Note du CPO n
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6, septembre 2023
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Les notes du CPO
N° 6 - Septembre 2023
La TVA est-elle un impôt juste ?
Cette note a été préparée par M. Paul-Armand Veillon, inspecteur des finances, et validée par le Conseil des
prélèvements obligatoires (CPO) dans sa séance du 21 septembre 2023. Elle fait suite au rapport du CPO de
février 2023 sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui recommandait de « préférer le recours aux
prestations sociales et aux transferts monétaires ciblés à une baisse de la TVA pour soutenir le pouvoir
d’achat
des ménages modestes »
qu’elle
actualise en tenant compte des dernières propositions présentées
dans le débat public et des mesures annoncées par le Gouvernement, notamment sur
l’évolution
du soutien
aux ménages face la hausse des prix de
l’énergie.
Les constats établis par les rapports du CPO de 2015 et 2023 relatifs aux effets redistributifs de la TVA
montrent que la TVA est un impôt régressif dans la mesure où son poids dans le revenu disponible des
ménages décroît avec le revenu. Toutefois, une analyse sur l’ensemble du cycle de vie, qui neutralise les
effets des variations de l’épargne
sur la consommation, conduit à minorer le constat du caractère
régressif de la TVA. En revanche, les taux réduits de TVA ne modèrent qu’à la marge les effets régressifs
de la TVA. Certes, les produits soumis au taux réduit de 5,5 %
1
sont davantage consommés par les
ménages modestes, mais ce n’est pas le cas des biens et services soumis au taux intermédiaire de
10 %
2
,
qui, à l’inverse, sont surconsommés par les déciles supérieurs.
Surtout, l’impact de la TVA ne peut s’apprécier qu’au regard des effets redistributifs de l’ensemble des
dépenses publiques, dont elle assure en partie le financement. En effet, le caractère régressif de la TVA
est plus que compensé par les transferts des administrations publiques, en particulier les prestations
sociales qui assurent la progressivité du système socio-fiscal français pris dans son ensemble.
Cette situation se retrouve dans les autres États membres de l’Union européenne qui conjuguent des
dépenses de protection sociale aussi , voire plus élevées que les nôtres, et des niveaux de TVA supérieurs.
Au regard des effets redistributifs du système socio-fiscal et des transferts monétaires associés, le
rendement de la TVA doit être préservé dès lors qu’il permet d’assurer la soutenabilité de notre modèle
social.
Dans ce conte
xte, une baisse de taux de TVA apparaît comme un outil qui n’est ni efficace, ni équitable
pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages.
D’une part, quelle que soit la catégorie de produits ou services à l’exception du tabac, la consommation
en euros est
croissante avec le revenu. Ainsi, l’ensemble des taux réduits confèrent un gain en euro plus
élevé aux ménages les plus aisés.
D’autre part, les précédentes expériences de baisse de taux montrent que leur coût est élevé pour les
finances publiques, leur effet sur les prix à la consommation est incertain, et une large partie des baisses
est captée par les entreprises.
S’agissant plus spécifiquement du prix de l’énergie, le bouclier tarifaire a eu un effet plus massif qu’une
baisse de TVA, mais, comme la la
remise sur le prix des carburants, il n’est pas soutenable à moyen terme
pour les finances publiques. Pour accompagner leur extinction, les chèques énergie ou carburant
permettent à court terme de protéger les ménages les plus modestes à un coût bien moindre. À plus long
terme, des mesures visant à inciter les ménages à décarboner leur mode de vie permettent de les protéger
contre les fluctuations des prix de l’énergie tout en répondant aux objectifs de baisse des émissions de
gaz à effet de serre..
1
Principalement constitués de produits de première nécessité.
2
Transports de voyageurs, restauration, hébergement hôtelier, notamment.
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1.
La part de la TVA dans le revenu
disponible des ménages décroît avec le
niveau de vie
1.1.
Le caractère régressif de la TVA
s’explique
par
une
propension
à
consommer plus élevée pour les ménages
modestes
La
TVA
est
considérée
comme
un
impôt
régressif, au sens où sa part dans le revenu des
ménages décroît avec le niveau de vie. En effet,
d’après les estimations réalisées dans le cadre
du rapport particulier du CPO de 2015 relatif aux
effets redistributifs de la TVA
3
, cet impôt
représente 12,5 % du revenu disponible des
ménages appartenant au premier décile de
niveau de vie, contre 4,7 % pour le dernier décile
(cf. graphique 1). Entre le deuxième et le
neuvième décile, les écarts sont moins marqués,
et ce ratio décroît de 9,5 % à 7,5 %
4
.
