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SAEML Air Tahiti Nui - ATN - La promotion touristique (Polynésie française)

CTC POLYNÉSIE FRANÇAISE

Air Tahiti Nui (ATN) est l’unique transporteur intercontinental aérien dont le siège social est installé à Tahiti. Cette société constitue une originalité dans le milieu de l’aéronautique commercial. L’étendue de son réseau international long-courriers vient en effet en contraste avec sa taille limitée (quatre avions). Cette originalité est source d’agilité mais aussi de vulnérabilité sur un marché façonné de plus en plus par des groupes dominants mondiaux.

Cette société d’économie mixte dont le capital est de 1,622 Md F CFP est détenu par un ensemble d’actionnaires publics et privés locaux. La collectivité de la Polynésie française, propriétaire de 84,82 % du capital, est très présente dans la gouvernance de l’entreprise, neuf administrateurs sur un total de 15 sont nommés en conseil des ministres.

La création en 1996 de la compagnie est d’ailleurs le résultat d’une volonté politique du Territoire dans les années 90. L’imbrication entre les deux est telle que les statuts indiquent qu’ATN est un « instrument destiné à favoriser le développement économique de la Polynésie française ». La raison d’être d’ATN est ainsi de garantir l’accès aux transports aériens internationaux des familles polynésiennes au titre du principe de continuité territoriale, et d’acheminer les touristes. Cette vision est pleinement intégrée dans la culture d’ATN depuis sa création. La stratégie qu’elle développe est modelée dans la perspective d’attirer les vacanciers et de faciliter leur transport. Jusqu’en 2018, sur un total de 10 touristes comptabilisés aux arrivées internationales à l’aéroport de Tahiti, jusqu’à 7 ont pu être transportés par ATN. La compagnie mobilisait d’ailleurs plus de 1 Md F CFP en frais de publicité chaque année, soit 3 % du total de ses charges d’exploitation. À côté d’actions classiques de publicité de ses services aériens, une partie correspondait à des opérations directes de promotion générale de la destination Polynésie française.

À partir de 2018, les cartes ont commencé à être rebattues. En effet, les résultats obtenus par ATN sur le tronçon Tahiti-États-Unis ont attiré l’attention de compagnies cherchant des opportunités de développement. La collectivité de la Polynésie française qui a la compétence transports aériens internationaux a ainsi été sollicitée par une compagnie française puis par des sociétés américaines. Il semble que les autorisations administratives aient été délivrées par le Pays à ces nouveaux entrants sans qu’au préalable une estimation d’impact sur le marché aérien et une évaluation des effets sur la bonne marche de d’ATN soient conduites.

Or, les contre-coups d’une concurrence soudaine sur les conditions d’exploitation d’ATN ont été immédiats. Ses indicateurs de performance sur le tronçon en cause se sont détériorés dès 2019 (- 15,8 % du chiffre d’affaires et - 6 % de coefficient moyen de remplissage par rapport à 2018). Aussi, compte tenu du poids significatif de la route américaine dans l’activité générale de la compagnie (près de 50 % en 2019), le déficit global d’exploitation de la compagnie s’est creusé de 22 % entre les deux exercices, en passant de - 1,85 Md F CFP à - 2,26 Md F CFP.

La reprise rapide de l’activité après la pandémie a vu s’accroître l’offre sur le tronçon Tahiti-États-Unis. Le nombre de sièges proposés entre 2018 et 2023 a ainsi été multiplié par deux (+ 111 %). Cette augmentation a provoqué une surcapacité en sièges, instaurant une guerre commerciale entre les compagnies présentes. En classe économique, le nombre de billets commercialisés par ATN a été divisé par trois et le prix unitaire moyen de vente a été réduit de 26 %, l’empêchant en particulier de répercuter l’inflation. La direction considère d’ailleurs que le tronçon Tahiti-États-Unis est en 2023 l’une des lignes les plus concurrentielles des outremers.

Le respect par le Pays des accords internationaux dits de ciel ouvert, faute de régulation adéquate, a créé un choc systémique pour ATN. Cette dernière est désormais concurrencée sur 80 % de son réseau.

Ce phénomène a été accompagné d’une modification de la répartition de la plus-value en Polynésie française entre transporteurs (- 7 % du chiffre d’affaires 2022/2019) et réceptif (+ 18 % en restauration et hébergements + 26 %).

Fait aggravant, il s’avère que le tronçon entre les États-Unis et Tahiti est historiquement la seule route rentable pour la compagnie. Celle-ci permettait de compenser en partie les pertes financières enregistrées sur les autres destinations (Tokyo et Auckland). En partie car même avant la pandémie, elle ne parvenait déjà pas à dégager un excédent d’exploitation global.

Il en résulte qu’ATN voit ses résultats financiers se dégrader davantage, et son modèle économique est remis en cause. Dans ces conditions, elle n’a pas d’autres choix que de rationaliser son réseau et sa politique commerciale, quitte à venir parfois en contradiction avec la politique de diversification des marchés émetteurs affichée par le Pays. La destination Seattle a été ouverte en 2022, renforçant encore la dépendance au marché américain. Mais la ligne de Tokyo est commercialisée à nouveau le 30 octobre 2023, ouvrant, sans que cela ne soit certain, des perspectives de fréquentation des clientèles asiatiques. La compagnie a réduit ses dépenses de promotion de 50 %, en se concentrant sur ses services et ses offres commerciales, et en supprimant la majeure partie de ses publicités directes sur la destination Polynésie française.

La collectivité de la Polynésie française est dès lors placée face à une contradiction structurelle majeure : encourager la concurrence tout en préservant ATN.

Dans ce contexte général sous tension, ATN est susceptible d’être impactée à nouveau par au moins deux projets structurants annoncés au cours du premier semestre 2023 par le président du gouvernement. En premier lieu, l’idée d’un aéroport international aux Marquises dans l’île de Nuku Hiva aurait certainement des conséquences sur les conditions d’exploitation de la compagnie, éléments qu’il conviendra d’anticiper au plus tôt, ou à tout le moins il serait de bonne gestion d’intégrer le rôle de la compagnie dans ce projet dès les premières phases d’études. En deuxième lieu, l’ambition affichée de parvenir à une fréquentation de 600 000 touristes à horizon de 10 années (250 000 en 2023 estimés) si elle a le mérite de fixer un cap, pourrait remettre en cause rapidement et fortement le modèle économique d’ATN. En effet, sans mésestimer ses capacités d’adaptation, une croissance dans ce court délai de 240 % de la fréquentation imposerait un changement radical de dimension et de stratégie de la compagnie. Or, l’accompagnement financier du Pays ne peut être envisagé qu’à la marge compte tenu de ses capacités budgétaires limitées, et d’un plafond au capital déjà atteint empêchant toute participation supplémentaire à structure constante. Ces observations ne valent toutefois que dans l’hypothèse où la collectivité publique confirme à court terme, compte tenu du travail d’anticipation nécessaire, le rôle d’ATN en tant que transporteur aérien international de premier ordre en Polynésie française.

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