel à l’endettement
, elle affecte
directement les capacités d’investissement des entreprises dans la mesure où l’assiette est
déterminée avant dotation aux amortissements.
Le transfert d’assiette de l’IS du résultat fiscal
vers
l’EBE
revient à introduire un impôt sur le stock du cap
ital productif de l’entreprise qui
défavorise les entreprises des secteurs intensifs en capital productif (industrie, etc.).
D’u
n point de vue économique, ce changement emporte quatre conséquences.
Tout d’abord,
une distorsion de la capacité des entreprises à financer leurs projets
auprès d’investisseurs
. La rentabilité financière (après impôt) des investissements
diminuera d’autant plus que l’activité
mobilise un capital productif élevé. Un tel impôt
conduit à des
distorsions de la rentabilité des investissements en fonction des
secteurs en concentrant son impact sur les secteurs les plus intensifs en capital
.
Dans l’hypothèse où l’élargissement de l’assiette de l’IS serait intégralement compensé
par une baisse du taux d’imposition, le montant d’impôt à payer serait comparable entre
deux entreprises dégagean
t le même excédent brut d’exploitation, mais la rentabilité
financière nette pour un investisseur serait supérieure pour l’entreprise la moins
intensive en capital.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 32 -
32
Le théorème
d’efficacité productive, présenté précédemment, rappelle à cet effet que la
taxation des biens intermédiaires est sous-optimale dans la mesure où elle distord le
choix des facteurs mobilisés dans le processus productif et qu’à ce titre, elle devait être
évitée (cf.
supra
).
Ensuite le changement
d’assiette
serait
pénalisant pour les entreprises les plus
jeunes ou affichant une forte croissance et dont les bénéfices sont faibles en
proportion de leur chiffre d’affaires
. Le Conseil d’analyse économique a d’ailleurs
alerté sur l’impact des impôts sur la production «
pour les entreprises en fort
investissement ou en croissance, qui paient l’impôt sur les nouveaux facteurs alors
qu’elles n’en tirent pas encore les bénéfices
»
57
;
De plus, cette mesure est comparable, d’un point de vue
économique
, à l’introduction
d’
une
taxation
des
amortisse
ments
qui
sont
pour
l’entreprise
des
charges
économiquement liées à sa production
(l’amortissement des actifs traduit l’obsolescence
progressive de l’outil de production).
La taxation
de l’EBE conduit alors à
baisser la
capacité d’investissement des entrep
rises
qui sont pourtant celles qui en ont plus
besoin de procéder à un renouvellement régulier de leur outil productif.
Enfin, l’impôt sur les sociétés
aurait un
moindre effet contra-cyclique
(« stabilisateur
automatique ») alors que les entreprises confrontées à des difficultés conjoncturelles ne
bénéficieraient pas d’une baisse d’imposition aussi importante en bas de cycle
économique que dans le cas d’une assiette reposant sur le résultat net.
L
’analyse
macroéconomique conduite par la direction générale du Trésor en mai 2016 sur les
incidences comparées de l’IS par rapport à une taxation de l’EBE
58
conclue
qu’
« une
proportion plus importante d’entreprises risquerait de se trouver en situation de défaut
de paiement si l’impôt est assis sur l’EBE
».
D
’u
n point de vue sectoriel,
l’augmentation de l’assiette
de l’impôt
serait concentrée sur les
secteurs les plus intensifs en capital productif et présentant un besoin de financement par dette
important pour leurs investissements : en moyenne, elle doublerait pour les entreprises
industrielles, du secteur des transports ou de l’hôtellerie tandis que
la hausse serait inférieure
à 50
% les secteurs intensifs en main d’œuvre comme le commerce ou la construction.
Tableau 6 : Impact sector
iel d’une substitution de l’assiette de l’IS par l’excédent brut
d’exploitation
Secteur d’activité
Évolution de l’assiette
d’impos
ition
Évolution du nombre de
contribuable affichant un
résultat fiscal positif
Agriculture
+ 89 %
+ 16 %
Autre
+ 79 %
+ 2 %
Commerce
+ 47 %
+ 7 %
Construction
+ 28 %
+ 7 %
Immobilier
+ 99 %
+ 12 %
Industrie
+ 85 %
+ 11 %
Hôtellerie-Restauration
+ 124 %
+ 25 %
Transport
+ 136 %
+ 7 %
57
Faire prospérer les PME, Note du Conseil d’analyse économique n°25, octobre
2015.
58
Analyse macroéconomique des incidences compa
rées de l’IS par rapport à une taxation de l’excédent brut ou net
d’exploitation (mai
2016)- DG Trésor, MACRO 1.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 33 -
33
Le nombre de contribuables affichant un résultat fiscal positif,
et donc désormais soumis à l’IS
,
augmenterait de 10 % alors que l
activité de ces entreprises avait généré en 2014 une perte.
In fine
, la piste d’un impôt sur les sociétés assis sur l’excédent brut d’exploitation des
entreprises n’apparaît pas
souhaitable,
même dans une perspective d’élargissement de l
a base
fiscale combinée à une baisse du taux. Une telle réforme emporterait des conséquences lourdes
sur le tissu économique en transférant une partie de la charge de l’impôt sur les entreprises
engageant le
plus de capital productif, notamment l’industrie, et romprait le lien entre le niveau
d’imposition sur les société
s de la rentabilité réelle des entreprises.
2.2.
Une taxation
du résultat d’exploitation
est envisageable pour élargir
l’assiette et
garantir
une
n
eutralité de l’impôt aux modalités de
financement mais s
’inscrirait à rebours d’
une harmonisation
de l’IS
2.2.1.
L
a réintégration des charges financières dans la base de calcul de l’impôt sur les
sociétés conduirait à en élargir l’assiette tout en limitant les
possibilités
d’optimisation et en supprimant le biais en faveur de l’endettement
Une assiette alternative pour contourner les distorsions économiques posées par une taxation
de l’excédent brut d’exploitation pourrait consister
:
à déduire
de l’EBE
les dotations aux amortissements
(taxation d’un
« excédent net
d’exploitation
») ;
ou à réintégrer au résultat comptable les charges financières. A ce titre, un impôt sur les
sociétés au niveau du résultat d’exploitation permettrait de s’appuyer sur les soldes
intermédiaires de gestion habituellement utilisés par les entreprises.
Par rapport à l’assiette actuelle de l’impôt sur les sociétés, une taxation
du résultat
d’exploitation
aurait pour effet de réintégrer
dans l’assiette les charges financières
. Elle
conduirait également à ignorer l’existence de pertes ou de profits exceptionnels qui se
retrouveraient, sans mécanisme spécifique de réintégration
, exclus du périmètre d’
imposition
(impossibilité d’imputer les pertes exceptionnelles sur les profits réalisé
s dans le cadre de
l’activité courante de l’entreprise et absence de fiscalisation des produits exceptionnels).
Le résultat
d’exploitation offre une solution médiane dans une évolution de l’assiette de l’impôt
sur les sociétés vers un solde intermédiaire de gestion situé plus haut dans le bilan de
l’entreprise
.
Sans taxer l’amortissement du capital, une taxation du résultat d’exploitation
présente le triple
avantage :
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 34 -
34
d’offrir une marge de manœuvre en termes de baisse de taux de l’IS en d’élargissant la
bas
e d’imposition
;
de supprimer la distorsion existant en faveur de la dette susceptible de défavoriser les
entreprises ayant le plus de difficultés d’accès au crédit (notamment les plus jeunes
entreprises) et de conduire à des stratégies d’
optimisation en particulier au travers du
recours à des financements hybrides
59
;
de limiter
, par rapport à l’E
BE,
l’
impact
de l’impôt sur les sociétés
sur les facteurs de
production.
L’élargissement de l’assiette de l’IS, sans possibilité de déductibilité des charges financières
correspondrait à la
déclinaison opérationnelle du système
d’impôt sur le revenu du
capital
sous la forme d’une
Dual Income Tax
(
DIT
) ou d’une
Comprehensive Business Income
Tax (CBIT
) (cf. Tableau 4
supra
). Cette dernière piste avait été proposée dès 1992 par le
Département du Trésor américain dans une perspective de simplification
de l’articulation
entre impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu
en taxant à la source l’ensemble des revenus
du capital (les dividendes comme les intérêts) :
alors que les intérêts de la dette financière sont déductibles
de l’assiette de l’imp
ôt sur
les sociétés les revenus financiers y afférant sont pleinement intégrés dans les revenus
des ménages ;
à
l’inverse, les dividendes font, généralement
,
l’objet d’une taxation forfaitaire à un
moindre taux d’imposition afin de refléter la taxation du résultat de la société à l’
IS ;
dès lors,
une taxation du résultat
d’exploitation conduit à
imposer à la source, et
dans les mêmes conditions que les revenus du capital, les revenus financiers à
percevoir par les créanciers
.
2.2.2.
Une taxation du
résultat d’expl
oitation pèserait sur le taux de rendement des
investissements
L
’adoption d’une telle assiette
conduirait
, comme dans le cas de l’EBE,
à un renchérissement
du taux de rendement attendu des investissements,
qu’ils soient financés par dette ou par
fonds propres. Si l
’impact d’une telle mesure sur le niveau d’investissement des entreprises est
susceptible d’être important
, il reste pourtant difficile à anticiper ainsi que le soulignent les
travaux de la
Mirrlees Review
60
.
En particulier, la non-déductibilité
des charges d’intérêt
serait problématique pour
l’imposition des e
ntreprises du secteur financier
en concentrant l’assiette de l’IS
sur le secteur
bancaire, et plus généralement les intermédiaires financiers
dont l’activité courante repose sur
la capacité à emprunter puis à prêter à d’autres acteurs.
Or, les adaptations envisageables pour
rapprocher la taxation de ces acteurs de leur activité économique n’apparaissent pas
satisfaisantes :
59
Présentant des caractéristiques de dette mais dont le fonctionnement est économiquement comparable à des
fonds propres, ces instruments bénéf
icient d’un régime fiscal différent suivant le pays concerné permettant aux
entreprises de recourir à un arbitrage.
60
Mirrlees Review
, chapitre 17 -
Taxing Corporate Income
.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 35 -
35
un traitement symétrique des gains et des charges financières, afin de mieux refléter le
rôle du refinancement des acteurs bancaires, tendrait à exclure les revenus financiers
puisque les charges correspondant au financement de l’activité ne sont plus déductibles.
Toutefois, une telle option
n’est pas souhaitable puisqu’elle conduirait à exclure de l’IS la
marge réalisée par les établissements de crédit
provenant de l’écart de taux d’intérêt
entre les prêts proposés et leur capacité de refinancement ;
les auteurs de la
Mirrlees Review
envisagent, pour répondre à cette difficulté, une
déductibilité des charges financières dans la limite des intérêts reçus. Cette solution est
toutefois susceptible de conduire à érosion non maitrisée de la base fiscale en incitant
les entreprises prêteuses (notamment les acteurs bancaires) à acheter des entreprises
endettées.
Le risque de double taxation des intérêts reçus par les entreprises ou par les banques,
nécessiterait de distinguer le traitement fiscal des intérêts versés par des entités déjà soumises
à une taxation sur l’ENE (entreprises, etc.) de ceux versés par
d’autres acteurs (ménages,
obligations souveraines, etc.). Une asymétrie de traitement devrait également être envisagée
entre les intérêts versés depuis l’étranger
suiva
nt qu’ils ont déjà fait l’objet d’une taxation au
titre d’un système fiscal équivalent.
Par ailleurs, un tel changement d’assiette
devrait également conduire à une modification du
traitement des produits financiers dans le régime d
’imposition sur le revenu
des personnes
physiques dès lors que ceux-
ci feraient déjà l’objet d’une taxation à l’IS.
Un alignement avec le
traitement actuel des dividendes serait alors à envisager.
2.2.3.
Une taxation au niveau du résultat d’exploitation serait d’un point de vue
économiqu
e moins efficace que l’assiette actuelle mais permettrait d’en
augmenter la taille
2.2.3.1.
L’impact macroéconomique d’une substitution du résultat d’exploitation à
l’assiette
actuelle
de l’IS
est a priori défavorable
Une nouvelle assiette de l’IS ne prenant pas en compte les charges financières des entreprises
conduirait à une hausse du coût de financement par dette des entreprises nationales en
particulier vis-à-vis des créanciers étrangers, qui ne bénéficieraient pas
d’une exemption de
taxation des intérêts reçus au motif que ces derniers auraient déjà fait l’objet d’une taxation à
l’impôt sur les sociétés. Toutefois, l’élargissement de l’assiette d’imposition permettrait une
diminution
du taux d’imposition
(cf
infra
) et conduirait symétriquement à une baisse du coût
du financement en fonds propres des entreprises. L’impact macroéconomique d’un tel
changement apparait dès lors difficile à évaluer.
Peu d’articles académiques ont quantifié l’impact économique d’une telle
modification
d’assiette de l’impôt sur les sociétés. De plus, les modèles d’analyse macroéconomiques comme
le modèle Mésange (cf. encadré
infra
) développé par l’administration (DG Trésor et INSEE) ne
permettent
pas de chiffrer un tel impact, l’impôt sur l
es sociétés constituant une donnée en
entrée du coût du capital des entreprises. Certaines études ont toutefois développé des
modèles spécifiques qui permettent d’approcher l’impact d’une bascule de l’IS vers une
taxation de l’excédent net d’exploitation.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 36 -
36
Plusieurs études soulignent que
les bénéfices à attendre d’une baisse des taux sont susceptibles
de dépasser la hausse du coût du financement par dette des entreprises
61
,. La baisse de
rentabilité des investissements financés par dette du fait de la taxati
on des charges d’intérêt
conduirait à une baisse du niveau d’investissement des entreprises, mais parallèlement les
investissements financés par fonds propres devraient augmenter sous l’effet de la
diminution
du taux d’imposition.
Les travaux de quantification les plus aboutis ont été réalisés par M. Devereux et R. de Mooij
62
en 2009 pour la Commission européenne
63
à l’aide du modèle économique d’équilibre général
CORTAX spécifiquement développé pour l’analyse de réformes fiscales dans les pays de
l’Union.
S’ils n’ont pas fait l’objet d’une réactualisation, ils permettent toutefois de décrire les
principaux mécanismes économiques à l’œuvre dans le cadre de l’adoption d‘une taxe sur
le
résultat
d’exploitation unilatéralement par chaque pays de l’Union européenn
e.
Encadré 7 : Le modèle CORTAX et les limites des simulations conduites
Le
modèle
CORTAX
est
le
modèle
macroéconomique
d’équilibre
général
utilisé
par
la
Commission européenne pour évaluer les incidences des différentes réformes
sur l’économie dans son
ensemble, et plus particulièrement, simuler des changements dans la politique fiscale pour les États
membres de l'UE.
Le modèle présente plusieurs limites méthodologiques en particulier dans sa capacité à refléter les effets
des politiques fiscales sur les comportements des agents.
Source : Commission européenne.
Dans le modèle ainsi développé :
la fin de la déductibilité des charges financières conduit à une baisse de l’endettement
des entreprises de 6,8 points de pourcentage et une hausse du coût du capital des
entreprises. La baisse consécutive de la rentabilité des investissements a un impact
direct sur leur niveau qui pèse, à terme, sur la productivité du travail en se répercutant
sur les salaires et
in fine
le taux de chômage ;
si l’élargissement de la base taxable est directement répercutée comme une hausse du
niveau d’imposition pour les entreprises, le modèle CORTAX prédit en 2009 une hausse
moyenne de 0,7 point du coût du capital des entreprises européennes, une baisse de
1,3
% du nombre d’emplois et une baisse de 3,4
points du PIB en moyenne dans les pays
de l’Union
européenne.
61
Voir notamment : Sørensen
:Can capital incomes taxes survive? And should they?, CESifo Economic Studies (2007)
the benefits from lower tax rates under CBIT are likely to outweigh the costs induced by a higher cost of capital.
et
Bond :
Levelling Up or Levelling Down? Some Reflections on the ACE and CBIT, Taxing Capital Income in the European
Union (2000).
62
An applied analysis of ACE and CBIT reform in the EU
; Ruud de Mooij et Michael Devereux ; 2009.
63
Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière (DG TAXUD).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 37 -
37
Tableau 7 :
Impact macroéconomique d’une taxation de l’excédent net d’exploitation dans les
pays de l’Union européenne
- Modèle CORTAX (DG TAXUD) 2009
Impact moyen sur
l’ensemble des pays de l’UE
Réforme
unilatérale
Réforme
unilatérale
Réforme coordonnée au
niveau européen
Taxation de l’ENE
Taxation de l’ENE et
baisse du taux
d’imposition
Taxation de l’ENE et
baisse du taux
d’imposition
Rendement supplémentaire
de l’IS (en points de PIB)
1,9
Non pertinent
Non pertinent
Évolution
du taux de l’IS
équivalente (en points de %)
Non pertinent
-11,0
-11,0
Endettement financier des
entreprises (en points de %)
-6,8
-6,5
-6,5
Coût du capital (en points
de %)
0,7
0,0
0,0
Investissement (en %)
-8,5
0,4
-1,0
Emploi (en %)
-1,3
0,3
-0,3
PIB (en %)
-3,4
1,1
-0,6
Source : An applied analysis of ACE and CBIT reform in the EU ; Ruud de Mooij et Michael Devereux ; 2009.
2.2.3.2.
Une telle mesure pourrait toutefois permettre de baisser le taux d’impôt sur les
sociétés de plus de dix points,
limitant ainsi l’impact économique de la
substitution d’assiette
L
’impact négatif
serait, en revanche, réduit
si le taux d’impôt sur les sociétés est diminué afin
de maintenir les recettes d’
IS constantes : dans cette hypothèse,
l’étude de la Commission
évaluait à 11 points en moyenne la baisse potentielle du
taux d’IS dans les États membres pour
maintenir le niveau de recettes inchangé. Dans le seul cas de la France, la baisse de taux
équivalente calculée en 2009 atteindrait 13 points.
La baisse du taux
d’imposition
permet de diminuer le coût du capital (en dette comme en fonds
propres) et compenserait la hausse du coût du capital moyen des entreprises européennes.
L’impact serait alors légèrement positif (+0,3
%) sur le niveau d’investissement et sur le PIB
(+1,1
%) du pays qui décide de mettre en place une taxation de l’excédent net d’exploitation.
Cet impact po
sitif est, dans l’étude mentionnée, d’autant plus important que les groupes
multinationaux représentent une
part élevée du tissu économique sous l’effet d’un transfert de
bénéfices (
profit shifting
) vers le pays ayant baissé fortement son
taux d’imposition
.
L
’impact macroéconomique positif doit cependant
être relativisé. Les bénéfices
d’un
changement unilatéral de l’assiette combiné à une baisse du taux
sont opportunistes et
disparaissent si la réforme est mise en œuvre
par plusieurs pays et n’offre donc pa
s un
avantage concurrentiel au pays. Or, l’adoption d’une taxe sur l
es revenus du capital
nécessiterait une coordination internationale, au moins
au niveau de l’Union
européenne
(cf.
infra
).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 38 -
38
Graphique 2 : Réduction possible du
taux de l’IS (en
%) suite à un élargissement de l’assiette à
l’excédent net d’exploitation (ratio IS/PIB) –
modèle CORTAX 2009
Source : An applied analysis of ACE and CBIT reform in the EU ; Ruud de Mooij et Michael Devereux ; 2009.
Sur la base des liasses fiscales 2014, l
’évaluation
d’une substitution de l’assiette de l’IS par le
résultat d’exploitation permet d’envisager
, hors secteur financier, à une hausse de 38 % de
l’assiette imposable
avant imputation des déficits reportables. La baisse de taux équivalente
pour maintenir les recettes
fiscales s’élèverait alors à environ 9
points de taux, soit 4 points de
moins que les évaluations présentées en 2009.
Cette hausse serait concentrée sur les plus grandes entreprises qui bénéficient davantage du
recours
à l’endettement
. Les transferts sectoriels seraient, en revanche, limités.
Tableau 8 :
Impact d’une substitution de l’assiette de l’IS par
le résultat
d’exploitation
Chiffre d’affaires
Évolution
relative de l’assiette d’imposition
Inférieur à 100
k€
+ 10 %
100
k€ à 2
M€
+ 20 %
2 à 10 M€
+ 41 %
10 à 100
M€
+ 44 %
100 à 500
M€
+ 66 %
500 à 1 000
M€
+ 44 %
Supérieur à 1 Md€
+ 49 %
Source :
CPO, d’après données liasses fiscales (régime normal et fichier des groupes)
DGFiP-GF-3C.
D’un point de vue économique, un changement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés vers le
résultat d’exploitation n’apparait pas souhaitable. En revanche
, il met en évidence
, d’un point
de vue budgétaire, le levier que constitue la non-déductibilité totale des charges financières
pour élargir l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 39 -
39
2.2.4.
Une réforme qui
n’apparait pas pertinente sans une
coordination préalable au
niveau européen voir international
L’
OCDE
64
a souligné
l’incapacité d’
une taxation du niveau
du résultat d’exploitation
, et
a fortiori
de l’excédent brut d’exploitation
, à supprimer le biais fiscal existant entre le recours à la dette
et le financement par fonds propres des entreprises dans un contexte international. Du point
de vue des investisseurs étrangers (sociétés ou personnes physiques), la distorsion existant
entre le financement par dette et le financement par capital subsiste dès lors que, dans la
plupart des pays de l’OCDE, les dividendes ou les plus
-values de cess
ion font l’objet d’une
taxation à un niveau différent des intérêts.
Un changement d’assiette,
sans coordination internationale, aurait également un impact sur la
politique de financement des investissements des entreprises :
si un seul pays adoptait une telle assiette, la politique de financement intra-groupe de
l’entreprise pourrait être modifiée pour ne plus financer par dette les investissements
locaux ;
à l’inverse, dans l’hypothèse où l’ensemble des pays adopteraient une
assiette fondée sur
l’excédent net d’exploitation, les entreprises multinationales ne seraient plus en mesure
de changer leur base taxable en modifiant leurs structures financières intragroupes.
Ce dernier point souligne, plus généralement, l’impact défavorable d’une bascule de l’assiette
de l’IS vers un solde intermédiaire de gestion situé plus haut dans le bilan sans coordination
internationale préalable
. Outre les difficultés d’articulation entre les systèmes, le recours à une
nouvelle assiette, pourtant plus large et permettant donc
a priori
de baisser le taux nominal
d’imposition, nuirait
pourtant à la lisibilité du système fiscal français dans la compétition
internationale.
Il marquerait également un isolement de la France dans les évolutions en cours en matière
d’impôt sur le
s sociétés :
d’une part, il n’existe pas d’initiative de changement de l'assiette de l'IS vers l’EBE ou le
résultat d’exploitation
65
dans les principaux pays de l’OCDE. La question de l'érosion des
bases imposables est aujourd’hui e
st abordée (notamment dans le cadre des travaux
anti-
BEPS conduits à l’OCDE), par la mise en place de dispositifs anti abus harmonisés
plutôt que par le recours à une assiette plus large ;
d’autre part,
i
l s’inscrirait également dans un mouvement contrair
e aux efforts conduits
actuellement pour aboutir à une harmonisation de l’assiette de l’imposition sur les
sociétés européenne (cf.
infra
).
L’adoption d’une taxation sur le résultat d’exploitation
n’apparait pas aller dans le sens d’une plus grande convergence des régimes d’IS
internationaux.
2.3.
L’introduction d’un système d’intérêts notionnels
conduirait à une assiette
de l’IS
réduite, trop coûteuse pour les finances publiques même si elle
constitue, en théorie, la solution la plus neutre
L
‘asymétrie de traitement entre les intérêts et les dividendes dans le calcul de l’imp
ôt sur les
sociétés peut également être supprimée en autorisant la déduction, au même titre que les
charges d’intérêt, des dividendes
(versés ou accumulés) servant à la rémunération du capital
de l’entreprise
. Cette approche
correspond à l’impôt sur le taux de rendement excessif du
64
OECD, Études fiscales :
Fundamental Reform of Corporate Income Tax
(2007).
65
Aucun pays de l’OCDE n’a d’ailleurs, à ce jour, mis en place une telle assiette.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 40 -
40
capital (
Allowance for Corporate Equity
ACE) présentée en partie 1.
Elle a notamment été
introduite en 2005 en Belgique avec
l’instauration
d’une
« déduction pour capital »
66
.
Dans un tel système, la rémunération du capital à déduire de l’assiette d’imposition correspond
à un intérêt fictif calculé sur le stock de capital des entreprises. Elle est calculée comme le
produit des fonds propres
67
par le tau
x d’intérêt à long terme
68
censé refléter le taux de
rendement normal du capital (« intérêts notionnels »).
L’impôt sur les sociétés devient alors
non plus une taxe sur le résultat
de l’entreprise mais
sur le surplus de profit dégagé par
l’entreprise
(« rente économique » des entreprises).
Alors que la taxation
du résultat d’exploitation renchéri
t le coût du financement par dette de
l’entreprise (en partie compensé par une baisse dans le cas où l’élargissement de l’assiette était
répercutée en baisse de taux
), l’autorisation d’une déduction au titre des intérêts notionnels
conduit à directement diminuer le coût du financement par fonds propres.
Compte tenu de la réduction de l’assiette d’imposition associée à la déduction d’intérêts
notionnels, le rendement d
e l’impôt sur les sociétés est directement affecté s’il n’est pas
compensé par une hausse du taux nominal
d’imposition ou la suppression de déductions
déjà
existantes.
Les travaux conduits sur la base du modèle CORTAX (cf.
supra
) permettent également
d’évaluer l’
impact
macroéconomique d’une
telle réforme d
ans les pays de l’Union
européenne.
Si elle n’est pas compensée par une évolution du taux no
mina
l d’imposition, l
a déduction des
intérêts notionnels de l’assiette
est équivalent à un choc à la baisse du niveau
d’imposition des
sociétés
dans le pays à l’origine de la réforme
(-1,3 points de PIB en moyenne en 2009). La
baisse du coût du capital observée conduit à une hausse des investissements des entreprises,
de l’
emploi et donc du PIB (+2,3 % à long terme dans le modèle). La perte de recettes pourrait
être compensée par une hausse du taux de l’impôt sur les sociétés.
Cependant, cette hausse du
taux annulerait
une partie de l’impact macroéconomique favora
ble attendu sur les entreprises.
Il peut toutefois être noté que les résultats du modèle CORTAX soulignent, même dans ce cas,
un impact positif
sur le PIB, l’investissement et l’emploi à long terme
(cf. Tableau 9).
66
La mise en œuvre des intérêts notionnels trouve son origine dans la loi du 22 juin 2005 instaur
ant une déduction
fiscale pour capital à risque.
67
Fonds propres comptables
corrigés afin (i) d’éviter des déductions fiscales en cascade, (ii) de ne pas prendre en
compte des actifs exonérés d’impôt en Belgique pour éviter leur double imposition et (iii) de prévenir d’éventuels
abus.