La part de la TVA dans le revenu disponible
annuel des ménages dépend de la fraction du
revenu disponible allouée à la consommation. En
effet, la consommation des ménages constitue,
en première approche, l’assiette de la TVA.
Celle-ci dépend également du taux moyen
effectif de taxation, soit la TVA rapportée à la
consommation du ménage. Celui-ci varie en
fonction
de
la
composition
du
panier
de
consommation, en particulier de la part de celui-
ci qui bénéficie de taux réduits ou d’une
exonération de TVA.
Le caractè
re régressif de la TVA s’explique
entièrement par la part du revenu allouée à la
consommation qui décroît avec le niveau de vie.
Celle-
ci s’élève en moyenne à 97
% du revenu
pour les deux premiers déciles contre 72 % pour
les deux derniers déciles
5
.
3
« Les effets redistributifs de la taxe sur la valeur ajoutée », Béatrice Boutchenik, rapport particulier du CPO, avril 2015.
4
Estimations réalisées à partir du modèle Ines et assis sur
l’enquête
« Budget de famille 2011 ». Cette estimation du rapport du
CPO de 2015 reste valide en raison de la faible évolution de la structure des taux. Le caractère régressif de la TVA a pu être
légèrement amplifié par la crise sanitaire en raison de
l’augmentation
de la différence de propension à consommer entre les
ménages modestes et les plus aisés. Cependant, les dernières données relatives à la consommation des ménages par décile ont
été actualisées en 2017, et une mise à jour à partir de ces données
n’aurait
pas permis de mettre en évidence cet effet.
5
« Plus
d’épargne
chez les plus aisés, plus de dépenses contraintes chez les plus modestes », Insee Première, septembre 2020.
Graphique 1 : Part de la TVA dans le revenu
disponible (taux
d’effort)
par décile de niveau de
vie
Source : CPO (2015).
1.2.
Les effets régressifs de la TVA sont
plus faibles lorsque
l’ensemble
du cycle de
vie est pris en compte
La mesure des effets redistributifs de la TVA
dépend du choix de l’indicateur. En particulier,
retenir la TVA rapportée au revenu disponible
sur une année donnée conduit à surestimer le
caractère régressif de la TVA. En effet, la capacité
contributive d’un individu peut se définir par la
totalité des revenus perçus tout au long de la vie,
auquel cas les effets redistributifs sont mesurés
en rapportant les prélèvements acquittés à
l’ensemble des revenus perçus au cours de la vie
et non sur une seule année.
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En effet, la littérature économique
6
montre que
les agents anticipent leur revenu de long terme
et lissent leur consommation dans le temps en
utilisant leur épargne à cette fin. Par exemple, ils
épargnent au cours de leur vie active afin de
maintenir leur consommation à la retraite. Dès
lors, un individu qui connaît une diminution de
son revenu courant ne baisse pas d’autant sa
consommation. Ainsi, la différence de la part de
la consommation dans le revenu entre un
ménage avec un niveau de vie faible et un
ménage avec un niveau de vie élevé peut
s’expliquer par des fluctuations temporaires du
revenu et celle-ci décroît fortement lorsque
l’ensemble du cycle de vie est pris en compte.
Georges-Kot (2015)
7
propose de mesurer les
effets redistributifs de la TVA à partir de
données micro-
économiques sur l’ensemble du
cycle de vie
8
. Cette étude conclut à une baisse de
moitié du caractère régressif de la TVA par
rapport à une analyse en coupe réalisée sur le
revenu disponible annuel.
Constat 1
: La TVA a un effet régressif qui
s’explique
par une propension à consommer
plus élevée pour les ménages modestes. Ce
constat tend à être nuancé dans une analyse
en cycle de vie.
1.3.
Les taux réduits de TVA ont des effets
redistributifs limités
Selon le rapport du CPO de décembre 2015
9
t sur
les effets redistributifs de la TVA, le taux moyen
effectif de la TVA, soit la part de la TVA dans la
consommation hors loyer, varie de 0,8 point
entre le premier décile (à 12,6 %) et le dernier
décile de niveau de vie (à 13,4 %). Cet écart
s’explique par une composition différente des
paniers de consommation entre le premier et le
dernier décile et par les taux distincts de TVA
applicables selon les postes de dépenses.
6
Voir en particulier, A. Ando et Franco Modigliani (1963),
« The
'life-cycle'
hypothesis
of
saving:
aggregate
implications and tests », American Economic Review, vol.
53, no 1, p. 55-84.
7
S. Georges-Kot (2015), « Annual and lifetime incidence of
the value-added tax in France », Documents de Travail de
l'Insee, septembre 2015.
