Une pratique massive, inscrite dans un cadre juridique complexe
Les contrôles d’identité, prévus aux articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale, relèvent de la police judiciaire et administrative. Ils peuvent être conduits à l’initiative des forces de police et de gendarmerie ou sur réquisition écrite du procureur de la République. Ce cadre a été progressivement précisé par la jurisprudence, afin d’orienter le discernement des agents dans le choix des personnes contrôlées. Il est complété par un ensemble de règles déontologiques applicables plus généralement aux policiers et aux gendarmes, et qui ont une portée réglementaire depuis 2014. Elles décrivent les grands principes de l’interaction entre les forces de sécurité et la population, et consacrent la non-discrimination lors du contrôle. Malgré les lacunes importantes de l’information disponible, la Cour s’est attachée à évaluer le nombre de contrôles d’identité menés chaque année. En 2021, la gendarmerie nationale (20 millions) et la police nationale (27 millions) cumulaient un total d’environ 47 millions de contrôles d’identité, même si cette estimation reste imparfaite. En effet, malgré la place centrale des contrôles d’identité dans leurs actions, les forces de sécurité ne recenser les contrôles réalisés ni leurs motifs afin d’en analyser les résultats. Approfondir la connaissance des contrôles d’identité – leur nombre mais aussi par exemple, leur localisation - est donc fondamental pour bien mesurer les modalités d’exercice de cette pratique.
Des finalités à préciser, des gestes à encadrer
La nécessité opérationnelle des contrôles d’identité fait l’objet d’un consensus unanime au sein des forces de sécurité intérieure. Pourtant, elles n’ont pas mené de réflexion sur les conditions concrètes d’emploi de cette pratique, envisagée comme un simple outil. Le contrôle d’identité n’a pas réellement été défini dans la stratégie des forces de sécurité, et son impact sur la relation police-population n’est pas mesuré. De plus, il n’existe pas de supports pédagogiques définissant précisément les objectifs et les modalités de ces contrôles d’identité. Ce manque de précision entraîne des dérives dans les pratiques quotidiennes. Dans ces conditions, le mentorat des plus jeunes par des gradés expérimentés est déterminant. Il se heurte toutefois, dans la police nationale, aux difficultés d’encadrement hiérarchique liées à la réduction du nombre d’officiers de police. Dans la majorité des cas, seuls les contrôles dont les agents estiment eux-mêmes qu’ils doivent être portés à la connaissance de leurs supérieurs immédiats font l’objet d’une attention hiérarchique. Enfin, les officiers de police judiciaire n’exercent qu’un contrôle sur les cas débouchant sur des suites judiciaires, ce qui rend certaines dérives indétectables.
Des dispositifs de contrôle effectifs mais peu utilisés, une transparence à renforcer
Lorsque la conduite d’un agent est perçue comme inappropriée lors d’un contrôle, le public peut recourir aux plateformes de signalement administrées par les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales, ou saisir le Défenseur des droits. Ces voies de recours restent toutefois peu utilisées et seules quelques centaines de dossiers sont traitées chaque année. La Cour a pu vérifier que ce traitement est effectif. Toutefois, le suivi de ces dossiers relève des services concernés, sans analyse globale ni retour vers l’inspection générale. Par conséquent, celle-ci n’est dotée d’aucun moyen de surveiller le respect de la déontologie ou le caractère discriminatoire des contrôles. Le contrôle par le procureur de la République des demandes de réquisition émises par les forces de sécurité intérieure doit aussi permettre de vérifier la légitimité des opérations envisagées mais reste, en pratique, très limité. Le déploiement de la procédure pénale numérique et l’exploitation des données issues des comptes rendus d’opération pourraient renforcer la transparence de ce cadre d’exercice des contrôles. Enfin, bien que des évolutions aient vu le jour pour améliorer la transparence dans la réalisation des contrôles, telles que le port du numéro d’identification « RIO » ou le déploiement des caméras-piéton, celles-ci restent encore insuffisantes. Ainsi, le RIO est souvent peu visible. La Cour appelle à conduire une nouvelle expérimentation des caméras-piéton, après l’échec de celle menée en 2017 compte tenu des difficultés techniques rencontrées à cette époque.
Renforcer la formation
L’enseignement du contrôle d’identité au moment de la formation initiale insiste surtout sur le cadre juridique et la sécurisation des agents, mais n’accorde qu’une place réduite à l’évaluation de la nécessité de contrôler ou non une personne et au déroulé du contrôle. L’essentiel de la formation des jeunes agents s’effectue donc auprès de leurs pairs à leur arrivée au sein de leur unité. Le sujet des contrôles d’identité est également abordé par certains modules de formation continue, mais ces modules sont peu suivis. La très faible participation à ces formations ne permet pas de réduire le risque de dérives locales ou individuelles des pratiques. Pour la gendarmerie, seules les formations obligatoires accompagnant certains passages de grade offrent réellement l’occasion de rappeler, au cours de la carrière, le cadre d’exercice des contrôles d’identité. Au total, un effort de formations - initiale et continue - portant sur des aspects concrets des contrôles d’identité apparaît nécessaire.