68
Le taux de la déduction pour capital à risque est égal au taux moyen des obligations linéaires à dix ans émises par
l’État belge pour l’avant dernière année avant l’exercice d’imposition. Pour les PME, le taux de déduction b
est majoré
de 0,5 point de pourcentage.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 41 -
41
Tableau 9 :
Impact macroéconomique d’une réforme de type intérêts notionnels dans les pays
de l’Union européenne
- Modèle CORTAX (DG TAXUD) 2009
Impact moyen sur
l
’ensemble des pays de l’UE
Réforme
unilatérale
Réforme
unilatérale
Réforme coordonnée au
niveau européen
Intérêts
notionnels
Intérêts notionnels
et hausse du taux
d’imposition
Intérêts notionnels et
hausse du taux
d’imposition
Rendement supplémentaire
de l’IS (en points de PIB)
-1,3
Non pertinent
Non pertinent
Évolution du taux de l’IS
équivalente (en points de %)
Non pertinent
17,0
17,0
Endettement financier des
entreprises (en points de %)
-4,7
-3,3
-3,3
Coût du capital (en points
de %)
-0,5
-0,3
-0,3
Investissement (en %)
6,3
3,9
4,8
Emploi (en %)
0,8
0,2
0,5
PIB (en %)
2,3
0,8
1,8
Source : An applied analysis of ACE and CBIT reform in the EU ; Ruud de Mooij et Michaël Devereux ; 2009.
Le coût
budgétaire de cette mesure de réduction d’assiette est particulièrement élevé.
À titre
d’illustration, la réduction pour capital
-risque constituait, en 2014, la principale dépense
fiscale eu titre de l’impôt sur les sociétés belge, soit 6
Md€ sur un rendement de l’impôt sur les
sociétés de 12
Md€. Le système d’intérêt notionnel permettait donc la diminution d’1/3 du
taux nominal de l’IS (33,99
%).
Dans un scenario de neutralité budgétaire, la perte de recettes
associée au système d’intérêts
notionnels condu
irait à une forte hausse du taux d’imposition sur les
sociétés : les travaux
réalisés en 2009 sur la base du modèle CORTAX estimaient une hausse de 17 points en
moyenne pour
les pays de l’Union
européenne.
Lors de sa réforme du 22 juin 2005 instaurant une déduction fiscale pour capital à risque, la
Belgique a fait le choix de maintenir inchangé son taux d’impôt sur les sociétés
. Le coût de la
mesure était pour partie supporté par la suppression du régime dérogatoire des « centres de
coordination »
69
qui avait été reconnu par la Commission européenne
70
comme une pratique
fiscale dommage relevant du régime des aides d’État.
L
a décision de modification de l’assiette
d’imposition
s
’inscrivait dans une logique de préservation d’un avantage concurren
tiel
national en matière d’imposition des grandes entreprises.
Au-
delà d’un objectif de
neutralisation de l’impact de la fiscalité sur les modalités de financement des entreprises,
l
’exposé des motifs de la loi précise l’
objectif de
construction d’un régime d’imposition
attractif
constituant « la seule alternative crédible et concurrentielle pour un maintien des centres de
décision » (cf. Encadré 8).
69
Les centres de coordination établis en Belgique bénéficiaient depuis 1983 d’un régime fiscal dérogatoire au droit
commun. Ces entreprises, qui appartiennent à des groupes multinationaux, fournissent un certain nombre de
services dits accessoires au bénéfice exclusif d’autres entreprises du groupe (réalisation d’opérations de
financement et la gestion de la trésorerie, etc.). Pour bénéficier du régime dérogatoire, les centres devaient en outre
être titulaires d’un agrément de 10 ans délivré par l’État belge. Depuis 2012, le taux de l’intérêt notionnel déductible
est plafonné à 3 % pour les grandes entreprises et 3,5 % pour les PME. Le régime fiscal favorable dont bénéficient
ces centres agréés est constitué de diverse
s exonérations (précompte immobilier, droit d’apport en cas
d’augmentation de capital, précompte mobilier sur les revenus distribués). Leur bénéfice imposable à l’impôt des
sociétés est également fortement réduit par l’utilisation d’une méthode de calcul a
lternative de type
cost plus
très
favorable (Source : Commission européenne, Direction générale de la concurrence
Aides d’État).
70
Décision du 17 février 2003.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 42 -
42
Il semble que la
réduction de l’assiette ait été très coûteuse pour les finances publiques belges,
avec un impact initial estimé de l’ordre de 10
% des recettes de l’IS (OCDE, 2007). Cette perte
de recettes ne correspond pas à un coût fixe transitoire, puisque les pertes de recettes
enregistrées auraient été multipliées par plus de trois entre 2006 et 2011.
71
A ce titre, la
réforme de 2005 fait aujourd’hui, d’après les services fiscaux sollicités, l’objet de nombreuses
critiques en Belgique, y compris de la part de ses conce
pteurs qui considèrent qu’elle ne répond
plus, malgré son coût, son objectif de recapitalisation des entreprises.
Encadré 8 : La « déduction pour capital à risque » (réforme
de l’IS
belge de 2005)
« Le projet du gouvernement vise à atténuer (la) discrimination que subissent les capitaux à risque par
rapport aux fonds empruntés en instaurant une déduction pour capital à risque. »
[…]
Le gouvernement « considère également que les entreprises à forte intensité en capital sont celles qui
bénéficient d’un niveau élevé de solvabilité et, par conséquent de protection contre les risques de faillite.
Leur ancrage dans le pays, par les investissements qu’elles y réalisent, constitue également un avantage
non négligeable face aux risques de d
élocalisation. Cette déduction permet enfin d’offrir la seule
alternative crédible et concurrentielle pour un maintien des centres de décision en Belgique, et
notamment des centres de coordination et des métiers de la finance qui y sont associés et pour lesquels
la Belgique a pu développer un savoir-faire unique au monde depuis plus de 20 ans. »
Source : Les intérêts notionnels : une réforme fondamentale et controversée ; Christian Valenduc ; 2008.
L
’introduction d’intérêts notionnels déductibles
conduirait à adopter une stratégie opposée à
celle
d’élargissement de l’assiette et de baisse des taux poursuivie par
la plupart des pays
européens
. Outre le rétrécissement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, le niveau du taux de
l’impôt sur les sociétés dev
rait être renforcé alors même que la France présente déjà
l’un des
taux d’IS les plus élevés de l’Union
européenne. De plus, un changement unilatéral de régime
serait contraire l’objectif d
e convergence
des régimes d’imposition des États membres de
l’Union
européenne et de lutte contre la concurrence fiscale internationale renforcée. Cette
stratégie n’apparait pas à privilégier
.
En revanche, dans une perspective où le
changement d’assiette
serait coordonné à une échelle
supranationale, les opportunités de transfert de la base
d’imposition
au sein des groupes
multinationaux
et les écarts entre les taux d’imposition seraient réduits. Dès lors, une taxation
de la « rente économique » des entreprises pourrait présenter un avantage en supprimant la
distorsion existant entre le financement par dette et celui par fonds propres et en abaissant le
coût du capital.
71
L’impact budgétaire de l’ACE est estimé à 1,8 milliards d’euros en 2006 et à 6,2 milliards en 2011. Il s’agit
cependant d’une mesure brute qui surestime vraisemblablement son coût réel.
Cf. Ernesto Zangari (2014),
« Adressing the Debt Bias: A Comparison between the Belgian and the Italian ACE Systems »,
European Commission
Taxation Papers
, Working Paper n°44.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 43 -
43
Tableau 10 :
Synthèse des avantages et inconvénients d’une substitution d’assiette de l’impôt sur les sociétés
Assiette
Avantages
Inconvénients
Excédent brut d’exploitation
Assiette plus large (+76%), plus facile à mesurer
et moins manipulable
Capacité de baisse du taux
d’imposition
de
14 points à recettes équivalentes (sans prise en
compte des effets de second tour)
Suppression du biais en faveur de l’endettement
Distorsions de la rentabilité des investissements en
fonction des secteurs (impact fort sur les secteurs les
plus intensifs en capital)
Imposition pénalisant les entreprises les plus jeunes ou
affichant une forte croissance et dont les bénéfices sont
faibles en proport
ion de leur chiffre d’affaires.
Baisse de
la capacité d’investissement des entreprises
qui ont le plus besoin de procéder à un renouvellement
régulier de leur outil productif
Moindre
effet
contra-cyclique
stabilisateur
automatique »)
de l’im
pôt sur les sociétés. Aggravation
du risque de défaut de paiement
Résultat d’exploitation
Élargissement de la base d’imposition et m
arge de
manœuvre pour une baisse du taux de l’IS
Suppression du biais en faveur de l’endettement
(imposition à la source, et dans les mêmes
conditions que les revenus du capital, les revenus
financiers à percevoir par les créanciers)
Moindre impact
de l’impôt sur les sociétés
sur les
facteurs de production par rapport à l’EBE
Impact
macroéconomique
défavorable
sur
les
investissements des entreprises et à plus long terme la
croissance du PIB et l’emploi
Coordination internationale préalable nécessaire
Intérêts notionnels
Suppression du biais en faveur de l’endettement
Impact positif sur les capacités d’investissement
des entreprises
Taxation de la rente économique des entreprises
Coût budgétaire élevé
La
hausse
du
taux
de
l’impôt
nécessaire
à
la
compensation de la réduction de l’assiette (+17 points
en moyenne dans l’UE) n’est pas soutenable dans un
contexte de concurrence fiscale
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 44 -
44
3.
Les évolutions à venir de l’impôt sur les sociétés sont portées par les
travaux internationaux contre l’évasion fiscale et les contraintes du
droit européen
Les initiatives internationales, récentes ou en cours, en faveur
d’une plus grande convergence
des règles de calcul de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, constituent aujourd’hui le principal
facteur d’évolution potentielle de l’IS français
:
la mise en œuvre des premières conclusions du projet OCDE/G20 de lutte co
ntre
l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (
Base Erosion and Profit
Shifting
-
BEPS) devrait conduire à l’adoption de références parfois orthogonales aux
modalités actuelles de calcul de l’assiette d’imposition française
;
les déci
sions récentes de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), et les
contentieux en cours, pourraient également, conduire la France à modifier certaines
spécificités de son impôt sur les sociétés, en particulier le régime d'intégration fiscale
des résultats des groupes de sociétés françaises.
En poussant à l’adoption de règles communes et à la suppression des régimes d’imposition
préférentiels, ces évolutions devraient conduire à un rapprochement des assiettes
d’imposition au sein de l’Union européenne
et accroître la concurrence fiscale entre États en
matière de taux d’imposition.
Les échanges en cours aux niveaux européen d’une part, et international d’autre part,
permettent de dégager les principales lignes d’évolution de l’impôt sur les sociétés. Po
ur le
moment, la lutte contre la concurrence fiscale dommageable et la sous-imposition est
privilégiée à une remise en question plus radicale de la structure de l’impôt sur les sociétés.
3.1.
Alors que la France a soutenu l’adoption des travaux anti
-BEPS, leur
articulation avec les règles du marché unique européen pourraient lui être
défavorable en raison d’un taux d’imposition élevé
En réponse « à la planification fiscale agressive de la part de certaines entreprises
multinationales, au chevauchement de règles fiscales nationales, et au manque de transparence
ou de coordination entre les administrations fiscales »
72
, les dirigeants du G20 ont lancé, en
septembre 2013, un plan d’action en quinze points contre les pratiques d’érosion de la base
d’imposition et de t
ransfert de bénéfices (« anti-BEPS »)
Les travaux conduits entre 2013 et 2015 ont mis en évidence la nécessité d’une plus grande
coopération entre les États afin de limiter les pratiques fiscales dommageables, de lutter
efficacement contre l’évasion fiscale et de stabiliser l’environnement fiscal international. Un
accord regroupant les pays de l’OCDE et du G20 a été trouvé en novembre
2015
73
afin de définir
un premier ensemble de mesures conçues pour être transposées dans les législations
nationales et dans les conventions fiscales selon une approche coordonnée.
Les réflexions
entamées pour une révision du cadre contre l’évasion fiscale internationale constituent
un facteur important d’évolution à moyen terme de l’impôt sur les sociétés français.
72
Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices
- Exposé des actions 2015 ;
OCDE.
73
Sommet d’Antalya des 15 et 16
novembre 2015.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 45 -
45
Encadré 9 : Les quinze actions du plan de lutte anti-BEPS
Action 1
: Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique
Action 2 : Neutraliser les effets des dispositifs hybrides
Action 3 : Concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées (SEC)
Action 4
: Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et
autres frais financiers
Action 5 : Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en
compte la transparence et la substance
Action 6
: Empêcher l’octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu'il est inapproprié
d'accorder ces avantages
Action 7
: Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement
stable
Actions 8 à 10 : Aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur
Action 11 : Mesurer et suivre les données relatives au BEPS
Action 12 : Règles de communication obligatoire d'information
Action 13 : Documentation des prix de transfert et déclarations pays par pays
Action 14
: Accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends
Action 15 : L'élaboration d'un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales
bilatérales
Source : Projet OCDE/G20 sur l
’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices
- Exposé des actions 2015 ;
OCDE.
3.1.1.
L’adoption de la proposition de directive européenne contre l’optimisation
fiscale, présentée en janvier
2016, devrait conduire à des adaptations de l’IS
français
Le Conseil européen a, en décembre
2014, fait de la lutte contre l’évasion et la planification
fiscale des entreprises multinationales une priorité d’action
74
. À la suite du plan OCDE/G20
anti-
BEPS, des travaux ont été engagés afin de coordonner l’
approche des États membres en la
matière.
La Commission européenne a présenté le 28 janvier 2016 un projet de directive sur la lutte
contre l'optimisation fiscale (ATAD
Anti-Tax Avoidance Directive
) « en faveur de l'adoption
d'une approche plus ferme et plus cohérente au niveau de l'Union pour lutter contre les
pratiques fiscales abusives auxquelles se livrent les entreprises »
75
. Cette directive a vocation
à assurer une mise en œuvre cohérente des conclusions des travaux anti
-BEPS dans les
systèmes fisca
ux des États membres et d’éviter l’émergence de nouvelles lacunes et asymétries
susceptibles d'être exploitées par les sociétés qui cherchent à éluder l'impôt
76
.
74
Dans ses conclusions du 18 décembre 2014, le Conseil européen a jugé «
urgent de redoubler d'efforts dans la lutte
contre l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive, à la fois au niveau mondial et au niveau de l'Union
européenne
».
75
Proposition de directive n°2016/0011 établissant des règles pour lutter contre l
es pratiques d’évasion fiscale qui
ont une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur ; janvier 2016.
76
L
’exposé des motifs de la proposition de directive
n°2016/0011 précise que «
si chaque État membre met en œuvre
le projet BEPS de manière unilatérale et divergente, cela pourrait fragmenter le marché unique en entraînant
l'adoption de mesures contradictoires au niveau des politiques nationales ainsi que des distorsions et des entraves
fiscales pour les entreprises au sein de l'Union. Cette situation pourrait également engendrer de nouvelles lacunes et
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 46 -
46
La propositon de directive ATA se décline en six « mesures clés » contre l'évasion fiscale, que
tous les États membres devront transposer dans leurs systèmes nationaux pour contrecarrer
certains schémas courants de planification fiscale agressive :
un
encadrement de la déductibilité des intérêts
afin de décourager la sous-
capitalisation artificelle des entreprises dans les pays présentant un taux d’imposition
élevé ;
une
imposition à la sortie (
exit tax)
des actifs transférés hors d’un État membre
;
une
clause
d’inversion
switch-over
»)
permet
tant
d’empêcher
la
double
non-imposition de certains revenus lorsque des profits de filiales étrangères pas ou peu
taxés localement sont rapatriés vers une structure redevable de l’IS dans un État
membre ;
une
clause anti-abus générale
;
des
règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées
(SEC) pour dissuader les
entreprises de transférer leurs profits vers des filiales situées dans des États à fiscalité
privilégiée ;
un cadre pour
lutter contre les dispositifs hybrides
afin d’empêcher les entreprises
d'exploiter les asymétries législatives entre États pour échapper à l'impôt :
double non-
imposition de revenus en raison d’une appréciation différente en
fonction des États de la qualification juridique différente d’un même acteur
;
obtention d’une déductio
n dans un État sur un revenu qui n'est pas imposé dans
un autre État ;
etc.
Parmi ces six mesures, trois s’inscrivent directement dans la suite des travaux anti
-BEPS : lutte
contre les mécanismes hybrides (action n°2 du plan anti-BEPS), mesures relatives aux
entreprises étrangères contrôlées (action n°3), limitation de la déductiblité des intérêts (action
n°4). Les mesures introduisant une imposition à la sortie, une clause de
switch-over
, une clause
générale anti-abus constituent quant à elles une initiative européenne.
Le 17 juin
2016, les membres du conseil ECOFIN se sont mis d’accord autour d’un projet de
directive reprenant, en les adaptant, la plupart des propositions initiales de janvier 2016 à
l’exception de la clause d’inversion (
switch-over
). La nouvelle proposition devrait être
présentée pour adoption au Conseil et devenir la référence commune européenne en matière
de lutte contre l’optimisation fiscale. Les mesures ainsi proposées constituent le niveau
minimal attendu dans les systèmes fiscaux nationaux, chaque État membre conservant ensuite
la possiblité d’opter pour un régime plus strict.
Par rapport aux législations en vigueur dans les autres pays du G20, le code général des impôts
(CGI) prévoit déjà un nombre important de dispositions anti-évasion en
matière d’imposition
sur les sociétés
. Ces dispositions sont doublées d’un dispositif
anti-abus transversal
77
dont
l’objectif est de contrecarrer la planification fiscale agressive lorsqu'aucune autre règle ne
s'applique.
Les conclusions des rapports finaux
78
des travaux anti-BEPS adoptés en
asymétries susceptibles d'être exploitées par les sociétés qui cherchent à éluder l'impôt, mettant ainsi à mal les efforts
déployés par les États membres pour empêcher ce type de pratiques »
.
77
Voir
notamment les théories de l’acte anormal de gestion et de l’abus de droit présentées dans le rapport
particulier n°4 :
Le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés
; B. Lignereux, 2016.
78
Les pays de l’OCDE et du G20 se sont engagé à poursuivre leur coopération autour des questions d’érosion de la
base d’imposition et de transfert de bénéfices jusqu’en 2020 afin de finaliser les travaux en cours et d’assurer un
suivi efficace et ciblé des mesures retenues.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 47 -
47
novembre 2015
79
ne permettaient pas d’identifier de modification d’envergure à
apporter à la structure de l’IS français.
Pourtant, les propositions de règles communes européennes devraient avoir des conséquences
imp
ortantes sur la structure de l’impôt sur les sociétés français
:
un impact direct lié aux règles d’assiette
: des ajustements devront être apportés à
court terme aux règles de calcul de l’assiette de l’IS dès lors que celles
-ci ne seraient pas
cohérentes a
vec l’approche retenue au niveau européen. C’est notamment le cas de la
déductibilité des charges d’intérêt
. Le régime dérogatoire de la fiscalité des revenus de
la propriété intellectuelle pourrait également devoir être revu
;
un impact indirect lié aux d
ivergences de taux d’imposition entre États membres
:
à plus long terme, l’harmonisation d’une partie des règles d’assiette entre les pays de
l’Union est susceptible d’exacerber les différences de taux entre États membres. Sans
coordination entre les États membres cette situation risque de fragiliser la position
française qui se distingue par un taux d’IS élevé en Europe. La généralisation d’une clause
d’inversion (
switch over)
, finalement abandonnée dans la dernière version de la
directive, en constitue une illustration.
Le rapport particulier n°4 avait examiné les modifications juridiques qu’il conviendrait
d’apporter aux règles françaises d’imposition sur les sociétés afin le mettre en conformité avec
les travaux anti-BEPS. Le présent rapport se concentre
sur l’analyse de l’impact économique et
budgétaire de tels changements.
3.1.2.
Les modalités d’encadrement de la déductibilité des charges financières
devraient évoluer
3.1.2.1.
Les règles françaises en matière de plafonnement de la déductibilité des intérêts
d’emprunt s
e distinguent de celles existant dans la plupart des autres pays
européens
La première mesure contre l’évasion fiscale du projet de directive présenté par la
Commission européenne en janvier 2016 porte sur les règles de limitation des intérêts
d’emprunt (a
rticle 4, cf. encadré
5). Elle envisage l’instauration d’une règle minimale commune
de plafonnement des charges financières nettes
80
à hauteur de 30 % du résultat avant intérêts,
impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA), ce plafond ne pouvant être inférieur à
3
M€
81
.
Plusieurs pays européens ont déjà instauré une telle règle de plafonnement des intérêts
déductibles à 30
% de l’EBITDA comme par exemple l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou le
Portugal Le Royaume-Uni
82
. a également annoncé l’introduction à
compter du 1
er
avril 2017
d’un plafonnement des charges nettes d’intérêt déductibles à hauteur de 30
% de l’EBITDA du
groupe sous réserve d’un plancher absolu de 2
M£.
79
Les rapports finaux relatifs aux actions du plan anti-BEPS ont été publiés le 5 octobre 2015.
80
Les charges financières nettes (différence entre les charges financières et les produits financiers) sont définies
dans la proposition de directive comme des «
surcoûts d’emprunt
», c’est
-à-dire le montant du dépassement des
coûts d‘emprunt supportés par un contribuable par rapport aux revenus d’intérêts et autres revenus imposables
équivalents provenant d’actifs financiers perçus par ce contribuable (article
2).
81
L
e plafond de 1 M€ proposé en janvier ayant été relevé 3 M€
à
la suite de l’accord du 17 juin 2016
.
82
Business tax road map
; HM Treasury ; mars 2016.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 48 -
48
Le code général des impôts prévoit déjà plusieurs mesures de plafonnement des intérêts
déductibles. Ces dernières ont pour objectif de limiter les possibilités de sous-capitalisation
des entreprises alors que la France constitue un territoire privilégié pour la localisation de leur
dette compte tenu de son taux nominal d’imposition élevé par
rapport aux autres pays
européens.
Ainsi, l’article
212 du CGI plafonne la déductibilité des intérêts versés aux entreprises
liées sauf à ce que l’entreprise «
apporte la preuve que le ratio d'endettement du groupe
auquel elle appartient est supérieur ou égal à son propre ratio d'endettement »
83
. Ce
critère est d’ailleurs comparable à celui proposée par la Commission européenne dans
sa proposition de directive.
De même, le IX de l’article
209 du CGI (dit « amendement Carrez ») prévoit que la
déductibilité n
’est autorisée que si la société peut prouver qu'elle constitue un «
centre
de décision » disposant d'une autonomie propre pour la gestion des titres de dette.
Encadré 10 : Article 4 de la proposition de directive européenne ATA - Règle de limitation des
intérêts (version de janvier 2016)*
1. Les coûts d'emprunt sont toujours déduits à hauteur des intérêts ou autres revenus imposables
provenant d'actifs financiers que le contribuable perçoit.
2. Les surcoûts d'emprunt sont déductibles pendant l'exercice fiscal au cours duquel ils ont été
supportés mais uniquement à hauteur de 30 % du résultat avant intérêts, impôts, dépréciation et
amortissement (EBITDA) du contribuable ou d'un montant de 1 000 000 EUR, le montant le plus élevé
étant retenu. L'EBITDA est calculé en rajoutant au revenu imposable les montants ajustés à des fins
fiscales correspondant aux charges d'intérêts nettes et autres coûts équivalents aux intérêts ainsi que
les montants ajustés à des fins fiscales correspondant à la dépréciation et l'amortissement.
3. Par dérogation au paragraphe 2, le contribuable peut se voir autoriser à déduire l'intégralité des
surcoûts d'emprunt s'il peut démontrer que le ratio entre ses fonds propres et l'ensemble de ses actifs
est égal ou supérieur au ratio équivalent du groupe.
Le premier alinéa s’applique sous réserve des conditions suivantes
:
(a) le ratio entre les fonds propres d'un contribuable et l'ensemble de ses actifs est considéré comme
égal au ratio équivalent du groupe si le ratio entre les fonds propres du contribuable et l'ensemble de
ses actifs est inférieur de 2 points de pourcentage au maximum ;
(b) le groupe est constitué de toutes les entités mentionnées dans les états financiers consolidés et
vérifiés qui sont établi
s conformément aux normes internationales d’information financière, au système
national d'information financière d'un État membre ou aux principes comptables généralement admis
(GAAP) des États-Unis ;
(c) l'ensemble des actifs et des passifs sont valorisés selon la même méthode que celle utilisée dans les
états financiers consolidés ;
(d) les fonds propres et l'ensemble des actifs du contribuable sont diminués des contributions effectuées
au cours des six mois précédant la date de clôture du bilan pertinente dans la mesure où ces
contributions correspondent à des retraits ou des distributions au cours des six mois qui suivent la date
de clôture du bilan pertinente ;
(e) les paiements à des entreprises associées ne dépassent pas 10 % de la charge d'intérêts nette totale
du groupe.
4. L'EBITDA d'un exercice fiscal qui n'est pas entièrement absorbé par les coûts d'emprunt supportés
par le contribuable au cours de cet exercice ou des exercices fiscaux précédents peut être reporté sur les
exercices fiscaux suivants.
83
Article 212 III du code général des impôts.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 49 -
49
5. Les coûts d'emprunt qui ne peuvent pas être déduits durant l'exercice fiscal en cours conformément
au paragraphe 2 sont déductibles à concurrence de 30 % de l'EBITDA au cours des exercices fiscaux
suivants de la même manière que les coûts d'emprunt pour ces exercices.
6. Les paragraphes 2 à 5 ne s'appliquent pas aux entreprises financières.
*L’accord politique trouvé le 17
juin 2016 prévoit trois aménagements à cette proposition en (i) relevant le seuil
d’application à 3
M€, (ii) en en restreignant explicitement l’application aux entités appartenant à un groupe et (iii)
en excluant de son champ d’application les prêts destinés à financer les infrastructures.
Source : Proposition de directive n°2016/011 établissant des règles pour lutter contre les pr
atiques d’évasion fiscale
qui ont une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur ; 2016/0011.