8
L’auteur
n’observe
pas directement la consommation des
ménages sur
l’ensemble
du cycle de vie. Il simule des
Ainsi, les écarts de taux effectifs constituent une
première mesure des effets redistributifs de la
structure des taux réduits et des exonérations de
TVA. Pour autant, la structure de taux apparaît
avoir des effets redistributifs de second ordre
par rapport à ceux induits par la variation de la
part de la consommation dans le revenu.
Graphique 2 : Différence de la part de la
consommation soumise aux taux réduits de
5,5 % et 10 % entre les ménages modestes et les
ménages aisés
Taux de TVA
Produits et services
5,5%
Produits alimentaires, abonnements
de gaz et d’électricité, livres, travaux
de rénovation énergétique, …
10%
Transport
de
voyageurs,
restauration, travaux de rénovation
du
logement
(hors
rénovation
énergétique), …
Note de lecture : La part de la consommation, hors
loyer, soumise au taux de 5,5 %, est de 5,5 point plus
élevée pour le premier décile que pour le dernier décile
de niveau de vie.
Source : CPO (2023) ; Budget de Famille 2017 (Insee)
trajectoires individuelles de consommation à partir des
enquêtes Budget de famille de 1984 à 2011. Cette méthode
peut
conduire
à
sous-estimer
l’hétérogénéité
de
la
propension à consommer entre ménages.
9
CPO (2015), La taxe sur la valeur ajoutée. Ledétail des
analyses se trouve dans le rapport particulier n°2,
Les
effets redistributifs de la TVA.
-8%
-6%
-4%
-2%
0%
2%
4%
6%
8%
Dépenses soumises au
taux de 5,5 %
Dépenses soumises au
taux de 10 %
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En effet, si le taux réduit de 5,5
% s’applique à
des postes de consommation surreprésentés
dans
les
dépenses
des
ménages
les
plus
modestes (alimentation, eau, cantine), le taux de
10 % bénéficie notamment aux dépenses de
restauration, d’hébergement ou de transport,
soit
des
services
surreprésentés
dans
la
consommation des ménages aisés. Les postes de
dépenses soumis au taux réduit de 10 %
représentent une part de la consommation
de 5,7 points plus élevée pour les ménages aisés
que pour les ménages modestes (trois premiers
déciles de niveau de vie
–
cf. graphique 2). Quant
aux classes moyennes (déciles 4 à 8), le gain
associé aux taux réduits est identique à celui des
classes les plus aisées (déciles 9 et 10) et
représente 4,6 % de leur consommation (cf.
graphique 3).
Graphique 3 : Gains associés aux taux réduits par
décile de niveau de vie
Source : CPO (2023) ; Budget de Famille 2017 (Insee)
En termes absolus, les gains en euros par décile
de niveau de vie associés aux taux réduits en
comparaison avec le taux normal, confèrent un
avantage bien plus élevé pour les ménages aisés.
Les gains s’élèvent à
712
€ par ménage pour le
premier décile contre 2 089
€ pour le dernier
décile. Quant aux classes moyennes, le gain
moyen s’élève à 1
151
€, soit près de la moitié de
celui du dernier décile. À l’exception du tabac,
l’avantage procuré par les taux réduits croît avec
le
revenu
quel
que
soit
le
poste
de
consommation, dès lors que la consommation en
euros croît avec le revenu disponible annuel.
10
Rapport particulier : Les prélèvements obligatoires au
regard
des
enjeux
redistributifs
(ccomptes.fr)
qui
accompagnait le rapport de synthèse «
Redistribution,
Constat 2
: Dans leur ensemble, les taux
réduits
de
TVA
induisent
des
effets
redistributifs limités. Toutefois, le taux réduit
de
5,5 %
s’applique
à
des
postes
de
consommation
surreprésentés
dans
les
dépenses des ménages les plus modestes, à
l’inverse
du taux réduit à 10 %.
2.
La
TVA
finance
des
transferts
sociaux et des services publics fortement
redistributifs
2.1.
La
progressivité
du
système
socio-fiscal est assurée par les prestations
sociales
et
les
transferts
en
nature,
financés pour une part significative par la
TVA
Comme le CPO l’a montré dans son rapport de
février 2022 « Redistribution, innovation, lutte
contre le changement climatique : trois défis
fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire » et
dans
le
rapport
particulier
relatif
aux
« prélèvements
obligatoires
au
regard
des
enjeux redistributifs
» qui l’accompagnait
10
il
importe de tenir compte de l’ensemble des
prélèvements, des transferts et des dépenses
publiques dans l’étude des effets redistributifs
du système socio-fiscal.
En
effet,
les
effets
redistributifs
des
prélèvements obligatoires sont cumulatifs, et le
caractère régressif d’un prélèvement peut être
totalement neutralisé par un autre prélèvement.
