La chambre régionale des comptes Pays de la Loire a procédé au contrôle des comptes et de la gestion, à partir de l’exercice 2016, de trois entités composant la clinique Jules Verne implantée à Nantes. Ce contrôle s’est effectué sur le fondement de l’article L. 211-7 du code des juridictions financières, donnant compétence aux chambres régionales des comptes sur les personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social[1].
Sous l’appellation « clinique Jules Verne », un regroupement, unique et complexe, d’entités au statut différent
La clinique Jules Verne, née de la fusion d’anciennes cliniques mutualistes et commerciales en 2004, n’est pas une personne morale unifiée. Cette appellation recouvre en effet quatre entités juridiques. Une société à caractère lucratif, la SAS Jules Verne, une société à but non lucratif, l’Union de gestion de la clinique mutualiste Jules Verne (UGCM), et deux groupements entre ces deux premières sociétés : le GIE Jules Verne, porteur des charges communes (administratives, loyers, etc.) et employeur de tous les salariés, et le groupement de coopération sanitaire (GCS) du pôle hospitalier mutualiste Jules Verne, porteur de la pharmacie.
Cet ensemble est rattaché à l’union mutualiste de groupe (UMG) VYV, par le biais de la composante régionale commerciale et mutualiste du groupe, Hospi Grand Ouest, qui fédère une dizaine d’autres cliniques de Bretagne et des Pays de la Loire.
Le montage choisi pour la clinique Jules Verne, qui associe une société commerciale et une union mutualiste, n’est pas prévu par les dispositions de l’article L. 320-4 du code de la mutualité. Il n’a jamais cependant été remis en cause, malgré la lourdeur et la complexité administrative qu’il génère car, en cas d’unification sous la forme d’une entité à but non lucratif, les médecins libéraux en exercice à la clinique seraient dans l’impossibilité de facturer des actes avec des dépassements d’honoraires.
Une clinique bien ancrée dans l’offre du territoire et engagée dans une démarche de qualité de la prise en charge
La clinique Jules Verne prend en charge chaque année près de 48 000 courts séjours, sur son site principal nantais, en médecine, en chirurgie et en obstétrique, et près de 1 000 patients de moyen séjour, sur son site de Saint-Sébastien. Elle a bien opéré son basculement vers la chirurgie ambulatoire, surtout pour les spécialités de la SAS. Elle est depuis longtemps très engagée dans une démarche de qualité et de sécurité de la prise en charge, qui mobilise l’ensemble des acteurs internes.
Pour les spécialités majeures qu’elle a choisi de développer, la clinique constitue un acteur incontournable au sein d’un territoire métropolitain nantais dynamique.
Une course à la croissance au bénéfice potentiel de la clinique mais surtout des acteurs médicaux œuvrant dans ses murs
A l’exception du secteur naissance, la clinique s’est engagée dans une course à la croissance depuis quelques années, avec une extension de ses locaux de court séjour en 2016 et de nouvelles livraisons en 2020, mais elle aura besoin d’une pause pour bien intégrer, dans son organisation et ses finances, toutes les conséquences de cette course de fond menée à un rythme élevé.
Le nombre d’agents salariés de la clinique a peu augmenté ces dernières années, alors que près d’une centaine de praticiens y exercent à titre libéral. Les contrats d’exercice libéral sont globalement plutôt favorables aux médecins au regard des résultats de l’enquête 2017 de la Cour des comptes sur les cliniques privées. Le contrôle a permis de déceler une pratique de dépassements d’honoraires atypique, pour l’heure encore minoritaire. A l’opposé, les redevances qui sont contractuellement dues à la clinique par les médecins libéraux ne sont plus payées en temps et en heure. Alors que la situation financière de la clinique s’est nettement dégradée depuis 2016, celle des médecins libéraux, elle, s’est globalement améliorée.
Une situation financière très dégradée, malgré l’appui financier massif de la mutualité mais aussi de l’ARS
La structure des coûts de la clinique est dégradée. Ce déséquilibre d’exploitation n’est pas structurel mais résulte d’un modèle de gestion historiquement généreux, assurant une forte qualité de la prise en charge malgré les surcoûts associés, rendu possible par un financeur mutualiste toujours présent, et une certaine inertie dans les mécanismes de correction. L’immobilier et les surcoûts administratifs de l’éclatement juridique, agissent comme des amplificateurs de ce déséquilibre.
En apparence, depuis 2016, la capacité d’autofinancement brute (CAF) a été suffisante pour faire face à l’endettement et aux investissements, mais ces derniers étaient de faible ampleur, la clinique ne portant pas son immobilier, et l’exploitation, retraitée des aides perçues de la part de l’ARS comme de la mutualité, révèle l’ampleur des difficultés
Pour la SAS comme pour l’UG, la rentabilité économique ou financière n’a jamais été au rendez-vous. Les rares améliorations, conjoncturelles ou relevant d’effet optique, sont corrélatives d’un ou de plusieurs dispositifs d’accompagnement financier de la mutualité ou d’aides de l’ARS.
La situation financière de la SAS depuis 2016 est critique. En dépit d’un modèle commercial permettant théoriquement de générer un cash-flow récurrent, son niveau de rentabilité est resté nul et sa trésorerie négative. La liquidité de la société n’a été soutenue que par des mécanismes de perfusion directs et indirects du groupe et de la mutualité, avec, en fin de période, un apport en capital de près de 4,5 M€ sans lequel la société aurait pu être dissoute.
La situation de l’UG, moins dégradée que celle de la SAS, n’en reste pas moins inquiétante. Son mode de financement paraît de moins en moins soutenable, ses capitaux permanents finançant non seulement les emplois stables mais aussi une partie de la dette de court terme.
La situation financière du GIE n’est que le résultat de l’imbrication de ses deux membres, SAS et UG, dont les trésoreries se complètent : la seconde est positive quand la première ne l’est pas. Ainsi, la SAS a bénéficié depuis 2017 de facilités infra-annuelles de la part du GIE pour les refacturations des personnels, ce qui a impliqué pour le groupement de solliciter par ricochet la trésorerie de l’UG. La chambre en conclut que les financements publics et de Sécurité sociale dont l’UG a bénéficié sur la même période ont contribué à empêcher la SAS, entité commerciale, de faire défaut.
[1] Une compétence identique étant dévolue à la Cour des comptes en application de l’article L.111-7 du code des juridictions financières