Toutefois, l’approche retenue par le CGI en matière de plafonnement global du montant de
charges financières nettes déductibles est différente de celle proposée au niveau européen. Le
mécanisme français, introduit en 2013 aux articles 212
bis
(pour les sociétés non membres
d’un groupe) et 223
B
bis
du CGI (pour les groupes de sociétés)
84
, se distingue à plusieurs
égards du mécanisme proposé dans la proposition de directive ATA :
au lieu d’un seuil en proportion de l’EBITDA, le régime français a opté pour un
plafond absolu de charges d’intérêts nettes
(3
M€) au
-delà duquel 25 % du montant
total des charges financières nettes sont réintégrées au résultat fiscal. Cette réintégration
est prévue au premier euro, dès lors que le seuil de 3
M€ est franchi tandis que le plafond
prévu par le projet européen s’appuie sur un mécanisme d’abattement
: seules les
charges financières au-
delà du seuil font l’objet d’une réin
tégration, mais elles le sont
dans leur intégralité ;
les charges financières nettes non déductibles sont réintégrées au résultat sans
possibilité de les déduire des bénéfices des exercices suivants alors que l’article
4 de la
proposition de directive prévoit la possibilité de reporter, sans limitation de durée, les
coûts d’emprunt qui ne peuvent pas être déduits durant un exercice fiscal ainsi que
l’EBITDA non intégralement absorbé par les charges financières de l’année
;
la règle française ne prévoit pas
de clause de sauvegarde permettant de s’assurer que les
seules charges financières pouvant faire l’objet d’une réintégration relèvent de
l’optimisation fiscale et non au financement «
normal
» de l’entreprise. A l’inverse, la
proposition de directive ATA, qui vise à lutter contre les montages de « sous-
capitalisation »
85
, prévoit une clause permettant d’exclure de son champ d’application
les entités qui présenteraient un niveau de capitalisation au moins aussi élevé que le
groupe dont elles font partie
86
.
3.1.2.2.
Un
plafonnement en proportion de l’EBITDA un outil plus pertinent de lutte contre
l’optimisation fiscale que le plafonnement en montant prévu au CGI
Le profil des entreprises susceptibles d’être affectées par la réintégration d’une fraction de
leurs charges financières nettes diffère selon le régime applicable :
84
Instaurés par la loi n°2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
85
La sous-capitalisation consiste en un financement par de la dette intra-groupe des entités situées dans un pays
où le taux d’imposition est élevé afin de bénéficier d’une déductibilité maximale des intérêts versés, ces derniers
étant encaissés par une filiale située dans un pays à faible fiscalité.
86
« Le ratio entre ses fonds propres et l'ensemble de ses actifs est égal ou supérieur au ratio équivalent du groupe ».
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 50 -
50
dans le cas de la proposition ATA
, le ratio d’endettement net constitue le seul critère
de limitation de la déductibilité des charges financières. La charge budgétaire est
concentrée sur les acteurs le
s plus endettés, et ce d’autant plus que la totalité de
l’excédent de charges financières est réintégré dès lors que le seuil d’endettement net de
30 %
87
est
dépassé
.
Cette
mesure
constitue
donc
un
outil
anti-« sous-
capitalisation » puissant
;
Le « rabot fiscal » prévu aux articles 212
bis
et 223 B
bis
du CGI conduit, quant à lui, à
réintégrer une partie des charges d’intérêt nettes des plus grandes entreprises
88
. quelle
que soit la situation réelle de l’endettement de la structure du fait de son application
dès
3
M€. Réciproquement, une entité sous
-capitalisée dont la charge financière nette
dépasse 50
% de l’EBITDA ne devra tout de même réintégrer les charges financières
correspondantes qu’à hauteur d’un quart, soit 12,5
% de l’EBITDA.
Cette mesure
constitue davantage une mesure de rendement budgétaire, concentrée sur les
grandes entreprises qu’un outil de lutte contre l’optimisation fiscale par un
recours excessif à l’endettement
.
Le régime prévu dans la proposition ATA est plus avantageux pour l’ensemble de
s entreprises
ayant un niveau d’endettement net inférieur à 40
% de l’EBITDA (jusqu’à 30
%, aucune
limitation ne s’applique). Au
-
delà en revanche, l’application d’une réintégration totale des
charges financières dans la base d’imposition le rend dissuasif.
Graphique 3 : Montant des intérêts réintégrés au résultat fiscal en fonction du montant des
charges financières (en
% de l’EBITDA)
*Illustration sur la base d’une entreprise réalisant un EBITDA de 100
M€ et aucun résultat
financier.
3.1.2.3.
La pro-
cyclicité d’un plafonnement en proportion de l’EBITDA nécessite
l’adoption de mesures correctrices
Par rapport à un seuil absolu, le recours à une fraction du résultat avant intérêts, impôts,
dépréciation et amortissement (EBITDA) comme montant de référence permet de relier le
total de charges financières nettes déductibles au résultat de l’activité économique exercée sur
le territoire. Le recours à un ratio apparait économiquement plus approprié. C’est pourquoi la
87
Le plafond de charges financières nettes de 3
M€ permet par construction d’exclure l’ensemble des entr
eprises
présentant un EBITDA inférieur à 9
M€.
88
Le projet de loi de finances pour 2013 prévoyait que plus de 83 % de la charge supplémentaire serait portée par
les entreprises dont l
e chiffre d’affaires excède 250
M€
. La mesure Cette mesure devait
permettre de limiter l’écart
de taxation implicite entre les catégories d’entreprises
.
-
5 000 000
10 000 000
15 000 000
20 000 000
25 000 000
30 000 000
35 000 000
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Proposition ATAD
212bis CGI
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 51 -
51
recommandation de l’OCDE
dans le cadre du rapport final relatif à l’action n°4 du plan BEPS
Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d‘intérêts et
d’autres frais financiers
») préconisait une règle de plafonnement en proportion de l’EBITDA.
D
’un point de vue économique, le principal risque lié à l’introduction d’une telle règle
réside dans son caractère pro-cyclique
: en cas de difficulté économique conjoncturelle,
l’entreprise qui verra sa situation économique se dégrader ne pourra plus admet
tre autant de
charges financières nettes en déduction de son résultat alors même qu’elle doit faire face à un
montant comparable de dette. Réciproquement la possibilité de déduire de l’assiette de l’impôt
sur les sociétés des charges financières nettes ser
a d’autant plus élevée que l’entreprise est
rentable.
Cet inconvénient est pris en compte dans le cas du projet de directive ATA qui propose
également d’introduire une possibilité de report en avant du résultat des exercices antérieurs
pour le calcul du pl
afond d’intérêts. Dès lors, une entreprise qui aurait réalisé une année un
EBITDA lui permettant de déduire l'intégralité de ses charges financières, pourrait reporter
sans limitation de durée l’
« excédent de résultat » pour les calculs ultérieurs de la déductibilité
des charges financières.
Un mécanisme comparable avait été introduit en 2009 en Allemagne suite au constat des
difficultés causées, notamment aux PME, par l’existence d’un seuil exprimé en pourcentage du
résultat en période de crise économique et financière.
Par ailleurs, l’approche retenue s’appuie, comme les dispositions actuelles du CGI, sur les
charges financières nettes, c’est
-à-
dire le surplus d’endettement dépassant les produits
d’intérêt perçus. Son impact est donc réduit sur les groupe
s faisant le choix de centraliser leurs
emprunts. C’est notamment le cas des têtes de groupes internationaux implantés en France
susceptibles de porter la majorité de la dette émise sur les marchés financiers afin de bénéficier
de meilleures conditions (no
tation de crédit, capacité d’accès aux marchés, etc.) puis de
financer directement les filiales du groupe.
3.1.2.4.
L’alignement de la règle française sur le principe européen réduirait le
rendement budgétaire de la mesure de plafonnement de la déductibilité des
in
térêts d’emprunt
D’un point de vue budgétaire, la réintégration d’un quart
89
des charges financières nettes, dès
lors que celles-ci dépassent 3
M€, a permis d’augmenter l’assiette de l’impôt sur les sociétés de
4,6
Md€ en 2014
:
parmi les sociétés non membres d’un groupe, 634
entreprises ont réintégré un montant
de 823
M€ des charges financières nettes non déductibles au titre de l’article 212
bis du
CGI ;
les réintégrations au titre des dispositions de l'article 223 B bis ont concerné 434
groupes, soit plus de 9 000 sociétés, pour un total de 3,7
Md€.
L’effet du «
rabot fiscal » est concentré sur les plus grandes entreprises. En 2014, les
entreprises et groupes réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1
Md€ contribuent à 72
% du
surplus d’imposition.
89
La fraction de charges financières nettes réintégrées prévue par la loi de finances pour 2013 s’élevait à 15
% en
2013 puis 25 % à partir de 2014.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 52 -
52
Tableau 11 : Impact de la non-déductibilité des charges financières nettes (articles 212 bis et
223
B bis du CGI) sur l’assiette de l’IS en 2014
Chiffre d’affaires*
Contribution à l’assiette
de l’impôt sur les sociétés (en M€)
Proportion du total des
réintégrations
Moins de 250
M€
665
15 %
250 à 500
M€
319
7 %
500
M€ à 1
Md€
280
6 %
Plus de 1
Md€
3 302
72 %
Total
4 567
100 %
* Chiffre d’affaires du groupe fiscalement intégré pour les
groupes de sociétés.
L’exploitation des liasses fiscales pour l’exercice 2014 permet de quantifier l’impact d’une
modification des règles de non-déductibilité prévue au code général des impôts par un
plafonnement des charges financières déductibles en prop
ortion de l’EBITDA.
Encadré 11 : Limites méthodologiques des simulations
L’évaluation de l’impact d’une modification de la règle française de plafonnement a été conduite sur
la base des déclarations fiscales des entreprises
soumises au régime normal de l’impôt sur les
sociétés (les sociétés imposées selon le régime simplifié sont exclues de fait du périmètre
d’application des mesures en raison de leur taille) et du fichier des groupes pour l’exercice fiscal
2014.
Sans accès aux données comptables des entreprises, deux agrégats ont été reconstitués à partir des
données fiscales pour approcher l’EBITDA des sociétés concernées
:
o
l’excédent brut d’exploitation des sociétés individuelles est recalculé à partir des résultats
d’exploitation renseignés dans les liasses fiscales (ou reconstitués lorsque la donnée n’est
pas disponible) et en réintégrant les reprises et dotations aux amortissements et aux
provisions d’exploitation
;
o
l’EBITDA des groupes est reconstitué de manière simplifi
ée sur la base de la méthodologie
proposée par le projet de directive ATA, c’est
-à-dire en ajoutant au résultat fiscal du
groupe, les charges nettes de la dette financées déduites et les dotations aux provisions et
amortissements.
Seul le stock d’amortissements et de provisions d’exploitation, et pas les dotations annuelles, sont
disponibles
dans
les
informations
fiscales
au
niveau
du
groupe.
Une
durée
moyenne
d’amortissement des immobilisations de 10
ans est retenue. La sensibilité de l’évaluation à cette
hypothèse est également calculée.
Outre les approximations liées aux données manquantes ou mal renseignées, le périmètre des
simulations n’est pas identique à celui prévue dans la proposition de directive ATA. En particulier,
le périmètre des groupes rete
nu correspond à celui du régime d’intégration fiscale français (dans
l’applicabilité est optionnel pour chaque filiale potentiellement éligible) et non le périmètre
comptable.
De plus, l’impact de la clause de sauvegarde mentionnée
supra
n’a pas pu être m
odélisé.
Pour les groupes de sociétés concernés, le montant des charges financières nettes supérieures
à la fois à 3
M€ et à 30
% de l’EBITDA, et devant donc être réintégrées intégralement à l’assiette
de l’IS peut être estimé à 1,8
Md€
90
. À périmètre équivalent (exclusion des groupes du secteur
financier conformément à la proposition de directive),
ce montant est inférieur d’un tiers
aux charges financières nettes réintégrées dans l’assiette de l’impôt pour les groupes de
société au titre
de l’article 223
B bis du CGI
.
90
1,4
Md€ en retenant une hypothèse de durée moyenne d’amortissement de 8
ans et 2,1
Md€ avec une durée
moyenne de 12 ans.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 53 -
53
Le surcoût d’imposition pèserait davantage sur les entreprises de taille intermédiaire
.
Alors que ces dernières ne contribuaient qu’à hauteur de 13
% des réintégrations liées à la non
déductibilité des charges financières nettes en 2014, elles représenteraient 25 % du montant
en cas de substitution de la règle en proportion de l’EBITDA.
Tableau 12 :
Scenario d’une règle de plafonnement en proportion de l’EBITDA
: contribution,
par classe de chiffre d
’affaires, des groupes de sociétés à l’augmentation d’assiette
Chiffre
d’affaires*
Contribution à l’assiette
de l’impôt sur les
sociétés (en M€)
Proportion du
total des réintégrations
simulées
Proportion des
réintégrations
observées en 2014
Moins de
250
M€
334
19 %
15 %
250 à 500
M€
257
14 %
7 %
500 à 1Md€
187
11 %
6 %
Plus de 1
Md€
997
56 %
72 %
Total (en M€)
1 775
100 %
100 %
Cf. encadré
supra pour les réserves méthodologiques.
La règle proposée à l’article
4 de la directive ATA est directement inspirée du mécanisme de
limitation des charges déductibles des entreprises membres d’un groupe (
Zinsschranke)
instauré en Allemagne en 2008. À titre de comparaison avec la situation française, les recettes
budgétaires associées en Allemagne à cette mesure
étaient estimées, en 2009, entre 750
M€ et
877
M€
91
:
le dispositif ne présentait pas de possibilité de report en avant de l’EBITDA non utilisé
;
il s’appliquait aux entreprises affichant des charges financières nettes supérieures à
1
M€
;
les coûts de financement des entreprises, et donc le volume des charges financières, était
plus élevés qu’en 2014.
Les recettes attendues auraient pu atteindre 2,6
Md€ si le plafonnement des intérêts avait été
appliqué à l’ensemble des entreprises
92
.
Si la règle de déductibilité des charges financières dans la dernière proposition de directive
ATA ne s’applique qu’aux sociétés membres d’un groupe, son extension à l’ensemble des
sociétés est envisageable en particulier pour maintenir le parallélisme de règles entre le régime
applicable aux groupes de sociétés et celui pour les entreprises individuelles.
Sous cette hypothèse, les simulations effectuées sur la base des liasses fiscales d’imposition au
régime normal feraient apparaitre une augmentation de l’assiette
réintégrée au titre de la non
déductibilité des charges financières (hors secteur financier) à hauteur de 1,1
Md€ en 2014 au
lieu des 822
M€ observés pour l’article 212
bis
.
Le montant total estimé des réintégrations
(environ 2,8
Md€) serait alors inférieu
r de 40 % à celles du « rabot fiscal » existant, soit
un manque de 1,8
Md€.
L’imposition supplémentaire liée aux réintégrations de charges financières serait concentrée
sur un nombre réduit :
91
Broer ;
Ziele, Wirkungsweise und Steueraufkommen der neuen Zinsschranke
. Journal of Applied Social Science
Studies ; 2009.
92
Ibid.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 54 -
54
de sociétés. La proportion des groupes concernés par une réintégration des charges
financières nettes serait deux fois plus faible. Une grande entreprise supporterait à elle
seule un tiers des réintégrations totales supplémentaires au titre des entreprises
individuelles ;
de secteurs d’activité. Le transport, l’hôtellerie et l’industrie seraient davantage affectés.
En outre, les recettes à attendre de la mesure proposée à l’article
4 de la directive ATA seraient
certainement encore plus réduites que l’évaluation issue de simulations du fait
:
de la possibilité de report en avant, sans limitation de durée, des coûts d'emprunt qui ne
peuvent pas être déduits durant l'exercice fiscal. Si la pertinence économique de ce
dispositif de report en avant est fondée dans le cas d’un dispositif anti
-abus (cf.
supra
),
elle limite également le rendement budgétaire de la mesure ;
de l’existence d’une clause de sauvegarde dès lors que l’entité présente un ratio
d’endettement comparable à celui du groupe auquel elle appartient. Dans l’hypothèse où
cette exception serait conservée, une majorité des grandes entreprises actuellement
concernées par le « rabot » au titre du financement de leurs activités seraient à nouveau
en mesure de déduire intégralement leurs charges financières de leur base d’imposition.
Dans ce contexte, les objectifs de
conserver, comme dans le cas de l’article
212
bis
du CGI, un
dispositif anti-abus couplé à une mesure de rendement budgétaire apparaissent difficiles à
concilier.
Dans la perspective de l’adoption de la proposition de directive ATA, les dispositifs françai
s de
lutte contre la sous-capitalisation des entreprises pourraient être utilement simplifiés
93
. La
cohabitation des deux règles de limitation en montant absolu et en proportion de l’EBITDA
constituerait une source de complexité importante et aggraverait le manque de lisibilité du
dispositif français.
Toutefois, préserver les recettes associées au « rabot fiscal » actuel nécessiterait de financer le
coût d’application de la directive ATA par d’autres évolutions de l’IS ou de mettre en place un
dispositif plu
s restrictif que celui proposé à l’heure actuelle au niveau européen
94
. Il pourrait,
par exemple, être envisagé :
de prévoir la réintégration des charges financières nettes au-
delà d’un seuil de 30
% de
l’EBITDA, sans possibilité de déduire des exercices su
ivants les charges financières
nettes non admises en dé
duction. Toutefois, une telle approche n’apparait pas
recommandée dans la mesure où elle exacerbe le caractère pro-cyclique de la barrière
d’intérêts (cf.
infra
) ;
d’abaisser le seuil de charges financières nettes. L’expérience allemande souligne que
cette hypothèse doit toutefois être considérée avec prudence
95
;
93
Notamment l’articulation avec les dispositifs prévus aux articles l’article 212 et au IX de l’article 209 du CGI
(voir CPO, Rapport particulier n°4 :
Le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés
, B. Lignereux, 2016)
94
L’article 3 du projet de
directive (Niveau minimal de protection) prévoit que « la directive n'exclut pas
l'application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à préserver un niveau plus élevé de protection
des bases d'imposition nationales pour l'impôt sur les sociétés. »
95
Le seuil d’application de la Zinsschranke avait été relevé de 1 M€ à 3
M€ en 2009 en raison des difficultés
économiques qu’il faisait porter aux entreprises dans une conjoncture défavorable
.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 55 -
55
de retenir un seuil de déductibilité inférieur aux 30 % proposés par le projet de directive
européen. Les conclusions des travaux OCDE/G20 présentés dans le rapport final de
l’action n°4
96
du plan BEPS recommandaient un ratio compris entre 10 et 30 % de
l’EBITDA. C’est, par exemple, le choix de la Norvège qui a décidé d’abaisser, en 2016, le
plafond de déductibilité de 30 % à 25
% de l’EBIT
DA.
3.1.3.
La mise en place d’un mécanisme d’inversion (s
witch over)
européen serait
souhaitable mais son adoption, sans coordination préalable, constituerait un
risque pour la France
3.1.3.1.
Un mécanisme d’inversion efficace pour lutter contre l’évasion fiscale, mais
paradoxalement dangereux pour la France dans un contexte de concurrence
fiscale entre les pays de l’Union
Afin d’éviter les doubles impositions, les revenus versés
97
depuis des pays tiers font
généralement l’objet d’une exonération d’impôt sur les sociétés, considérant qu’ils ont déjà fait
l’objet d’une taxation locale. En pratique, cette situation a pu conduire certaines entreprises
multinationales à bénéficier d’une double non
-
imposition. Pour y remédier, l’article
6 de la
proposition initiale de directive anti-évasion
proposait l’introduction d’une règle de
«
switch-over
» obligeant les États membres à imposer les revenus en provenance de
pays tiers qui auraient été peu, voire pas, taxés
. Un État membre imposerait alors les
dividendes versés à une entreprise
redevable de l’IS dans son pays par une société établie dans
un pays tiers à fiscalité nulle sur la même base que si cette dernière était située sur son
territoire.
Encadré 12
: Règle d’inversion (
switch-over)
article n°6 de la proposition de directive ATA
1. Les États membres n'exonèrent pas un contribuable de l'impôt sur les revenus étrangers qu'il perçoit
sous la forme d'une distribution de bénéfices de la part d'une entité située dans un pays tiers, de produit
de la cession de parts détenues dans une entité située dans un pays tiers ou de revenus provenant d'un
établissement stable situé dans un pays tiers lorsque l'entité ou l'établissement stable est soumis, dans
le pays de résidence de l'entité ou le pays où se situe l'établissement stable, à un impôt sur les bénéfices
à un taux légal d'imposition sur les sociétés inférieur à 40 % du taux légal d'imposition qui aurait été
appliqué dans le cadre du système d'imposition des sociétés en vigueur dans l'État membre du
contribuable. Dans ces circonstances, le contribuable est soumis à l'impôt sur les revenus étrangers et
peut déduire l'impôt payé dans le pays tiers de sa charge fiscale dans l'État de sa résidence fiscale. La
déduction n'excède pas le montant de l'impôt, tel que calculé avant la déduction, qui est imputable aux
revenus imposables.
2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux types de pertes suivants
:
(a) les pertes supportées par l'établissement stable d'un contribuable résident situé dans un pays tiers ;
(b) les pertes découlant de la cession de parts dans une entité ayant sa résidence fiscale dans un pays
tiers.
Source
: Proposition de directive n°2016/011 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale
qui ont une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur ; 2016/0011
96
Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et autres frais financiers
.
97
R
evenus provenant d’un établissement stable étranger, div
idendes et plus-values en capital.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 56 -
56
L’instauration d’une règle de «
switch-over
» constitue un outil complémentaire de lutte contre
l’érosion de la base fiscale à l’initiative de la Commission européenne et ne figurant pas dans
les recommandations des rapports finaux des travaux anti-BEPS.
L’article 209
B
98
du code général des impôts prévoit déjà un dispositif comparable s’agissant
des revenus provenant d’un établissement stable implanté dans des pays à régime fiscal
privilégié au sens de l'article 238 A du CGI
99
. Toutefois, l’article
6 prévoit un champ
d‘application beaucoup plus large dans la mesure où il concerne l’ensemble des revenus, y
compris les dividendes et les plus-values en capital.
L’imposition locale de revenus peu taxés à la source devrait,
en théorie, conduire à un
élargissement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Toutefois, la mise en place d’un
mécanisme de
switch-over
de manière non coordonnée au sein de l’Union européenne pourrait
paradoxalement conduire au résultat inverse en France en accentuant la concurrence fiscale
entre les pays européens. Dans la proposition de directive, un pays tiers présente un régime
fiscal privilégié si «
le taux légal d'imposition sur les sociétés inférieur à 40 % du taux légal
d'imposition qui aurait été appliqué dans le cadre du système d'imposition des sociétés en vigueur
dans l'État membre du contribuable
» :
le critère permettant de déterminer si les bénéfices sont insuffisamment taxés
dans un territoire varierait alors en fonction de l’État membre
. Par exemple, seuls
les revenus en provenance de pays où le taux d’IS est inférieur à 4,8
% feraient l’objet
d’une clause de
switch-over
s’ils sont rapatriés en Irlande tandis que la clause
s’appliquerait à l’ensemble des revenus issus de pays où le taux d’IS légal est inférieur à
13,8
% seront réintégrés dans le calcul de l’IS s’ils sont transférés vers une filiale
française. En l’état, une application de ce principe à l’ensemble des pays où le taux
d’imposition est inférieur de 40
% au taux légal d’IS fr
ançais conduirait même à
réintégrer dans l’assiette de l’impôt les revenus (bénéfices, dividendes, et plus
-values)
en provenance d’entités irlandaises
;
cette règle est également susceptible de conduire à
des effets de seuil en fonction de
l’État membre da
ns lequel les profits sont transférés, même si les taux
d’imposition des pays sont proches
. Ainsi, les revenus en provenance d’un pays tiers
où le taux d’IS légal s’élève à 13
% seront effectivement taxés à 13
% s’ils sont transférés
en Allemagne
100
mais dev
raient faire l’objet d’une imposition supplémentaire de plus de
20
points s’ils étaient versés à une entreprise redevable de l’IS français.
98
L’article 209B du CGI dispose notamment que «
Lorsqu'une personne morale établie en France et passible de l'impôt
sur les sociétés exploite une entreprise hors de France ou détient directement ou indirectement plus de 50 % des actions,
parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique […] établie ou constituée hors de France et que c
ette
entreprise ou entité juridique est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A, les bénéfices ou revenus
positifs de cette entreprise ou entité juridique sont imposables à l'impôt sur les sociétés
. »
99
Le deuxième alinéa de l’arti
cle 238 A précise que «
les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal
privilégié dans l'État ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts
sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou
sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été
domiciliées ou établies
».
100
Taux légal retenu de 30,18 % (Source
OCDE - Corporate income tax rate
2016).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 57 -
57
Tableau 13 :
Illustration des écarts dans l’application de la clause d’inversion dans l’
UE :taux
d’imposition effectif en fonction du pays de provenance des revenus
Pays de rapatriement
des profits dans l’UE
Taux d’IS local = 0
%
Taux d’IS local = 10
%
Taux d’IS local = 13
%
Irlande
12 %
10 %
13 %
Allemagne
30,2 %
30,2 %
13 %
France
33,
1/3
%
33,
1/3
%
33,
1/3
%
*Les cases rouges signalent les cas d’application de la clause d’inversion.
Les effets de la concurrence directe en matière de taux d’imposition entre les États sont, dans
le cas de la règle de
switch-over
, renforcés par le caractère mobile de la base fiscale puisque les
revenus ne proviennent pas d’une activité économique implantée localement.
Plus que l’impact direct sur l’assiette taxable, l’adoption en l’état d’une règle de
switch over
au
niveau européen risquerait de dégrader significativement la capacité de la France à attirer et à
maintenir des centres de décision économiques de groupes multinationaux. Le Conseil
d’analyse économique a d’ailleurs identifié, dans sa note de mai
2016, le cadre de mise en
œuvre de l’
«
Anti-Tax Avoidance Package
» comme un facteur déterminant de l’attractivité
française en matière de décisions de localisation des entreprises
101
.
3.1.3.2.
L’abandon de la règle de switch
-
over illustre la nécessité d’une approche
coordonnée entre les États membres et les efforts à conduire par la France pour
ramener son taux d’impôt normal sur les sociétés dans la moyenne des États
membres
Une approche coordonnée au niveau européen vis-à-
vis des pays tiers permettrait d’assurer
que l’adoption de la règle de
switch over
remplisse p
leinement son rôle de lutte contre l’évasion
fiscale sans accentuer la concurrence fiscale entre États membres. Il pourrait, par exemple, être
envisagé :
d’envisager une règle commune permettant de déterminer si les revenus en provenance
de pays tiers ont été insuffisamment taxés ;
et de soumettre les revenus en provenance de pays tiers à fiscalité privilégiée à un même
taux quel que soit l’État membre (par exemple en retenant le taux moyen d‘imposition
des pays de l’Union).
L’adoption de règles communes permettrait non seulement d’augmenter les recettes
budgétaires totales des États membres mais constituerait un signal fort en termes
d’harmonisation des règles fiscales européennes vis
-à-vis des groupes multinationaux
rapatriant des profits depuis des pays à faible fiscalité. Elle marquerait également une étape
dans le projet de création d’une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS,
cf. partie 5).