Par ailleurs, la contrepartie des prélèvements
fiscaux et sociaux consiste en des transferts
monétaires ou en nature (santé, éducation,
action sociale et logement) ainsi qu’en dépenses
collectives, l’ensemble induisant des effets
redistributifs.
La TVA finançait, en 2021, 13 % des dépenses
des
administrations
publiques
(APU),
respectivement 16 % pour les administrations
publiques centrales (APUC), 13 % pour les
administrations publiques locales (APUL) et 8%
pour les administrations de sécurité sociale
(ASSO).
innovation, lutte contre le changement climatique : trois
enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire
».
0%
1%
2%
3%
4%
5%
Ensemble
Décile 1
Décile 2
Décile 3
Décile 4
Décile 5
Décile 6
Décile 7
Décile 8
Décile 9
Décile 10
Gain en % de la consommation (taux 2,1 %)
Gain en % de la consommation (taux 5,5 %)
Gain en % de la consommation (taux 10 %)
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Dès lors, le caractère régressif de la TVA doit être
mis
en
regard
de
l’ensemble
des
effets
redistributifs du système socio-fiscal, y compris
les transferts monétaires et en nature, financés
par les prélèvements obligatoires.
En 2021, l’Insee a, pour la première fois, publié
une analyse élargie de la redistribution
11
qui
intègre
les
prélèvements
obligatoires,
les
transferts monétaires, les transferts en nature et
les dépenses collectives.
Selon cette étude, qui a été mise à jour en
septembre 2023, les prélèvements obligatoires
accroissent légèrement les inégalités mesurées
par
l’indice
de
Gini
12
.
Cet
effet
est
principalement attribuable à la fiscalité sur la
consommation,
dont
la
TVA
et
les
droits
d’accises sur le tabac et l’alcool, et n’est que
partiellement compensé par les impôts sur le
revenu et le patrimoine.
Les
transferts
monétaires
et
en
nature
contribuent fortement à la baisse des inégalités
de revenu. Ainsi, le niveau des inégalités mesuré
par l’indice de Gini diminue de
moitié grâce à
l’ensemble des transferts reçus (cf. graphique 4).
Graphique 4 : Inégalités avant et après
prélèvements et transferts (2019)
Note de lecture
: L’indice de Gini, mesurant les
inégalités
est
de
0,439
pour
le
revenu
avant
prélèvements et transferts et de 0,18 pour le niveau de
vie élargi après transferts et préèvements.
La prise en
compte des transferts en nature réduit les inégalités de
niveau de vie, mesurées par l’indice de Gini,
de 0,131
soit 30% des inégalités de revenu initiales.
11
« Réduction des inégalités : la redistribution est deux fois
plus ample en intégrant les services publics », Insee
Références, mai 2021.
12
L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur
synthétique permettant de rendre compte du niveau
Source : «
la redistribution élargie, incluant l’ensemble
des transferts monétaires et les services publics,
améliore le niveau de vie de 57 % des personnes », Insee
Analyse, septembre 2023.
En considérant les dépenses publiques hors
transferts monétaires, les inégalités, mesurées
par l’indice de Gini, sont réduites d’un niveau
équiva
lent à l’effet des transferts en espèces. Ce
résultat s’explique par la forte progressivité des
transferts en nature individualisables (santé,
éducation, logement), financés pour partie par la
TVA via le budget de l’État ou les administrations
de sécurité sociale (ASSO). En effet, les montants
de ces transferts s’élèvent à 12
580
€ par unité
de
consommation
pour
le
premier
décile
contre 6 270
€ pour le dernier décile.
Le système socio-fiscal, financé pour partie
par la TVA, est donc bien redistributif.
Les
résultats précédents illustrent l’ensemble
des outils à disposition des décideurs publics
pour réduire les inégalités de niveau de vie. En
plus de la progressivité des prélèvements
obligatoires, les dépenses publiques et le ciblage
des prestations sociales peuvent participer à
l’objectif de réduction des inégalités. Dans le cas
français, les prélèvements obligatoires financent
les transferts monétaires, en particulier les
prestations sociales qui contribuent à assurer la
progressivité de notre système socio-fiscal pris
dans son ensemble. Le modèle français s’appuie
ainsi davantage sur les transferts en espèces ou
en nature que sur une fiscalité progressive pour
corriger les inégalités. Dès lors, comme le
soulignait déjà le CPO dans son rapport de 2022,
la principale contribution des prélèvements
obligatoires, au premier rang desquels la TVA,
provient non pas de leur progressivité « mais de
leur rôle de financement des transferts sociaux
et des services publics ».
Constat 3
: La progressivité du système socio-
fiscal français repose sur les prestations
sociales et les transferts monétaires plutôt
que
sur
la
fiscalité.
