Un suivi de la gestion du domaine skiable défaillant et opaque
La gestion du service des remontées mécaniques est déléguée à une société d’économie mixte, la SEM Roc d’Enfer, dont Saint-Jean d’Aulps détient 85 % des parts mais à laquelle Bellevaux ne participe pas. La délégation de service public a été conclue en 2016 et renouvelée en 2022 sans mise en concurrence, ce qui est irrégulier.
Cette délégation de service public est marquée par un suivi lacunaire de la commune et par un manque de transparence à l’égard du conseil municipal et de la population, alors qu’elle présente des enjeux, notamment financiers, considérables pour Saint-Jean d’Aulps, et se trouve en grande difficulté. Les rapports annuels au conseil municipal prévus par les articles L. 3131‑5 du code de la commande publique et L. 1524-5 du CGCT ne sont pas produits. Les tarifs de la station ne sont généralement pas soumis au conseil municipal. La commission de suivi de la délégation de service public prévue par les deux conventions successives n’a jamais été mise en place, tout comme la commission de contrôle prévue à l’article R. 2222-3 du CGCT. De 2019 à 2022, des activités estivales ont été confiées à la société sans base contractuelle. Les fins de convention se caractérisent par un défaut de préparation : les inventaires des biens sont mal tenus et non mis à jour.
Une station de ski déjà touchée par le changement climatique
Diverses études démontrent que cette station de ski est vulnérable au changement climatique. L’enneigement naturel est déjà presque inexistant. De fait, elle est dépendante de la production de neige. Si elle dispose de 135 enneigeurs, qui ont un impact sur les coûts d’exploitation, ceux-ci ne permettent toutefois pas de prémunir le Roc d’Enfer contre le manque de neige, dès lors que les fenêtres de froid nécessaires à la production de neige de culture diminuent. La chambre a également relevé que la station méconnait les autorisations de prélèvement en eau dont elle dispose pour alimenter ses enneigeurs.
La commune s’est aussi tournée vers le développement d’activités praticables sans neige, fortement subventionnées par le département et la région. Cette évolution se fait toutefois sans concertation avec la communauté de communes, qui dispose de la compétence tourisme.
Un domaine skiable structurellement déficitaire
La SEM Roc d’Enfer, bien qu’elle supporte peu d’investissements, est déficitaire. Elle dégage un déficit annuel moyen de 136 282 € sur les exercices 2019 à 2023. Cette situation n’est pas seulement imputable au manque de neige mais également à des charges externes et de personnel qui augmentent nettement et questionnent sur sa capacité à approcher à nouveau l’équilibre, même avec des conditions d’enneigement favorables. L’exercice 2023 enregistre un déficit de 582 518 €, les dettes d’exploitation de la société sont élevées et ses capitaux propres négatifs (- 519 382 €), situation qui se dégrade encore en 2024, amenant la commune à avoir recours à des expédients contestables pour renflouer les comptes de sa société (indemnisation discutable des biens de retours à hauteur de 304 050 €, versement d’une indemnité d’imprévision de 200 000 €). En l’absence de dissolution de la SEM, la commune va devoir procéder à sa recapitalisation à brève échéance.
Les subventions croissantes affectées au domaine skiable sont irrégulières et risquent d’obérer les moyens affectés aux projets de développement de la commune
Le budget annexe « remontées mécaniques » de la commune est surtout financé par des subventions de fonctionnement et d’investissement versées par le budget principal de la commune (pour un montant total de 4,4 M€ au titre des années 2019 à 2023). Ce financement pérenne par les contribuables locaux d’un service public industriel et commercial méconnaît le principe d’équilibre de ces services qui doivent, selon la loi (article L. 2224-2 du CGCT) être financés par les usagers (les skieurs).
La commune de Saint-Jean d’Aulps bénéficie cependant d’une santé financière satisfaisante, bien que se dégradant en fin de période. Elle a des projets immobiliers importants dont elle attend des suppléments de recettes fiscales. Mais elle doit mieux appréhender les conséquences sur ses dépenses d’investissement et de fonctionnement qu’induiront l’augmentation de sa population. En outre, les sommes croissantes versées au domaine skiable viendront réduire les moyens financiers que la commune pourra affecter à ces projets. Elle donc est appelée à évaluer rigoureusement la soutenabilité de la poursuite de l’exploitation du ski, avant d’engager des investissements, qui pourraient se révéler inutiles en cas de réduction ou cessation de l’activité.
RECOMMANDATIONS
- Recommandation n° 1 : Veiller à la production du rapport annuel du délégataire et des comptes de la délégation de service public des remontées mécaniques, ainsi qu’à leur présentation au conseil municipal.
- Recommandation n° 2 : Veiller à la présentation et à l’approbation annuelle des tarifs au conseil municipal avant le début de la saison hivernale.
- Recommandation n° 3 : Installer la commission de contrôle prévue à l’article R. 2222-3 du CGCT.
- Recommandation n° 4 : Veiller à la tenue exhaustive des annexes, concernant notamment le statut des biens, et à leur actualisation
- Recommandation n° 5 : Veiller sans délai au respect des obligations légales de suivi des prélèvements en eau destinés à la production de neige et respecter les volumes et périodes de prélèvement autorisés.
- Recommandation n° 6 : Procéder à l’engagement comptable des dépenses, permettant notamment le recensement des restes à réaliser.
- Recommandation n° 7 : Faire directement porter les dépenses par l’entité à laquelle elles incombent : ne pas prendre en charge, sur le budget communal, des dépenses qui incombent à la SEM en application de la convention de DSP.
- Recommandation n° 8 : Adopter une délibération relative à la composition de la commission d’appel d’offres conforme aux dispositions de l’article L. 1411-5 du CGCT.