Toutefois, l’adoption d’un taux d’imposition commun, y compris dans le cadre de mécanismes
ad hoc
constitue une source de blocage politique fort, notamment de la part des pays
présentant la fiscalité la plus favorable à ces rapatriements de revenus depuis des pays tiers
vers l’Union européenne (Chypre, Irlande, Luxembourg, etc.) qui craignent de
se voir privés de
recettes fiscales.
Pour cette raison, le principe d’une règle de
switch-over
, d’initiative
propre de l’UE a finalement été abandonné dans la proposition de directive
approuvée
en conseil ECOFIN en juin 2016.
101
Conseil d’analyse économique,
L’attractivité de la France pour les centres de décision des entreprises
, avril 2016 ;
F. Toubal et A.Trannoy.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 58 -
58
Les risques économiques qu’aurait posés l’adoption en l’état d’une règle d’inversion illustrent
la singularité de la position française.
Tout en soutenant activement les travaux de lutte
contre l’évasion fiscale internationale, la France pourrait paradoxalement être
pénalisée par
l’adoption de règles au niveau européen du fait de son taux d’imposition
élevé par rapport à ses partenaires. Cette situation met également en évidence les
difficultés associées à une convergence de règles d’assiette sans une convergence
parallèle des taux
d’imposition et incite à poursuivre les réflexions en faveur d’une
baisse du taux de l’impôt sur les sociétés français.
3.2.
Le régime français d’imposition à taux réduit des résultats et des plus
-
values de concession des brevets pourrait être revu pour répondre aux
critiques de l’OCDE au titre de la concurrence dommageable
3.2.1.
Le taux réduit pour les plus-values et les bénéfices de concessions de licence de
brevets
est
le
seul
régime
français
identifié
comme
potentiellement
dommageable dans les conclusions des travaux anti-BEPS
Le rapport final de l’action n°5 du plan anti
-BEPS visant à « lutter plus efficacement contre les
pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance »
présente les résultats de l’analyse, débutée en 2010
au niveau de l’OCDE et du forum sur les
pratiques fiscales dommageables (
Forum on Harmful Tax Practices
- FHTP). Cet examen des
régimes préférentiels nationaux doit permettre de juger de leur éventuel caractère
éventuellement dommageable.
Parmi les régime
s préférentiels nationaux risquant d’être utilisés à des fins de transfert
artificiel des bénéfices, les régimes relevant de la priorité intellectuelle (
patent boxes
; etc.) sont
les plus représentés (16 régimes sur les 43 évalués) en raison du caractère mobile des actifs
sous-
jacents et des opportunités qu’ils sont susceptibles d’offrir pour transférer une partie de
l’assiette d’imposition vers des pays à faible fiscalité.
Le seul régime français identifié comme non conforme aux critères du rapport de 1998 sur les
pratiques fiscales dommageables
102
concerne l’existence d’un taux réduit pour les plus
-values
à long terme et pour les bénéfices des concessions de licence d’exploitation des droits de la
propriété intellectuelle (article 39
terdecies
du CGI).
Ce ré
gime prévoit l’application du régime des plus
-values à long terme et donc une imposition
au taux réduit de 15 %
103
d’une part, aux plus
-
values réalisées à l’occasion de la cession des droits de propriété
industrielle mentionnées au 1 de l’article 39
terdecies
, sous réserve que l’entreprise
cédante et l’entreprise cessionnaire ne sont pas liées (afin de limiter les possibilités
d’optimisation au sein des groupes)
104
;
102
Concurrence fiscale dommageable : Un problème mondial
; OCDE ; 1998. Le rapport identifie quatre critères pour
juger du caractère potentiellement dommageable de régimes fiscaux préférentiels : i) des t
aux effectifs d’imposition
nuls ou faibles ; ii) le cantonnement des régimes
; iii) l’absence de transparence
;
iv) l’a
bsence de véritable échange
de renseignements.
103
Conformément à l’article 219 du CGI.
104
L’article 21
9 I a quater alinea trois du CGI dispose que «
par dérogation au premier alinéa, le régime des plus ou
moins-values à long terme s'applique, dans les conditions prévues au 1 de l'article 39 terdecies, à la plus ou moins-value
résultant de la cession d'un brevet, d'une invention brevetable ou d'un procédé de fabrication industriel qui satisfait
aux conditions prévues aux troisième, quatrième et cinquième alinéas du même 1
. »
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 59 -
59
d’autre part, au résultat net des
concessions de la propriété industrielle
, c’est
-à-dire la
différence entre les redevances perçues et les charges correspondantes
105
, et des
produits tirés de la sous-concession
106
.
3.2.2.
L’ampleur des évolutions nécessaires pour se conformer aux principes
européens pourrait conduire à envisager la suppression de ce régime
3.2.2.1.
La
confrontation de l’approche «
nexus », issue des travaux BEPS, et des règles du
marché intérieur imposera probablement de réviser le régime français
L’approche préconisée par l’OCDE en matière de fiscalité de la propriété intellectuelle vise à
retenir l’existence d’un lien entre la réalisation de dépenses de recherche sur le territoire et le
bénéfice d’avantages fiscaux associés. Cette approche dite «
nexus
» a été adoptée en 2014 par
l’OCDE et le G20, dans le cadre des travaux BEPS.
Les premiers travaux de la Commission européenne concrétisant les mesures de lutte contre
l’évasion fiscale, issues des travaux BEPS OCDE/G20, et notamment la proposition de directive
ATA, ne prévoient pas de disposition juridique contraignante relative aux régimes nationaux
d
’imposition de la propriété intellectuelle.
Au niveau européen, la surveillance des pratiques potentiellement dommageables fiscalement
est assurée par le groupe « Code de conduite »
107
(
fiscalité des entreprises) chargé de
l’évaluation des mesures fiscales q
ui entrent dans le champ d'application du code de conduite
adopté en 1997
108
. C’est dans ce cadre que l'Union européenne a repris à son compte
l’approche «
nexus
» en y intégrant ses spécificités.
Afin de ne pas aboutir à des régimes
nationaux susceptibles de conduire à des différences de traitement qui constitueraient
des obstacles à la liberté d’établissement et au marché intérieur, l’UE a adopté une
approche encore plus contraignante que l’OCDE en imposant que le bénéfice
d’avantages fiscaux ne soit accordé que si la recherche est réalisée par l’entreprise.
Conformément aux conclusions du rapport sur l’action n°5 du plan BEPS, les États membres
étaient invités à adapter leurs législations avant le 30 juin 2016
109
(avec la possibilité
d’introduire une clause de sauvegarde d’une durée de cinq ans pour les contribuables
bénéficiant déjà du régime). Plusieurs pays européens, notamment le Luxembourg, l’Espagne,
l’Irlande ou l’Italie
110
ont modifié, depuis 2015, leurs régimes préférentiels de taxation des
revenus de la propriété intellectuelle afin de les supprimer ou de les mettre en conformité avec
l’approche
nexus
.
105
Charges de gestion de la concession et dépenses de recherche.
106
S
ous la double condition que la première entreprise concédante n’
ait pas déjà bénéficié du taux réduit et que
l’entreprise à la fois concessionnaire et « sous
-concéda
nte » prouve que l’opération, crée une valeur ajoutée sur
l’ensemble de la période d’exploitation de la licence concédée et n’est pas constitutive d’un montage artificiel
.
107
Créé par le Conseil ECOFIN le 9 mars 1998.
108
Conclusion du Conseil ECOFIN du 1
er
décembre 1997 en matière de politique fiscale.
109
Après cette date, les régimes feront l’objet d’une évaluation par les membres du groupe du code de conduite.
110
Voir notamment les travaux du rapport particulier n°5, relatif à la situation de la France dans la concurrence
internationale en ma
tière d’impôt sur les sociétés, pour une présentation détaillée des évolutions des régimes
fiscaux des revenues de la propriété intellectuelle en Europe.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 60 -
60
Le régime français d’imposition des produits de la propriété intellectuelle demeure moins
attractif en matière de taux que certains régimes normaux européens
111
. Ce constat permet de
relativiser son supposé effet économique fiscalement dommageable, ainsi que le soulignait le
rapport particulier n°5
112
, et a pu conduire les autorités françaises à ne pas modifier le régime
prévu à l’article 39
terdecies
.
Toutefois, des interrogations subsistent sur sa compatibilité aux nouvelles recommandations
de l’OCDE en la matière
:
le régime fiscal français prévoit l’application d’un taux réduit en l’absence de lien entre
le concédant et le concessionnaire des droits de la propriété intellectuelle (cf.
supra
). Il
n’existe en revanche pas de régime particulier en cas d’exploitation du brevet en interne
;
de plus, les droits de propriété industrielle éligibles peuvent avoir été indifféremment
créés par l’entreprise ou acquis auprès d’une autre, sans condition concernant le lieu
d’exercice de l’activité de R&D. Le bénéfice du taux réduit d’imposition repose sur le lieu
de détention juridique des brevets et autres droits assimilés.
Cette situation apparait
orthogonale aux prescri
ptions de l’approche
nexus
pour les États membres de
l’Union européenne
.
3.2.2.2.
Un régime de moins en moins utilisé et dont le bénéfice est concentré sur quelques
grands acteurs
Les travaux d’analyse économétrique de l’efficacité des régimes dérogatoire de taxati
on des
revenus de la propriété intellectuelle conduits par le FMI ne permettent pas de mesurer
d’impact favorable du régime français sur le niveau réel de recherche et développement
conduit sur le territoire, contrairement à des régimes de
patent boxes
agressifs comme ceux
développés aux Pays-Bas ou en Belgique (cf. Encadré).
En pratique, ce régime constitue moins un soutien à la recherche des entreprises (le bénéfice
du régime n’impliquant pas de condition concernant le lieu d’exercice de l’activité de R&
D)
qu’un
dispositif visant à maintenir la compétitivité de la France
113
en matière de
localisation
des
brevets
internationaux
alors
que
les
actifs
concernés
sont
particulièrement mobiles
.
111
Le taux légal
d’impôt sur les sociétés en Irlande s’élève à 12
%.
112
En particulier en comparaison avec des régimes de
Patent Box
agressifs comme ceux existant aux Pays-Bas ou
au Luxembourg.
113
Le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique
assigne au régime fiscal de la taxation au taux réduit
des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets le double objectif «
d’inciter à céder ou à concéder des brevets non exploités et à encourager l’innovation des entreprises » et de «
participer à l’attractivité du territoire en
attirant les investisseurs internationaux. » (cf. Bleu budgétaire de la
mission : recherche et enseignement supérieur).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 61 -
61
Encadré 13
: Analyse de l’impact des
régimes préférentiels pour les revenus de la propriété
intellectuelle sur le niveau des dépenses de recherche et développement
Pour l’évaluation de l’impact de la réforme française l’étude du FMI compare l’évolution constatée
du niveau des dépenses de recherche et développement par rapport au niveau attendu (« contrôle
synthétique ») si la réforme de 2001 (article 54 de la loi de finances rectificative pour 2001
abrogeant l’article 1
bis
de l’article 39
terdecies
du CGI) qui a étendu le taux réduit d'imposition aux
redevances de brevets versées par une entreprise française apparentée alors que, jusqu’à cette
période, le régime fiscal des redevances de brevets était plus favorable dans le cas où l'entreprise
concessionnaire était une entreprise non résidente.
S’il est possible de mesurer une hausse du niveau de dépenses de R&D en Belgique et aux Pays
-Bas
par rapport au niveau attendu avant la mise en place d’un régime dérogatoire d’imposition pour les
produits de la propriété intellectuelle, ce n’est pas l
e cas des dispositifs français ou espagnols.
Le FMI explique notamment cette différence d’effet par les différences de structure (
design
) des
régimes néerlandais ou belges qui organisent des conditions d’imposition nettement plus
favorables que le régime
de l’article 39
terdecies
du CGI
(taux d’imposition effective des revenus de
la propriété intellectuelle particulièrement favorables, bénéfice du régime étendu aux revenus de
la propriété intellectuelle développée et exploitée en interne, etc.)
Source : Fonds monétaire international (FMI) - Fiscal Monitor.
En 2014, 90
groupes ont bénéficié de l’imposition à taux réduit des résultats de concessions de
licence d’exploitation des droits de la propriété intellectuelle pour une assiette de revenus
atteignant 2,7
Md€ soit un coût budgétaire pouvant être évalué à 460
M€
114
.
L’analyse des dépenses associées au cours des cinq dernières années
met en évidence une
baisse régulière des résultats de concession bénéficiant du taux réduit. Le coût budgétaire est
estimé à 250
M€ pour l’exercice 2016 contre 705
M€ en 2012. La mesure a bénéficié, sur la
période, à un nombre d’entreprises compris entre 150 et 300.
114
Évaluation
d’après
les liasses fiscales 2014, DGFiP-GF-3C.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 62 -
62
Tableau 14 : Chiffrage de la mesure de taxation à taux réduit des plus-values- à long terme de
produit de concessions de brevets
Année
2012
2013
2014
2015
2016
Coût de la
mesure
(en
M€)
705
630
400
450
250
Nombre
d’entreprises
bénéficiaires
150
150
150
200
300
Source : Voies et moyens- Tome II Dépenses fiscales ; Annexes au projet de loi de finances (2012 à 2016).
Même si le nombre d’entreprises bénéficiaires
du régime augmente depuis 2012, ce dernier
reste concentré sur un faible nombre de grands acteurs industriels, notamment du secteur
pharmaceutique :
en 2014, le premier bénéficiaire con
centre à lui seul près d’un tiers des redevances
déclarées ;
les dix premiers bénéficiaires représentent 85
% du total de l’assiette taxée à taux
réduit
115
.
Par ailleurs, le maintien inchangé de ce régime, désigné comme partiellement dommageable
par les rapp
orts finaux BEPS, est susceptible d’installer la France dans une position délicate
lors des examens à venir des régimes de propriété intellectuelle par le groupe Code de conduite
alors qu’elle constitue l’un des premiers soutiens au déploiement d’outils an
ti-BEPS.
La révision de la structure du régime afin de le mettre en conformité avec l’approche
nexus
conduirait à en revoir le principe en conditionnant les avantages d’un taux réduit à la création
et à la valorisation en interne des brevets. Si la constru
ction d’un IS favorisant la recherche et
l’innovation des entreprises constitue un facteur stratégique, ce rôle est principalement dévolu
au crédit impôt recherche (CIR) dans le système français.
Dès lors, l
’adaptation voire l
a suppression du régime pourra
it être envisagée si elle s’inscrit
dans un contexte de baisse significative du taux de l’IS français. À défaut, le risque que les
brevets localisés en France et exploités à l’étranger fassent l’objet d’un transfert est élevé,
compte tenu du positionnement défavorable de la France dans la concurrence fiscale
internationale.
3.3.
Les évolutions jurisprudentielles de la CJUE invitent à s’interroger sur une
évolution du régime d’intégration fiscale
3.3.1.
Les risques de contentieux s’accumulent sur le régime fiscal des gr
oupes de
sociétés
Le régime de l’intégration fiscale prévu à l’article
223 A du CGI constitue, pour les groupes
d’entreprises un facteur d’attractivité du système français. Il se distingue des autres régimes
d’intégration européens par un seuil de détentio
n élevé pour la définition du périmètre du
groupe fiscalement intégré
116
, et
permet de traiter l’ensemble des sociétés membres d’un
même groupe économique comme une entité fiscale unique pour l’IS
. Non seulement les
bénéfices et déficits des sociétés membres du groupe sont compensés, mais les transactions
115
Source : Étude comparative sur la fiscalité des brevets en Europe ; novembre 2012.
116
Les sociétés devant être détenues, directement ou indirectement, à 95 % par la société tête de groupe pour
entrer dans le périmètre du groupe fiscal.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 63 -
63
internes au groupe sont également neutralisées : quote-part de frais et charges afférente à une
plus-value de cession intra-groupe
, subventions directe d’une filiale, abandons de créance
intra-groupe, etc.
L’existence de telles neutralisations est propre aux régimes d’intégration reposant sur une
consolidation fiscale
(France, Allemagne, Autriche, Espagne, Pays-Bas, etc.)
quand d’autres
pays ont fait le choix de restreindre les bénéfices de leur régime d’int
égration à la seule
compensation des pertes et des profits entre les sociétés intégrées
(Finlande, Suède,
Royaume-Uni, Irlande, etc.)
117
.
Le rapport particulier n°4
118
a présenté en détails l’incidence de la jurisprudence de la CJUE
sur le champ et les règles
de l’intégration fiscale française, ainsi que les modifications déjà
adoptées au cours des dernières années
119
.
Depuis 2015, les incertitudes sont croissantes quant à la compatibilité des régimes de
consolidation fiscale actuels avec le principe de liberté d
’établissement prévu et encadré par le
droit de l’Union
:
la CJUE a jugé compatible avec le droit de l’UE la différence de traitement entre filiales
résidentes et non résidentes en ce qui concerne la consolidation des pertes et des
bénéfices au motif que cette distinction permet de préserver la répartition du pouvoir
d’imposition entre États membres
120
(décision
X Holding BV
121
du 25 février 2010) ;
dans la décision
Stéria
du 2 septembre
2015, elle a jugé, à l’inverse, contraire à la liberté
d’établissement la différence de traitement, prévue par le droit français jusqu’en 2016,
des dividendes distribués au sein des groupes suivant que les sociétés soient établies à
l’étran
ger (soumis à une quote-part de frais et charges de 5 %) ou intégrées fiscalement
en France (neutralisation de la quote-part de frais et charges). Contrairement à la
décision
X Holding BV
, la distinction entre sociétés établies en France et à l’étranger
n’
apparait pas justifiée par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir
d’imposition entre États
-
membres et la cohérence du régime fiscal puisqu’elle n’est pas
directement liée à la compensation des pertes et des profits des sociétés intégrées ;
de même, la décision
Finanzamt Linz
du 6 octobre 2015 a remis en cause un avantage
122
prévu par le régime d’intégration fiscale autrichien dans la mesure où il excluait les
acquisitions de filiales établies dans un autre État membre alors même qu’il ne relevait
pas de la compensation des pertes et des profits et ne pouvait donc pas être justifié par
la répartition du pouvoir d'imposer entre États-membres
123
.
117
Voir CPO, Rapport particulier n°5 :
Comment se situe la France dans la concurrence internationale en matière
d’impôt sur les sociétés ?
, A. Chouc et T. Madiès, 2016.
118
CPO, Rapport particulier n°4 :
Le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés
, B. Lignereux, 2016.
119
Extension du bénéfice du régime
depuis le 1er janvier 2010, consécutivement à l’arrêt
Papillon
de la CJUE, aux
groupes dans lesquels la société mère détient
filiale française, par l’intermédiaire d
e « sociétés intermédiaires »
établies dans l’Union
européenne ; puis, en 2015 aux groupes fiscaux « horizontaux » (
sociétés sœurs établies en
France détenues par une même société mère établie dans un État-membre de l'UE).
120
Les profits de filiales étrangères ne relevant pas de la compétence fiscale nation
ale, l’admission des pertes en
déduction de l’assiette fiscale nationale ne serait pas cohérente avec une symétrie du système fiscal.
121
Cette décision portait sur le régime fiscal néerlandais qui présente des dispositions en la matière comparable au
régime
de l’intégration fiscale français.
122
Possibilité d’amortir sur 15 ans la survaleur liée à l’acquisition d‘une filiale si celle
-
ci est assujetties à l’IS en
Autriche.
123
Voir notamment
« La robustesse des régimes de groupe à l'épreuve du droit de l'Union européenne »
, S. Austry,
FR 48/15.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 64 -
64
S’il n’est pas possible de préjuger des futures décisions de la CJUE, les contentieux actuellement
en cours, devraient permettre de préciser les incompatibilités potentielles des régimes
d’intégration de type «
consolidation fiscale
» avec le droit de l’Union dès lors qu’ils prévoient
des avantages supplémentaires à la seule compensation des pertes et des profits entre les
filiales intégrées. Dans le cas du régime français, des interrogations pourraient se poser à
propos des mécanismes comme la neutralisation la quote-part de frais et charges afférente aux
plus-values de cession intra-groupe
124
.
Certains avantage
s spécifiques, comme l’exonération de la contribution additionnelle à l’impôt
sur les sociétés de 3 % (« contribution 3 % »)
125
dès lors que les distributions sont réalisées
entre sociétés d’un même groupe fiscalement intégré, pourraient également être remis
en
cause. La compatibilité d’une telle exception avec le droit de l’Union n’est pas assurée dans la
mesure où cette exonération n’est pas applicable aux distributions aux sociétés mères à 95
%
établies dans un autre État-membre
126
et qui sont donc, de fait, en dehors du périmètre
d’intégration fiscale.
3.3.2.
L’insécurité juridique croissante des dispositions du régime de l’intégration
fiscale et le coût associé aux contentieux plaident pour une réflexion stratégique
sur son évolution
Les interrogations relatives à la robustesse du régime de groupe constituent une source
d’insécurité
juridique
susceptible
de
nuire
aux
groupes
d’entreprises
implantés
principalement en France. Dans le cas où certaines dispositions de neutralisation seraient
jugées incompatibles avec l
e droit européen, elles devraient alors être étendues à l’ensemble
des filiales établies dans un pays de l’UE ou supprimées. Face au coût budgétaire que
représenterait une extension directe aux filiales étrangères implantées en Europe, il est
probable que la disposition sera rendue moins avantageuse. Ainsi, dans le cas de la quote-part
de frais et charges sur les dividendes distribués au sein d’un groupe, la loi de finances
rectificative pour 2015 a, suite à l’arrêt
Stéria
, supprimé la possibilité de neutralisation de la
quote-
part pour frais et charges afférente aux dividendes versés entre sociétés d’un même
groupe fiscalement intégré en France et abaissé la quote-part à 1 %.
Ensuite, la multiplication des contentieux fiscaux associés au régime de l’intégra
tion fiscale
présente un coût élevé pour les finances publiques :
124
Article 223 F du CGI.
125
Article 235 ter ZCA du CGI.
126
L’exonération prévue par la loi ne s’applique pas non plus aux sociétés mères européennes de
groupes fiscaux
intégrés horizontalement en France (intégration « Papillon »).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 65 -
65
dans le cas de la décision
Stéria
, le contentieux
127
est inscrit au budget de la seule année
2016 pour un montant de 340
M€
128
.
L’évaluation du coût total du contentieux
atteindrait 1
Md€ pour l
a période 2013-2015
129
(dont 455
M€ au titre des dossiers
déjà portés à la connaissance de l’administration fiscale en octobre
2015) ;
en ce qui concerne la « contribution 3 % », «
le risque global encouru par l’État est [jugé]
beaucoup plus élevé
» par le rapport de la Commission des finances alors que «
la
contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés a rapporté 1,9
Md€
» en 2014
130
. Le
risque d’une restitution au titre de deux exercices (voire davantage pour les groupes
ayant d’ores
-et-déjà intenté une action contentieuse) pourrait alors dépasser 4
Md€
131
.
Cette contribution additionnelle avait, elle-même été instaurée pour remplacer le
dispositif de retenue à la source applicables aux revenus distribués aux OPCVM
étrangers, lui-même invalidé par la CJUE en 2012, et dont le coût des remboursements
contentieux est évalué à 4,3
Md€ pour la période 2014
-2016
132
.
Enfin, les remises en causes successives des mécanismes de neutralisation au sein des groupes
fiscalement intégrés ne relevant pas de la simple compensation des pertes et des profits entre
les filiales conduisent la France à adopter une approche « défensive ». Le cadre fiscal est adapté
progressivement en réaction aux décisions de justice, sans analyse prospective sur l’avenir du
régime d’intégration fiscale français. Ce mode d’évolution de l’impôt sur les sociétés apparaît
déstabilisateur pour les entreprises, les modifications régulières et non anticipées renforçant
une instabilité de la norme fiscale peu propice à l’investissement
133
.
Dans ce contexte,
il serait utile d’adopter une vision stratégique quant à l’avenir du régime
d’intégration fiscale français à la lumière des évolutions récentes de la jurisprudence de la
CJUE.
127
L’article 190 du livre des procédures fiscales prévoit que dans le cadre d’un contentieux sur l’assiette de l’impôt
au titre d’une non
-conformité d'une règle de droit à une règle de droit supérieure, les actions en restitution des
sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés se prescrivent par deux ans (à compter de la
mise en recouvrement du rôle ou de la notification de l'avis de mise en recouvrement ou, en l'absence de mise en
recouvrement, du versement de l'impôt contesté). Outre les actions contentieuses déjà intentées, le risque
consécutif à la décision de la CJUE porte donc sur une restitution au titre des deux derniers exercices recouvrés.
128
Annexe au projet de loi de finances pour 2016 ; Évaluation des voies et moyens ; Tome 1
Évaluations de
recettes.
129
Rapport fait au nom de la Commission des finances, de
l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le
projet de loi de finances pour 2016 (n° 3096) - Annexe n° 41 Remboursements et dégrèvements ; M
me
Eva SAS ;
octobre 2015.
130
Rapport fait au nom de la Commission des finances, de
l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le
projet de loi de finances pour 2016 (n° 3096) - Annexe n° 41 Remboursements et dégrèvements ; M
me
Eva SAS ;
octobre 2015.
131
La contribution additionnelle de 3
% prévue à l’article 235 ter ZCA du code général des impôts fait, en pratique,
l’objet de plusieurs contentieux à la fois au titre de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi
et devant
les charges publiques lié à l’
exonér
ation aux seules sociétés bénéficiant du régime de l’intégration fiscale
(le Conseil
d’État a renvoyé une question prioritaire de constitutionalité au Conseil constitutionnel en juin 2016), mais
également au titre de sa compatibilité avec le droit de l’Uni
on et la directive mère/fille (une question préjudicielle
a également été transmise par le Conseil d’État à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
en juin 2016).
Dans ce dernier cas, le principe même de la contribution additionnelle serait remis en cause et exposerait les
finances publiques à des contentieux fiscaux importants.
132
Annexe au projet de loi de finances pour 2016 ; Évaluation des voies et moyens ; Tome 1
Évaluations de
recettes. Le remboursement des retenues à la source applicables aux revenus distribués aux OPCVM étrangers
s’est
élevé à 800
M€ en 2014 et a été estimé à 1,75
Md€ par an pour 2015 et 2016.
133
Voir notamment CPO ; Rapport particulier n°2, Claire Lelarge et Pierre-Alain Sarthou,
Comment l’impôt sur les
sociétés affecte-t-il les comportements ?; 2016.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 66 -
66
3.3.3.
Une
évolution
du régime de l’intégration fiscale
vers
un
système
de
neutralisation moins poussé
permettrait d’augmenter l’assiette de l’impôt en
faveur d’une baisse des taux sans remettre en cause
son attractivité
En 2014, 105 000 sociétés ont bénéficié du régime d'intégration fiscale de droit commun des
résultats des groupes de
sociétés françaises prévu à l’article 223 A du CGI, soit un total de plus
de 31 000 groupes fiscaux.