La
TVA
participe
également à la progressivité du système
socio-fiscal en finançant les transferts sociaux
et les services publics nationaux et locaux.
d'inégalité pour une variable et sur une population donnée.
Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême).
Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que l'indice
de Gini est élevé.
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2.2.
En Europe, les pays ayant un niveau
de
dépenses
de
protection
sociale
équivalent à la France ont également des
niveaux de TVA plus élevés
En comparaison des autres Etats membres de
l’Union européenne (UE), le poids de la TVA dans
les finances
publiques en France est l’un des plus
faibles. La France se situe en effet au 24
ème
rang
de l’UE à 27 en termes de poids de la TVA dans
les prélèvements obligatoires et au 19
ème
rang en
termes de points de PIB (7,1% du PIB en 2019).
En revanche, la France se caractérise par un
niveau de redistribution élevé, mesuré par la
part des dépenses de protection sociale dans le
PIB. Elle se situe ainsi au 1
er
rang devant le
Danemark.
En mettant en relation ces deux indicateurs, on
observe cependant, que, dans les autres États
européens, les taux de TVA sont le plus souvent
plus élevés lorsque les dépenses sociales et donc
la
redistribution
sont
les
plus
fortes
(cf.
graphique 5).
Graphique 5 : Dépenses de protection sociale en
points de PIB et poids de la TVA dans le PIB (UE à
27 hors Irlande, 2019)
Note de lecture : En France, la TVA représente 7,1% du
PIB et les dépenses de protection sociale représentent
33,4 % du PIB.
Source : CPO (données : Eurostat).
Ainsi, au Danemark, pays où les dépenses de
protection sociale sont les plus élevées après la
France, le taux normal de TVA s’établit à 25
%
(contre 20 % en France) et la TVA représentait
9,5 % du PIB en 2019. La France se distingue
ainsi de ses partenaires européens par le plus
faible poids de la TVA dans le PIB au regard de la
part des dépenses de protection sociale dans les
dépenses publiques.
Ainsi, dans l’Union européenne, le rendement de
la TVA contribue à la soutenabilité financière du
modèle social.
Constat 4
: Les pays européens qui ont des
dépenses de protection sociale comparables à
la France les financent par des niveaux de TVA
plus élevés.
3.
La baisse de la TVA constitue un
outil peu équitable et peu efficace pour
soutenir le pouvoir
d’achat
des ménages
ou pour faire face à la hausse des prix de
l’én
ergie
3.1.
La baisse de la TVA constitue un outil
peu efficace pour soutenir le pouvoir
d’achat
des ménages
La TVA ne constitue pas un outil efficace pour
accroître la progressivité de notre système
socio-
fiscal. En effet, la baisse d’un taux de TVA
ne permet pas de cibler les ménages modestes,
et profite, en euros, davantage aux ménages
aisés. De plus, une baisse de taux n’est pas
systématiquement transmise au consommateur
et peut être captée par le producteur.
Comme montré précédemment, les taux réduits
ne
contribuent
que
très
marginalement
à
réduire les effets régressifs de la TVA. Les gains
liés aux taux réduits de TVA rapportés à la
consommation ne varient que très peu en
fonction du niveau de vie, attestant de l’impact
redistributif limité de la structure de taux. Les
taux réduits confèrent par ailleurs un gain en
euros croissant avec le décile de niveau de vie.
Ces résultats montrent la faible pertinence de la
TVA comme outil redistributif. En effet, les gains
associés à la baisse du taux de TVA sur une
catégorie de produits sont proportionnels au
montant consommé par le ménage. Or, quelle
que soit la catégorie de produit hors tabac, le
montant consommé croît avec le revenu. À titre
d’exemple,
les
dépenses
en
produits
alimentaires hors boissons alcoolisée
s s’élèvent
en moyenne, en 2017, à 2 863
€ par an par
ménage pour le premier décile, 4 042
€ pour le
cinquième décile, et 6 559
€ pour le dernier
décile de niveau de vie.
Le rapport du CPO sur la TVA de 2023 a montré
que, pour un coût budgétaire identique, une
prime individuelle de 250
€ attribuée à tous les
individus ayant un revenu inférieur à 2 000
€
par mois confère un avantage supérieur à la
suppression
de
la
TVA
sur
les
produits
alimentaires aux ménages des huit premiers
déciles (cf. graphique 6).
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Par ailleurs, les ressources budgétaires générées
par la suppression des taux réduits pourraient
permettre de compenser les ménages des cinq
premiers déciles à hauteur de deux fois la perte
subie par cette suppression. Ainsi, pour un coût
budgétaire identique, un transfert monétaire en
fonction du revenu aurait un effet redistributif
deux fois plus élevé que les taux réduits et
exonérations de TVA.
Graphique 6 : Variation, en % du niveau de vie,
pour différentes mesures de soutien
Source : CPO ; TAXIPP 2.0 (données : Insee, DGFiP), IPP,
Budget de famille 2017.
L’expérience des
baisses
passées
de TVA
souligne qu’elles ne sont que partiellement
répercutées sur le prix final. Une étude de l’Insee
de 2014
13
estime ainsi à 20 % le taux de
répercussion sur les prix de la baisse du taux de
TVA dans la restauration, sans atteindre les
autres objectifs et en particulier la création
d’emplois escomptée. À l’inverse, cette mesure a
contribué à augmenter les marges du secteur
selon le rapport du CPO de 2015
14
.
Par ailleurs, cette faible transmission au prix
final
peut
être
accentuée
en
période
inflationniste. En effet, dans une note récente, le
Conseil d’analyse économique montre que les
taux de transmission du prix des intrants au prix
final est asymétrique
15
: sur la période 2021-
2022,
les
entreprises
ont
répercuté
intégralement la hausse des coûts de l’énergie
tandis que leurs baisses ne sont transmises qu’à
hauteur de 40 %, afin de préserver leurs marges.
13
Voir aussi « et «
L’addition
est-elle moins salée ? La
réponse des prix à la baisse de TVA dans la restauration en
France », Q. Lafféter et P. Sillard, document de travail de
l’Insee,
mai 2014.
14
« Évaluation de l'impact de la baisse du taux de TVA de
juillet 2009 sur le prix de production des unités légales de
la restauration », S. Quantin, M. Robin et J. Accardo,
document de travail de
l’Insee,
mars 2015.
Il pourrait en être de même pour le taux de
transmission d’une baisse de la TVA. Dès lors, la
baisse du taux de TVA bénéficierait davantage
aux entreprises qu’aux ménages.
Enfin, le recours aux taux réduits de TVA
apparaît comme un outil inadapté, s’agissant des
e
njeux de redistribution. D’après Atkinson et
Stiglitz (1976), il n’est pas souhaitable de taxer
les biens à des taux différenciés dès lors qu’une
fiscalité progressive sur les revenus existe. En
effet, une baisse des prix relatifs de certains
produits
crée
une
distorsion
de
la
consommation des ménages.
Constat 5 :
Une baisse de TVA
n’est
pas
efficace pour soutenir le pouvoir
d’achat
des
ménages les plus modestes et des classes
moyennes dès lors que celle-ci bénéficie plus
fortement aux ménages les plus aisés et
qu’une
large partie de cette baisse est captée
par les entreprises.
3.2.
La baisse de la TVA
n’est
pas
l’outil
le
plus efficace pour protéger les ménages de
la hauisse des prix de
l’énergie
Face à la hausse des prix de l’énergie, le
Gouvernement a mis en place des mesures
visant à baisser leur prix au consommateur, à
soutenir le revenu des ménages vulnérables
ainsi qu’à inciter à la réalisation de travaux de
rénovation énergétique et à l’achat de véhicules
électriques.
Cependant, à la différence de la plupart de ses
voisins européens, la France a privilégié d’autres
instruments qu’une baisse de la TVA en réponse
à la hausse des prix de l’énergie. En effet, 20 des
27 États membres de l’UE ont eu recours à des
baisses de TVA sur le gaz, l’électricité ou les
combustibles pour en diminuer les prix
16
.
15
« Les politiques publiques au défi du retour de
l’inflation
», X. Jaravel, I. Méjean, X. Ragot, les notes du
Conseil
d’analyse
économique, juillet 2023.
16
Voir le rapport particulier de 2023 n° 3 relatif à la
comparaison internationale des systèmes de TVA.
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En France, le « bouclier tarifaire » constitue la
principale des mesures mises en place par le
Gouvernement en 2022 pour protéger le pouvoir
d’achat des ménages. Celui
-ci consistait en un gel
des tarifs réglementés de vente (TRVg) entre
novembre 2021 et juin 2023 pour le gaz naturel,
et une hausse des tarifs plafonnée à 4 % en 2022
pour l’électricité. En 2023, la hausse des tarifs
réglementés de l’électricité a été plafonnée à
15 % en février, puis 10 % en août
17
. Des aides
spécifiques pour les habitats collectifs chauffés
au gaz (du 1
er
novembre 2021 à fin 2023) et à
l’électricité (du 1
er
juillet 2022 à fin 2023) ont été
également mises en œuvre. Par ailleurs, un
chèque
énergie
exceptionnel
et
des
aides
spécifiques pour les ménages modestes se
chauffant au fioul et au bois ont été mis en place
fin 2022 et prolongés en 2023.