L’analyse des liasses fiscales permet d’évaluer son impact. En 2014, l’assiette des bénéfices
(avant reports de déficits) des groupes fiscalement intégrés était inférieure de 48,8
Md€ par
rapport la somme des bénéfices fiscaux des sociétés prises individuellement, soit un coût
budgétaire de 16,3
Md€
134
.
En reconstituant les évolutions d’assiette de l’impôt sur les sociétés versé par les groupes en
2014, il est
possible de mieux appréhender les avantages liés au régime d’intégration
:
la possibilité de compenser les bénéfices et les pertes des sociétés fiscalement
intégrées demeure le principal facteur d’attractivité du régime.
En 2014, cette
compensation a permis aux entreprises une économie de 13,7
Md€ par rapport à une
imposition individuelle de chaque société ;
les opérations de réintégrations et de déductions expliquent quant à elles environ
18 % du bénéfice du régime de groupe en 2014
, soit une incidence de 3,0
Md€ sur le
rendement de l’impôt sur les sociétés.
Tableau 15
: Évaluation de l’incidence en impôt du régime de l’intégration fiscale en 2014
Assiette de l’impôt sur les
sociétés (en Md€)
Incidence en
impôt (en Md€)
Somme des bénéfices individuels
117,5
-
Assiette bénéfice des groupes
68,7
-
Impact du régime d’intégration fiscale
-48,8
-16,3
Impact marginal de la compensation des profits
et des pertes au sein d'un groupe*
-41,3
-13,8
Impact marginal des réintégrations et
déductions*
-8,9
-3,0
Dont réintégrations
+4,2
+1,4
Dont déductions
-13,1
-4,4
*Les impacts marginaux étant évalués en faisant varier indépendamment les deux facteurs, il existe un écart 3 % entre
leur somme et l’impact combiné du régime d’intégration fiscale.
Les déductions et réintégrations prévues par le régime d’intégration fiscale français visent, en
théorie, à éviter les situations de doubles impositions ou de doubles déductions. En 2014, les
déductions au titre de la neutralisation des opérations intragroupes dépassaient de 8,9
Md€ le
montant des réintégrations.
134
Pour l’année 2015, l’annexe au projet de loi de finances pour 2016 évalue le coût budgétaire du régime
d’intégration fiscale à 16,7
Md€ (Source
: Voies et moyens Tome II).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 67 -
67
Tableau 16 : Impact net des principales opérations de neutralisation des opérations
intragroupe sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés en
2014
Neutralisation
Réintégrations
(en Md€)
Déductions
(en Md€)
Impact net
neutralisation
(en Md€)
Quote-part de frais et charges afférentes aux
distributions de dividendes intra-groupe
-
6 078
-6 078
Abandons de créances et subventions directes et
indirectes intra-groupe
648
2 871
-2 223
Dividendes intra-
groupe n’ouvrant pas droit au
régime mère-fille
-
789
-789
PV/MV nettes soumises au taux de droit commun
sur les cessions d’immobilisations intra
-groupe
288
929
-641
Quote-part de frais et charges relatives aux PV/MV
de cession intragroupe de titres de participation
-
437
-437
PV sur les cessions d’immobilisations intra
-groupe
non retenues lors de leur réalisation
96
211
-115
Autres
650
693
-43
Suppléments d’amortissement pratiqués par
la
société cessionnaire du bien amortissable suite à
une cession intra-groupe
520
-
520
Provisions sur créances intra-groupe ou sur risques
encourus du fait d'une autre société du groupe
1 948
1 120
828
Total
4 150
13 127
-8 978
La neutralisation de la quote-part pour frais et charges afférentes aux distributions de
dividendes intra-groupe
représentait, en 2014, l’opération de neutralisation
la plus bénéfique
pour les groupes avec une diminution de l’assiette de l’IS supérieure à 6
Md€. Suite à la décision
Stéria de septembre
2015, l’article
40 de la loi de finances rectificative pour 2015 a supprimé
la possibilité de neutralisation de la quote-part de frais et charges sur les dividendes versés
entre des sociétés d’un même groupe fiscal et le taux de la quote
-part a été abaissé à 1 % pour
l’ensemble des filiales européennes détenues à 95
%. Si le nouveau taux de la quote-part pour
frais et cha
rge a été calibré pour permettre d’assurer une neutralité des recettes de l’impôt sur
les sociétés,
la suppression de la possibilité de neutralisation devrait, dès 2016, réduire
significativement l’impact positif des opérations de neutralisation sur le rés
ultat
imposable des groupes
. À titre illustratif, l’absence de neutralisation de la quote
-part de frais
et charges en 2014 conduirait à diviser par trois l’impact net des neutralisations.
La similarité du mécanisme de déduction de la quote-part de frais et charges sur les plus-values
de cession de intragroupe conduit à s’interroger sur la compatibilité de ce régime aux règles
précisées par la CJUE. Son
impact est toutefois moindre sur l’assiette de l’IS puisqu’il s’élevait
à 440
M€ en 2014.
Parmi les autres
opérations affectant le plus l’assiette d’imposition, la neutralisation des
opérations d’abandons de créance et de subventions directes est fortement asymétrique
: alors
que les réintégrations s’élèvent à 650
M€, les déductions correspondantes atteignent
2,9
Md€.
La Cour des comptes rappelait en 2011 que « la neutralisation des abandons de créances,
subventions et libéralités consenties entre sociétés du même groupe a notamment pour effet
de supprimer, du moins provisoirement, au titre de l’exercice de réalisation de l’abandon ou de
la libéralité, et souvent définitivement au terme d’un délai de cinq exercices, les conséquences
fiscales et financières des opérations. »
135
C’est notamment le cas lorsque l’abandon de
créance a été réalisé au profit d’une filia
le avec clause de retour à meilleure fortune et que cette
135
Cour des comptes, rapport public annuel 2011.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 68 -
68
dernière ne s’est pas réalisée au bout de cinq années
136
. La suppression de cette opération, déjà
inapplicable par certains groupes fiscaux
137
, permettrait une hausse de l’assiette de l’IS de plus
de 2
Md€
138
.
Plus généralement, les risques juridiques planant sur certaines opérations de neutralisation
prévues par le régime fiscal des groupes de sociétés français plaident
en faveur d’une
simplification de ce régime pour en réduire le périmètre à sa fonction principale de
compensation des pertes et des profits entre les sociétés du groupe. Alors que ces opérations
contribuaient pour près de 20
% aux avantages du régime d’intégration fiscale français en
2014, l’abandon des possibilités de neutralisation de la
quote-part pour frais et charges
afférentes aux distributions de dividendes intra-
groupe en a réduit l’ampleur à moins de
8 %
139
. Cette situation pourrait constituer une opportunité d’engager une réflexion dans le
sens d’une simplification du régime d’intégr
ation fiscale, en le centrant sur son bénéfice
principal, la compensation des pertes et des profits des sociétés, sans bouleverser en
profondeur l’équilibre du régime.
L’augmentation de l’assiette de l’impôt correspondante pourrait alors être utilisée pour
contribuer au financement d’une baisse des taux afin de renforcer l’attractivité du système
fiscal français en dépit d’une suppression d’une partie des avantages liés aux neutralisations
prévues.
Par ailleurs, les décisions successives de la CJUE conduiront les États membres ayant opté pour
une approche de type « consolidation » à réexaminer la compatibilité de leurs régimes de
groupe avec le droit européen et à les adapter en conséquence. L’harmonisation de fait, par la
CJUE, des règles d’assiette relatives à l’intégration fiscale en Europe pourrait également
constituer une incitation à la reprise des travaux relatifs au projet d’assiette commune
consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS) proposé par la
Commission européenne.
136
Voir Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP). « IS - Régime fiscal des groupes de société - Retraitements
nécessaires à la détermination du résultat et de la plus ou moins-value d'ensemble - Abandons de créances,
subventions directes et indirectes - Cas général ».
137
C’est notamment le cas des groupes combinés de sociétés du secteur des assurances (
BOI-IS-GPE-20-20-40-20-
20160504 ; IS - Régime fiscal des groupes de sociétés - Formation du groupe - Cas particuliers - Sociétés et
organismes du secteur des assurances).
138
Estimations sur la base des données 2014.
139
Idem.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 69 -
69
Tableau 17 :
Sources internationales d’évolution de l’impôt sur les sociétés
Thème
Source
Marges de manœuvre éventuelles
Évaluation de l’impact
Déductibilité des intérêts
d’emprunt
Proposition de directive anti-
évasion fiscale (ATAD)
Harmonisation européenne obligatoire
Possibilité d’introduire un régime plus strict que
le plafonnement des charges financières nettes
à 30
% de l’EBITDA des groupes multinationaux
Perte
de
recettes
en
cas
de
transposition
minimale
évaluée
à
1,8
Md€
Régime préférentiel de la
propriété intellectuelle
Travaux anti-BEPS / Code de
conduite
La France devra défendre le caractère non-
dommageable du régime des plus-values à long
terme pour les produits de la cession et de la
concession de brevets
Évolution
probable
en
raison
des
caractéristiques
du
régime
français,
orthogonales
à
celles
préconisées
par
l’approche
nexus
La suppression du régime pourrait
représenter entre 250
M€ et 450
M€
de
recettes
supplémentaires
sous
réserve que les licences de brevets
concédées demeurent localisées en
France
Régime de groupe
intégration
fiscale
Évolutions jurisprudentielles
de la Cour de justice de l’Union
européenne
Risque de remise en cause progressive des
neutralisations intragroupe dépassant le seul
cham de la compensait des pertes et des profits
des sociétés intégrées
La suppression de la neutralisation de
la quote-part de frais et charges pour
les
plus-values
de
participation
représenterait une hausse de 440
M€
de l’assiette
Celle relative aux abandons de créances
intragroupe 2
Md€
L’ensemble
des
neutralisations
et
réintégrations conduit à augmenter
l’assiette de l’IS de 3
Md€
, soit environ
1
Md€ de recettes
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 70 -
70
4.
La convergence des régimes européens
en matière d’assiette comme
de taux constitue une étape préalable pour envisager leur intégration
dans un impôt sur les sociétés européen
Dans sa note «
Renforcer l’harmonisation fiscale en Europe
»
140
, le Conseil d’analyse
économique (CAE) soulignait les « distorsions et inefficacités [en matière de fiscalité des
entreprises] qui justifient en elles-mêmes une meilleure harmonisation, voire une coopération
dans le domaine fiscal. Un enjeu supplémentaire est de faire d’une collection de «
petits » pays
européens, subissant la loi d’airain de la concurrence
fiscale, un « grand » pays retrouvant, par
là même, une marge de manœuvre en matière fiscale.
» Le CAE appelait à la relance d’un projet
européen d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés
, éventuellement dans le
cadre d’une
« coopération renforcée » ou une initiative
ad hoc
d’États
-membres volontaires.
4.1.
Les travaux
, démarrés en 2004, en faveur de l’adoption d’une assiette
commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) ont échoué en
raison d’une divergence d’intérêts
trop importante entre les États
membres
Le projet d’
élaboration
d’un corpus commun de règles
que les entreprises pourraient utiliser
pour calculer leur bénéfice imposable dans l’ensemble de l’
Union européenne est ancien. Dès
2001, la Commission européenne affichait, dans stratégie en matière de fiscalité des
entreprises
, l’objectif d’une action communautaire afin de «
supprimer un certain nombre
d'obstacles fiscaux entravant l'activité économique transfrontalière dans le marché intérieur
et nuisent de ce fait à la compétitivité internationale des entreprises de l'UE »
141
, en
particulier :
les «
écarts importants de taux effectif d’imposition
»
des sociétés à l’échelle de l’UE
;
le « problème fondamental » de la coexistence de régimes fiscaux distinctifs qui génère
des « inefficacités coûteuses et accroit le risque de double-imposition ».
Au-
delà de mesures ciblées d’harmonisation (révision des directives «
mère-fille » et « fusion »,
etc.), la Commission proposait, pour la première fois « la définition d'une base consolidée
d'imposition des sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'UE [comme] une
solution potentiellement capable d'améliorer l'efficacité, la simplicité et la transparence des
régimes d'impôt sur les sociétés, en particulier en réduisant les coûts de mise en conformité.
L'institution d'une base d'imposition consolidée permettrait aux entreprises ayant des
activités transfrontalières et internationales dans l'UE de calculer le revenu de l'ensemble du
groupe conformément à un corps unique de règles et d'élaborer des comptes consolidés à des
fins fiscales. »
Pour les entreprises, l
’impact principal du projet d’ACCIS résiderait dans
:
une simplification
du régime fiscal des entreprises exerçant leurs activités dans plus
ieurs pays de l’Union
(un seul régime serait appliqué pour calculer le résultat imposable) et la possibilité de former
un groupe incluant l’ensemble des établissements stables situés dans des pays de l’UE
,
garantissant ainsi la capacité de compensation des pertes et des profits réalisés sur les
différents territoires du marché intérieur. Ce dernier élément constitue, pour la Commission
140
Note du Conseil d’analyse économique n°14
; Renforcer l’harmonisation fiscale en Europe
; A. Bennassy-Quéré,
A. Trannoy et G. Wollf ; juillet 2014.
141
Vers un marché intérieur sans entraves fiscales - une stratégie pour permettre aux entreprises d'être imposées
sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union
européenne ; octobre 2001.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 71 -
71
européenne,
l’un des enjeux principaux
de l’ACCIS comme outil de
renforcement de
l’intégration économique européenne.
Le
s aspects pratiques de la mise en œuvre de l’
assiette consolidée
ont fait l’objet d’analyses au
sein du groupe de travail ACCIS, mis en place en septembre 2004. Dès 2006
142
, ses conclusions
alertaient toutefois sur les
difficultés à obtenir un consensus politique au sein des États
membres
alors même que le projet de mise en œuvre d’une assiette consolidée avait été
explicitement dissocié de celui d’une harmonisation des taux d’imposi
tion
143
dont le
principe est rejeté par certains États au titre de la souveraineté en matière de recettes
fiscales
. Les principaux points de
d’achoppement
concernaient :
le caractère obligatoire ou facultatif de l’assiette consolidée
;
la détermination des règles de détermination de
l’assiette et les normes comptables de
référence susceptibles d’être utilisés
;
les modalités de répartition de l’assiette
consolidée entre les pays qui seront ensuite en
mesure d'imposer leur part au taux légal fixé dans la réglementation nationale.
La publication du projet de texte, initialement annoncée pour 2008
144
, a finalement été
retardée
suite à l’opposition
de pays, notamment l
’Irlande
, pour lesquels
l’attractivité du
régime de
l’impôt sur les sociétés
occupe une place déterminante dans la stratégie économique.
Le 16 mars 2011, la Commission européenne a publié sa première proposition de directive
concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS). Cette initiative
a été présentée comme « une étape importante dans le processus d'élimination des obstacles
entravant l'achèvement du marché unique » dans la mesure où l'absence de règles communes
en matière d'IS conduirait à des coûts élevés pour les entreprises (risques de surimposition et
double imposition des entreprises, charges administratives et coûts élevés de mise en
conformité à la législation fiscale, etc.) et à décourager les investissements dans l
’Union.
Depuis lors, le projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés n’a pas
progressé, en raison des divergences des États-membres
145
sur les modalités pratiques
d’application
et de répartition de l’assiette
. Les réticences politiques existantes à un projet de
plus grande intégration économique et fiscale européenne contribuent également à ralentir les
discussi
ons autour d’un projet d’ACCIS
. Or, c
onformément à l’article
115 du traité sur le
fonctionnement de l’Union
européenne (TFUE), l’accord des États
membres à l’unanimité des
membres du Conseil après consultation du Parlement européen et du Conseil économique et
social
146
.
142
Voir le rapport d’activité de
la Commission européenne sur la voie de l'assiette commune consolidée pour
l’impôt des sociétés
; avril 2006.
143
Le projet de directive relative à l’ACCIS datant de 2011 reprenait ainsi cette distinction dès son préambule en
précisant qu’une
: «
concurrence loyale en matière de taux d'imposition doit être encouragée. L'existence de taux
d'imposition différents assure le maintien d'un certain degré de concurrence fiscale dans le marché intérieur : or, une
concurrence fiscale loyale, fondée sur les taux, offre davantage de transparence et permet aux États-membres de fixer
leurs taux d'imposition tant en fonction de leur compétitivité sur le marché que de leurs besoins budgétaires ».
144
Communication de la Commission européenne n° IP/06/448 ; avril 2006.
145
Neuf États ont manifesté leurs réserves dès la proposition de directive ACCIS : la Bul
garie, l’Irlande, Malte, les
Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Suède et le Royaume-Uni.
146
Article 115 du TFUE : « Sans préjudice de l'article 114, le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une
procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social,
arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des
États-membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché intérieur ».
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 72 -
72
Le projet de directive permet toutefois d’appréhender les grands principes
de fonctionnement
de l’ACCIS sur la base de trois étapes
:
l
a détermination d’une assiette
dans les
différents pays de l’Union selon un même corpus
de règles ;
la consolidation des bénéfices imposables ;
l’allocation des profits
entre les différents États membres où le groupe exerce une
activité.
Le caractère obligatoire de l’assiette consolidée, initial
ement envisagé, a finalement été
remplacé par une approche optionnelle : pour les entreprises qui décideraie
nt d’opter pour
l’ACCIS, le régime s’appliquera à l’ensemble des
revenus, sans distinction de leur source,
réalisés
par
l'intermédiaire
d'un
établissement
stable
dans
un
État-membre
147
.
Réciproquement, les entreprises cessent d'être soumises aux dispositions nationales relatives
à l'impôt sur les sociétés pour tous les domaines réglementés par la directive
148
.
4.2.
L
’incertitude sur l’impact de l’ACCIS sur les bases taxables au niveau de
chaque État membre rend son adoption difficile
Les études présentées par la Commission européenne lors de la publication du projet de
directive ACCIS estiment que l'assiette ACCIS conduirait, pour la plupart des Membres, à un
élargissement de l’assiette nationale, puisqu’en moyenne
, « l'assiette imposable commune
serait plus large de 7,9 % »
149
.
En pratique, l’évolution du montant de l’assiette de l’IS au niveau
de chaque pays dépendra à la fois :
des écarts exis
tants entre le régime national pour le calcul de l’assiette de l’IS et celui
prévu à l’ACCIS
;
des règles de répartition
de l’assiette commune entre les pays
.
4.2.1.
Le projet d
ACCIS prévoit des règles de calcul
d’assiette
a priori
plus souples que
l’
impôt sur les sociétés français
L'article 10 du projet de directive prévoit que «
l’assiette imposable correspond aux produits
150
diminués des produits exonérés, des charges déductibles et des autres éléments déductibles
».
147
Article 6 du projet de directive ACCIS.
148
Article 7 du projet de directive ACCIS.
149
Commission Européenne, Mémo 11/171 ; Questions et réponses sur l'ACCIS ; mars 2011.
150
L’article 4 du projet de directive définit les produits comme «
les sommes reçues ou à recevoir en contrepartie de
ventes et de toute autre transaction, hors taxe sur la valeur ajoutée et autres impôts et taxes perçus au nom
d'organismes publics, de nature monétaire ou non monétaire, y compris les sommes reçues ou à recevoir en contrepartie
de la cession d'actifs et de droits, les intérêts, les dividendes et autres distributions de bénéfices, les sommes reçues ou à
recevoir en contrepartie de la liquidation, les redevances, les subventions et les aides, les dons reçus, les indemnités et
les gratifications. Les produits incluent également les dons non monétaires consentis par une contribuable. Les produits
ne comprennent pas les capitaux propres levés par la contribuable, ni les créances qui lui ont été remboursées
. »
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 73 -
73
L
’assiette proposée
prévoit
une
déductibilité des charges financières
151
(article 12)
contrairement à la rémunération des actionnaires
152
(distributions de bénéfices et
remboursements de fonds propres). Elle
s’appuie donc sur un système comparable à ceux
prédominants en Europe, sans introduire de
déduction au titre d’intérêts notionnels ou
faire le
choix d’une imposition de l’ensemble du rendement du capital
. Elle se distingue toutefois de
l’assiette de l’IS français à plusieurs titres.
Le projet d’assiette commune consolidée
prévoit, dans plusieurs aspects, des dispositions plus
larges
que l’actuel régime français qui seraient donc susceptibles de conduire à une réduction
significative de l’assiette
. À ce titre, il est notamment possible de citer :
la déductibilité, sans limitation, des déficits lors des exercices fiscaux suivants
153
(
carry
forward
)
sans limitation de durée, contrairement au régime français dans lequel
l’imputation des déficits antérieurs fait
, chaque année,
l’objet d’une limitation en
montant
154
. En outre, les pertes fiscales reportables ne seraient pas remises en cause en
cas de changement
d’activité ou de contrôle de l’entreprise alors que le 5 de l’article
221
du CGI prévoit une perte du droit au report des déficits en cas de changement
d’
activité
réelle ;
l’élargissement du
périmètre des immobilisations amortissables fiscalement y compris à
des actifs incorporels de long terme comme la survaleur (
goodwill
)
qui, bien qu’
admis
dans la plupart des État membres, ne l’est pas en France
. Le projet européen introduit
également la possibilité d’amortir l’immobilisation
sur la base de la « propriété
économique
» de l’actif, sans que l’entreprise en soit
nécessairement le propriétaire légal
(par exemple, dans le cas
d’un
contrat de location) ;
le bénéfice du régime de groupe
serait ouvert aux entreprises dès lors qu’elles
possèderaient au moins 50 % des droits de vote et 75 % du capital de leurs filiales
155
. Ce
seuil est moins restrictif que celui prévu par le
régime d’intégration fiscale
français,
réservé aux sociétés détenues directement ou indirectement à hauteur de 95 % par la
société tête de groupe (cf.
supra
) ;
suivant le projet de directive de 2011, les charges financières seraient déductibles sans
limite de montant par année. Les travaux de la directive anti-évasion (ATA
)
de 2016 pour
mettre en place une limite annuelle du montant d’intérêts financiers versés à 30
% de
l’EBITDA devraient toutefois être pris en compte dans le cadre d’une reprise des travaux
sur l’ACCIS et
limiteraient les écarts avec la règle française sans pour autant assurer un
rendement suffisant pour pallier l
’impact du
changement d’assiette (cf.
supra
) ;
les plus-values de cession de participations seraient exonérées
d’IS, à l’exception d‘une
quote-part de frais et charges de 5 %, contre 12 % dans le cadre du régime fiscal français.
Le niveau de la quote-
part de frais et charges pourrait être inférieur si l’entreprise
contribuable est mesure de prouver que « les coûts supportés par une société aux fins de
l'obtent
ion de revenus exonérés […]
étaient inférieurs » (article 14).
151
Article 12 :
« Les charges déductibles incluent tous les coûts des ventes et charges, hors taxe sur la valeur ajoutée
déductible, supportés par la contribuable en vue d'obtenir ou de préserver ses revenus, y compris les coûts de recherche
et de développement et les coûts liés à l'émission de fonds propres ou à la souscription d'emprunts pour les besoins de
l'entreprise.
»
152
Voir article 14 relatif aux charges non-déductibles.
153
Article 43 : «
Un déficit subi par un contribuable ou un établissement stable d'un contribuable non-résidente au
cours d'un exercice fiscal peut être déduit lors des exercices fiscaux suivants, sauf disposition contraire de la présente
directive.
»
154
A
insi, le bénéfice ne peut être réduit des déficits antérieurs qu’à hauteur d’un montant maximum égal à 1 M€
majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable de l’exercice excédant ce premier montant
.
155
Article 54 du projet de directive ACCIS.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 74 -
74
Symétriquement,
les règles de calcul d’assiette proposées par le projet de directive ACCIS
apparaissent, dans certains aspects, plus restrictives que celles prévues par le régime français,
en particulier :
l’absence
de dispositif de report en arrière des déficits (
carry-back
156
)
tandis que, dans
le régime français, la société peut, sur option, considérer le déficit constaté au titre d’un
exercice comme une charge du seul bénéfice de l'exercice précédent (dans la limite d'un
plafond de 1
M€)
;
dans le cas du régime de groupe, toutes les filiales directes et sous-filiales seraient
automatiquement intégrées dans le périmètre de consolidation fiscale (principe du «
all
in - all-out »
visant à limiter les possibilités
d’arbitrage
)
tandis que le CGI
157
prévoit que
seules les sociétés qui ont donné leur accord peuvent être membres du groupe. De plus,
pour un groupe consolidé, le niveau forfaitaire de la quote-part de frais et charges sur les
dividendes reçus (5 %) serait plus élevé que celle prévue dans le cadre du régime
instauré par la loi de finances rectificative pour 2015
158
;
le projet de directive impose, à son article 36, un amortissement linéaire des
immobilisations amortissables individuellement, quand le régime français admet trois
modes d’amortissement fiscal (linéaire, dégressif, exceptionnel)
;
quelques charges, déductibles dans le régime français, sont estimées comme non ou
partiellement déductibles dans le projet ACCIS. Par exemple, les frais de représentation
ne sont admis en déduction de l’assiette qu’à hauteur de 50
% de leur montant ;
par défaut, les autres prélèvements obligatoires nationaux ne sont pas déductibles de
l’assiette de l’IS
: les impôts nationaux comme la contribution économique territoriale ou
la taxe sur les salaires ne seraient plus déductibles de l’assiette de l’IS. Cette déduction
peut toutefois être autorisée par l’État membre concerné et directement imputée sur sa
quote-
part de l’assiette consolidée
159
.
156
Article 43 : «
Un déficit subi par un contribuable ou un établissement stable d'un contribuable non-résidente au
cours d'un exercice fiscal peut être déduit lors des exercices fiscaux suivants, sauf disposition contraire de la présente
directive.
»
157
Premier alinéa du III de l'article 223 A et article 46 quater-0 ZD de l'annexe III du CGI.
158
Absence de neutralisation de la quote-
part de frais et charge en cas d’intégration et taux forfaitaire d
e 1 % pour
les dividendes versés entre entités
du groupe ou en provenance de sociétés d’une État
-membre qui, si elle était
établie en France, remplirait les conditions pour être membre de l’intégration fiscale
.