S’agissant des carburants, pour lesquels une
baisse du taux de la TVA n’aurait pas été
juridiquement
envisageable
à
droit
communautaire cosntant, le prix de l’essence a
été minoré par une remise « carburant » entre
avril et décembre 2022. Elle a été remplacée en
2023
par
une
indemnité
ciblée
sur
les
travailleurs modestes qui se rendent sur leur
lieu de travail avec leur véhicule personnel
(« chèque exceptionnel carburant »).
Si la baisse des taux de TVA sur le gaz et
l’électricité et le bouclier tarifaire v
isent tous
deux à soutenir les ménages par une baisse de
prix au consommateur, le bouclier constitue un
outil plus efficace pour toutes les catégories de
revenus. Pour un ménage médian, une baisse du
taux de TVA à 10
% sur le gaz et l’électricité
réduit la facture énergétique de 160
€, contre
434
€ pour le « bouclier tarifaire »
18
en 2022 (cf.
graphique 7).
17
Cette mesure repose sur la baisse de la taxe intérieure sur
la consommation finale
d’électricité
(TICFE) ainsi que sur
l’augmentation
du volume
d’électricité
nucléaire vendu à
bas coût par EDF à ses concurrents.
18
Estimations réalisées en 2022 par le Commissariat
général au développement durable à
l’aide
du modèle
Prométheus dans le cadre du rapport particulier n° 5 relatif
à la TVA face aux défis socioéconomiques.
Graphique 7 : évolution du niveau de dépense en
énergie en 2022 selon la mesure mise en place
en fonction du niveau de vie (en euros)
Source : CGDD (modèle Prometheus)
–
scénario :
hausse des prix de l’électricité de 48% et du prix du gaz
de 105%.
Note de lecture : pour le premier décile de niveau de vie,
la dépense d’énergie hors carburant s’élève en
moyenne à 1 259
€ en 2019
; elle est portée à 1 799
€
sans mesure en 2022 ; le bouclier tarifaire la ramène à
1 429
€ contre 1
686
€ pour une baisse à 10% de la
TVA sur le gaz et l’électricité.
Cependant si des mesures générales visant à
baisser les prix sont pertinentes dans un
contexte de forte hausse de
s prix d’origine
extérieure afin de réduire les anticipations
d’inflation et la transmission de la hausse des
prix à d’autres secteurs de l’économie
19
, celles-ci
doivent être temporaires.
En effet, le bouclier tarifaire ou la mise en place
d’un taux réduit
de TVA brouillent le signal prix.
Ils ne permettent pas d’ajuster la demande aux
contraintes d’offre et peuvent, sous certaines
conditions, accentuer le risque de pénuries et les
pressions inflationnistes associées
20
.
De plus, ces mesures contribuent à décourager
certains investissements verts des ménages et
des
entreprises.
Or,
la
réorientation
des
comportements vers des solutions décarbonées
et sobres en énergie constitue la priorité à long
terme pour atteindre les objectifs de la France en
termes de réduction des émissions de gaz à effet
de serre.
19
« Fiscal support and monetary vigilance: Economic policy
implications of the Russia-Ukraine war for the European
Union », J. Pisani-Ferry et O. Blanchard, PIIE Policy Brief
22/5, avril 2022.
20
« Inflation, market power, and price controls: Views of
leading economists », R. Vaitilingman, VoxEU, 2022.
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Quant au coût, il est mécaniquement plus élevé
pour un dispositif non ciblé. En cela, les mesures
de régulation des prix débouchent sur une
impasse à moyen terme pour les finances
publiques. Et, si le bouclier tarifaire est trois fois
plus efficace, il est également aussi beaucoup
plus coûteux qu’une baisse de taux de TVA à
10
% sur le gaz et l’électricité.
Selon un rapport de la commission de finances
du Sénat de juin 2023
21
, le coût des boucliers
tarifaires ga
z et électricité s’élèverait au total à
29
Md€
sur
2022
et
2023,
auxquels
s’ajouteraient 5,7
Md€ au titre des mesures en
faveur de l’habitat collectif. Le coût de la remise
carburant a représenté 8 Md€ en 2022.
Aussi, le FMI recommandait à la France, en
novembre
2022,
un
« resserrement
budgétaire », notamment en « ciblant mieux les
soutiens en matière énergétique »
22
.
Le bouclier tarifaire sur le gaz a pris fin en juin
2023. Le plafonnement de la hausse des prix de
l’électricité a été relevé à 15
% en février 2023,
et à nouveau de 10 % au 1
er
août 2023. Le
Gouvernement
a
annoncé
la
disparition
complète du bouclier tarifaire pour l’électricité
d’ici la fin 2024.
3.3.
Des subventions ciblées paraissent
plus pertinentes
qu’une
baisse de la TVA
pour atténuer les effets de la hausse des
prix de
l’énergie
et accomppagner la
transition énergétique
Si l’ensemble des ménages ont subi une hausse
de leur facture énergétique malgré la mise en
place du bouclier tarifaire, celle-ci est plus
marquée pour les ménages modestes : par
rapport
à
2019,
la
part
des
dépenses
énergétiques dans le revenu disponible aurait
augmenté de 1,4 point en 2022 pour les ménages
du premier décile contre 0,3 point pour le
dernier décile.
21
Christine Lavarde, Contrôle budgétaire sur les dispositifs
de soutien aux consommateurs d'énergie : l'usine à gaz des
aides énergie, commisison des finances du Sénat, juin 2023.
22
« France : déclarations des services du FMI à
l’issue
de
leur mission de 2022 au titre de
l’article
IV », FMI, 21
novembre 2022.
23
Un ménage est considéré en précarité énergétique
lorsque son taux
d’effort
énergétique
(c’est
-à-dire le poids
que représente sa facture annuelle
d’énergie
du logement
dans son revenu total) est supérieur à 8 % et que ce ménage
Ainsi, les ménages appartenant au premier
décile auraient un taux d’effort, en moyenne,
supérieur de 3,8 points au seuil de précarité
énergétique
23
.
Dans ce contexte, il convient d’examiner quel est
l’outil le plus perti
nent pour accompagner la
sortie du bouclier tarifaire et la transition
énergétique, entre des subventions de type
« chèque énergie » et une baisse des taux de TVA
sur l’électricité et le gaz.
L’instauration d’un taux réduit de TVA à 10
%
sur le gaz et l’él
ectricité se traduirait par un gain
croissant en fonction du décile de niveau de vie :
celui-ci est compris entre 100
€ pour le premier
décile et 158
€ pour le dernier décile, pour un
coût annuel de 3,3
Md€.
Cette mesure peut être comparée au chèque
énergie
exceptionnel mis
en place
par
le
Gouvernement fin 2022. Le montant de celui-ci
s’élève jusqu’à fin 2023 à 200
€ pour les
ménages appartenant aux deux premiers déciles
de revenu
24
et 100
€ pour les deux suivants,
pour un coût de 1,8
Md€
25
. Sous l’hypothèse
d’un taux de recours de 80%, le gain moyen
associé à cette mesure s’élève à 160
€ pour les
deux premiers déciles et à 80
€ pour les deux
suivants
26
.
Le gain associé au chèque énergie « ordinaire »
qui préexistait à la crise s’élève à 154 € pour le
premier
décile et à 54 € pour le deuxième décile
pour un coût annuel estimé à 0,7 Md€ en 2022.
Ainsi, le chèque énergie constitue une mesure
plus efficace et moins coûteuse pour soutenir les
ménages les plus modestes (premier décile) face
à une hausse des prix d
e l’énergiequ’une baisse
de TVA à 10% sur le gaz et l’électricité.
De façon analogue, un chèque carburant peut
permettre d’atténuer les effets de la hausse des
prix de l’essence en ciblant l’aide sur les
ménages les plus modestes.
appartient aux 30 % des ménages les plus modestes (trois
premiers déciles de revenu total par UC).
24
La base ressources retenue est le revenu fiscal de
référence par unité de consommation.
25
Les chèques fioul et bois ont pour leur part coûté 0,4
Md€
en 2022.
Il est fait
l’hypothèse
simplificatrice que les déciles de
niveau de vie coïncident avec les déciles de revenu fiscal de
référence par unité de consommation.
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Cependant, ni le chèque énergie ni le chèque
carburant
ne
permettent
de
réorienter
le
comportement des ménages modestes vers des
solutions décarbonées. Ils doivent intervenir en
complément de mesures visant à inciter les
ménages à réduire leur consommation d’énergie
et leurs émissions de gaz à effet de serre, telles
que le soutien à la rénovation énergétique ou des
subventions à l’achat de véhicules électriques.
Constat 6 :
Une baisse de TVA sur
l’électricité
ou le gaz ne permet pas de cibler les ménages
en situation de précarité énergétique.
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RECOMMANDATIONS
1.
Préférer le recours aux prestations sociales et les transferts monétaires
ciblés à une baisse de la TVA pour soutenir le pouvoir
d’achat
des ménages
modestes.
2.
Préférer à court terme le chèque énergie à une baisse de la TVA comme outil
de lissage de la sortie du bouclier tarifaire, en complément de mesures visant
à soutenir les ménages modestes pour décarboner leur mode de vie dans la
durée.