159
Article 14 et annexe III du projet de directive ACCIS du 16 mars 2011. Cette disputions vise à assurer que les
prélèvements obligatoires portant sur les facteurs de production dans un pays, comme par exemple la CVAE en
France, ne viennent pas diminuer l’assiette commune au risque de répartir la charge de l’impôt national dans
l’ensemble des par
tenaires européens.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 75 -
75
Tableau 18 : Principales
règles d’assiette prévues dans le projet de directive ACCIS
par rapport au régime
d’IS
français
Thème
Dispositions plus souples que le régime français
Dispositions plus restrictives que le régime français
Amortissement fiscal des investissements
Amortissement du goodwill
Amortissement linéaire uniquement
Intérêts financiers (règles prévues dans le
projet de directive anti-évasion)
Limitation des charges financières déductibles
uniquement applicable aux sociétés appartenant
à un groupe
Seules les entreprises affichant un niveau de
charges financières nettes > 30 % EBITDA sont
concernées
Possibilité de report en avant de l’
« excédent
d‘EBITDA
» non utilisé
Réintégration de l’ensemble du montant
au-delà du
plafond
Reports de déficits
Report en avant sans limitation en montant
Pas de remise en cause des pertes fiscales
reportab
les en cas de changement d’activité ou de
contrôle
Pas de possibilité de report en arrière
Intégration fiscale
Régime accessible dès 50 % des droits de vote et
75 % du capital de la filiale
Pas de possibilité de choix du périmètre des filiales
intégrées (all in - all-out)
Produits exonérés
Plus-values
de
cession
de
participations
exonérées à l’exception d‘une quote
-part de frais
et charges de 5 %, contre 12 % dans le cadre du
régime fiscal français (non chiffré)
Possibilité de déroger au taux forfaitaire de 5 % si
le contribuable est en mesure de prouver que les
frais de gestion réels étaient inférieurs
Dividendes reçus exonérés à l’exception d‘une quote
-
part de frais et charges de 5 %, contre 1 % dans le cadre
du régime fiscal français (non chiffré)
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 76 -
76
In fine
, les règles posées par la proposition de directive ACCIS apparaissent à la fois plus
simples et plus larges que celles prévues pour le calcul de l’assiette de l’impôt sur les sociétés
en France. L’adoption en l’état des principes de l’ACCIS conduirait certainement à une
réduction significative de la contribution de l’assiette d’imposition des entreprises françaises
dans l’assiette consolidée européenne.
Dès lors, les groupes constitués principalement
d’établissements stables en France verraient, en l’état,
leur montant d’imposition diminué à
taux d’IS inchangé.
De plus, la possibilité
offerte par la consolidation de l’assiette au niveau européen de
compenser les bénéfices et les pertes entre plusieurs États-membres constituera également un
facteur de baisse de l’assiette au niveau européen. Cet impact est susceptible d’être d’autant
plu
s important que le recours à l’ACCIS serait optionnel et donc adopté par les groupes qui
seraient les plus susceptibles de bénéficier de ce mécanisme.
D’après l’étude d’impact conduite par la Commission européenne, chaque année, la moitié des
entreprises non financières et 17 % des entreprises financières multinationales pourraient
bénéficier d’une compensation des pertes et des profits réalisés dans différents États membres.
Le montant des pertes pouvant faire l’objet d’une compensation immédiate avec une
mise en
place de l’ACCIS serait compris entre 7 et 20
% de la base taxable pour les groupes financiers
et non-financiers
160
.
Dans cette perspective le cabinet EY, dans son étude de mai 2016 estime «
qu’aucun État ne
constaterait un impact positif budgétaire
immédiat de l’adoption des nouvelles règles de l’assiette
commune. La France et l’Allemagne, pourtant fervents soutiens du projet constateraient même
des impacts très négatifs
. »
161
Cette conclusion doit toutefois être relativisée en fonction des
modalités d
e répartition de l’assiette entre les États
-membres.
4.2.2.
La
consolidation de l’assiette
commune
continuera
de
rencontrer
des
oppositions très fortes en raison de la distorsion
qu’elle crée dans la base taxable
des États membres et de la concurrence fiscale persistante
La formule
de répartition de l’assiette consolidée constitue un point de
discorde majeur entre
les États membres
puisqu’elle conditionne l
e niveau de la base taxable pour chaque pays. Les
travaux préparatoires au projet de directive poursuivaient le double objectif de la construction
d’une clé de répartition simple et reflétant le plus possibles les principaux facteurs explicatifs
du résultat des sociétés
afin de limiter les possibilités de manipulation de l’assiette.
Conformément à l’article 86
du projet de directive, la formule à appliquer aux fins de la
détermination de la quote-part de résultat d'un membre du groupe, correspond à une
pondération identique des trois facteurs suivants dans leur total au niveau du groupe :
le chiffre d’affaires
;
la main d’œuvre, elle
-même
agrégeant d’une part la masse salariale et d’autre part le
nombre de salariés ;
les immobilisations corporelles, censées refléter les investissements et la contribution
des soci
étés situées dans l’État
-membre au capital productif du groupe. La formule
d’allocation de la base taxable entre les pays
« exclue les immobilisations incorporelles
et les actifs financiers en raison de leur caractère mobile et des risques de fraude »
162
.
160
Étude d’impact accompagnant le projet de directive ACCIS
; mars 2011.
161
Compétition fiscale et projet d’une assiette commune de l’impôt sur les sociétés en Europe : quelle stratégie
adopter ?;
EY ; mai 2016.
162
Considérant n°21 du projet de directive ACCIS.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 77 -
77
Du point de vue de la lutte contre la planification fiscale agressive des entreprises
multinationales, le projet ACCIS aurait un impact défavorable immédiat sur les groupes
transférant leurs revenus les plus mobiles vers les pays affichant un taux légal de l’IS réduit.
Il
est toutefois susceptible de
conduire à une hausse d’imposition des groupes, notamment
industriels, qui concentrent leur outil de production (main d’œuvre, immobilisations
corporelles) dans des pays à fiscalité élevée, indépendamment du niveau de rentabilité observé
localement.
En dépit de sa simplicité, la formule proposée concentre les critiques des opposants au projet
d’ACCIS
, notamment car l
a répartition d’assiette
serait favorable aux économies les plus
traditionnelles de l’Union, au détriment des pays périphériques
présentant une industrie
moins développée. En excluant les immobilisations incorporelles, la formule ne serait pas
compatible avec le développement de nouveaux
secteurs d’activité comme le numérique.
L’étude d’impact publiée par la Commission européenne en 2011 proposai
t une simulation du
passage à une assiette commune consolidée sur les bases taxables nationales et leur poids
relatif au niveau européen.
L’assiette de l’impôt sur les sociétés français en 2010 représentait
8,3 %
163
de l’ensemble des assiettes de l’IS des entreprises européennes tandis qu’en cas de
consolidation des assiettes au niveau européen puis d’une répartition entre les pays selon les
critères prévus aux articles 86 et suivants du projet de directive ACCIS
l’assiette taxable
française représenterait 10,0
% de l’assiette consolidée, soit une hausse relative de 20
%. De
même, en Allemagne, en Espagne ou en Italie la consolidation conduirait à augmenter le poids
des assiettes nationales dans la base taxable totale européenne tandis que la Belgique, le
Danemark, l’Irlande, la Suède ou les Pays
-Bas connaîtraient une situation inverse.
De fait, l’exclusion des immobilisations
in
corporelles de la clé de répartition de l’assiette est
dommageable aux pays ayant instauré des régimes attractifs pour les activités peu
capitalistiques (services, entreprises du secteur numérique, etc.) et facilement localisables ou
pour les sources de revenus les plus mobiles (propriété intellectuelle, etc.).
Tableau 19 : Répartition par pays de la base taxable consolidée
en cas de mise en œuvre des
principes de l’ACCIS
(en 2010)
Pays
Proportion actuelle de la base
taxable européenne (somme des
bases taxables nationales)
Part de la base taxable
consolidée après application de
la formule de répartition ACCIS
Écart
relatif
Allemagne
16,7 %
19,5 %
+ 17 %
Belgique
5,6 %
3,9 %
-30 %
Danemark
5,9 %
3,9 %
-34 %
Espagne
3,4 %
4,6
%
+ 35 %
France
8,3 %
10,0 %
+ 20 %
Grèce
0,7 %
1,3 %
+ 86 %
Irlande
2,9 %
2,5 %
-14 %
Italie
6,1
%
7,9 %
+ 30 %
Pays-Bas
6,4 %
4,2 %
-34 %
Royaume-Uni
20,3 %
20,5 %
+ 1 %
Suède
5,9 %
4,9 %
-17 %
Source : Commission européenne,
Étude d’impact
accompagnan
t le projet de directive ACCIS d’après les bases de
données fiscales Amadeus et ORBIS ; mars 2011.
163
Ce taux est nettement inférieur à la part de la base taxable revenant à l’Allemagne ou au Royaume
-Uni. Ce constat
apparait cohérent avec l’analyse du rapport particulier n°1 qui notait que «
le rendement de l’impôt sur les sociétés
[français], volatile, est faible [par rapport aux principaux partenaires européens], en raison de la faiblesse relative des
marges des entreprises et de l’existence de coûteuses dépenses fiscales
».
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 78 -
78
Dans le cas où l’assiette consolidée serait, ainsi que l’évaluait la Commission européenne,
supérieure de 7 % à la somme des assiettes individuelle, la hausse de la fraction de la base
taxable commune imposable en France pourrait alors contribuer à financer une baisse du taux
d’imposition sur les sociétés français. A défaut, l’harmonisation de l’assiette entre les pays de
l’Union sans ajustement à la baisse du taux d’imposition français contribuerait à faire peser
davantage les prélèvements sur les entreprises
redevables de l’IS.
Les impacts de la formule de répartition proposée sur les montants d’assiettes imposable à l’IS
au niveau national mettent en évidence les enjeux individuels des États membres en termes de
recettes budgétaire.
Si, par son impact relativement plus important sur les pays à fiscalité
modérée, la règle de répartition de l’assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés
inciterait les États à une plus grande convergence du taux légal d’imposition, elle ne
favorise pas l’émergence d’un
consensus autour
de l’initiative de la Commission
européenne. Aujourd’hui encore, les modalités de répartition de la future assiette
commune consolidée demeurent l’un des principaux points de blocage
du projet
d’ACCIS.
4.3.
Les facteurs de blocage
à l’adoption d‘un régime commun d’impôt sur les
sociétés sont toujours présents et nécessiteront une volonté d’intégration
politique forte pour aboutir
4.3.1.
La relance du projet d’ACCIS engagé
e par la Commission européenne a peu de
chances d’aboutir sans une
réduction préalable de la concurrence fiscale entre
États-membres, notamment en matière de taux
Les suites travaux G20/OCDE contre l’érosion de la base fiscale et le transfert de bénéfices
constituent une opportunité pour réactiver le projet d’ACCIS dans un contexte plus
favorable
politiquement en insistant sur les bénéfices d’une harmonisation des règles européennes et
l’élaboration de dispositifs anti
-abus communs pour limiter les possibilités de planification
fiscale agressive des groupes internationaux. Plusieurs dispositions du projet de directive anti-
évasion fiscale de janvier 2016
164
, comme celles relatives aux sociétés étrangères contrôlées
(SEC) ou au mécanisme de
switch-over
165
sont directement issues du premier projet de
directive ACCIS de 2011.
En juin, 2015 la Commission européenne a présenté sa stratégie de relance du projet ACCIS
(cf. Encadré 14). Aux objectifs économiques initiaux du projet, la Commission européenne met
désormais également en avant le fait que l’assiette commune consolidée «
pourrait constituer
un instrument puissant pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises en supprimant les
disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions communes en matière
de lutte contre l’évasion fiscale
»
166
. Une consultation publique a notamment été ouverte entre
octobre 2015 et janvier 2016 à ce sujet.
Contrairement à la proposition de directive de 2011 qui prévoyait un recours facultatif à
l’ACCIS
, la Commission souhaite désormais
instaurer un régime obligatoire pour l’ensemble
des groupes de sociétés exerçant leur activité au sein de l'UE. Cette approche permettrait :
164
Proposition de directive du Conseil établissant des re
gels pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui
ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
165
Article 73 de la proposition de directive ACCIS.
166
Stratégie de la Commission européenne pour une relance de l’ACCIS
; 2015.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 79 -
79
de limiter les risques de perte de recettes fiscales associés à un dispositif facultatif qui
permettrait à chaque groupe de choisir entre l’ACCIS et
les impositions nationaux en
fonction du gain fiscal associé à chacun des régimes. Les groupes recourant à la
planification fiscale agressive les plus touchés par une assiette commune de l’IS
conserverait alors la possibilité de maintenir une imposition par État-membre ;
de réduire les coûts de coordination et les besoins administratifs supplémentaires
inhérents au maintien de plusieurs régimes fiscaux en parallèle applicables aux groupes
de sociétés multinationaux ;
Le caractère obligatoire de l’ACCIS ne s’appliquerait to
utefois
pas aux entreprises n’exerçant
que dans un État membre et pour lesquels le régime national serait maintenu. Dès 2011,
estimait qu’un projet d’ACCIS applicable obligatoirement à l’ensemble des entreprises, y
qui
compris celle « qui n'ont pas l'intention de se développer hors de leurs frontières nationales »,
outrepasserait le principe de subsidiarité, car elle impliquerait l'introduction de mesures de
l'UE pour couvrir, outre des activités au niveau de l'Union, des activités purement nationales
167
.
Par
ailleurs, face au constat d’un désaccord entre les États
-membres la Commission souhaite
avancer progressivement vers une assiette commune consolidée :
tout d’abord
, en adoptant
des règles européennes en matière de lutte contre l’érosion de
la base fiscales et le transfert de bénéfices dont le projet de directive anti-évasion fiscale
(ATAD) de 2016 (cf.
supra
) est la première traduction ;
ensuite, assurant une convergence des règles de calcul nationales vers une assiette
commune de l’impôt sur les sociétés
(ACIS) ;
enfin, en réexaminant la possibilité de procéder à une consolidation et une répartition
entre les État-
membres de l’assiette de l’IS
(ACCIS).
Encadré 14 : Extrait de la Stratégie de la Commission européenne pour une relance de l
assiette
commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (juin 2015)
Comme annoncé dans son Plan d'action pour une fiscalité équitable et efficace, la Commission a présenté
en juin 2015 une stratégie pour relancer l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés
(ACCIS).
L’ACCIS apporte une solution globale aux problèmes actuels de la fiscalité des entreprises dans l’UE. Elle
pourrait contribuer grandement à l’amélioration de l’environnement des entreprises dans le marché
unique, en le rendant plus simple et moins onéreux pour les activités transfrontalières. Dans le même
temps, elle pourrait constituer un instrument puissant pour lutter contre l’évasion fiscale des
entreprises en supprimant les disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions
communes en matière de lutte contre l’évasion fiscale.
L’objectif est de donner un coup de fouet à la relance des négociations sur l’ACCIS qui sont au point mort
au sein du Conseil, principalement en raison de l’ampleur de l
a proposition.
La Commission présentera une nouvelle proposition en 2016 afin de redynamiser l’ACCIS, avec deux
changements essentiels :
•D'une part, elle proposera une ACCIS obligatoire. Cela permettrait d’améliorer sa capacité à
prévenir le transfert de
bénéfices, un système facultatif ayant peu de chance d’être utilisé
[par les
entreprises] qui mettent en
œuvre
des stratégies de planification fiscale agressive.
•D’autre part, elle proposera une approche graduelle pour l'introduction de l’ACCIS. Sur cette
base,
il devrait être plus facile pour les États membres de se mettre d’accord. L’objectif principal doit être
de garantir l'assiette d'imposition commune, en incorporant des éléments internationaux liés au
projet BEPS de l'OCDE. La Commission proposera donc le report de la consolidation jusqu'à ce que
l'assiette commune ait été mise en œuvre.
Source : Commission européenne, direction générale Fiscalité et Union douanière (DG TAXUD).
167
Questions et réponses sur l'ACCIS ; MEMO/11/171 ; 16 mars 2011.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 80 -
80
L’adoption d’une ACIS, sans étape de consolidation ultérieure, pourrait
constituer un moyen
de concentrer les premiers travaux des États membres sur les aspects d’ajustement technique
des règles d’assiette et de faciliter ensuite une transition vers la consolidation et la répartition
à l’échelle européenne. Cette approche d’un
e convergence des règles assiette a également été
celle des gouvernements français et allemands dans le cadre du Livre vert sur la convergence
franco-
allemande en matière de fiscalité des entreprises (2012). Au niveau de l‘ensemble des
pays de l’Union elle
pourrait cependant conduire à un renforcement de la concurrence fiscale
entre les États-membres
: à mesure que les règles d’assiette convergeraient
. En conservant
dans chaque pays un régime d’imposition national, la concurrence en matière de taux
d’imposition sur les sociétés serait d’autant plus directe et visible. Dans le cas français, les
pertes de recette à attendre d’une telle démarche, à taux d’imposition inchangé,
sont
potentiellement élevées en raison des écarts existant entre les règles du CGI et les premiers
éléments de consensus européen dégagés dans le projet de directive ACCIS de 2011.
Par ailleurs, le recouvrement de l’impôt et les capacités de contrôle associées constituent une
difficulté supplémentaire à la mise en place d’une imposition
commune. Les besoins de
coordination
et d’échange
entre les administrations fiscales seraient particulièrement
importants afin d’éviter tout abus. Ils constituent, à ce titre, un chantier à part entière du projet
d’ACCIS.
4.3.2.
Un impôt sur les sociétés européen permettrait de dépasser les divergences liées
à la répartition de l’assiette
mais nécessiterait un engagement politique fort
La priorité à une réduction de la concurrence fiscale entre les États membres européens
devrait être recherchée, en particulier au tr
avers l’établissement de règles communes en
matière de taux d’imposition (par exemple, au travers de la fixation de niveaux plancher et
plafond). Pour autant, l’hypothèse de travaux communs sur le niveau du taux de l’IS parmi les
États membres n’est pas ac
ceptée politiquement, notamment en raison du risque perçu de
perte de la « souveraineté fiscale » des Parlements nationaux.
La règle de l
‘unanimité en matière fiscale au sein du Conseil européen demeure également un
élément de blocage fort pour un aboutiss
ement rapide du projet d’ACCIS.
L’idée d’une adoption
au sein d’une zone de coopération entre certains États membres pourrait constituer une
première piste d’avancée concrète.
Dans sa note de 2014 sur l’harmonisation fiscale européen,
le Conseil d’analyse économie recommandait même une «
initiative
ad hoc
de pays volontaires
[qui bien que] moins sûre juridiquement qu’une coopération renforcée (qui est aussi
contraignante qu’une
directive), pourrait constituer une étape utile sur la voie de
l’harmonisation, par un processus similaire à celui qui a guidé les accords de Schengen
168
».
168
L’harmonisation fiscale en Europe, Note du CAE n°14
; Agnès Bénassy-Quéré, Alain Trannoy et Guntram Wolff
(juillet 2014). Le CAE y rappelle notamment qu’
«
en 1985, cinq des dix membres de
l’Union européenne d’alors
(Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et RFA) ont signé un accord permettant de supprimer progressivement les
contrôles à leurs frontières, accord devenu ensuite un protocole annexé au Traité d’Amsterdam. Cet exemple montre
qu
’une loi européenne peut être précédée par un accord ad hoc entr
e des États membres volontaires).
»
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 81 -
81
L
’article
20 du TFUE
169
prévoit également la possibilité, offerte aux État membres les plus
favo
rables à l’instauration d’une
l’ACCIS
,
de s’engager dans une coopération renforcée
. Cette
solution permettrait à un groupe de pays volontaires, dans un premier temps, de mettre en
œuvre une assiette commune et consolidée de l’
impôt sur les sociétés.
Cette
démarche permettrait une avancée concrète du projet européen d’ACCIS tout en
dépassant les blocages en provenance des pays périphériques européens à faible fiscalité. La
capacité d’un tel système à effectivement lutter contre l’érosion de la base fiscale d
e l
‘IS au sein
des pays de l’Union européen serait toutefois réduite par l’
absence de représentation des pays
les plus opposants au projet d’ACCIS qui ont, pour la plupart d’entre eux, fait le choix
stratégique d’une faible imposition
et pourraient figurer parmi les plus gros perdants, en
termes budgétaires. De fait, le périmètre
géographique limité d’une telle
disposition de
« coordination renforcée »
restreint également l’efficacité d’une bascule à l’ACCIS comme
moyen de lutte contre l’érosion des bases fiscales.
Alors que le principe d’une imposition des groupes multinationaux sur la base de la répartition
d’une assiette consolidée
pose moins de difficultés que sa modalité de répartition entre les
États membres, la relance du projet d'ACCIS pourrait également
s’inscrire dans une plus grande
intégration
économique
européenne,
l’impôt
sur
les
sociétés
des
entreprises
multinationales constituerait un premier prélèvement direct à destination du budget
européen.
169
Introduit dans le cadre du traité de Lisbonne, l’article 20
du TFUE dispose que «
Les États-membres qui
souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union
peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées des
traités, dans les limites et selon les modalités prévues au présent article, ainsi qu'aux articles 326 à 334 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne. Les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de
l'Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d'intégration. Elles sont ouvertes à tout moment à tous les
États-membres, conformément à l'article 328 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
»
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 82 -
82
5.
Une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés devrait être envisagée
afin de réduire les écarts avec nos partenaires et de favoriser une
convergence des régimes d’imposition européens
L’écart de taux d’impôt sur les sociétés entre la France et les pays de l’Union européenne s’est
creusé depuis les années 1990. Le rapport particulier n°5 rappelait que le taux nominal
maximal d’IS français, qui était inférieur de 1,4
points à la moyenne de l’UE e
n 1995, affiche
désormais un écart avec plus de 11
points avec le taux moyen observé dans les pays de l’UE15
(cf. Encadré 15).
Le positionnement singulier de la France est susceptible de lui être défavorable dans la mise
en œuvre de mesures d’assiette communes. Les dispositions prévues dans la proposition de
directive anti-
évasion fiscale, comme le projet de clause d’inversion (
switch-over
), en
constituent une illustra
tion symptomatique. Alors que la France dispose déjà d’un cadre
complexe de mesures anti-évasion fiscale
170
et qu’elle soutient activement l’adoption de règles
robustes au niveau internationale, elle pourrait paradoxalement être l’un des pays les plus
affectés par les mesures proposées en raison d’un taux d’impôt sur les sociétés trop élevé
(cf.
supra
).
Le mouv
ement de convergence des règles d’assiette de l’impôt sur les sociétés, s’accélère sous
l’effet des travaux internationaux anti
-BEPS et des évolutions du droit européen. Il accentue la
concurrence fiscale directe entre les pays et fragilise encore davantage la position française.
Dans ces conditions, une réflexion sur la baisse du taux nominal d’impôt sur les sociétés
français pour le ramener vers la moyenne de pays de l’Union devrait être engagée.
Encadré 15 : Évolution comparée d
u taux d’impôt sur les sociétés français (extrait du rapport
particulier n°5)
Depuis le milieu des années 1990, la plupart des taux nominaux d’imposition sur les sociétés ont
connu une tendance nette à la baisse. Le taux moyen de l’UE
15
171
a diminué de 10 points en 20 ans,
passant de 38,1 % en 1995 à 26,4 % en 2015. Ce mouvement baissier des taux nominaux
d’imposition s’est accompagné d’une tendance à la convergence de ces mêmes taux
:
l’écart
-type
des taux nominaux d’imposition s’est en effet réduit sur la
période.
Il s’ensuit que l’écart entre le taux français et la moyenne de l’Union européenne n’a cessé de se
creuser depuis les années 1990.
Alors que la France avait en 1995 un taux nominal maximal
d’IS inférieur à la moyenne de l’UE 15 (
-1,4
point), l’éca
rt à la moyenne est de 11,5 points en
2014
(moyenne de 26,5
% dans l’UE 15). L’écart entre le taux nominal français et le taux nominal
supérieur moyen pour les 28 États
membres de l’UE s’élève en 2014 à 15,1
points.
Le même constat d’une évolution divergen
te des taux nominaux supérieurs peut être fait au regard
des autres pays de l’OCDE
:
l’écart entre le taux nominal français et la moyenne de l’OCDE est
passé de 5,2 points en 2000 à 9,2 points en 2014.
Source : Rapport particulier n°5 : Comment se situe
la France dans la concurrence internationale en matière d’impôt
sur les sociétés ?, A. Chouc et T. Madiès, 2016.
170
C
es dispositifs ne sont pas applicables à l’encontre d’un autre État membre
.
171
Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-
Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 83 -
83
5.1.
Ramener le taux d’IS français dans la moyenne des pays européens
nécessiterait de dégager des recettes de 11
Md€
5.1.1.
Les adaptations à venir de l’impôt sur les sociétés offrent une occasion d’en
adapter la structure en faveur d’une baisse du taux d’imposition
5.1.1.1.
Les marges de manœuvres subsistantes pour un élargissement de l’assiette de l’IS
sont réduites
Les évaluations conduites par la direction
générale du Trésor permettent d’estimer qu’une
baisse d’un point du taux nominal de l’impôt sur les sociétés conduirait à une baisse de recettes
budgétaires de 1,4
Md€.
Le financement d’une baisse de l’impôt sur les sociétés à 25
% afin de ramener le taux nominal
français dans la moyenne européenne nécessiterait dès lors un effort de l’ordre de 11
Md€ à
financer, en tout ou partie, par une augmentation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ou une
réduction des dépenses fiscales associées.
En ce qui conc
erne les règles d’assiette, des efforts significatifs ont déjà été conduits depuis
2013 afin d’élargir la base d’imposition au travers notamment
:
de l’aménagement de la déductibilité des charges financières pour les sociétés soumises
à l’IS (cf.
partie 2) ;
d’un plafonnement des modalités de report en avant des déficits à 1
M€ majoré de 50
%
du bénéfice imposable de l'exercice au-delà de ce plafond,
de l’encadrement des possibilités de report en arrière d’un déficit constaté au seul
bénéfice de l’exercice
précédent et dans la limite de 1
M€
;
de nouvelles des règles de calcul sur le montant brut, et non net, de la quote-part de frais
et charges pour les plus-values de cession de titres de participation
172
;
de l’adoption de mesures anti
-abus en matière de fiscalité des entreprises.
Au terme de son analyse, le rapport particulier n°1 rappelait que le rendement net de l’impôt
sur les sociétés français était moins affecté par l’étroitesse de l’assiette fiscale que par les
réductions et crédits d’impôt qui y sont
rattachés
173
.
Si la piste d’une assiette de substitution décidée au niveau français n’apparait ni crédible ni
souhaitable, les analyses présentées précédemment permettent d’envisager plusieurs
ajustements afin de mettre à profit les évolutions imposées par l
’évolution des règles
supranationales en matière d’imposition des sociétés
;
la non-
déductibilité d’une partie des charges d’intérêt constitue un levier puissant
d’élargissement de l’assiette comme le soulignent les travaux de simulation présentés en
partie
3. L’adoption d’un mécanisme plus contraignant que celui de la proposition de
directive européenne ATA devrait être envisagé afin de conserver un rendement
budgétaire suffisant ;
172
L
’article 219 a quinquies du CGI
(« niche Copé ») prévoit une exonération d’impôt
des plus-values de cession de
titres de participation détenus depuis plus de cinq ans.
173
Rapport particulier n°1 :
Qu’est
-
ce que l’impôt sur les sociétés ?
; M. Magnien, 2016.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 84 -
84
le régime fiscal des groupes de sociétés, progressivement remis en cause par la
jurisprudence européenne, pourrait être simplifié en limitant les possibilités de
neutralisation et en
le rapprochant d’un modèle de «
dégrèvement de groupe ». La piste
d’un élargissement de l’assiette lié à la suppression des retraitements intragroup
es
pourrait être poursuivie afin de contribuer à financer une baisse du taux.
D’autres pistes n’ayant pas pu faire l’objet d’une analyse dans le cadre de ce rapport,
mériteraient également d’être étudiées comme, par exemple
:
la déductibilité des autres im
pôts de l’assiette de l’IS. Le livre vert de 2012 sur la
coopération franco-allemande en matière de fiscalité des entreprises constatait
notamment qu’«
en Allemagne, la Gewerbesteuer ne peut plus être déduite de l’assiette de
l’IS, alors qu’en France, la d
éduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
(CVAE) est possible. Un rapprochement du régime fiscal français en direction du régime
allemand pourrait être envisagé dans le cadre d’une réforme globale comprenant, en
contrepartie, une bais
se significative du taux de l’IS
»
174
;
la suppression de toute possibilité de report en arrière des déficits (
carry-back
)
inexistante dans de nombreux pays européens ainsi que dans le projet d’assiette
commune consolidée (cf.
infra
).
5.1.1.2.
La réduction des dépens
es fiscales et des crédits d’impôt associés à l’IS offrirait
une source de financement d’une baisse de taux
Plus que les règles d’assiette, les dépenses fiscales et crédits d’impôts engagés constituent le
principal gisement potentiel pour financer une bais
se de l’impôt sur les sociétés.
Le rendement net de l’impôt sur les sociétés demeure grevé par les deux dépenses fiscales les
plus coûteuses, tous prélèvements obligatoires confondus :
le crédit d'impôt en faveur de la compétitivité et de l'emploi (CICE) dont le coût attendu
en 2016 a été évalué à 13,0
Md€
175
. En dépit du montant de la dépense associée, cette
mesure ne constitue pas un levier de financement d’une baisse de taux de l’impôt, le
Président de la République ayant confirmé la transformation de ce
crédit d’impôt en
baisse de cotisations sociales en 2017 ;
le crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR) qui constitue l’une des principales
mesures de soutien à la recherche-
développement et à l’innovation. Le CIR joue
également un rôle stratégique da
ns l’attractivité du régime d’imposition français.
L’évaluation de son efficacité et des ajustements éventuels à apporter au régime
nécessite une analyse approfondie dépassant le cadre du présent rapport. Toutefois, il
peut être rappelé que certains organi
smes internationaux comme l’OCDE, voient dans le
CIR un outil puissant de soutien à l’innovation mais dont le niveau pourrait être réduit
en faveur d’une baisse généralisée de l’impôt sur les sociétés français alors même que la
dépense fiscale attendue pou
r 2016 au titre du CIR s’élève à 5,5
Md€
176
. Le dernier
examen des politiques françaises d’innovation
177
recommandait ainsi de :
174
Livre vert sur la coopération franco-allemande - Points de convergence sur la fiscalité des entreprises ;
février 2012.
175
Annexe au projet de loi de finances pour 2016
Voies et moyens Tome II : dépenses fiscales.
176
Ibid.
177
Cette proposition s’appuyait sur le constat que «
les entreprises françaises n’ont pas accru leurs dépenses de
recherche-développement depuis la mise en place de cette mesure sous son format actuel en 2008. Dans un contexte de
crise, le CIR semble plutôt avoir soutenu la survie des entreprises qui font de la recherche-développement par rapport
à celles qui n’en font pas, plutôt qu’avoir soutenu l’investissement en R&D. Une app
roche plus économique serait de
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 85 -
85
« réduire la générosité du CIR, notamment pour les grandes entreprises ;
et réduire le taux de l’impôt sur les sociétés en même tem
ps afin de diminuer les
effets distorsifs que le CIR peut avoir vis-à-
vis de secteurs où l’innovation repose
relativement peu sur la recherche-développement. »
Au-
delà du CICE et du CIR, les principales réductions et de crédits d’impôts affectant le
rendem
ent de l’IS concernent
:
le taux réduit
178
de 15 % applicable aux premiers 38 120
€ de bénéfices des petites et
moyennes entreprises, dont le coût budgétaire est évalué à 2,6
Md€ pour 2016 alors que
sa justification économique n’est pas évidente. S’agissant d’une des principales mesures
affectant
le rendement de l’IS, hors CICE et CIR, ce dispositif fait l’objet d’une analyse
dédiée ci-après ;
l’exonération des organismes d'habitation à loyer modéré (HLM) et des offices publics
d'aménagement et de construction (OPAC) pour une dépense évaluée à 1,0
Md€ en
2016
179
;
la réduction d'impôt au titre des dons faits par les entreprises à des œuvres ou
organismes d'intérêt général («
crédit d’impôt mécénat
») (740
M€)
;
Tout comme pour les règles d’assiette, les travaux internationaux en cours contre l’évasion
fiscale et la lutte contre les pratiques fiscales dommageables nécessiteront certainement la
révision de certains dispositifs comme, par exemple, le régime d’imposition à taux réduit des
produits de la propriété intellectuelle (250
M€ en 2016 contre 450
M
€ en 2015) qui pourrait
contribuer marginalement à une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés
Plus généralement, la persistance de niches ciblées mais dont l’efficacité économique n’est pas
démontrée pourrait également être mise à contribution
180
.
5.1.2.
La su
ppression du taux réduit d’imposition pour les PME, dont l’existence
n’apparait pas justifiée économiquement, pourrait également contribuer au
financement d’une baisse du taux normal d’imposition
5.1.2.1.
La France a instauré, comme moins d’un tiers des pays de l’O
CDE, un régime
d’imposition à taux réduit pour les premiers bénéfices des PME
Par dérogation au taux normal de l’impôt sur les sociétés de 33,1/3
%
181
, l'article 219 du CGI
182
introduit un taux réduit de 15 % applicable au bénéfice imposable des petites et moyennes
réduire la pression fiscale générale sur les entreprises, et en parallèle de réduire la générosité du CIR
. » ; OCDE -Examen
des politiques d’innovation
France ; 2014.
178
Cette mesure est présentée en annexe au projet de loi de finances comme une modalité particulière d'imposition
et non une dépense fiscale.
179
Annexe au projet de loi de finances pour 2016
Voies et moyens Tome II : dépenses fiscales.
180
Le rapport particulier n°1 présente l’ensemble des dépenses fiscales associées à l’impôt sur les sociétés et leur
évaluation par le C
omité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales
(CEDFNS). Il rappelait, à titre
d’exemple, que «
les huit dispositifs de
réduction d’impôt [en faveur des]
institutions culturelles ont coûté 882
M€
en 2014 » alors que « la moitié est jugée inefficace » par le CEDFNS.
181
Prévu deuxième ali
néa du I de l’article 219 du code général des impôts.
182
Le b du I de l'article 219 du CGI dispose que «
par exception au deuxième alinéa du présent I et au premier alinéa
du a, pour les redevables ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 7 630 000 euros au cours de l'exercice ou de la
période d'imposition, ramené s'il y a lieu à douze mois, le taux de l'impôt applicable au bénéfice imposable est fixé, dans
la limite de 38 120 euros de bénéfice imposable par période de douze mois, à 25 % pour les exercices ouverts en 2001
et à 15 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2002
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 86 -
86
entreprises. Ce régime d’imposition au taux réduit s’applique sur la tranche inférieure à
38 120
€ de bénéfices pour les entreprises
:
-
ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 7 630 000
;
-
dont le capital est entièrement libéré et détenu à au moins 75 % par des personnes
physiques (ou par une société appliquant ce critère).
Les travaux conduits dans le rapport particulier n°3 ont mis en évidence que le dispositif de
taux réduit à 15
% est le principal facteur explicatif du faible taux d’imposi
tion implicite des
microentreprises par rapport à la moyenne des entreprises entendues au sens économique en
2013.
Encadré 16
: Taux implicite d’imposition nette en 2013 par catégories
La hiérarchie des taux implicites moyens d’imposition par catégorie d’entreprise
s
n’est pas la même
selon que l’analyse porte sur les redevables fiscaux non financiers ou les entreprises entendues au
sens économique non financières.
Entendues au sens économique, les grandes entreprises intègrent à la fois des redevables de
catégories microentreprises, PME ou entreprises de taille intermédiaire qui économiquement
dépendent d’une grande entreprise et également des redevables qui réalisent une activité
financière (dont les holdings) pour le compte de gra
ndes entreprises dont l’activité principale est
non financière. Elles présentent un taux moyen implicite d’imposition (brute avant reports, brutes
après report et nette) supérieur aux autres catégories d’entreprises.
Entendues au sens des redevables fiscaux, les grandes entreprises présentent un taux implicite
moyen d’imposition inférieur aux autres catégories de redevables.
Le taux implicite moyen d’imposition d’une catégorie ne reflète qu’imparfaitement la situation des
entreprises tant la dispersion de
s taux d’imposition est élevée au sein même de chaque catégorie.
Quel que soit l’indicateur retenu (brut avant ou après reports ou net), seule une partie des grandes
entreprises présentent un taux implicite d’imposition inférieur à celui de certaines entre
prises de
taille intermédiaire, PME, voire microentreprises.
[…]
Le capital des sociétés mentionnées au premier alinéa du présent b doit être entièrement libéré et détenu de manière
continue pour 75 % au moins par des personnes physiques ou par une société répondant aux mêmes conditions dont le
capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques.
»
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 87 -
87
Source : Rapport particulier n°3 Toutes les entreprises ont-
elles le même taux implicite d’impôt sur les sociétés
? ;
N. Le Ru, 2016.
Si plusieurs pays ont adopté des régimes comparables
d’imposition réduite pour les petites et
moyennes entreprises (Belgique, Pays-
Bas, etc.), d’autres grands partenaires économiques
comme l’Allemagne ont choisi de ne pas instaurer de telle distinction, ou de la supprimer
comme dans le cadre des réformes de
l’impôt sur les sociétés conduites au Royaume
-Uni ou en
Espagne. En 2015, moins d’un tiers des pays membres de l’OCDE (10 pays sur 34) disposait
d’un régime de taux réduit pour les PME
183
.
Graphique 4
: Existence d’un taux réduit
pour les petites entreprises dans les principaux pays
de l’OCDE
Pays
Taux réduit pour les petites et moyennes
entreprises (en %)
Taux normal d'impôt sur les
sociétés (en %)
Allemagne
Pas de taux réduit PME
30,2
Belgique
24,3
34,0
Corée du Sud
10,0
24,2
Espagne
Pas de taux réduit PME
25,0
États-Unis
15,0
38,9
France
15,0
34,4
Grèce
Pas de taux réduit PME
29,0
Irlande
12,5
Israël
25,0
Italie
27,5
Japon
15,0
30,0
Norvège
Pas de taux réduit PME
25,0
Pays-Bas
20,0
25,0
Portugal
Pas de taux réduit PME
28,0
Royaume-Uni
20,0
Suède
22,0
Source
: CPO, d’après OCDE Corporate tax database.
Plus généralement, la pertinence d’une différence d’imposition fondée sur la taille et la
performance économique des entreprises mérite d’être analysée alors même, qu’à la différence
de l’imposition des ménages, la recherche d’un objectif de redistribution entre ces acteurs
économiques n’apparait pas évidente.
183
Source : Fonds monétaire international FMI-Fiscal monitor 2016.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 88 -
88
5.1.2.2.
Les hypothèses ayant justifié l’introduction d’un taux réduit d’IS pour une partie
des bénéfices des PME sont critiquables
L’instauration, dans la loi de finances pour 2001
184
, d’un dispositif réduisant progressivement
à 15 % le taux d'impôt sur les sociétés
185
pour les petites entreprises avait pour objectif
« d'améliorer leurs fonds propres »
186
. Le dispositif de taux réduit a été pensé comme une
mesure de soutien au financement, parfois difficile, des petites et moyennes entreprises
187
dans la mesure où la baisse de l’impôt sur les sociétés réduit directement le coût des capitaux
propres (les bénéfices
réinvestis dans l'entreprise n’étant, contrairement aux intérêts de la
dette pas déductibles du bénéfice imposable). «
Le taux réduit d'IS doit permettre [aux TPE et
PME] d'améliorer leurs capitaux propres et de consolider leur structure de bilan, et donc de leur
faciliter in fine l'accès au crédit bancaire
»
188
.
Toutefois, le recours à l’outil fiscal n’apparait pas nécessairement le plus adapté pour soutenir
l’accès au financement des petites entreprises dans la mesure où il ne permet pas une action
ciblée contrairement à des dispositifs de soutien directs comme les garanties.
Par ailleurs, le maintien d’un taux réduit pour une fraction des bénéfices des PME est justifié,
dans les annexes au projet de loi de finances pour 2016, comme un moyen de prendre « en
compte la capacité contributive particulière et les charges des plus petites entreprises ».
La définition d’une «
capacité contributive
», par analogie avec l’imposition sur le revenu des
personnes physiques (IR), n’apparait toutefois pas pertinente. Le bénéfice imposable à l’IS
prend en compte les charges de l’entreprise alors que l’IR repose sur le revenu global des
personnes. De plus, face à des acteurs du secteur concurrentiel comparables, aucun fondement
économique ne justifie une plus faible imposition des entreprises les moins performantes pour
des raisons d’équité.
De plus, le postulat d’une moindre rentabilité des petites entreprises doit être relativisé
:
d’une part, le taux de marge
189
des petites entreprises employant des salariés (hors
microentre
prises et autoentrepreneurs) est comparable, d’après les données de l’INSEE,
en 2012 et 2013 à celui des entreprises employant plus de 250 salariés, voire supérieur
pour les entreprises employant entre un et neuf salariés (cf. Graphique 5) ;
d’autre part, la rentabilité financière nette
190
des entreprises non financières, telle que
mesurée par la Banque de France, est plus élevée dans le cas des petites et moyennes
entreprises
191
que pour les ETI et les grandes entreprises depuis 2007 (cf. Graphique 6).
184
Article 7 de la loi n°2000-1352 du 30 décembre 2000 de finances pour 2001.
185
25 % en 2001 puis 15 % en 2002.
186
Exposé des motifs du projet de loi.
187
Voir notamment J.Freedman 2009,
Reforming the Business Tax System: Does Size Matter? Fundamental Issues in
Small Business Taxation
et
Tax Policy for Economic Recovery and Growth
OCDE 2009.
188
Le taux réduit d'impôt sur les sociétés pour les PME, Trésor-Eco ; novembre 2007.
189
R
apport entre l’excédent brut d’exploitation et la valeur ajoutée
.
190
R
apport entre la capacité nette d’autofinancement et les capitaux propres
.
191
Les données comptables collectées dans le cadre de l’établissement
du Fichier bancaire des entreprises (Fiben)
ne concernent que les petites entreprises affichant un chiffre d’affaires supérieur à 750
k€.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 89 -
89
L’existence d’un taux réduit est, dès lors, susceptible de créer des effets d‘aubaine et
d’engendrer des stratégies locales d’évitement de l’impôt afin d’afficher un bénéfice imposable
inférieur au seuil d’imposition à 15
% Le rapport particulier n°2 a mis en évidence l’existence
d’un effet de seuil lié
à l’existence d’un taux d’imposition réduit pour les PME et la distorsion
de la distribution du résultat imposable déclaré par les entreprises en 2012
192
.
Graphique 5 : Taux de marge des entreprises (hors agriculture et services financiers)
employeuses entre 2012 et 2013
Source : INSEE, Les entreprises en France, édition 2015.
Graphique 6
: Évolution de la rentabilité financière nette (capacité nette d’autofinancement sur
capitaux propres) par
catégorie d’entreprises entre 2003 et 2014
*Les données comptables collectées pour les petites entreprises dans le cadre de l’établissement du fichier bancaire
des entreprises (Fiben) ne concernent que les PME affichant un chiffre d’affaires supérieur à
750
k€.
Source : Banque de France, base FIBEN, décembre 2015.
5.1.2.3.
Un soutien ciblé en fonction de l’âge et non de la taille de l’entreprise serait plus
efficace
Les études empiriques de l’OCDE
193
mettent en évidence que «
des taux réduits d’impôts sur
les sociétés pour les petites entreprises ne semblent pas favoriser la croissance ».
192
CPO ; Rapport particulier n°2, Claire Lelarge et Pierre-Alain Sarthou,
Comment l’impôt sur les sociétés affecte
-t-il
les comportements ?
; § 4.1.1.
193
OCDE,
Taxation and Economic Growth
(juillet 2008) A Johansson, C Heady, J Arnold, B Brys et L Vartia ; «
Evidence
in this study suggests that favourable tax treatment of investment in small firms may be ineffective in raising overall
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 90 -
90
Réciproquement, abaisser le niveau d’imposition sur les sociétés et supprimer les différences
de taux permettrait d’augmenter la qualité de l’investissement en limitant les distorsi
ons
fiscales sur l’allocation d’actifs au niveau national dans la mesure où l’existence d’un taux réduit
peut conduire à :
allouer des ressources vers des petites entreprises parfois moins productives que
d’autres qui ne sont pas susceptibles de bénéficier
du taux réduit. Pour l’OCDE
194
, cette
situation conduirait à une survie artificiellement prolongée d’entreprises peu
performantes qui nuit à la croissance des autres entreprises en les concurrençant pour
les financements publics et privés, ainsi que pour l’
accès au travail qualifié et aux
marchés ;
des découpages artificiels d’entreprises afin de bénéficier du taux réduit . Cette «
trappe
à petites entreprises
» est susceptible d’être davantage puissante en France que dans les
autres pays européens puisque l’écart entre le taux réduit et le taux nominal d’imposition
y est, avec près de 20 points en 2015, le plus élevé (cf. tableau
supra
) ;
des arbitrages entre l’imposition sur le revenu et l’imposition sur les sociétés pour les
propriétaires de petites entreprises.
Le Fonds monétaire international dans son bilan annuel des politiques fiscales pour 2016
(
Fiscal Monitor
), a également plaidé pour que les incitations fiscales ne soient plus dirigées vers
l’ensemble des petites entreprises sur le seul critère de la taille mais soient ciblées vers les
entreprises susceptibles de créer des externalités positives, en particulier en favorisant
l’innovation
195
. Les études économiques soulignent que la création d’emploi et la capacité à
exporter sont directement liées à l’âge de l’entreprise plus qu’à sa taille
196
Un ciblage sur les nouvelles entreprises serait plus efficace, à condition de limiter les
possibilités d’abus, notamment par le renouvellement de structures afin de continuer à
bénéficier de l’avantage fiscal. En outre, la capacité bénéficiaire des jeunes en
treprises étant la
plupart du temps limitée durant les premières années de développement, le FMI plaide
davantage en faveur de dispositions de baisse de charges sociales ou de crédit d’impôt
remboursable que d’un recours à l’impôt sur les sociétés. Le disp
ositif français de « jeunes
entreprises innovantes » (JEI) est ainsi mis en avant comme un exemple de bonne pratique
internationale par sa capacité à offrir des exonérations de charges sociales ciblées (pour les
salariés impliquées dans la recherche) et un
taux réduit d’imposition sur les sociétés
197
pour
les entreprises de moins de huit ans éligibles.
investment. Lowering the corporate tax rate and removing differential tax treatment may also improve the quality of
investment by reducing possible tax-induced distortions in the choice of assets
. »
194
OCDE,
Taxation of SMEs in OECD and G20 Countries
(septembre 2015).
195
Les améliorations de procédés ou de processus développées
pourront ensuite être adoptées par d’autres
entreprises ;
196
Voir notamment
Who Creates Jobs? Small versus Large versus Young
;
The Review of Economics and Statistics,
Haltiwanger
, Jarmin, et Miranda ; 2013
197
E
xemption pendant les trois premières années et réduction de 50 % les deux années suivantes jusqu’à un
plafond de 200 000 € sur trois an
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 91 -
91
Encadré 17 : «
Recogizing that New, not Small, is Beautiful
»
Les politiques budgétaires qui encouragent l’entrepreneuriat innovant
devraient cibler les nouvelles
entreprises plutôt que les petites structures. Des taux élevés d’impôt sur les sociétés ne créent que de
légères distorsions dans le processus de création d’entreprise. Toutefois, certaines caractéristiques du
régime fiscal
peuvent favoriser l’innovation comme par exemple en particulier des dispositions pour
compenser les pertes fiscales avec d’autres sources de revenu. Pour encourager l’esprit d’entreprise, de
nombreux pays offrent des incitations fiscales dédiées aux petites entreprises. Or celles-ci ne sont pas
rentables et peuvent même dissuader ces structures de se développer. Il est plus important de faciliter
l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises, y compris en simplifiant la fiscalité
.
Source : Fonds monétaire international (FMI) -Fiscal Monitor ; avril 2016
Une remise en question du taux d’imposition réduit sur les 38
120 premiers euros des petites
et moyennes entreprises pourrait dès lors être envisagée tant du point de vue de son
inefficacité économique que
du rendement budgétaire qu’elle contribuerait à offrir
. En 2014,
670
000 petites et moyennes entreprises ont bénéficié d’une taxation à un taux réduit
du bénéfice fiscal réalisé pour une manque de recettes fiscales de 2,6
Md€
198
. La
suppression de cette mod
alité particulière d’imposition pourrait contribuer à hauteur de près
2
points du taux d’imposition à une baisse du taux d’imposition.
5.2.
Une baisse de l’IS, en améliorant la rentabilité nette des entreprises,
contribuerait à soutenir la croissance et les investissements limitant ainsi
son coût à long terme
5.2.1.
La baisse de l’impôt sur les sociétés se transmet dans l’économie par plusieurs
canaux
Le rapport particulier n°2 relatif à l’impact de l’impôt sur les sociétés sur les comportements
des entreprises soulign
ait le rôle de l’IS comme «
paramètre de la décision économique » des
entreprises. D’un point de vue macroéconomique, l’impôt sur les sociétés est un déterminant
de la rentabilité financière nette des entreprises et donc de leur capacité à rémunérer leur
capital et à investir.
Au-
delà des mesures d’élargissement d’assiette susceptibles de contribuer à réduire le taux
nominal d’imposition, une réflexion peut également être conduite sur l’impact économique à
attendre d’une baisse du niveau de l’impôt sur les
sociétés.
L’impact le plus direct d’une baisse de l’impôt sur les sociétés réside dans la hausse de la
rentabilité du capital productif et des ressources nettes à la disposition de l’entreprise. Dans la
théorie économique classique, ces ressources supplémentaires conduisent à une amélioration
de l’investissement, de la productivité et de la croissance. La transmission d’une baisse de
l’impôt sur les sociétés aux agents économiques peut se faire par plusieurs canaux
:
la rémunération des actionnaires : en augmentant la rentabilité des investissements, la
baisse de l’IS encourage la hausse du niveau d’investissement des entreprises, y compris
en recherche-développement, et de celui des investissements directs étrangers. La
hausse de la productivité associée à ces nouveaux investissements se répercute à plus
long terme sur la croissance et la baisse du chômage ;
les salaires versés aux employés sont susceptibles d’alimenter une hausse de la
consommation des ménages et de la productivité ;
198
Source : Voies et moyens Tome II
Annexe au projet de loi de finances pour 2016.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 92 -
92
les prix à la
consommation, pouvant être ajustés à la baisse par l’entreprise,
renforceraient alors la compétitivité des entreprises nationales à l’export et
stimuleraient la demande intérieure. Ces facteurs contribuent également à une
augmentation de la croissance, des investissements et des exportations qui rétroagissent
sur une demande encore plus forte des entreprises en travail comme en capital.
Cette description présente deux limites majeures :
la transmission de la baisse de l’impôt sur les sociétés n’a pas de raison d’être répartie
également entre chacun de ces canaux de transmission. L’incidence de l’impôt sur le
comportement des agents et l’ajustement des facteurs macroéconomique
s est
particulièrement difficile à évaluer et à modéliser (cf. partie 1). Ce constat est renforcé
par les effets de rétroaction susceptibles d’exister («
effets de second tour ») et qui
peuvent conduire à des réajustements ultérieurs de l’équilibre dans des sens parfois
opposés à ce que les effets immédiats laisseraient supposer ;
plusieu
rs travaux récents remettent en cause, ainsi que le rappelle le Conseil d’analyse
économique
199
, l’idée qu’une baisse des taux d’imposition conduirait automatiquement
à une hausse de la productivité et de la croissance. Par exemple, en présence de rentes
dan
s l’économie, une baisse de l’impôt sur les sociétés contribuerait davantage à
accentuer la concentration de ces dernières
200
.
Les simulations issues des modèles macro économétriques présentées ci-
après s’inscrivent
dans ce contexte. Elles constituent avant
tout un outil permettant d’illustrer les effets
potentiels d’une baisse de l’impôt sur les sociétés sur l’économie dans un cadre simplifié.
199
Renforcer l’harmonisation fiscale en Europe
, Note du Conseil d’analyse économique, A.
Bénassy-Quéré,
A. Trannoy et G. Wolff ; juillet 2014.
200
Optimal Taxation of Top Labor Incomes: A Tale of Three Elasticities ; American Economic Journal
; E. Saez et
S. Stancheva ; 2013.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 93 -
93
Graphique 7
: Canaux de transmission macroéconomiques d’une baisse de l’impôt sur les
sociétés
Source
: CPO, d’après Analysis of the dynamic effects of Corporation tax reductions
; HM Treasury-HM Revenue &
Customs ; décembre 2013.
5.2.2.
L’impôt sur les sociétés se distingue des autres prélèvements obligatoires par un
impact plus fort mais plus long à se diffuser sur la croissance
Les difficultés de modélisation de l’incidence fiscale de l’IS rend
ent
complexe l’analyse de
l’impact d’une évolution du niveau d’imposition dans l’économie. Toutefois, dans une économie
ouverte, il est possible de formul
er l’hypothèse que la rémunération du capital attendue par les
investisseurs est fixée par l’équilibre des marchés internationaux. Le taux de rendement, net
d’impôts, du capital étant fixé, une baisse de la fiscalité sur la rémunération du capital se
réper
cuterait alors entièrement sur le coût brut pour l’entreprise et aucunement sur la
rémunération nette du capital pour les investisseurs qui resterait inchangée
201
. C’est
l’hypothèse retenue dans le modèle macroéconométrique Mésange, développé par l’INSEE et
la direction générale du Trésor, qui permet de simuler l’impact d’une baisse de l’IS sur les
principaux facteurs de l’économie et de mieux appréhender les particularités économiques de
l’impôt sur les sociétés.
201
Évaluation par le modèle Mésange de l’impact macroéconomique d’une baisse permanente de l’impôt sur les
sociétés d’1 point de PIB ex ante
; INSEE-DG Trésor ; 2016.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 94 -
94
Encadré 18 : Le modèle macroéconométrique Mésange
Mésange (Modèle Économétrique de Simulation et d'ANalyse Générale de l'Économie) est un modèle
macroéconométrique trimestriel de l’économie française développé et utilisé conjointement par
l’Insee et la Direction général du T
résor.
L'économie française y est modélisée sous la forme d'une économie ouverte à trois secteurs
d'activité : manufacturier, non manufacturier et non marchand.
De taille moyenne, il comporte environ 500 équations, dont une quarantaine retrace des
« comportements » estimés économétriquement. Il se caractérise par une dynamique keynésienne
à court terme et un équilibre de long terme déterminé par des facteurs d’offre. De manière usuelle
dans ce type de modèle, l’économie française y est modélisée sous la forme d’une petite économie
ouverte au sens où l’environnement international est supposé exogène, avec une parfaite mobilité
des capitaux. Les taux d’intérêt, les taux de change de la monnaie nationale par rapport aux
monnaies étrangères, la demande publique,
la population active et l’évolution du progrès technique
constituent les principales autres variables exogènes du modèle.
Mésange est mobilisé d’une part pour simuler et évaluer des mesures de politique économique
(utilisation dite en « variante
»), d’aut
re part pour réaliser des exercices conjoncturels, notamment
des prévisions et des analyses de contributions (utilisation dite « conjoncturelle »).
La version actuellement utilisée a fait l’objet d’une ré
-estimation en 2010.
Source : Le modèle MÉSANGE réestimé en base 2000 ; INSEE - Direction des Études et Synthèses Économiques ;
G 2010/03.
Le tableau
infra présente
les résultats de la simulation de l’impact d’une baisse permanente de
l’impôt sur les sociétés de 1
point de PIB
ex ante
(20
Md€ soit une b
aisse équivalente de
13
points du taux d’imposition)
202
. Plus que les résultats absolus, par nature très sensibles aux
hypothèses de modélisation, les simulations permettent d’appréhender les mécanismes de
transmission d’une baisse de l’IS à l’ensemble de l’
économie dans le temps.
Tableau 20 : Variante IS du modèle Mésange
: baisse permanente de l’impôt sur les sociétés de
1 point de PIB
ex ante
En points de % par rapport au
compte central
1 an
2 ans
3 ans
5 ans
10 ans
Long
terme
PIB en volume
0,12
0,21
0,36
0,88
1,75
2,83
Consommation des ménages
0,04
0,13
0,23
0,61
1,21
2,10
Investissement
0,75
0,96
1,26
2,11
3,01
4,23
Exportations
0,00
0,08
0,28
0,88
1,66
2,26
Importations
0,22
0,28
0,31
0,49
0,24
-0,19
Prix de la consommation des
ménages
-0,04
-0,44
-1,11
-2,60
-4,47
-6,47
Emploi salarié (en milliers)
7
11
14
87
215
320
Taux de chômage
-0,03
-0,04
-0,06
-0,36
-0,88
-1,30
Balance commerciale (en pts de
PIB)
-0,06
-0,08
-0,08
-0,06
0,22
0,61
Source : INSEE (Direction des études et synthèses économiques) - DG Trésor ; 2016.
Un choc d’impôt sur les sociétés se distingue des autres prélèvements obligatoires (notamment
des cotisations sociales employeurs, ou de l’impôt sur le revenu)
203
par une transmission lente
mais puissante sur le PIB et les principaux agrégats économiques :
202
La présentation en points de PIB, propre aux simulations macroéconomiques, conduit à modéliser un choc
important de variation de l’IS. Le modèle étant globalement linéaire, les mécanismes de transmission associés
seraient toutefois comparables dans le cas d’une variation moins importante.
203
A titre de comparaison, voir
les variantes relatives à l’impôt sur le revenu, la TVA et les cotisations sociales
présentées dans le document de travail n°G2010/03 de l’INSEE.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 95 -
95
à court terme
, la baisse du coût du capital se répercute directement sur la rentabilité
des investissements des entreprises dont le niveau augmente (+0,96 points dès la
deuxième année). La
hausse du stock de capital productif stimule l’activité (hausse du
PIB de 0,2 points dès la deuxième année). Sans ajustement immédiat, sur les prix et les
salaires, la hausse de la demande se traduit dans un premier temps par une
augmentation des importations et donc une dégradation de la balance commerciale.
L’impact sur l’emploi est réduit (+14
000 à trois ans) ;
à moyen terme
, l’amélioration de la rentabilité de l’entreprise permet une réduction des
prix à la consommation des ménages (-2,6 points à 5 ans
) ainsi qu’un ajustement des
salaires. A la hausse de la consommation des ménages s’ajoute un dynamisme croissant
des exportations du fait de l’augmentation de la compétitivité
-prix de la production
nationale. L’impact positif sur l’emploi se diffuse lente
ment : le taux de chômage diminue
de 0,4 points à 5 ans et de 0,9 points à 10 ans ;
à long terme,
le choc d’IS conduit à un niveau de PIB durablement supérieur à celui du
compte central (+4,2 points) et à des niveaux de prix durablement inférieurs. Cette
baisse du niveau des prix induit en outre une amélioration de la balance commerciale.
Les simulations illustrent le lien plus étroit entre l’impôt sur les sociétés et la croissance que
d’autres prélèvements obligatoires. Ce constat a été mis en évidence à
plusieurs reprises dans
la littérature économique. Dans son étude de 2008 sur la fiscalité et la croissance
204
, l’OCDE
concluait que « les impôts sur les sociétés grèvent le plus la croissance, suivis par les impôts
sur le revenu des personnes physiques, et ensuite les impôts sur la consommation. Les impôts
sur l’immobilier semblent les moins nocifs
»
205
.
La modélisation sous-jacente présente plusieurs limites. En particulier, le modèle Mésange :
ne prend pas en compte un impact d’une baisse du taux d’IS sur l
es investissements
directs étrangers ou sur le rapatriement de profits, auparavant transférés. Ces deux
effets devraient toutefois améliorer encore l’impact positif à attendre d’une baisse de l’IS.
Ainsi, les travaux conduits par de Mooij et Ederveen (2003) mesuraient une hausse de
3,3
% des investissements directs étrangers suite à la baisse d’un point de pourcentage
du taux d’imposition sur les sociétés
206
;
ne reflète pas les anticipations rationnelles des agents économiques. L’absence de prise
en compte d
e ces anticipations réduit la vitesse de diffusion d’une baisse de l’impôt sur
les sociétés dans l’économie, notamment au travers des décisions d’investissement des
entreprises. L’utilisation de modèles à anticipation rationnelle comme ceux développés
par la Commission
européenne ou l’OCDE conduit à des impacts plus importants et plus
rapides des chocs d’IS.
Ce constat souligne l’importance de la prévisibilité des baisses d’imposition et l’intérêt
à fixer les anticipations des acteurs et les décisions d’inv
estissement
207
en proposant
une cible crédible
. C’est notamment la stratégie adoptée par le Royaume
-Uni qui a établi dès
2010 une
Corporate tax road map
précisant les étapes de la baisse progressive du taux d’IS de
28 % à 24
% entre 2010 et 2014 et faisant l’objet d’un suivi annuel. Cette publication a été
remplacée par une
Business tax road map
pour la période 2016-2020 présentant les évolutions,
204
Taxation and Economic Growth
; A. Johansson
et al
. ;
OECD Economics Department Working Papers
n°620 ; 2008.
205
Ibid.
206
« Taxation and Foreign Direct Investment: A Synthesis of Empirical Research » (2003), International Tax and
Public Finance ; R. de Mooij. et S. Ederveen (2003).
207
L’OCDE également partagé «
Assurer une plus grande stabiltié et crédibilité de l’évolution de l’impôt sur les
sociétés peut conduire à un niveau ‘investissement plus élevé qui, en retour, améliorarait la performance
économique » («
Providing greater certainty and predictability in the application of corporate income taxes may lead
to higher investment, which in turn, could enhance growth performance
; Taxation and Economic growth , OCDE).
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 96 -
96
par ann
ée, à attendre pour l’ensemble de la fiscalité des entreprises et notamment en matière
d’élargissement de l’assiette de l’impôt sur les sociétés (plafonnement à 50
% du résultat fiscal
du montant déductible au titre du report en avant des déficits, encadrement de la déductibilité
des charges financières, etc.) et de baisse du taux avec une cible à 17 % en 2020.
Par ailleurs, si certaines études empiriques
208
mettent en évidence l’impact négatif de l’impôt
sur les sociétés sur l’investissement des entreprises,
cet impact diffèrerait en fonction des
acteurs. Une hausse de l’IS conduit à une baisse d’autant plus importante du niveau
d’investissement que l’entreprise est rentable. Les simulations conduites en 2008 soulignent
qu’une réduction du taux d’IS de 35
% à 30 % aurait un impact de 0,08 points plus élevé sur la
productivité globale des entreprises dans le dernier quartile des entreprises les plus
profitables que celles du premier quartile des entreprises du même secteur. À ce titre, l’OCDE
souligne que l’IS constituerait un frein à l’innovation d’autant plus fort pour les entreprises les
plus productives en réduisant la rentabilité attendue des innovations. Cette hypothèse est
soutenue par les analyses microéconomiques conduites pour les principaux secteurs d
’activité
dans les pays de l’OCDE et qui soulignent que ce sont les entreprises en phase de
développement et d’amélioration de leur productivité qui sont le plus affectées par un impôt
sur les sociétés élevé
209
.. «
Une baisse de l’imposition sur les sociétés
profiterait dès lors aux
entreprises les plus dynamiques et les plus innovantes
»
210
.
5.2.3.
Certains travaux de recherche récents remettent en question les bénéfices
supposés d’une baisse de l’IS sur l’activité et la croissance
Les bénéfices directs à attendre d’une baisse de l’impôt sur les sociétés sur la croissance
doivent être relativisés en raison de la concurrence fiscale existant entre les pays. Les résultats
présentés précédemment reposent sur des modélisations sans réaction des pays voisins. Or, il
est pr
obable que, dans un contexte de concurrence, le taux d’imposition d’un pays s’ajuste par
rapport à celui de ses voisins. Selon le Conseil d’analyse économique, «
pour l’IS, différentes
études ont mis en évidence une interaction positive entre le taux d’un
pays et celui de ses
voisins. Par exemple, Devereux et al. (2008) trouvent qu’une baisse d’un point de pourcentage
du taux moyen étranger provoque une baisse de 0,67 point du taux national. »
211
Les effets
macroéconomiques positifs induits par un baisse du t
aux de l’IS sur la compétitivité des
entreprises nationales à l’export ou les investissements directs étrangers seraient alors
affaiblis
.
Réciproquement, dans un contexte de baisse des taux de l’IS dans les principaux pays
européens, un immobilisme en la matière conduirait à une dégradation de la position de la
France.
Une partie de la littérature remet toutefois en question le lien entre les impôts pesant sur les
entreprises et la croissance. Des travaux récents «
ne confirment pas l’impact négatif de l’im
pôt
sur la croissance. Jaimovitch et Rebelo (2012)
expliquent le manque de corrélation empirique
entre fiscalité, innovation et croissance à long terme par l’hétérogénéité des entrepreneurs
:
208
Voir notamment les études
Do corporate taxes produce productivity and investment at the firm level? Cross-
country evidence from the Amadeus dataset
de
septembre 2008 portant sur 21 secteurs d’activités dans 16 pays de
l’OCDE
; et How
Do Taxes Affect Investment and Productivity?
Industry Level Analysis of OECD Countries,
OECD
Economics Department Working Papers n°656
; L. Vartia.
209
Notamment car le financement de la croissance de ces entreprises repose en grande partie sur le
réinvestissement des profits réalisés.
210
OCDE, 2010,
Tax Policy Studies Tax Policy Reform and Economic Growth
.
211
In
Note du Conseil d’analyse économique n°14 ; Renforcer l’harmonis
ation fiscale en Europe ; A. Bennassy-
Quéré, A. Trannoy et G. Wollf. Références : Devereux M.P., B. Lockwood et M. Redoano (2008) : « Do Countries
Compete Over Corporate Tax Rates? » ; Devereux M.P. et S. Loretz (2012) : « What Do we Know About Corporate
Tax Competition? » ; G.R. Zodrow (2010) : « Capital Mobility and Capital Tax Competition », National Tax Journal.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 97 -
97
seuls les moins productifs cessent de produire suite à une augmentation des impôts, ce qui a
un impact négligeable sur la croissance. La fiscalité se révèle défavorable à la croissance
uniquement lorsqu’elle devient confiscatoire, auquel cas les entrepreneurs les plus productifs
cessent eux aussi d’innover ou bien ils s’expatrient.
»
212
La Réserve fédérale américaine a publié début 2016 une étude économétrique interrogeant le
caractère symétrique de l’impact macroéconomique des variations de l’impôt sur les sociétés.
À partir d’une analyse des variations du taux d’imposi
tion sur les sociétés dans chacun des
États américains depuis 1970, l’étude met en évidence
:
qu’une hausse de 1
point du taux aurait un effet négatif direct sur l’emploi (entre
-0,3 et
--0,5 point) comme sur le PIB (entre -0,3 et -0,6 points) de chaque État ;
qu’une baisse de 1
point de l’IS aurait un effet positif très important dans les périodes de
récession sur l’emploi (+0,6
points), mais qu’en période de croissance, l’effet
macroéconomique d’une baisse de l’IS sur l’emploi ou le PIB des États américain n’est
pas statistiquement significatif.
Tableau 21
: Impact macroéconomique d’une variation du taux de l’IS en fonction du cycle
économique
analyse sur la base de données historiques américaines (1970-2010)
Variation du taux
d’imposition
Cycle économique
Emploi
Revenu
Hausse
Récession
-0,23
-0,41
Hors période de récession
-0,31
-0,43
Baisse
Récession
+0,64
+1,00 (Statistiquement
non significatif)
Hors période de récession
-0,08 (Statistiquement
non significatif)
-0,09 (Statistiquement non
significatif)
Source : To Cut or Not to Cut ? On the Impact of Corporate Taxes on Employment and Income ; Réserve fédérale
américaine ; Département de la recherche et des statistiques et des affaires monétaires ; A. Ljungqvist et M Smolyansky
(2016)
Dans ce contexte le recours à une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés pourrait constituer
un outil de relance efficace dans des périodes de faible croissance.
5.3.
La hausse d’activité consécutive à une baisse de l’impôt sur les sociét
és est
susceptible d’en limiter le coût
5.3.1.
Compte tenu de la mobilité des capitaux, l’assiette de l’IS est
a priori
elle-même
sensible au niveau du taux d’imposition, mais cette rétroaction a été peu étudiée
La hausse des investissements et de l’activité attendue suite à une baisse de l’impôt sur les
sociétés est susceptible de rétroagir sur l’assiette de l’IS elle
-même et, plus généralement, sur
l’ensemble des recettes fiscales. Une partie des pertes budgétaires associées à une baisse du
taux d’imposition sans modification de l’assiette pourrait être en partie compensée par
:
une hausse de la profitabilité des entreprises ;
le développement de nouvelles activités issues des investissements supplémentaires des
entreprises ainsi que des investissements directs étrangers ;
212
Ibid. Les travaux mentionnés portent toutefois sur l’ensemble des prélèvements obligatoires supportés par les
acteurs économiques et non sur le seul impôt sur les sociétés.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 98 -
98
la relocalisation de bases imposables mobiles auparavant imposées dans un autre pays ;
une augmentation de la part des revenus déclarés sous la forme d’une activité imposable
à l’impôt sur les sociétés.
La sensibilité de l’assiette de l’impôt sur les sociétés au taux s’explique notamment par le
caractère mobile des capitaux et donc d’une partie de l’assiette d’imposition. Contrairement à
l’imposition sur le revenu des personnes physiques, peu d’études académiques ont mesuré
l’impact d’une évolution des taux de l’impôt sur les sociétés sur l’évolution de l’assiette. De plus,
lorsque de tels travaux ont été conduits, ils se concentrent principalement sur la relation entre
le taux d’imposition et le transfert de bénéfices (
income shifting
) ou le niveau des
investissements directs étrangers dans le pays
213
.
Les travaux économétriques conduits en 2011
214
sur les données fiscales des pays de l’Union
européenne entre 1995 et 2007 mettent en évidence qu’au
-delà des évolutions de la base
d’imposition sur les sociétés sous l’effet de facteurs macroéconomiques comme la croissance
du PIB (impact positif sur l’évolution de l’assiette), l’évolution du taux de chômage ou du coût
du travail (impact négatif sur l’évolution de l’assiette), la variations du taux nominal de l’IS
national a également un impact statistiquement significatif
215
sur les évolutions de l’assiette
d’imposition.
5.3.2.
Les expériences allemandes de 2009 et britanniques de 2010 laissent envisager
une hausse des recettes fiscales compensant en partie la baisse du taux de
l’impôt sur les sociétés
L’exemple des baisses successives de l’impôt sur les sociétés au Royaume
-Uni décidées en 2010
permet d’approcher l’ampleur de l’effet dynamique d’une baisse du taux sur l’assiette
d’imposition des sociétés. Le ministère des finances britannique évalue à 0,83
% la hausse de
l’assiette consécutive à une baisse de un point du taux de l’IS.
La hausse du PIB et de l’emploi anticipée conduirait à une augmentation des assiettes de la
plupart des prélèvements obligatoires permettant de recouvrer une partie des ressources
budgétaires engagées dans la baisse du taux. La hausse des recettes fiscales consécutives à la
baisse de l’IS permet, d’après les simulations effectuées par l’administration britannique de
contribuer à hauteur de 32 à 46
% du financement des mesures en faveur d’une baisse du tau
x
d’IS dont le coût est estimé à 7,8
Md£ par an à partir de 2016-2017 :
10
% des pertes de recettes seraient recouvrées dès la première année sous l’effet
de la hausse de la profitabilité des entreprises
, de l’investissement et d’un moindre
transfert des bénéfices ;
l’imposition des revenus, notamment l’impôt sur le revenu des personnes
physiques et les cotisations sociales constituent le principal canal de récupération
d’une partie des recettes engagées
. À long terme (20 ans), 25 % du coût annuel des
mesur
es serait récupéré sous forme d’impôt sur le revenu supplémentaire
;
213
V
oir par exemple l’étude de de
Mooij (2003) évoquée
supra
qui mesurait une hausse de 3,3 % des
investissements directs étrangers en cas de baisse d’un point de pourcentage du taux d’imposition sur les sociétés
en Europe.
214
Nicolas Chatelais - Élasticité des bases fiscales (composées des projets des sociétés) en Europe ; Documents de
travail du Centre d'Économie de la Sorbonne n°2011-79.
215
Au seuil de 99 %.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 99 -
99
enfin, la reprise de l’activité et de la consommation se répercuterait également sur
une
hausse des recettes de fiscalité indirecte, en particulier de taxe sur la valeur
ajoutée
. La diffu
sion lente de l’effet d’une baisse de l’IS sur la croissance du PIB
(cf.
supra
) se traduit par une moindre contribution des recettes supplémentaires de TVA
au financement de la mesure durant les cinq premières années (moins de 5 %) pour
atteindre 11 % à vingt ans.
Graphique 8
: Recettes fiscales additionnelles attendues suite à la baisse du taux d’IS au
Royaume-Uni (en % du coût des mesures engagées
en fonction du nombre d’années écoulées
depuis la réforme
Source : Analysis of the dynamic effects of Corporation tax reductions ; HM Treasury-HM Revenue & Customs ;
décembre 2013.
Comme dans le cas du modèle Mésange (cf.
supra
), les simulations effectuées ne prennent pas
en compte les investissements directs étrangers supplémentaire
s consécutifs à la baisse de l’IS.
Sous l’hypothèse d’une hausse de 2,6
Md£ du montant annuel d’investissements étrangers au
Royaume-
Uni suite à la baisse du taux d’IS de 28 à 20
%, la part des recettes fiscales
supplémentaires atteindrait alors 58 % du coût annuel engagé pour financer la baisse du taux.
Tableau 22 :
Recettes fiscales supplémentaires et taux de recouvrement de la baisse d’IS
engagée au Royaume-Uni (28 % à 20 %)
projections annuelles à long terme (20 ans)
Facteur
Modèle d’équilibre
général du Trésor
britannique
Prise en compte des
investissements
étrangers
Hausse du PIB attendue par rapport au scénario
central
0,64 %
0,81 %
Équivalent en niveau de PIB 2012-2013
9,6 Md£
12,2 Md£
Hausse des investissements attendue par rapport au
scénario central
2,5 %
4,5 %
Équivalent en montant d’investissements 2012
-2013
3,6 Md£
6,2 Md£
Taux de participation des nouvelles recettes
fiscales au financement de la baisse du taux
46 %
58 %
Source : Analysis of the dynamic effects of Corporation tax reductions ; HM Treasury-HM Revenue & Customs ;
décembre 2013.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 100 -
100
La réforme britannique est trop récente pour permettre une analyse
a posteriori
du niveau de
recettes supplémentaires observées. De plus, les résultats présentés ci-dessus dépendent
fortement des hypothèses de modélisation retenues, par définition imparfaites. En particulier
les changements de comportement des agents suite à la baisse de l’IS comme, par exemple, un
transfert des revenus autrefois taxés au niveau des individus vers des structures taxée
s à l’IS,
ne sont pas pleinement pris en compte.
Les simulations soulignent toutefois la rétroaction
importante existant entre la hausse d’activité et des investissements, prévue par la
théorie macroéconomique successive à
une baisse du taux d’IS, et les recettes fiscales.
En outre, les travaux académiques comparables conduits pour d’autres pays aboutissent
également à la conclusion d’un financement à hauteur de plus de 50
% d’une baisse de l’impôt
sur les sociétés par les
recettes supplémentaires consécutives à une hausse de l’activité
:
l’analyse conduite par Strulik et Trimborn
216
en 2010 sur l’estimation de la courbe de
Laffer des principaux impôts sur le capital et le travail américains vise à prédire le degré
«
d’autofin
ancement
» d’une baisse d’impôt aux États
-Unis. Parmi les principaux
prélèvements obligatoires, l’impôt sur les sociétés se distingue par le degré
d’autofinancement potentiel le plus élevé et estimé à 71
%.
de même, les travaux de Stimmelmayr
217
de 2013 aboutissent à une estimation
prévisionnelle des recettes fiscales supplémentaires attendues dans le cadre de la
réforme allemande de 2008
218
de 5,7
Md€. Ce montant peut être comparé au coût
budgétaire annuel de la réforme estimé à 8,5
Md€, soit un taux de financ
ement de 67 %.
Le taux de financement resterait supérieur à 50 % si la référence retenue pour le coût
budgétaire annuel s’appuyait sur la prévision initiale du ministère des finances allemand
(10,7
Md€).
Tableau 23 : Autofinanceme
nt de la baisse de l’IS par les recettes supplémentaires attendues
-
Synthèse des travaux disponibles
Étude
Année
Pays
Évaluation de
l’autofinancement
Analysis of the dynamic effects of Corporation
tax reductions
2013 Royaume-Uni
46 à 58 %
Laffer Strikes Again : Dynamic scoring of Capital
taxes
2012 États-Unis
71 %
The 2008 German Corporate Tax Reform and
Beyond
: The role of International Investor’s
Porfolio Choice
2013 Allemagne
53 à 67 %
216
Laffer Strikes Again : Dynamic scoring of Capital taxes
; H. Strulik, T. Trimborn ;
European Economic Review
;
2012.
217
2013, M. Stimmelmayr ;
The 2008 German Corporate Tax Reform a
nd Beyond : The role of International Investor’s
Porfolio Choice
; Norwegian Center for Taxation. Cette étude ne tient pas compte des recettes effectivement
constatées depuis.
218
Cette réforme avait conduit l’Allemagne à baisser le taux d’IS de 25
% à 15 %.
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 101 -
101
Tableau 24 :
Quelques pistes de financement d’une baisse du taux de l’IS à 25
% (-8 points de taux / -11
Md€)
ou à 20 % (-13 points de taux / 18
Md€)
Thème
Mesure
Ordre de
grandeur de l’impact en recettes
(en
Md€)
Pistes issues des évolutions internationales de l’imposition sur les sociétés
Régime de l’intégration fiscale
Restriction du bénéfice du régime de l’intégration à
la compensation entre les gains et les pertes des
filiales (
group relief
)
+1
Régime préférentiel de la propriété intellectuelle
Suppression du taux réduit pour les revenus de la
concession de brevets
+0,3 à +0,5
Taux réduit pour les premiers 38 120
€ de bénéfices
des PME
Suppression de l’imposition pr
ogressive des
résultats en fonction de la taille de l’entreprise
+2,6
Déductibilité des intérêts d’emprunt
Renforcement du plafonnement des charges
financières nettes à 30
% de l’EBITDA (extension à
l’ensemble des entreprises cumulée à un possible
abaissement du plafond)
Non chiffré
Autres pistes d’assiette
Report en arrière des déficits
Suppression de toute possibilité de
carry-back
Non chiffré (impact toutefois réduit en raison de sa
limitation au seul exercice précédent)
Principaux crédits
d’impôt (hors CICE)
Crédit d’impôt en faveur de la recherche (CIR)
+5,5
Exonération des organismes HLM
+1
Crédit d’impôt mécénat
+0,8
Rentrées fiscales supplémentaires liées à l’impact économique d’une baisse de l’IS pouvant atteindre 50
% du coût de la réforme
Rapport particulier n°6
Document de travail
- 102 -
102
Liste des personnes rencontrées
1.
Membres du Conseil des prélèvements obligatoires
M. Etienne Lehmann, professeur agrégé des universités
M. Henri Sterdyniak, directeur du département « économie de la mondialisation » à
l’OFCE
M. Pierre Joly
, inspecteur général de l’INSEE
M. François Auvigne, inspecteur général des finances
2.
Administration
Direction de la législation fiscale
M. Bruno Mauchauffée, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises
M. Edouard Marcus, sous-directeur prospective et relations internationales
M. Arnaud de Nabias
Direction générale du Trésor
M. Pierre Leblanc, chef du bureau politique économique France
M. Guy Lalanne, chef du bureau politique industrielle, recherche et innovation
M
me
Nathalie Georges, chef du bureau de synthèse des finances publiques
Direction générale des finances publiques
M. Brice Lepetit, chef du bureau des études et de statistiques en matière fiscale
M. Jérôme Mousserain, responsable du secteur « entreprises », bureau des études
et de statistiques en matière fiscale
3.
Personnalités qualifiées
M. Alain Trannoy, professeur des universités
M
me
Agnès Benassy-Quéré
, présidente du Conseil d’analyse économique
M. Jean-Pierre Lieb, associé
Business Tax Advisory
, EY Avocats
M
me
Marie-Christine Lepetit, cheffe
du service de l’Inspection générale des finances et
ancienne directrice de la législation fiscale